Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Remarques générales sur le mouvement de plusieurs corps qui s’attirent mutuellement en raison inverse des carrés des distances


REMARQUES GÉNÉRALES

SUR LE

MOUVEMENT DE PLUSIEURS CORPS

QUI S’ATTIRENT MUTUELLEMENT
EN RAISON INVERSE DES CARRÉS DES DISTANCES[1].


(Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres
de Berlin
, année 1777.)


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On peut déterminer rigoureusement les mouvements de deux corps qui ayant été lancés dans le vide avec des vitesses quelconques s’attireraient mutuellement en raison directe de leurs masses et inverse du carré de leur distance ; ce Problème a été résolu par Newton et par une foule d’Auteurs après lui. Mais si au lieu de deux corps il y en a trois qui s’attirent pareillement en raison directe des masses et inverse des carrés des distances, le Problème devient alors si compliqué que, quelques efforts que les Géomètres aient faits depuis trente ans pour en venir à bout, ils n’ont pu parvenir qu’à des solutions plus ou moins approchées ; c’est ce Problème qui est généralement connu sous le nom de Problème des trois corps, et qui est si fameux dans l’Astronomie physique, parce que la Théorie de la Lune en dépend. À plus forte raison ne saurait-on se flatter de résoudre complétement le Problème de quatre ou d’un plus grand nombre de corps qui agiraient les uns sur les autres par des forces d’attraction mutuelle. Mais le système de ces corps a des propriétés générales qu’on peut démontrer sans connaître les lois particulières de leur mouvement ; et je crois que les Géomètres seront bien aises de trouver dans cet écrit ces différentes propriétés rassemblées et démontrées d’une manière plus simple, plus directe et plus générale qu’elles ne l’ont été jusqu’ici.

1. Soient les masses des corps qui composent le système donné ; les coordonnées rectangles de l’orbite du corps dans l’espace ; celles de l’orbite du corps celles de l’orbite du corps Qu’on fasse, pour abréger,

et qu’on dénote, à l’ordinaire, par

les coefficients de

dans la différentielle de la quantité regardée comme fonction des variables

on aura

pour les forces avec lesquelles le corps est attiré par les autres corps suivant les directions des trois coordonnées de même

seront les forces avec lesquelles le corps est attiré par les corps suivant les directions des coordonnées et pareillement

seront les forces avec lesquelles le corps sera attiré par les autres corps suivant les directions de et ainsi de suite ; c’est de quoi il est aisé de se convaincre en cherchant par la différentiation les valeurs des quantités dont il s’agit ; car on trouvera les mêmes expressions qu’on aurait par la décomposition des forces qui agissent sur chaque corps, en vertu de l’attraction des autres corps supposée proportionnelle à la masse divisée par le carré de la distance.

Cette manière de représenter les forces est, comme l’on voit, extrêmement commode par sa simplicité et par sa généralité ; et elle a de plus l’avantage qu’on y distingue clairement les termes dus aux différentes atfractions des corps ; car chacune des attractions donne dans la quantité un terme multiplié par le produit des masses des deux corps qui s’attirent, et divisé par leur distance.

2. Donc, nommant le temps et prenant l’élément pour constant, on aura, par les principes ordinaires de la Dynamique, les équations suivantes

Pour le mouvement de

Pour le mouvement de

Pour le mouvement de

et ainsi de suite.

3. La fonction (1) est telle que, si l’on augmente à la fois les quantités d’une même quantité quelconque cette quantité disparaît d’elle-même et la fonction demeure la même qu’auparavant il en est de même si l’on augmente à la fois les quantités d’une quantité quelconque et les quantités d’une quantité aussi quelconque Donc, si l’on suppose que les quantités soient infiniment petites, et que, dans la différentielle de on fasse

il faudra que cette différentielle soit nulle indépendamment des valeurs de et que par conséquent les coefficients de ces trois quantités soient nuls chacun en particulier ; d’où il est aisé de conclure que la somme des coefficients de dans la différentielle de doit être nulle, ainsi que la somme des coefficients de et celle des coefficients de dans la même différentielle ; ce qui donne ces trois équations

4. Si dans les trois équations qu’on vient de trouver on substitue à la place des quantités leurs valeurs tirées des équations du no 2, on aura ces trois équations-ci

qui renferment la propriété connue du centre de gravité.

En effet, si l’on nomme les coordonnées rectangles qui déterminent la position du centre de gravité de tout le système, on a, comme l’on sait,

donc on aura, par les équations ci-dessus,

ce qui montre que le mouvement du centre de gravité ne peut être que rectiligne et uniforme.

