Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917)/Tome 1/10

Librairie Plon (1p. 175-220).



CHAPITRE X


Le plan XVII. — La mise sur pied du plan.


Après avoir dit sous quel aspect j'envisageais le problème qui m'était posé et de quelle manière il me semblait logique de le résoudre, il convient maintenant d'expliquer comment, du domaine de l'étude, ces projets sont passés dans celui de la réalisation.

A l'automne 1912, alors que la refonte complète du plan me paraissait de plus en plus impérieuse, j'étais obligé d'y surseoir : en effet, le plan qui était à l'étude faisait état des lois organiques soumises au Parlement, et tant que nous ne serions pas assurés qu'elles seraient acceptées par lui, il était impossible de bâtir quelque chose de définitif.

C'est dans ces conditions que, le 24 octobre, je remis à M. Millerand, ministre de la Guerre, une note faisait ressortir la nécessité urgente d'une refonte du plan de concentration, et comme conséquence, la nécessité urgente d'activer le vote des lois des cadres soumises aux Chambres. Dans cette note, j'exposais que le plan XVI mis en vigueur le 1er mars 1909 correspondait à une situation extérieure et à des projets d'opérations qui ne répondaient plus aux conditions présentes. Il y avait à relever dans ce plan la complexité des mouvements par voies ferrées des 14e et 15e corps d'armée préparées à la fois vers le Nord-Est et vers les Alpes, la trop grande rigidité des courants de transports, l'organisation d'une armée de manœuvre destinée à se porter par voie de terre vers l'une des ailes du dispositif, courant ainsi le risque de ne pas être en mesure d'intervenir en temps unite du côté décisif. En outre, le plan XVI n'avait fait que des prévisions insuffisantes en ce qui concernait l'éventualité d'une offensive allemande par la Belgique.

Sans doute, la variante de septembre 1911, adoptée sous la pression des événements, avait sensiblement amélioré la situation, mais elle offrait tous les défauts des solutions de fortune. "Or, disais-je, la situation extérieure s'est profondément modifiée ; la transformation de l'armée russe consécutive à la guerre de Mandchourie n'avait commencé qu'en 1908, mais elle va être terminée : l'artillerie lourde de campagne va être au complet, l'équipement des formations de réserve est constitué ; l'Angleterre paraît plus que jamais décidée à nous appuyer : en juillet 1911, le War Office a pris la décision d'envoyer sur le continent non plus une partie mais la totalité de son armée de campagne, et de hâter la mobilisation et le transport de cette armée ; la collaboration des deux marines est assurée. En ce qui concerne l'Italie, on peut de plus en plus espérer qu'elle n'interviendra pas sérieusement dans un conflit avec la France ; en tout cas, son intervention ne sera pas immédiate."

Comme conséquence de cette situation, il devenait possible de ne laisser sur les Alpes que des formations de réserve, de transport dès le début les 14e et 15e corps d'armée vers le Nord-Est, et ultérieurement les unités laissées en couverture sur la frontière italienne, enfin de compter sur le transport certain du 19e corps d'armée en France. L'Allemagne était, par contre, obligée à plus de précautions sur sa frontière orientale, ce qui venait de l'amener à créer un XXe corps d'armée à Allenstein.

D'autre part, le rendement de nos voies ferrées s'était considérablement amélioré : le nombre des marches utilisables sur les lignes de transports avait pu passer de quarante-huit à cinquante-six ; tous les travaux entrepris allaient être terminés à la fin de 1912 ; grâce à cette intensité plus grande donnée aux transports, il allait être possible de gagner un jour sur la durée de la concentration des éléments combattants. D'autres travaux qui devaient être terminés, les uns en 1913, les autres en 1914, donneraient encore plus de souplesse et permettraient le groupement des corps d'armée dans la zone de concentration au gré du commandement.

Les derniers renseignements nous signalaient, par contre, l'activité allemande dans la construction du réseau stratégique de la région de l'Eifel, et l'importance des quais militaires neufs dans la région de l'est de Malmédy, "ce qui prouve, disais-je, chez l'état-major allemand une tendance de plus en plus grande à porter vers le nord l'aile droite de son dispositif de concentration, et à englober le Luxembourg et la Belgique dans le théatre des opérations."

Je terminais mon rapport en disant que la concentration actuelle ne cadrait plus avec la situation extérieure, l'état de nos forces et le rendement de nos voies ferrées. Elle ne me paraissait pas se prêter complètement aux mouvements que nécessiterait une offensive en Belgique en cas de violation du territoire belge par les Allemands. Pour toutes ces raisons, un nouveau plan me paraissait nécessaire ; mais il était indispensable qu'il reposât sur une organisation de l'armée parfaitement définie. "Or, concluai-je, le plan XVI, mis à l'étude le 2 août 1907, n'a pu entrer en vigueur que le 1er mars 1909, c'est-à-dire dix-sept mois plus tard ; actuellement nous estimons à quatorze mois le temps nécessaire à l'établissement du plan nouveau : si on veut qu'il soit appliqué au printemps 1914, il faut se hâter de faire voter les lois des cadres de l'infanterie, de la cavalerie, du génie et de se mettre au travail de préparation dès le début de 1913."

Toutefois, je ne pouvais me faire d'illusions. En tenant compte des lenteurs législatives et du temps nécessaire au travail matériel de l'élaboration d'un nouveau plan, je comprenais fort bien que celui-ci ne pourrait entrer en oeuvre que dans un délai encore fort éloigné. Aussi me parut-il nécessaire de recourir encore une fois à une solution provisoire qui, en améliorant les conditions de la concentration, me permettait d'exécuter, le moment venu, la manœuvre que j'aurais décidée. De toute évidence la variante n°1 que j'avais approuvée en septembre 1911 se révélait insuffisante pour cet objet. Je rappelle que, devant l'éventualité de la violation de la Belgique par les Allemands, profitant de la souplesse de nos transports pour renforcer le théâtre du Nord-Est par prélèvements sur celui du Sud-Est, j'avais, à cette époque, décidé de porter vers le Nord la gauche du dispositif de première ligne, de pousser également dans la même direction "l'armée de manœuvre", et de faire serrer sur les armées de première ligne les réserves constituées par les groupes des divisions de réserve. Cette solution laissait encore la 6e armée (armée de manœuvre) échelonnée entre Châlons-sur-Marne, Reims et Sainte-Menehould, la tête à l'Argonne. Or, j'ai fait ressortir dans les chapitres précédents que la conduite stratégique d'une manœuvre à travers la Belgique n'était réalisable qu'à la condition de ne point perdre de temps. L'éloignement de la 6e armée, dans cette hypothèse, était incompatible avec ces nécessités. Aussi, donnai-je l'ordre de préparer une variante qui tiendrait compte des modifications organiques projetées, tout en restant basée sur le service de deux ans. Cette variante devait avoir pour objet de reporter vers l'est la tete des cantonnements des corps d'armée les plus avancés de la 6e armée, en vue de hâter et de faciliter les mouvements de cette armée au delà de la Meuse, au nord de Verdun. Les conditions que j'imposais étaient de permettre à cette armée de déboucher soit dans la direction de l'Est en franchissant la Meuse entre Verdun et Stenay, ce qui correspondait à l'hypothèse de la non-violation de la Belgique, soit dans la direction du Nord-Est, en abordant la Meuse entre Dun et Sedan, dans le cas où la Belgique, pour une raison ou pour une autre, nous serait ouverte.

Ces études aboutirent à porter le concentration de la 6e armée jusque sur le front Grand-Pré, Varennes, Clermont-en-Argonne, les 3e et 4e corps d'armée ayant déjà de nombreux éléments au delà de la forêt de l'Argonne, les 10e et 11e corps dans la plaine de Champagne.

J'ai dit également qu'une manœuvre stratégique conduite soit par le Grand-Duché, soit par le Luxembourg belge, nécessitait l'inviolabilité absolue du front de la Meuse, outre qu'il était nécessaire de limiter en Woëvre la puissance offensive de la position Metz-Thionville. Or, vers le Nord, Verdun formait le môle de nos positions, et il était nécessaire de renforcer l'occupation des Hauts-de-Meuse aux alentours de cette place. Aussi fut-il décidé que le troisième groupe de divisions de réserve, concentré dans la variante de septembre 1911 entre Sainte-Menehould et Bar-le-Duc, se concentrerait dorénavant de part et d'autre de Verdun en vue de l'occupation éventuelle des Hauts-de-Meuse entre Damvillers et Hattonchâtel. Pour parvenir à ce but, il fut nécessaire de modifier la composition des 3e et 4e groupes de divisions de réserve : le 4e G. D. R., dont la concentration n'était pas modifiée, comprenait maintenant les 51e, 60e, 62e D. R. ; le 3e G. D. R., les 52e, 53e et 54e D. R. ; la 52e se concentrait sur la Meuse de Stenay à Dun, la 53e dans la région Varennes-Montfaucon, la 54e, sur la Meuse de Dieue à Troyon.

Ces deux principales modifications concernant les zones de concentration de la 6e armée et du 3e G. D. R. constituèrent ce qui prit le nom de la variante n°2 au plan XVI. Il fallut cinq mois environ pour l'établissement et la mise en place de tous les documents destinés à son exécution éventuelle ; ce fut au moins d'avril 1913 seulement que la nouvelle variante put entrer en vigueur. Elle nous permettait d'attendre dans de meilleures conditions la réfection totale du plan.

