Mémoires inédits de l’abbé Morellet/Petit écrit sur une matière intéressante


Petit écrit sur une matière intéressante.

Pag. 39. « À l’occasion de quelques persécutions exercées contre les protestans du midi. » C’est par ce petit écrit que l’abbé Morellet fit ses premières armes dans ce genre de plaisanterie, moitié ironique, moitié sérieux, où il s’est depuis montré digne de ses modèles, Swift, Rabelais et Lucien. Il n’est donc pas inutile d’en conserver ici quelque chose. On verra quel avocat il semblait, dès-lors, promettre à la cause de la tolérance et de l’humanité. Comme il avait eu le projet (qu’il n’a pas exécuté) de réimprimer cet ouvrage en 1818, il l’avait fait précéder d’un préambule qu’il terminait par ces mots : En réimprimant cette petite pièce, écrite en 1756, nous ne craignons pas de blesser le gouvernement sous lequel nous vivons, et qui a, si solennellement, confirmé par la charte la tolérance civile établie par Louis xvi, d’éternelle et touchante mémoire. Nous ne sommes pas non plus en opposition avec la religion chrétienne, dont le véritable esprit, celui de l’Évangile, a toujours été une entière tolérance civile. Quel est donc notre objet dans cette nouvelle publication ? C’est d’entretenir entre les chrétiens de toutes les communions la paix que la charte a apportée à tous les hommes de bonne volonté.

On apprend de l’Amérique septentrionale que nos troupes y remportent tous les jours de nouveaux avantages sur les Anglais[1]. Nous en avons de plus grands encore à espérer : quelques victoires de plus nous ouvriront des contrées immenses, et soumettront à notre domination les colonies les plus florissantes de la Grande-Bretagne. Les politiques, les enfans du siècle, verront dans ces évènemens nos ennemis humiliés, notre commerce protégé, de grandes provinces soumises à la France, de nouveaux sujets, de nouvelles richesses. Loin de moi ces petits objets ; la conversion prochaine des hérétiques doit les faire disparaître à nos yeux. Cette malheureuse partie du monde est devenue, depuis la fin du siècle passé, le repaire de toutes les sectes ; elle a été le refuge d’un grand nombre de protestans sortis de France : mais les progrès de nos armes, et le zèle de Sa Majesté très-chrétienne permettent de se flatter qu’enfin ces brebis égarées seront ramenées au bercail. En vain des Français échappés à nos missionnaires et à nos dragons, se seront-ils exilés dans ces climats éloignés ; les moyens puissans de conversion que Dieu leur avait offerts en Europe, les suivront dans ce Nouveau-Monde, jusque dans les forêts habitées par des nations sauvages et sous des climats dont la rigueur leur fera regretter la belle France.

Que ces espérances sont consolantes pour ceux qui aiment la religion, et qu’une fausse philosophie n’a pas conduits à cette opinion anti-politique, qu’elle est irréligieuse, qu’un prince catholique peut souffrir et tolérer des hérétiques dans ses états !

À les entendre, on doit faire je ne sais quelle distinction subtile entre la tolérance ecclésiastique ou l’indifférence des religions qu’ils condamnent, et la tolérance civile dont ils osent faire l’apologie. Ils disent que l’esprit de persécution n’est point l’esprit de J.-C. et de l’Évangile ; que Tertullien, saint Athanase, saint Ambroise, saint Chrysostôme, Théophylacte, Lactance, saint Hilaire, Fénelon, Fleury, etc., ont condamné la contrainte pour cause de religion ; que les princes abusent de leur autorité lorsqu’ils veulent dominer sur les consciences ; que la violence ne fait que des hypocrites, etc., que sais-je ? cent autres absurdités de cette force, auxquelles les vrais fidèles doivent absolument former l’oreille, s’ils font quelque cas de leur âme et de leur salut éternel.

En effet, comment un catholique peut-il borner son zèle pour la propagation de sa religion au désir de la conversion des hérétiques ? comme si le désir sans action était bien méritoire ; à des exhortations, à des paroles qui volent, enfin à des instructions ? comme si l’expérience ne nous avait pas assez prouvé l’opiniâtreté de ces sectaires et l’impossibilité de terminer les disputes de ce genre par la discussion. Catholiques sans ferveur, j’ai presque dit sans foi, vous appelez inhumanité le zèle qui menace les hérétiques de la perte de leur fortune, de leur liberté, etc. Mais les intérêts du ciel et le salut des âmes sont des considérations devant lesquelles doit se taire la voix de cette humanité prétendue, pour céder à la politique éclairée par la religion.

D’après ces considérations, nous prenons la liberté de présenter au roi, 1° les principales raisons qui doivent engager Sa Majesté à forcer ses nouveaux sujets dans l’Amérique septentrionale, d’embrasser la religion catholique ; 2° les moyens simples et honnêtes dont on pourra se servir pour hâter leur conversion ; 3° on résout les petites difficultés qu’on pourrait opposer à ce projet.

  1. À cette époque, en effet, nos armes étaient heureuses. Mais cette guerre se termina en 1763, par la perte du Canada.