5. De là il s’ensuit que, si l’on place dans le centre de gravité l’origine des coordonnées on aura les mêmes équations du no 2, où l’origine des coordonnées est supposée dans un point fixe ; car il est visible que, pour réduire ces dernières coordonnées à celles-là, il n’y a qu’à substituer

à la place de

or ces substitutions ne changent point la quantité comme on l’a déjà observé (3), donc elles ne changent pas non plus les quantités et à cause de

il est visible que les termes seront encore les mêmes après les substitutions dont il s’agit (4) donc, etc.

Dans le cas présent où l’origine des coordonnées est supposée dans le centre de gravité, on aura donc

en sorte qu’on pourra toujours déterminer les coordonnées d’un des corps par celles des autres corps.

6. Je remarque de plus que la fonction est telle, qu’elle demeure la même si l’on y substitue en même temps pour pour pour pour et ainsi de suite, étant une quantité quelconque ; la même chose a lieu en substituant pour pour pour pour et pareillement en mettant pour pour pour pour et étant aussi des quantités quelconques. Donc, en premier lieu, si l’on regarde comme une quantité très-petite, ce qui réduit le radical à et qu’on fasse varier dans la fonction les quantités de et les quantités de il faudra que la variation totale de soit nulle indépendamment de la valeur de par conséquent si dans la différentiélle de on fait

il faudra que la somme des termes affectés de soit nulle ; ce qui donnera l’équation

Ensuite, en regardant comme très-petite et faisant dans la différentielle de

on aura par un raisonnement semblable l’équation

Enfin l’on fera, dans l’hypothèse de très-petite,

et l’on aura

7. Si maintenant on substitue dans ces trois équations les valeurs de que donnent les équations différentielles du no 2, on aura ces trois-ci

dont les intégrales

renferment le principe connu des aires.

8. Enfin si l’on substitue les mêmes valeurs de dans

on aura

dont l’intégrale

contient le principe de la conservation des forces vives.

9. Les intégrales que nous venons de trouver dans les deux numéros précédents, ainsi que celles qui donnent le mouvement du centre de gravité (4, 5), sont connues depuis longtemps ; mais la manière dont nous y sommes parvenus, par la considération de la fonction est nouvelle et peut être utile dans d’autres occasions.

10. S’il n’y a que deux corps alors (1)

d’où l’on tire par la différentiation

mais on a dans ce cas, par la propriété du centre de gravité, en supposant que ce centre soit l’origine des coordonnées (5),

ce qui donne

donc, substituant et faisant, pour abréger,

en sorte que soit le rayon vecteur, on aura

par conséquent le mouvement du corps autour du centre de gravité, des corps et sera déterminé (2) par ces équations

lesquelles font voir que ce mouvement sera le même que si le corps était attiré vers le centre dont il s’agit, supposé fixe, par une force égale à

Et comme

si l’on substitue ces valeurs et qu’on fasse

de manière que soit le rayon vecteur de l’orbite du corps autour du même centre de gravité, on aura, pour le mouvement de ce corps, les équations

d’où l’on voit que le corps se meut comme s’il était attiré vers le centre de gravité, supposé fixe, par une force égale à

Enfin si l’on fait

en sorte que soient les coordonnées de l’orbite du corps autour du corps regardé comme fixe, et le rayon vecteur ou la distance de ces corps, on aura, en mettant pour leurs valeurs ces valeurs de savoir

lesquelles étant substituées dans les équations ci-dessus, il viendra ces trois-ci

lesquelles montrent que le mouvement relatif du corps autour du corps est le même que si ce dernier corps était fixe, et qu’il attirât le premier avec une force égale à C’est ce que l’on sait depuis Newton.

11. Supposons maintenant que le système soit composé de plusieurs corps mais dont l’un soit beaucoup plus distant des autres que ceux-ci ne le sont entre eux. Nommons les coordonnées qui déterminent la position du centre de gravité des corps on aura, par la propriété connue,


donc

et de même

et ainsi de suite. De sorte qu’on aura

Or, par l’hypothèse, les distances

des corps entre eux doivent être beaucoup plus petites que la distance

du corps au centre de gravité des mêmes corps, puisque ce centre est toujours placé au milieu d’eux ; donc si l’on regarde les rapports de premières distances à cette dernière comme des quantités très-petites du premier ordre, et qu’on remarque que l’on a, en général,

et par conséquent toujours

on aura, aux quantités du second ordre près,

et ainsi de suite.