Si l'on considère les transformations successives que le plan initial XVI a subies du fait des variantes 1 et 2, on constate que celles-ci ont surtout été motivées par l'importance de plus en plus grande que prenait à nos yeux l'éventualité de la violation du territoire belge par des forces allemandes. Pour parer à cette menace éventuelle, le centre de gravité de l'ensemble des forces du théâtre nord-est remontait de plus en plus vers le Nord. On remarquera toutefois que si la variante n°2 ne comportait pas d'extension au nord de la région de Mézières, cela tenait uniquement à nos possiblités du moment ; il ne faut, en effet, pas oublier que nous étions encore sous le régime de la loi de deux ans.

D'autre part, l'abandon des idées défensives et une plus juste appréciation de nos possibilités en face d'un adversaire qui se concentrait à la frontière même, nous conduisait à éviter autant que possible d'abandonner au début une trop large bande du territoire national. C'est ce qui explique que la concentration du gros de nos forces dans ces plans successifs était prévue sur une ligne de plus en plus rapprochée de la frontière. Le plan XVII allait marquer un pas de plus dans cette nouvelle voie.

En outre, le travail de réorganisation de nos formations de réserve ayant pour double but de les rendre plus souples et d'améliorer leur encadrement, nous permettait de prévoir leur utilisation plus tôt au côtés des troupes actives. Enfin la mise au point de ces diverses variantes permit de découvrir une série d'améliorations et de simplifications à apporter dans l'exécution même des transports et de la concentration. C'est ainsi, en particulier, que l'on parvint à simplifier les règles qui régissaient les mouvements des trains : jusque-là l'itinéraire de chaque train était réglé de bout en bout, et ce trajet nécessitait pour chaque gare traversée une fiche pour chaque train ; la gare de débarquement était fixée d'une manière absolue ; cette règle trop stricte nécessitait un très long et très minutieux travail. On décida de ne régler le parcours de chaque train que jusqu'à la gare régulatrice. Ce dernier organe fut chargé de déterminer, d'après ses disponibilités sur le réseau qui lui était affecté, l'itinéraire de fin de parcours et la gare de débarquement.

Les cinq mois de travail que la préparation de la variante n°2 a demandés ont donc été très utiles, et ont permis d'améliorer les conditions d'exécution ultérieures du plan XVII.

Cependant, les lois des cadres soumises au Parlement allaient servir de base à une réorganisation profonde de l'armée ; en particulier, celle qui concernait l'infanterie avait pour but essentiel d'organiser plus solidement le commandement et l'encadrement des troupes de réserve, et de nous permettre d'envisager l'emploi de certaines divisions de réserve dans les armées de première ligne. La loi relative à la constitution des cadres et des effectifs de l'artillerie fut promulguée le 13 décembre 1912. M. Millerand, ministre de la Guerre, d'accord avec M. Étienne, président de la Commission de l'armée à la Chambre des députés, s'employa à faire aboutir le plus tôt possible les lois en question ; le 12 décembre, la Chambre votait le projet concernant les cadres de l'infanterie qui lui avaient été soumis, et le Sénat émettait le 21 décembre, sans discussion, un vote favorable. Quant à la loi des cadres de la cavalerie, elle fut acceptée par la Chambre dès le 2à décembre, mais elle ne fut adoptée définitivement par le Sénat que le 27 mars 1913. Cette loi aboutit à l'endivisionnement de la majeure partie des régiments de cavalerie.

Par conséquent, dès la fin de l'année 1912, nous avions acquis la certitude de pouvoir bâtir notre nouveau plan de concentration selon les prévisions que nous avions faites sur la réorganisation générale des forces actives et des unités de réserve. Mais, à cette époque, de nouvelles préoccupations vinrent remettre en question une partie des éléments du plan que je venais de faire étudier. La loi votée en juin par le Reichstag avait déjà porté ses fruits : notre couverture, telle que nous l'avions envisagée, n'était plus en mesure d'arrêter l'élan des cinq corps ennemis qui lui étaient opposés ; il fallait donc qu'elle fût augmentée et portée à la valeur de cinq corps d'armée, afin que l'éventualité d'une attaque brusquée devînt improbable, ou, tout au moins, si elle venait à se produire, que nous fussions en mesure d'y faire face. Ces considérations, comme je l'ai déjà dit, contribuèrent à nous convaincre que la loi de recrutement de 1905 n'était plus suffisante, et que seul un service de trois ans serait susceptible de porter à l'effectif fort les troupes de couverture, et à un effectif normal les troupes de l'intérieur.

C'est dans ces conditions que, peu de temps après la séance du 4 mars où le principe de la loi de trois ans fut accepté à l'unanimité par le Conseil supérieur de la Guerre, le 18 avril, je soumis aux délibérations du même Conseil les bases mises au point du nouveau plan qui devait prendre le nom de plan XVII. Il lui était soumis par application de l'article 3 du Décret du 28 juillet 1911 portant réorganisation du haut commandement.

Il semble nécessaire de résumer ici le document remis aux membres du Conseil en vue de cette séance du 18 avril.

Tout d'abord les raisons qui militaient en faveur d'un nouveau plan, situation extérieure et situation militaire intérieure, étaient présentées. Puis le document étudiait l'organisation proposée pour l'armée mobilisée.

En raison de l'endivisionnement de la cavalerie, le corps d'armée n'aurait plus qu'un régiment à six escadrons.

En ce qui concerne la brigade d'infanterie de réserve affectée jusque-là au corps d'armée, on proposait de la suppriemr ; en effet, sa valeur combattive était faible, et cependant, on avait constaté, aussi bien dans les manœuvres que dans les exercices sur la carte, que les commandants de corps d'armée avaient fréquemment tendance à l'assimiler aux unités actives, et à l'employer pour des missions exigenat une forte cohésion ; or, la loi des cadres de l'infanterie allait améliorer l'encadrement de ces régiments réduits de toris à deux bataillons. Dans ces conditions, le nouveau plan prévoyait l'affectation à chaque division d'un régiment de réserve à deux bataillons.

En ce qui concerne l'artillerie, on est obligé de constater que, depuis la séance du 19 juillet 1911 où le Conseil supérieur de la Guerre s'était prononcé en faveur de la création d'une artillerie lourde, les études entreprises n'avaient pas abouti. La seule modification importante à la situation avait été, comme je l'ai déjà dit plus haut, la présentation par le commandant Malandrin d'une plaquette permettant, contre le personnel et le matériel des abrités, des tirs avec angles de chute allant jusqu'à 12 degrés. Donc, au point de vue de l'organisation de l'artillerie dans les corps d'armée, le nouveau plan n'apportait pas de modifications à l'ancien.

Le plan XVII prévoyait vingt et un corps d'armée, y compris le corps colonial et le 21e corps d'armée dont la création était prévue à Épinal.

La mobilisation du 19e corps d'armée, en raison des prélèvements pour le Maroc, ne pouvait être envisagée ; en conséquence, le plan XVII prévoyait que l'Algérie fournirait deux divisions autonomes, les 37e et 38e divisions.

Le corps d'armée normal devait comprendre : 28 bataillons dont 4 de réserve, 30 batteries, et 6 escadrons dont 2 de réserve.

La 14e région pourrait fournir une division à 16 bataillons[1].

Au total l'armée active se mobilisait avec 46 divisions d'infanterie, c'est-à-dire avec le même nombre que dans le plan XVI.

En ce qui concerne les divisions de cavalerie, le plan prévoyait la création de 10 divisions comprenant 6 régiments de cavalerie, un groupe de 3 batteries de 4 pièces, et un groupe d'infanterie cycliste.

La composition prévue pour la division d'infanterie de réserve était la suivante : 2 brigades d'infanterie à 3 régiments de 2 bataillons, 3 groupes de 3 batteries, 2 escadrons. Le nouveau plan prévoyait la création de 25 divisions de réserve au lieu des 22 divisions du plan XVI. Chaque division de réserve n'aurait que 12 bataillons au lieu de 18, mais elle serait moins lourde et plus apte à la manœuvre. Dans le plan XVI, les divisions de réserve étaient toutes tenues, au début, loin du front, pour que leur fût laissé le temps d'acquérir de la cohésion ; elles n'étaient pas prévues pour les premières rencontres. Mais, maintenant, elles étaient mieux encadrées, plus fortes en artillerie par rapport à leurs effectifs d'infanterie, elles paraissaient susceptibles de remplir certaines tâches aux côtés des unités actives. C'est pour cette raison que, déjà dans la variante de septembre 1921 au plan XVI, on avait prévu le prolongement des transports de certaines divisions de réserve.

Pour l'artillerie lourde, le plan XVII prévoyait comme artillerie armée des groupes de 3 à 4 batteries de 4 pièces de 155 C. T. R., soit 25 batteries. L'artillerie lourde mobile, soit 15 batteries de 120 long et 6 batteries de mortiers de 220, était affectée au groupe d'armées du Nord-Est. On envisageait d'ailleurs une augmentation de ces dotations au fut et à mesure des livraisons de matériels qui viendraient à être faites.

En ce qui concerne l'aéronautique, des éléments de cette arme nouvelle devaient être représentés, à partir du printemps 1914, par 13 dirigeables, 20 escadrilles de 6 avions réparties entre les armées. Des études étaient en cours en vue de l'organisation de sections d'avions légers pour les divisions de cavalerie et l'artillerie des corps d'armée. On prévoyait en outre des sections d'avions équipés pour l'attaque des dirigeables ennemis et le lancement d'explosifs et de mitraille.

