Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 039

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 163-165).


XXXIX

Le voisin


Tandis que je faisais ces réflexions, un individu de petite taille, sans chapeau, tenant par la main une gamine de quatre ans, entra dans la boutique.

— Comment ça va-t-il depuis ce matin ? demanda-t-il à Marcella.

— Comme ci comme ça ; viens ici, Maricota.

L’individu prit l’enfant dans ses bras, et la fit passer par-dessus le comptoir.

— Allons, dit-il, demande à Dona Marcella comment elle a passé la nuit. Elle mourait d’envie de venir ici, mais sa mère n’avait pas eu le temps de l’habiller. Voyons, Maricota, dis bonjour à la dame… Gare la fessée… C’est bien…

Vous ne pouvez vous figurer comme elle est chez nous. Elle parle de vous tout le temps ; et ici, elle a l’air empaillée. Hier encore… faut-il raconter l’histoire, Maricota ?

— Non, papa, je ne veux pas.

— C’est donc quelque chose de bien laid ? dit Marcella en donnant une petite tape à l’enfant.

— Je vais vous dire : sa mère lui a appris à réciter chaque soir un pater et un ave, en l’honneur de la Sainte Vierge. Mais la petite est venue me demander hier, d’une voix si humble, devinez quoi ?… si elle pouvait offrir sa prière à santa Marcella.

— Pauvre chérie, dit Marcella en l’embrassant.

— C’est un amour, une passion qu’elle a pour vous… Vous ne vous figurez pas… Sa mère dit que vous lui avez lancé un charme.

L’individu continua sur ce ton à raconter toutes sortes de choses aimables, et sortit enfin, emmenant la petite, non sans m’avoir lancé un regard d’interrogation ou de suspicion. Je demandai à Marcella qui il était.

— C’est un horloger du voisinage, un brave

homme ; sa femme est bien bonne aussi. Sa fille est gentille, n’est-ce pas ? Ils ont l’air de beaucoup m’aimer… Ce sont de bonnes gens.

En proférant ces paroles, Marcella parlait d’une voix où il y avait un frémissement d’allégresse. Et un rayon de joie parut s’étendre sur sa face.