Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 076

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 273-274).
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LXXVI

Le fumier


Brusquement, ma conscience hésita. Elle m’accusa d’avoir fait capituler l’honnêteté de Dona Placida, de l’avoir ravalée à un rôle suspect, après une longue vie de travail et de privations. Le métier d’entremetteuse ne vaut pas mieux que celui de concubine, et c’est à force d’argent et de compromis que j’avais obtenu d’elle ses services. Pendant une dizaine de minutes je ne sus que répondre aux arguments de ma conscience qui m’objectait encore d’avoir mis à profit la nécessité, la gratitude, et la fascination que Virgilia exerçait sur l’ex-couturière. Elle me remémora la résistance de Dona Placida pendant les premiers jours, ses grimaces, ses réticences, ses regards baissés, et ma constance à supporter tout cela pour arriver à la vaincre. Et elle me censura de nouveau avec une vive et nerveuse irritation.

J’avouai qu’il en était ainsi, mais j’alléguai que la vieillesse de Dona Placida était dorénavant à l’abri de la mendicité, ce qui faisait compensation. N’étaient mes amours, et probablement Dona Placida était vouée à la triste fin de tant d’autres créatures humaines. D’où l’on peut conclure que le vice est souvent le fumier de la vertu. Cela n’empêche que la vertu ne soit une fleur saine et parfumée. La conscience fut de mon avis, et j’allai ouvrir la porte à Virgilia.