Les divisions territoriales étaient destinées à la défense de Paris, des côtés, du front sud-ouest, etc...; elles devaient comprendre 12 bataillons, 3 ou 6 batteries, et 2 ou 4 escadrons.

Les garnisons des places fortes étaient constituées jusqu'alors par des régiments actifs. Le nouveau plan prévoyait l'outillage en moyens de transport des 24 bataillons formant les régiments 164 à 173 affectés aux quatre grandes places, de façon qu'ils puissent, le plus tôt possible, participer aux opérations de campagne, aussitôt qu'ils auraient été remplacés par des unités de réserve ou de territoriale.

Le plan de protection de l'Afrique du Nord comprenait :

1° La constitution de garnisons de sûreté sur la côte de Bizerte, Alger et Oran ;

2° Des colonnes mobiles pour renforcer les points de la côté menacés et réprimer les insurrections de l'intérieur ;

3° Des garnisons territoriales dans les garnisons du temps de paix ;

4° La protection des centres de colonisation devait être assurée par les territoriaux qui y étaient domiciliés.

Ces mesures de sécurité étant prises, il était possible de prélever sur l'ensemble de nos troupes d'Afrique, au profit du théâtre du Nord-Est, les 37e et 38e divisions à 16 bataillons.

Au Maroc, il semblait nécessaire de laisser sur place toutes les troupes du corps expéditionnaire jusqu'à leur relève par des troupes noires.

Pour le régime des lignes de communication, il était essentiel que le général en chef pût, en toute liberté, modifier le groupement de ses forces au profit de la manœuvre. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, le chemin de fer est au premier chef l'instrument stratégique. Or, l'organisation prévue par le plan XVI manquait de souplesse. Le plan XVII se proposait donc de conserver en fin de concentration toutes les lignes de transport, en ne conservant qu'un certain nombre de gares régulatrices. En outre, un système de transversales était prévu qui permettrait les mouvements de rocade.

Sauf pour quelques mesures de détail, rien n'était changé dans le plan XVII aux dispositions du plan XVI, en ce qui concerne la mobilisation.

Les corps d'armée doivent être prêts à être enlevés :

La cavalerie, le 3e jour à 18 heures,
Les combattants, du 4e au 9e,
Les convois, le 10e.

Pour les corps de couverture :

Les premiers échelons, dès le premier jour, de la 3e à la 8e heure,
Le complément du premier échelon à la 27e heure,
Les deuxièmes échelons, les 2e, 3e et 4e jour.

Les divisions de cavalerie devaient être prêtes à être embarquées le 3e jour à 18 heures.

Pour les divisions de réserve, les deux divisions de Paris devaient être prêtes à être enlevées du 5e au 10e jour, toutes les autres, du 9e au 12e jour ; les divisions territoriales du 5e au 15e jour.

La mobilisation des places du Nord-Est devait être terminée le 7e jour ; celle des places du Sud-Est du 6e au 10e jour.


Le projet soumis au Conseil supérieur de la Guerre examinait ensuite la répartition générale de nos forces.

Le théâtre du Nord-Est étant le principal, il devait donc absorber la presque totalité de nos forces actives, les formations de deuxième ligne étant, comme il a été déjà dit, utilisées à des missions n'exigeant pas le même degré de cohésion que les formations actives.

Pour la frontière du Sud-Est, il suffisait, en tout état de cause, d'empêcher l'adversaire de déboucher rapidement des montagnes et d'exercer prématurément une action dans les opérations. En s'appuyant sur les places qui barrent les routes carrossables, on pouvait admettre que des forces françaises inférieures en nombre obtiendraient assez facilement ce résultat. En effet, en raison de la lenteur de la mobilisation italienne, si même elle se produisait, ce ne pouvait pas être avant un mois que les troupes italiennes pourraient fournir un effort sérieux. Dans ces conditions, il ne semblait pas téméraire de confier à des divisions de réserve la première défense de cette région ; elles auraient certainement le temps de prendre la cohésion avant d'avoir eu des contacts sérieux avec leurs adversaires éventuels.

La région du Sud-Ouest et les côtés étaient peu exposées. Des mesures furent cependant prévues sur le littoral pour le mettre à l'abri des coups de main possibles.

Les deux divisions de réserve affectées provisoirement à Paris, les 61e et 62e, étaient sur le pied de campagne ; elles pourraient être appelées à opérer sur un théâtre quelconque, avec la 67e division de réserve, réserve centrale groupée à Mailly et laissée aux ordres du ministre de la Guerre pour parer à l'imprévu. Ces trois unités permettaient encore de réduire la défense des Alpes et de ne mettre que des divisions territoriales sur les côtés.

Dans ces conditions, la répartition générale de nos forces étaient envisagée conformément aux décisions du Conseil supéreiur de la Défense nationale du 9 janvier 1912, qui avait pris à l'unanimité la résolution suivante :

"Nos corps actifs doivent être transportés tous et le plus rapidement possible sur la frontière du Nord-Est. La protection de nos frontières secondaires et de nos côtes peut être confiée à des unités de réserve et de l'armée territoriale."

On arrivait ainsi à la répartition suivante :


Théâtre d'opérations du Nord-Est :

21 corps d'armée,

2 divisions d'Afrique, 37e et 38e,

Division des Alpes, 44e,

10 divisions de cavalerie,

14 divisions de réserve,

La garnison mobile des places du Nord-Est,

La totalité de l'artillerie lourde d'armée et de l'artillerie lourde mobile.


Théâtre d'opérations du Sud-Est :

4 divisions de réserve,

1 division territoriale,

La garnison mobile des places du Sud-Est destinée à former éventuellement la 44e division.


Front du Sud-Ouest et côtés :

6 divisions territoriales.


Réserve générale du territoire :

3 divisions de réserve (61e et 62e à Paris, 67e à Mailly), 1 division territoriale.


La concentration devait être assurée par dix lignes de transports indépendantes comprenant :

Un faisceau de 3 lignes aboutissant entre Belfort et Toul,

Un faisceau de 3 lignes aboutissant entre Toul et Verdun,

Un faisceau de 4 lignes aboutissant entre Verdun et Hirson.

Ces 10 lignes étaient reliées entre elles par des transversales permettant l'exécution de variantes prévues ou à improviser en cours de concentration, en particulier les divisions d'Afrique, et la 44e division pouvaient être amenées par la grande transversale Dôle, Dijon, Paris, Creil, Tergnier, au point jugé nécessaire selon les circonstances.

D'autre part, le fonctionnement du système des gares régulatrices permettait de reculer ou d'avancer la concentration à la demande des événements dans la zone comprise entre la ligne générale Laon, Soissons, Reims, Troyes, Dijon, Besançon, et le front formé par la Moselle en amont de Toul et la Meuse en aval de Pagny.

Dès lors, les documents d'exécution des transports ne devraient donner que l'indication d'un groupe de quais de débarquement et de la zone normale des cantonnements de chaque corps d'armée ; il en résultait un double avantage : d'abord, une très grande simplification dans l'établissement de ces documents, ce qui permettrait de mettre en vigueur le nouveau plan dans des conditions de temps sensiblement inférieures à celles qu'avait demandé la confection des documents similaires dans les plans antérieurs ; en second lieu, les commandants d'armée disposeraient d'assez de lattitude pour ordonner en temps utile dans leur zone respective les variantes nécessaires.

Avec cette nouvelle conception, il était possible de prolonger les lignes de transports des éléments de queue des grandes unités jusqu'aux quais de débarquement les plus avancés ; on pouvait aussi hâter le moment où les armées pourraient se porter en avant en les faisant suivre par des débarquements successifs.

Ces diverses mesures devaient nous donner dans la concentration une souplesse que l'incertitude de la situation rendrait plus précieuse.

Les transports stratégiques devaient commencer intensivement dès le 5e jour, à raison de 56 marches par ligne et par jour, et, dans ces conditions, nous pouvions être prêts à entrer en action dans la zone d'opérations :

La cavalerie, le soir du 4e jour,

Les éléments combattants des corps d'armée du 9e au 10e jour au soir,

Les divisions de réserve, la moitié le 11e jour à midi, l'autre moitié le 13e jour au soir,

Les divisions d'Algérie-Tunisie seraient transportées à Marseille pour le 7e ou le 9e jour ; elles pourraient être le matin du 16e jour entre Toul et Épinal, ou le 17e jour au nord de Toul. La division alpine serait transportée dans des conditions analogues.


En ce qui concerne la couverture, le document remis aux membres du Conseil supérieur de la Guerre faisait ressortir la faiblesse de nos effectifs en face de la couverture allemande et la trop grande largeur de nos secteurs de nos 3 corps d'armée frontière. Cette situation motivait la loi de recrutement soumise au vote du Parlement, le projet de loi demandant la création d'un 21e corps à Épinal, et le projet de décret modifiant les zones territoriales des 2e, 6e, 7e et 20e corps, de façon à faire participer le 2e corps à la mission initiale de couverture.

Les études préparatoires avaient fait ressortir l'importance de la possession de la ligne de la Meurthe. Le 20e corps était en état d'assurer la défense, à condition que son secteur fût limité à la Moselle à gauche et à la forêt de Parroy à droite. La partie restante du secteur du 21e corps, c'est-à-dire la région de Saint-Dié-Baccarat pourrait être l'objet d'une attaque brusquée de la part du corps d'armée allemand récemment créé à Sarrebourg. Dans ces conditions, la création du 21e corps constitué par prélèvements sur les 7e, 20e et 14e corps et la 19e brigade d'artillerie, avec des garnisons placées entre la Meurthe et la Moselle, semblait une garantie essentielle. Le secteur de couverture du 21e corps s'étendrait de la région des Hautes-Vosges vers Fraize jusqu'à Manonvillers, englobant les voies de pénétration venant de Schlestadt, Strasbourg et Sarrebourg.