Ces quantités étant multipliées respectivement par et ensuite ajoutées ensemble, on verra que tous les termes du premier ordre se détruiront mutuellement ; car il est visible qu’on a, en général, quelles que soient les quantités et

On aura donc, aux quantités du second ordre près,

Donc la partie de la valeur de (1) laquelle contient les variables , qui est par conséquent la seule à laquelle on doive avoir regard dans les quantités sera, aux quantités du second ordre près,

expression qui est, comme l’on voit, semblable à celle de dans le cas où il n’y a que deux corps et (10), pourvu qu’on prenne à la place du corps la somme des corps et à la place des coordonnées du corps les coordonnées du centre de gravité des corps

De plus, en plaçant l’origine des coordonnées dans le centre commun de gravité de tous les corps, on aura, en vertu des équations du no 5, celles-ci

qu’on voit aussi être analogues à celles, qui ont lieu dans le cas de deux corps (10) en prenant, comme ci-dessus, et à la place de et

D’où il est aisé de conclure que si l’on regarde les corps comme réunis en un seul corps dans leur centre de gravité, ce corps et le corps auront, aux quantités du second ordre près, le même mouvement que si c’étaient deux corps uniques qui s’attirassent mutuellement en raison directe des masses et en raison inverse du carré de la distance.

12. Qu’on suppose présentement que dans le système des corps il y en ait deux et qui soient fort éloignés des autres corps par rapport à la distance où ils sont l’un de l’autre ; et qu’on cherche le mouvement du centre de gravité de ces corps. Nommant les coordonnées de ce centre, on aura, comme l’on sait,

et pour avoir les équations du mouvement du même centre, il n’y aura qu’à substituer dans les valeurs de celles des quantités tirées des équations du no 2. ce qui donnera

Or on a

Donc, si l’on fait ces substitutions dans les expressions

et qu’on traite comme une quantité très-petite du premier ordre le rapport de la distance

entre les corps et à la distance.

entre le centre de gravité des mêmes corps et le corps on aura,

comme dans le numéro précédent, aux quantités du second ordre près,

et l’on voit que, si l’on multiplie ces quantités respectivement par et qu’ensuite on les ajoute ensemble, les termes du premier ordre se détruiront mutuellement, et l’on aura simplement

On trouvera de la même manière, en traitant le rapport de la distance entre les corps et à la distance entre le centre de gravité de ces corps et le corps comme une quantité très-petite du premier ordre et négligeant les quantités très-petites du second ordre,

et ainsi de suite.

Or, si l’on considère l’expression de du no 1, on verra que le premier terme

se détruit de soi-même dans les valeurs de

donc, si l’on rejette ce terme et qu’on fasse dans les autres termes de 12 les substitutions ci-dessus, on aura le même résultat que si l’on supposait

Mais puisque

on aura

donc

et l’on aura de même

Donc le mouvement du centre de gravité des corps et sera déterminé, aux quantités du second ordre près, par les équations

dans lesquelles la quantité sera ce que devient la valeur de du no 1, en y faisant

D’oü je conclus sur-le-champ que le mouvement du centre de gravité dont il s’agit sera, aux quantités du second ordre près, le même que si les deux corps et étaient réunis dans ce centre et ne formaient plus qu’un seul corps.

13. On peut étendre cette démonstration a autant de corps que l’on voudra, et il en résultera que si plusieurs corps s’attirent mutuellement et sont attirés par autant d’autres corps qu’on voudra, dont ils soient fort éloignés par rapport aux distances de ces corps entre eux, le mouvement du centre de gravité de ces corps sera, aux quantités très-petites du second ordre près, le même que si ces corps y étaient réunis et ne formaient qu’un corps unique.

Donc, en combinant ce Théorème avec celui du no 11, on conclura, en général, que si l’on a un système d’autant de corps qu’on voudra qui s’attirent mutuellement, et qu’une partie de ces corps soit très-éloignée des autres corps, en sorte que les distances des premiers corps entre eux et les distances des derniers corps entre eux soient très-petites vis-à-vis des distances de chacun des premiers corps à chacun des derniers, le centre de gravité des premiers et celui des derniers auront le même mouvement que si les corps étaient réunis dans ces centres et ne formaient ainsi qu’un système de deux corps uniques.

Ces Théorèmes sur le mouvement des centres de gravité ont déjà été donnés en partie par M. d’Alembert, dans ses Recherches sur le système du monde et dans ses Opuscules ; mais la manière dont je viens de les démontrer est nouvelle et me paraît mériter surtout l’attention des Géomètres par l’utilité dont elle peut être dans d’autres occasions. On prouverait, par les mêmes principes, que ces Théorèmes seraient également vrais si les corps agissaient les uns sur les autres par une force d’attraction mutuelle proportionnelle à une fonction quelconque de la distance ; car nommant la force d’attraction qui agit à la distance et faisant

il n’y aura qu’à changer la valeur de du no 1 dans la suivante

et l’on parviendra aux mêmes résultats.


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  1. Lu le 2 octobre 1777.