La caractéristique du secteur s'étendant du col de la Schlucht jusqu'à la frontière suisse était la connexité qui existait entre des opérations menées dans les Hautes-Vosges et dans la région de Belfort. Ceci conduisait à donner au 7e corps d'armée la garde de la frontière depuis la Schlucht jusqu'à la Suisse, la 14e division s'échelonnant de Belfort à Lons-le-Saunier, la 13e division devant tenir les Vosges, de la Schlucht incluse au Ballon d'Alsace, l'autre brigade vers Giromagny prête soit à appuyer la 14e division, soit à soutenir la brigade vosgienne. En outre, la 8e division de cavalerie débarquée vers Montbéliard participerait à la couverture en avant de Belfort.

Dès la première nouvelle de la violation de la Belgique par les Allemands, il était nécessaire d'avoir vers Grivet des forces suffisantes pour occuper la Meuse depuis cette ville jusqu'à Namur. L'utilité d'avoir dans cette région une division d'infanterie et une division de cavalerie me conduisit à faire appel au 2e corps dont la 4e division s'installa à Mézières avec un régiment à Givet.

La défense de la Woëvre méridionale fut confiée au 6e corps entre la ligne Verdun-Conflans et le plateau de Saizerais. Avec deux de ses divisions, l'artillerie de corps et la 6e brigade de cavalerie, le commandant de ce corps d'armée couvrirait Toul et Verdun et se tiendrait prêt à appuyer soit le 20e corps à sa droite, soit le 2e à sa gauche. La 12e division (3e division du corps d'armée) constituerait dans la région Saint-Mihiel-Commercy une réserve générale du commandant en chef, commandant supérieur de la couverture.

Du 5e au 6e jour, la couverture serait renforcée :

Par la 3e division en Woëvre septentrionale,
Par la 9e division en Woëvre méridionale,
Par la 15e division sur la Haute-Meurthe.

Dès le quatrième jour, les régiments de cavalerie de corps des 2e, 5e et 9e corps d'armée seraient en place comme renforts de la couverture ; à la même date, les 1re, 3e et 5e divisions de cavalerie réunies dans la région de Mézières seraient à la disposition du commandant en chef.

La couverture tout entière, au début sous l'autorité directe du commandant en chef (les commandants de corps d'armée de couverture étant commandants de secteurs), passerait à partir du cinquième jour aux ordres des commandants d'armée.


Les systèmes fortifiés devaient servir d'appui à la couverture et l'aider à protéger la concentration ; ils devaient en outre faciliter l'entrée en opérations des armées en assurant les débouchés vers les frontières.

Or, nos places étaient insuffisantes, dans l'état actuel, à remplir ce dernier rôle, aucune d'elles n'étant capable de remplir une fonction analogue à celle de Metz-Thionville. La situation était donc à améliorer par l'organisation d'ouvrages du moment.

Aussi des études avaient-elles été entreprises pour créer des positions défensives solides sur les Hauts-de-Meuse, le Grand-Couronné et au débouché de la forêt de Charmes.

Hauts-de-Meuse : la possession incontestée du front Damvillers, Haudiomont, Vigneulles, Apremont, était nécessaire pour permettre la sécurité de nos débarquements et faciliter une offensive au nord de la ligne Verdun-Thionville. L'organisation était déjà arrêtée dans tous ses détails. La position devait être organisée et tenue dès le début par les troupes de couverture. Vers le onzième jour, la couverture serait remplacée sur cette position par des divisions de réserve.

Tête de pont de Nancy : Pour garantir contre Metz le flanc gauche de colonnes en mouvement vers le nord-est, une position devait être organisée à l'est de Nancy dès la période de couverture, et tenue prête dès le début des transports stratégiques. Cette position devait englober la plateau de Faulx, le mont d'Amance, les hauteurs de Cercueil. L'organisation en avait été confiée au 20e corps d'armée ; le tracé en avait déjà été arrêté par le général commandant le 20e corps d'armée d'accord avec l'état-major de l'armée, et le génie avait reconnu le profil de chaque ouvrage.

Forêt de Charmes : Il était nécessaire de nous assurer le débouché au delà de la Moselle sur Gerbéviller et Rambervillers ; ce débouché devait être assuré par l'occupation des plateaux d'Ortoncourt et d'Essey ; les études étaient en cours.


Ici s'arrêtait la série des questions soumises aux délibérations du Conseil supérieur de la Guerre. En ce qui concernait l'ordre de bataille, le document s'exprimait ainsi :

"La détermination de l'ordre de bataille des armées, de leur répartition sur la frontière, du dispositf général de concentration, est liée au plan d'opérations établi par le général en chef sous sa responsabilité personnelle. Les données qui suivent sont fournies au Conseil supérieur de la Guerre à titre de simple renseignement ;

Le groupe des armées du Nord-Est comprendra :

5 armées ;
2 groupes indépendants de divisions de réserve ;
3 divisions de cavalerie restant à la disposition du chef
L'artillerie lourde mobile du général en chef.


Composition des armées :

1re armée : 8e, 13e, 14e, 21e corps d'armée, 6e division de cavalerie, dans la région Charmes-Arches-Darney.

2e armée : 9e, 15e, 16e, 18e, 20e corps d'armée, 2e et 7e divisions de cavalerie, 59e, 68e, 70e divisions de réserve, dans la région Point-Saint-Vincent-Mirecourt-Vittel-Neufchâteau-Pagny-la-Blance-Côte.

3e armée : 4e, 5e, 6e corps d'armée, 9e division de cavalerie, 54e, 55e, 56e divisions de réserve, dans la région Montfaucon-Clermont-en-Argonne-Commercy-Louvemont.

4e armée : 12e, 17e corps d'armée, corps d'armée colonial, 10e division de cavalerie, dans la région Vavincourt-Void-Gondrecourt-Bar-le-Duc.

5e armée : 1er, 2e, 3e, 10e, 11e corps d'armée ; 4e division de cavalerie, 52e et 60e divisions de réserve, dans la région Hirson-Rethel-Saint-Menehould-Mézières.

Corps de cavalerie : 1re, 3e et 5e divisions de cavalerie vers Mézières.

Un groupe de divisions de réserve comprenant les 58e, 63e et 66e divisions dans la région de Vesoul.

Un groupe de divisions de réserve comprenant les 51e, 53e et 54e divisions de réserve dans la région de Vervins.

Un détachement de Haute-Alsace comprenant le 7e coprs d'armée et la 8e division de cavalerie.


Pour mémoire :

Les 37e et 38e divisions venant de l'Afrique du Nord ;
La division éventuelle venant des Alpes ;
La 67e division de réserve au camp de Mailly à la disposition du ministre ;
Les 61e et 62e divisions de réserve affectées initialement à la défense de Paris.


En ce qui concernait les théâtres secondaires, la note sur les bases du plan XVII donnait les précisions suivantes :

Théâtre du Sud-Est : Nous considérons à ce moment que les Italiens, s'ils engageaient la guerre contre nous, ne seraient prêts que le dix-huitième jour et ne pourraient attaquer que du vingtième au vingt-cinquième jour ; ils pouvaient viser soit la région de Nice, soit celle de Lyon ; dans ce dernier cas, le but de leurs opérations serait de lier leurs manœuvres à celles des Allemands ; mais ils auraient alors à franchir les rudes vallées de la Tarentaise, de la Maurienne, de la Romanche, défendues par des fortifications.

Dans ces conditions, nous envisagions pour l'armée des Alpes une mission strictement défensive pendant deux mois. Elle utilisera à cet effet les places de Bourg-Saint-Maurice, de Modane, de Briançon, de Tournoux et de Nice, ainsi que les places de deuxième ligne d'Albertville, de Chamousset, de Grenoble et du Télégraphe. Elle devait comprendre ; quatre divisions de réserve (64e, 74e, 65e, 75e), une division territoriale affectée aux côtés de Provence, des éléments spécialisés dans la guerre du montagne, les garnisons des places, soit quatre régiments actifs (157e, 158e, 159e, 173e) ; en cas de neutralité italienne déclarée, ces régiments actifs serviraient à former la 44e division.

La région du Sud-Est serait divisée en cinq secteurs de défense :

Secteur de Tarantaise (Bourg-Saint-Maurice) ;
Secteur de Maurienne (Modane) ;
Secteur du Briançonnais (Briançon) ;
Secteur de l'Ubaye (Tournoux) ;
Secteur des Alpes-Maritimes (Nice).

La couverture serait assurée par huit groupes alpins (cinq dans la 14e région et trois dans la 15e). Le dixième jour de la mobilisation ces bataillons de chasseurs alpins seraient relevés par des bataillons alpins de réserve, et seraient transportés dans le Nord-Est où ils rejoindraient les 14e et 15e corps d'armée. Derrière cette division, trois divisions. Les 74e, 64e et 65e seraient en réserve respectivement en Chambéry, Gap et Nice. La 75e serait placée en réserve générale à Avignon ; la division territoriale à Aix-en-Provence;

Le quartier général de l'armée des Alpes serait à Lyon.

Front des Pyrénées : Dans l'état actuel de nos relations avec l'Espagne, il y avait lieu seulement de prendre des mesures de surveillance, tout d'abord par des régiments de réserve, puis, après leur départ, par deux divisions territoriales maintenues respectivement à Perpignan et à Bayonne. Au centre, un cordon de douaniers et de forestiers était considéré comme suffisant.

Défense des côtes : La défense était confiée à l'armée navale française concentrée toute entière en Méditerranée.

L'organisation devait comprendre :

Une défense mobile. Les côtes de la mer du Nord et de la Manche, étant les plus exposées, seraient divisées en trois secteurs, comprenant : le 1er, les ports de Calais et de Boulogne ; le 2e, ceux de Dieppe et du Havre ; le 3e, le Contentin. A chacun de ces secteurs serait affectée une division territoriale stationnée respectivement à Saint-Omer, à Rouen et dans le Cotentin ; une réserve centrale pourrait, en outre, être prévue. Pour la défense éventuelle des côtes de Bretagne et d'une partie de celles de l'Océan, une division territoriale de Bayonne, outre sa mission face à l'Espagne, assurerait la défense du reste du front de l'Océan.

Une défense fixe. Cette défense serait assurée par les garnisons des points essentiels : Cherbourg, Brest, Lorient, Bordeaux, Toulon, Bizerte.


Le Conseil supérieur de la Guerre se réunit au ministère de la Guerre, dans l'après-midi du 18 avril 1913, sous la présidence du ministre, M. Étienne. Appelés à voter sur la question de savoir s'il y avait lieu d'élaborer un plan XVII sur les bases du rapport de présentation que je viens de résumer, les membres du Conseil votèrent oui à l'unanimité, sans qu'aucune objection ait été soulevée.

Le lendemain, je partis en tournée d'inspection avec M. Étienne. Nous visitâmes en particulier Verdun et les défenses de Nancy.

Le 2 mai, le ministre approuvait à son tour les bases du plan, qui devenait quasi exécutoire. Sa nécessité se révélait, d'ailleurs, plus grande chaque jour ; en effet, la mise en place des documents relatifs à la variante n°2, terminée dans le courant du mois d'avril, avait révélé un certain nombre d'erreurs imputables aux modifications successives que le plan XVI avait subies ; elles étaient de nature à nous faire craindre que le fonctionnement de la concentration ne fût plus assuré dans des conditions d'ordre et de régularité qui étaient indispensables.

J'ouvre ici une parenthèse pour rapporter un fait assez curieux qui fut soumis le 17 mai au Conseil supérieur de la Défense nationale.

Dans la séance du 9 janvier 1912, le ministre de la Marine avait exprimé l'avis que la maîtrise de la mer devait être acquise complètement avant que les transports des troupes de l'Afrique du Nord vers la France ne fussent entamées ; le Département de la Marine estimait, en conséquence, que ces transports ne pourraient commencer qu'à la date prescrite par le vice-amiral de Lapeyrère ; le ministre de la Guerre, au contraire, demandait que ces transports aient lieu par les bateaux des compagnies de navigation de la Méditerranée pouvant naviguer isolément, les premiers partant dès le cinquième jour d'Alger, d'Oran, de Philippeville ou de Bizerte à destination de Marseille où leur arrivée était prévue quarante-huit heures après. Or, au cours de la discussion en séance, le président de la République exposa qu'il serait peut-être avantageux d'accepter une proposition du roi d'Espagne, qui consentait à nous fournir une base navale aux Baléares, ou même à assurer le transport du 19e corps à travers l'Espagne. Cette proposition était intéressante et méritait d'être étudiée. On décida d'entreprendre, de concert, entre la Guerre et la Marine, des études pour pousser cette question à fond.

Le 4e Bureau de l'état-major de l'armée (Commission des chemins de fer du Midi) présenta les objections suivantes : si le débarquement de nos troupes avait lieu à Barcelone, l'avantage de l'opération serait mince ; si, au contraire, le débarquement avait lieu dans la région Carthagène-Alicante, la sécurité de nos troupes pendant la traversée serait facilement assurée, mais le rendement de la voie ferrée espagnole était faible ; elle longeait la côté sur la plus grande partie de son parcours jusqu'en France, ce qui la rendait vulnérables aux entreprises de l'ennemi ; l'Espagne manquait de matériel, et, en raison des différences d'écartement des voies espagnoles, il nous était difficile d'outiller cette ligne de transports ; si, enfin, des incidents de route venaient à se produire, il serait nécessaire de cantonner les troupes dans les localités espagnoles environnantes, ce qui ne pouvait manquer d'attirer des difficultés diplomatiques. Pour toutes ces raisons, l'entreprise fut abandonnée. Ce détail que je viens de rapporter n'a donc plus aujourd'hui pour utilité que de montrer la bonne volonté dont le roi d'Espagne fit preuve à notre égard en cette circonstance.

Je reprends maintenant mon récit. La loi de trois ans fut votée le 7 août 1913. Elle allait nous permettre d'entreprendre la réorganisation de l'armée qui était à la base du nouveau plan. Tout l'été de 1913 fut employé à la mise sur pied de ce plan, en ce qui concernait la couverture et les transports. Pendant toute cette période, je fus très absorbé par les séances de la Chambre relatives au vote de la loi de trois ans, puis, comme je l'ai dit plus haute, par mon séjour en Russie. A mon retour, ce furent les grandes manœuvres du Sud-Ouest. Au retour des grandes manœuvres, je trouvai le travail de préparation du 4e Bureau fort avancé. On se mit alors à la préparation de la couverture, mais celle-ci ne put être définitivement mise sur pied qu'à la fin de décembre, c'est-à-dire après le vote de la loi créant le 21e corps d'armée à Épinal.

A ce moment, le général Pau, qui avait au Conseil supérieur de la Guerre le commandement éventuel de la principale armée, la 2e, fut atteint par la limite d'âge. Il fallait lui donner un successeur au Conseil. Sur ma proposition, le général de Castelnau fut désigné. Je choisis alors comme premier sous-chef d'état-major, le général Belin, qui avait longtemps travaillé avec le général de Castelnau ; je lui adjoignis le général Berthelot, dont j'avais apprécié au Comité technique d'état-major les hautes qualités d'intelligence. Les fonctions de deuxième sous-chef d'état-major général devinrent bientôt vacantes, par suite de la nomination au commandement du 21e corps d'armée récemment créé du général Legrand, officier général énergique, qui avait donné la mesure de sa valeur dans la préparation de la loi de trois ans. Ces fonctions furent confiées au général Ebener, qui eut sous ses ordres le 1er Bureau, le personnel d'état-major, les bureaux de comptabilité et la section d'Afrique, tandis que le général Belin conserva sous son action directe les 2e, 3e, 4e Bureaux, c'est-à-dire les organes directement intéressés par la mise en oeuvre du plan. C'est donc le général Belin qui a eu la responsabilité de la plus grande partie du plan dans son exécution, tandis que le général de Castelnau a surtout travaillé aux études qui ont abouti à fixer les bases du plan XVII.


La couverture de première urgence définitivement arrêtée en décembre 1913 ne différait de celle prévue par les bases du plan que par quelques détails, en particulier l'attribution projetée d'une brigade alpine en renfort de la couverture du secteur de Haute-Meurthe ne fut pas réalisée. Son transport n'aurait pas été assez rapide, et il fut jugé préférable de laisser aux 14e et 15e corps leur constitution normale. D'autre part, le vote de la loi de trois ans avait permis d'augmenter le nombre des unités faisant partie des troupes de couverture et l'effectif de ces unités. Déjà une partie des corps de troupes destinés à faire partie de la couverture qui tenaient garnison à l'intérieur du territoire avait pu être installée dans la zone frontière, ce qui avait permis d'augmenter le nombre des secteurs, en diminuant leur étendue. De la droite à la gauche, la situation de la couverture se présentait maintenant de la façon suivante :


Trouée de Belfort et secteur des Hautes-Vosges. Le 7e corps était en couverture dans ce secteur limité à droite à la frontière suisse vers Delle, à gauche à la Schlucht. La 14e division avait une brigade à pied d'oeuvre à Belfort, dès les premières heures, renforcées en peu de temps par l'autre brigade. Elle avait pour mission de couvrir la mobilisation de la place de Belfort. A sa droite la 8e division de cavalerie surveillait les débouchés entre Petite-Croix et la route de Delle. La 41e division, chargée de la couverture dans les Hautes-Vosges, tenait les cols avec une brigade en place dès les premières heures. L'autre brigade, débarquée à la trente-sixième heure, avait son gros vers le Thillot.

Secteur de la Haute-Meurthe. La création du 21e corps permettait d'affecter un corps d'armée entier à la couverture dans la région comprise entre Fraize et Avricourt. La couverture sur la ligne de la Meurthe, dont l'importance pour le développement ultérieur de nos opérations était incontestable, paraissait ainsi assurée entre Fraize et Lunéville dans de bonnes conditions ; la plupart des éléments de ce corps d'armée étaient, en effet, stationnés sur la Meurthe et la Moselle, et en place dès les premières heures. La 6e division de cavalerie était débarquée à la gauche du 21e corps, dans la partie découverture du secteur.

Secteur de la Basse-Meurthe. La réduction du secteur du 20e corps d'armée à la zone limitée à gauche par la Moselle, à droite par la forêt de Parroy mettait ce corps d'armée en mesure de tenir solidement avec l'appoint de la 2e division de cavalerie la partie la plus importante de la ligne de la Meurthe en avant de Nancy.

Secteur de la Woëvre méridionale. Les limites de ce secteur étaient, à droite, sur la rive droite de la Moselle la ligne Dieulouard, Port-sur-Seille, et à gauche, la ligne Ornes, Amel, Avril (au nord de Briey). Deux divisions du 6e corps dont les éléments étaient en majeure partie stationnés sur la Meuse ainsi la 1re brigade de cavalerie légère paraissaient en mesure de couvrir Toul et Verdun contre une attaque brusquée se produisant dans les premières heures. Ces éléments étaient renforcés vers la quarantième heure par la 12e division et l'artillerie de corps, puis deux heures plus tard par la 7e division de cavalerie.

Secteur de la Woëvre septentrionale. Ce secteur appartenait au 2e corps d'armée dont la 4e division à trois brigades avait presque tous ses élements sur la Meuse ou plus à l'est. Cette division avait une double mission : d'une part, avec deux brigades et la 4e division de cavalerie, d'assurer à bonne distance la protection des ateliers de débarquements échelonnés entre Verdun et Sedan ; d'autre part d'avoir de bonne heure vers Givet des forces suffisantes en état d'occuper rapidement les passages de la Meuse de Givet à Namur, à la première nouvelle de la violation de la neutralité belge par les Allemands.

Corps de cavalerie (1re, 3e et 5e divisions). A la quarantième heure, le corps de cavalerie était débarqué dans la région de Mézières à la disposition du général en chef.

En outre, comme il était prévu dans les projets dont j'ai déjà parlé, il avait été admis que la couverture serait renforcée du quatrième jour au soir au sixième jour par :

La 15e division dans le secteur de Haute-Meurthe ;

La 9e division dans le secteur de Woëvre méridionale ;

La 3e division dans le secteur de Woëvre septentrionale.


Dans ces conditions, nous prévoyions l'emploi en couverture de 127 bataillons, 24 escadrons de corps, 138 batteries montées, 148 escadrons appartenant à des divisions de cavalerie, et 21 batteries à cheval.

La mission générale de la couverture était essentiellement défensive.

Comme je l'ai déjà dit, jusqu'au cinquième jour, le commandement des troupes de couverture était exercé par les commandants de corps d'armée correspondant à chacun des secteurs, sous mon autorité directe ; à partir du cinquième jour les troupes de chaque secteur passaient aux ordres des généraux commandant les armées que ces secteurs couvraient.

Il m'avait paru nécessaire, comme on l'a déjà vu, de compléter nos systèmes fortifiés par l'organisation de positions sur lesquelles nos troupes de couverture seraient en état de tenir longtemps contre des forces supérieures : les instructions sur la couverture étaient donc complétées par des ordres pour l'organisation défensive des régions suivantes :

Tête de pont de Nancy. Une position formant tête de pont à l'est de Nancy englobait le plateau de Faulx et les quatre centres de résistance de la Rochette, du mont d'Amance, de Pulnoy-Cercueil et du plateau de Rambetant au nord de Saint-Nicolas.

Une partie des travaux était déjà en voie d'exécution. L'achèvement de cette organisation et sa défense devaient être assurés par le 20e corps d'armée renforcé en couverture par deux batteries de 120 et deux batteries et demie de 155 C. T. R., et ultérieurement par des divisions de réserve. Dès le temps de paix, les chemins d'accès, les déboisements, les réduits et les batteries bétonnés, les abris et les magasins à munitions étaient exécutés.

Hauts-de-Meuse. La possession incontestée des Hauts-de-Meuse était nécessaire pour assurer d'abord la sécurité de nos débarquements, et nous permettre ensuite de manœuvrer derrière la ligne de la Meuse.

a) Dans la région des Éparges-Hattonchâtel-Heudicourt l'organisation des trois centres de résistance était préparée dès le temps de paix, afin, d'une part, de donner au 6e corps d'armée une solide base de résistance, et, d'autre part, de permettre ultérieurement le débouché en Woëvre. L'organisation de ces trois centres devait être commencée dès le temps de paix et complétée par les troupes de couverture auxquelles viendraient s'adjoindre à partir du cinquième jour des divisions de réserve. Pour la défense de cette région, le 6e corps devait disposer en couverture de quatre batteries de 120 long.

b) Dans la région d'Haudiomont-les-Blusses, la garnison de Verdun devait tenir les Hauts-de-Meuse à la gauche du 6e corps en liaison avec lui. Cette position d'Haudiomont, entièrement indépendante de la défense de Verdun, était déjà en voie d'organisation : batteries avec abri, voies ferrées, déboisements destinés à dégager les champs de tir, ouvrages d'infanterie au bas des côtes.

c) La région Ornes-Damvillers, par suite de la nature du terrain, ne se prêtait qu'à des opérations de défensive ; son organisation était prévue, mais ne devait être exécutée qu'à la mobilisation dès l'arrivée des premières troupes du 4e corps d'armée (septième jour). Ces troupes disposeraient de deux batteries de 120 long. Quelques travaux pourraient être amorcés par le détachement de la 4e division d'infanterie chargé de tenir la région dès le début de la couverture.

Montmédy. L'organisation des hauteurs au sud et au nord de Montmédy était préparée dès le temps de paix. Elle avait pour but :

a) De faciliter la tâche de la couverture au début des opérations ;

b) De permettre à une armée concentrée sur la rive gauche de la Meuse, de déboucher soit dans la direction de l'est pour agir dans le flanc droit des forces qui se portaient sur Verdun, soit vers le nord-est pour attaquer le flanc gauche d'une armée ennemie qui aurait violé la neutralité de la Belgique. Une partie des travaux devait être exécutée dès le temps de paix ; ils seraient ensuite continués par les troupes du 2e corps et ultérieurement par des divisions de réserve, pendant la période de couverture.


En ce qui concernait la frontière du Sud-Est, nous étions obligés, pour l'établissement de la couverture, de tenir compte de l'incertitude dans laquelle nous étions sur la décision italienne en cas de guerre franco-allemande ; malgré les fortes probabilités de neutralité, il fallait admettre le cas où l'Italie, au dernier moment, se lancerait dans une offensive décidée. Il était donc indispensable de s'assurer une couverture suffisante sans recourir à des déplacements importants de troupes qui pourraient être considérés comme une provocation. A cet effet, nous décidâmes de ne comprendre dans la couverture de première urgence que des troupes faisant partie de la garnison des places, à l'exclusion des unités entrant dans la composition des 14e et 15e corps. Ces troupes séjournant habituellement l'été dans la haute montage pourraient être mises en mouvement sans exciter de susceptibilités et sans risquer de retarder le départ des 14e et 15e corps.

Le 21e corps ayant été créé à la fin de décembre 1913, le plan de couverture devint exécutoire à partir de ce moment.

Par contre, en ce qui concernait le nouveau plan de concentration, il n'y avait rien de fait pour sa mise à exécution. Le 4e Bureau avait seulement établi ses nouvelles lignes de transport. Ses études aboutissaient aux propositions suivantes : la concentration des corps actifs et des divisions de réserve sur le front du nord-est s'effectuerait suivant dix lignes de transport indépendantes. La répartition des formations mobilisées entre les différentes lignes serait réglée de manière à faire supporter sensiblement la même charge à chaque ligne de transport. Les lignes proposées réparties en trois faisceaux aboutissaient : trois entre Belfort et Toul, trois entre Toul et Verdun, quatre entre Verdun et Hirosn. Comme je l'ai déjà indiqué plus haut, ces faisceaux pourraient être reliés entre eux par plusieurs lignes transversales de manœuvre permettant l'exécution de variantes. En particulier, la transversale Dôle, Dijon, Paris, Creil, Tergnier pourrait effectuer des dérivations d'une ligne de transport sur une autre en arrière des gares régulatrices. Une partie des éléments disponibles pourrait être amenée sur un point quelconque de cette transversale soit par la ligne du Paris-Lyon, soit par celle du Bourbonnais, soit même par la ligne Toulouse-Paris.

Pour arriver à réaliser les conditions de souplesse à donner aux débarquements, conditions qui avaient été exposées comme je l'ai déjà dit dans les bases du plan, le 4e Bureau proposait encore de ne plus régler à l'avance le dispositif exact de débarquement ; celui-ci serait déterminé par les Commissions régulatrices et les officiers de cantonnement dans la zone d'action des gares régulatrices. Les zones de concentration pourraient être ainsi reculées ou avancées à volonté entre la ligne générale Laon-Soissons, Reims, Troyes, Dijon, Besançon et un front marqué par le cours de la Meuse en aval de Pagny et celui de la Moselle en amont de Toul. En outre, dans la zone de concentration de leurs armées, les généraux commandant les armées auraient la latitude de faire varier les débarquements de manière à modifier l'orientation et l'articulation du dispositif de leur armée pour l'adapter à leurs projets particuliers en fonction des conditions fixées par mes propres directions.

Il n'y avait qu'à approuver ces propositions et à prescrire aux divers bureaux de l'état-major de l'armée de passer à la confection de toutes les instructions et de tous les documents d'exécution.

Grâce à l'activité déployée par l'état-major de l'armée, très intelligemment actionné par le général Belin, ce gros travail matériel put être terminé le 15 avril 1914, et le 1er mai tous les documents étaient en place. Cependant le général Belin me demanda de faire exécuter une inspection générale du territoire pour s'assurer que tout était en ordre. A la suite de cette inspection il me rendit compte le 1er juin que tout état prêt.

Il convient de rendre ici cet hommage à l'oeuvre ainsi accomplie par la général Belin et les officiers de l'état-major de l'armée. Si l'acte de mobilisation et celui de la concentration se sont déroulés deux mois plus tard sans heurt et dans l'ordre le plus parfait, il faut qu'on sache que le mérite en revient à ces officiers qui surent, dans des conditions de temps qui n'avaient jamais été réalisées, mettre sur pied cette oeuvre considérable. Parmi eux, je tiens à signaler le commmandant Poindron, chef de la Section du plan, et son chef direct le colonel Ponn qui, après avoit été sous-chef du bureau des opérations, était devenu chef de ce bureau à partir de mars 1914 et s'y distingua par son intelligence et son esprit de méthode alliés à une modestie qui lui attirait toutes les sympathies.

Cependant, il était nécessaire de condenser en un document destiné aux commandants d'armée les grandes lignes de la concentration ; il devait servir à orienter leurs études personnelles et les travaux de leurs états-majors. C'est en février 1914 que j'ai fait rédiger l’Instruction sur la concentration. Elle posait en tête li'dée fondamentale : l'intention du général en chef est de prendre l'offensive lorsque ses forces seront réunies. C'était là l'affirmation d'une doctrine de guerre qui a fait ses preuves aussi bien à la Marne en 1914 qu'au cours des opérations du 1918. Au reste, cette Instruction a été publiée et elle a été discutée dans de si nombreux documents qu'il semble inutile de la reproduire ici.

Cependant je tiens à faire remarquer à son sujet que, dans mon esprit, cette Instruction n'avait pas une absolue valeur d'exécution. Ainsi que je l'ai déjà dit, je ne considérais comme élément ferme de la concentration que les transports jusqu'aux régulatrices : au delà, j'estimais qu'une décision devrait être prise au moment du conflit, en fonction de la situation, et en modifiant, le cas échéant, les données de l'Instruction.

L'Instruction sur la concentration n'était pas limitative dans ma pensée ; elle n'envisageait pas toutes les hypothèses ; elle ne pouvait pas, en raison des directives du gouvernement motivées en grande partie, comme l'a fort bien dit lord French, par l'attitude énigmatique de la Belgique jusqu'au dernier moment : "Il est fort regrettable qu'on n'ait jamais pu la persuader à déterminer par avance son attitude dans l'hypothèse d'une guerre générale." Notre tâche d'avant-guerre en eût été singulièrement simplifiée : officiellement, je ne pouvais dans un document destiné à un assez grand nombre de personnes tenir compte que des opérations susceptibles de se dérouler en dehors du territoire belge. Comme j'étais obligé d'envisager l'hypothèse de la violation de la neutralité belge, je préférais dès lors ne rien écrire sur le plan d'opérations, me contentant d'une concentration à plusieurs fins. Et je me bornais à afficher ma volonté d'offensive dans la direction générale du nord-est, aussitôt que la totalité des forces françaises seraient réunies.

Cette réserve de ma part me paraissait justifiée à l'époque où je pris ma décision. Elle me paraît encore justifiée aujourd'hui.

Supposons par exemple que, par suite de circonstances particulières imputables aussi bien à l'état intérieur de la France qu'à l'habileté avec laquelle les Allemands auraient dissimulé leurs préparatifs, nous nous soyons trouvés en retard dans notre mobilisation ; il est bien évident que, dans ces conditions, il aurait fallu reculer le zone de concentration. On verra, d'ailleurs, que, dans la période de tension politique, j'eus à craindre cette éventualité.

Au moment de sa rédaction, on me proposa d'indiquer par une phrase que cette Instruction était loin de correspondre à toutes les hypothèses ; je m'y refusai, préférant prescrire de pousser l'étude des variantes destinées à concentrer le gros de nos forces dans la partie nord du théâtre des opérations. Il me semblait que, telle qu'elle était, cette Instruction suffisait, par sa solution moyenne, à permettre aux différents états-majors d'armée de travailler ; j'avais assez de confiance dans leur souplesse pour estimer que, le moment venu, ils sauraient exécuter les modifications que je prescrirais ; j'estimais dangereux de faire connaître à l'avance les diverses manœuvres que j'avais envisagées.

En fait, il est arrivé qu'en août 1914 une grande partie de cette Instruction s'est encore trouvée valable.

Il faut encore remarquer que, pour les mêmes raisons de secret, le texte de l'Instruction est muet sur la question de la coopération anglaise, sur le rôle que pourrait éventuellement jouer l'armée belge, sur l'emploi éventuel de nos troupes venant d'Algérie, comme sur celui de nos troupes alpines en cas de neutralité de l'Italie.

Les diverses variantes que je fis étudier à l'état-major de l'armée se ramenaient aux idées suivantes :

Remonter vers le Nord la 5e armée, autant que le permettrait la présence des troupes anglaises, c'est-à-dire porter la 5e armée entre la Meuse et la Sambre. Il faut à ce sujet remarquer que les conditions de transport et de débarquement des forces anglaises avaient une rigidité toute particulière : au lieu d'arriver comme nous, tout mobilisés et en ordre de marche, c'est sur la base même de débarquement que les corps d'armée et les divisions britanniques se constituaient ; il en résultait l'impossibilité de varianter une organisation de transport ainsi conçue.

Le mouvement de la 5e armée pouvait se faire d'une part au moyen de variantes de débarquement, d'autre part au moyen de mouvements sur route une fois la concentration terminée.

Renforcer notre aile gauche avec des forces prélevées sur l'aide droite, ou avec des troupes venant d'Afrique et des Alpes. Je fis même envisager dans quelle mesure la mission donnée à l'aide droite pourrait se trouver modifiée en cas de prélèvements importants.

Passage de corps d'armée d'une armée à une autre ; ces mutations ne pouvaient avoir aucun inconvénient sérieux en période de concentration, puisque les armées n'étaient constituées qu'au moment de la guerre. D'ailleurs au cours de la campagne, ce procédé fut constamment employé ; il constitue l'un des moyens de manœuvre dans le cadre d'un groupe d'armées.

Transports dans le Nord de divisions territoriales initialement prévues pour la défense des côtes.

Parmi ces variantes motivées, comme on le voit, par les préoccupations que me causait la Belgique, un certain nombre d'entre elles pouvaient être exécutées avant même la concentration ; d'autres, au contraire, devaient être retardées ; dans ce dernier cas rentraient les variantes par voie de terre qui ne pouvaient évidemment s'effectuer qu'une fois les troupes débarquées, ou certains transports parallèles au front, qui ne pouvaient être que postérieurs aux principaux transports de concentration, sous peine de les cisailler. Il pourrait en résulter des retards, et l'obligation, non pas de faire l'offensive, mais la contre-offensive. L'inconvénient étiat mince, car l'espace qui, à l'aile gauche, nous séparait dans cette hypothèse des Allemands, devait nous donner le temps de voir se dessiner les événements.


En mars 1914, je fis, en outre, établir un "Plan de renseignements" pour le groupe des armées du Nord-Est. Je l'approuvai le 28 mars. Il exposait l'ensemble des informations que je jugeais nécessaires en vue de décider la manœuvre à faire , il devait servir de base au "Plan de recherches du Service spécial de renseignements", au "Plan d'exploration stratégique aérienne", et aux missions d'exploration à confier aux divisions de cavalerie des armées et aux corps de cavalerie.

Ce plan est intéressant parce qu'il indique bien la nature des préoccupations que nous avions concernant les manœuvres de l'ennemi, et des renseignements que devaient servir à étayer ma décision. Pour cette raison, je crois nécessaire de donner ici les parties principales.

Pour bien préciser le but à atteindre, et augmenter la clarté de l'exposition, ce plan était divisé en plusieurs chapitres correspondant aux diverses périodes de la guerre : tension politique, couverture, concentration des troupes, période des grandes opérations. Mais on rappelait que cette division ne devait pas être prise trop à la lettre, ni considérée comme représentant des étapes nettement tranchées dans la recherche des informations.


Période de tension politique. Les informations essentielles à rechercher et qui ne peuvent être demandées qu'au Service spécial sont les suivantes :

Les Allemands se livrent-ils à des préparatifs de guerre vis-à-vis de nous, de nos alliés (Russie) ou des pays neutres (Belgique, Suisse, Danemark) ?

Y'a-t-il, par contre, des préparatifs de la part des Belges, des Suisses, des Danois ?

Les Allemands organisent-ils contre nous une attaque brusquée avec leurs troupes de couverture, et quelle est la direction probable de cette attaque ?

Le document énumérait ensuite le détail des diverses mesures qui pourraient être relevées comme indices de ces préparatifs : suppression des permissions, achats de denrées, mouvements de troupes, restrictions à la liberté de circulation internationale, avis à la presse, etc... En particulier, en ce qui concernait les préparatifs que pouvait faire l'Allemagne contre les pays neutres, la note disait : "Il importe de savoir si les Allemands préparent une offensive brusquée dans la direction de Bâle, de Liége, de l'île de Fionie, en vue de se rendre maîtres des détroits qui séparent la Baltique de la mer du Nord."


Période de couverture. Les renseignements essentiels à rechercher sont les suivants :

A notre aile gauche, les Allemands violent-ils ou s'apprêtent-ils à violer les frontières du Luxembourg et surtout de la Belgique ? En quels points ? Avec quelles forces ?

Sur le front, les Allemands préparent-ils une attaque brusquée avec leurs troupes de couverture appuyées par des divisions hâtives, et dans quelle direction ?

A notre aile droite, quelle obstables : troupes, fortifications, rencontrerait une offensive française en Haute-Alsace et dans les Vosges entre la Schlucht et le Donon ?

Au sujet de la violation du Luxembourg et de la Belgique, le document s'exprimait ainsi : "La violation de la frontière du Luxembourg et surtout de la frontière belge par une troupe allemande de quelque effectif qu'elle soit, doit pouvoir être signalée d'extrême urgence au général en chef, au commandant du corps de cavalerie et au commandant de la 5e armée." Les indices qui permettent d'éventer une offensive allemande par la Belgique sont les suivants :

Débarquements dans la période du premier au sixième jour de masses de cavalerie entre Aix-la-Chapelle et Saint-With, vers Gerolstein, Prüm, Bittburg (Junterath, Gerolstein, Bittburg, Bleialf) ; et autour de Trèves : rassemblement de ces masses de cavalerie le long des frontières du Luxembourg et de la Belgique, à l'ouest de Trèves, à l'ouest de Bittburg, vers Saint-With et Malmédy... Éventuellement débarquements et rassemblements de cavalerie, plus au nord dans la région d'Aix-la-Chapelle... Concentration du VIIIe corps allemand dans la partie de son territoire située au nord de Trèves ; présence de détachements de ce corps d'armée le long des frontières du Luxembourg et de la Belgique ; maintien à Aix-la-Chapelle des troupes de ce corps d'armée en garnison dans cette ville.

La recherche des débarquements de troupes de toutes armes qui s'effectueraient ultérieurement face au Luxembourg et à la Belgique serait à poursuivre dans les zones de quais où aboutissent les lignes de : Coblentz-Trèves, Remagen-Dumpenfeld-Gerolstein-Lissendorf-Butzenbach-Prüm-Bleral, Cologne-Euskirchen-Gall-Gerolstein-Bittburg, Stolberg-Rœren-Montjoie-Saint-With, Neuss ou Creufeld vers Aix-la-Chapelle. Les rassemblements de forces qui pourraient s'apprêter à violer la frontière du Luxembourg et de la Belgique sont donc à rechercher :


Entre Moselle et Sarre au nord de la ligne Merzig-Sierk,
Autour de Trèves,
Dans la région de Bittburg-Neuburg,
Dans la région Gerolstein, Prüm, Saint-With, Malmédy,
Dans la région Duren, Aix-la-Chapelle.


Il importe essentiellement de savoir :

Jusqu'où s'étendent au nord les rassemblements importants ; S'ils comprennent des formations actives ou uniquement des formations de réserve.

En particulier, la présence de seules formations de réserve dans la région du nord de Trèves, et l'exécution de travaux de fortifications le long de l'Our et de la Sure, constitueraient un recoupement particulièrement intéressant.

Enfin, si l'ennemi pénètre en Luxembourg et en Belgique, il importe essentiellement de suivre ses progrès et de se rendre compte constamment de l'extension du mouvement de son aile nord.

Ces renseignements seront demandés à l'exploration aérienne et à la cavalerie ; mais ils peuvent et doivent être recoupés par le Service spécial. A cet égard, il y aurait intérêt à pouvoir repérer, dès que possible, en cas de violation du territoire belge par les Allemands, l'arrivée de la cavalerie, puis des colonnes de toutes armes sur les transversales suivantes :


Verviers, Stavelot, Diekirch, Remich ;
Liége, Houffalize, Wiltz, Luxembourg ;
Huy, Marche, Bastogne, Arlon ;
Namur, Rochefort, Saint-Hubert, Neufchâteau, Virton.


Il serait notamment essentiel de savoir s'il y a ou s'il n'y a pas de colonnes ennemies — de cavalerie ou de toutes armes — au nord du massif forestier Marche, Houffalize, Saint-Hubert.

En ce qui concernait l'offensive brusquée des troupes de couverture allemandes éventuellement appuyées par des divisions hâtives, et la direction de cette offensive, le document s'exprimait ainsi :

"L'attaque allemande semble pouvoir être organisée en direction de l'un des trois objectifs ci-après, énumérés par ordre d'importance : Nancy, Verdun-Hattonchâtel, Saint-Dié.

Les corps d'armée qui peuvent, soit immédiatement, soit au cours de la période de couverture participer à cette action sont : le VIIIe, le XVIe, le XXIe, le IIe bavarois, le XVe et le XIVe.

Les renseignements à rechercher et à demander au Service spécial et à l'aviation sont donc les suivants :

Où se rassemble le VIIIe corps ? La recherche du VIIIe corps au nord de Trèves a déjà été envisagée en ce qui concerne la violation de la Belgique ; si ce corps d'armée doit participer à une attaque brusquée allemande, il y a lieu d'en envisager, au contraire, le rassemblement dans la région de Sierck.

En ce qui concerne la région de Metz, il serait aléatoire de songer à obtenir les renseignements complets par le Service spécial, soit sur le rassemblement du XVIe corps, soit sur l'état d'avancement des travaux de la place ou la constitution de sa garnison de guerre. On ne peut guère espérer recevoir des informations fournies par le Service spécial et venant de Metz, que pendant la période de tension politique. D'autre part, nos dirigeables et nos avions rencontreront de grosses difficultés à survoler cette place forte sans courir de grands risques. Mais en raison de sa proximité de notre frontière, Metz peut être surveillée par avion, par dirigeable, et même à l'aide de cerfs-volants, tout en restant au-dessus du territoire franaçais ; le système d'observation serait à prévoir dès la période de tension politique.

Où se rassemble le XXIe corps ? En arrière de sa couverture, c'est-à-dire dans la région de Sarralbe, Gros-Tenquin ? Se masse-t-il, au contraire, en vue d'une offensive, vers Delme, Château-Salins, vers Dieuze, ou vers Sarrebourg ? Comme recoupement, les troupes de Bitche, Wissembourg, Haguenau, ont-elles quitté leurs garnisons ?

Où se rassemble le IIe bavarois ? En quelles régions de Lorraine signale-t-on la présence de troupes bavaroises ? Quelles sont ces troupes ? Les troupes de Landau et celles de la division de Vurtzbourg ont-elle quitté leurs garnisons ?

Le XVe corps se prépare-t-il à agir par la haute vallée de la Bruche (direction de Saint-Dié) ? Se prépare-t-il, au contraire, à déboucher au moins en partie à l'ouest des Vosges par la région de Phalsbourg, Dabo ?

La division du XVIe corps qui tient garnison dans la région de Carlsruhe (28e division) a-t-elle quitté ses garnisons ? En quelel région d'Alsace signale-t-on son arrivée ?

Enfin, les Allemands préparent-ils des organisations défensives ? En quels points ? A la côte de Delme, autour de Château-Salins et de Dieuze, vers Morhange, vers Sarrebourg, entre Mutzig, Molsheim et Strasbourg ?"

Le document appelait ensuite l'attention sur les difficultés auxquelles se heurterait une offensive française, d'une part en Haute-Alsace, d'autre part dans les Vosges, entre la région de la Schlucht et celle du Donon. Il s'exprimait ainsi :

Les renseignements nécessaires à cet égard se confondent en partie avec ceux concernant le XVe corps et la 28e division. Ils seraient à compléter par les suivants (à demander au Service spécial et à l'exploration aérienne) :

Les Allemands créent-ils des organisations défensives dans la région de Colmar et dans celle de Schlestadt ?

Constate-t-on aux ponts du Rhin de Neuf-Brisach et surtout de Mulheim, vers Istein, vers Huningue ? Fait-on des travaux de fortification vers Mulheim, vers Istein, vers Huningue ? Prépare-t-on le repliement du pont d'Huningue ?

Y a-t-il des débarquements en gare allemande de Bâle ? (Information essentielle et dont le général commandant en chef, le commandant de la 1re armée et le commandant du 7e corps devraient être avisés le plus tôt possible.)

Y a-t-il des transports de troupes sur la ligne de la rive droite du Rhin, entre Säckingen et Waldshut ? Y a-t-il des débarquements au nord-est de Bâle ? Y en a-t-il vers Mulheim, vers Fribourg, vers Vieux-Brisach, vers Offenburg ?

Prépare-t-on ou effectue-t-on des repliements à Mulhouse ?


Période de concentration (du septième au douzième jour) et période des grandes opérations (à partir du douxième jour environ.)

1° La période de concentration sera caractérisée par la recherche de gros rassemblements adverses, en ce qui concerne plus particulièrement les armées de première ligne. Cette recherche est à effectuer autour des quais de débarquement (Service spécial), par l'observation des mouvements et des rassemblements consécutifs aux débarquements. (Exploration aérienne.)

Il est certain que nous trouverons des débarquements et des rassemblements importants dans toute la zone neutre entre Strasbourg et Trèves. Néanmoins, il serait plus particulièrement important de savoir... si les débarquements et les rassemblements s'effectuent à proximité plus ou moins immédiate de la frontière ; ...si les Allemands ne paraissent pas avoir l'intention de faire un vide relatif devant nous, en Lorraine, entre Metz et les Vosges ; ...si les forces qui débarqueront dans la région : Niederbronn, Saverne, Strasbourg y demeurent initialement, si elles passent à l'ouest des Vosges, ou si elles s'orientent, au contraire, vers la vallée de la Bruche.

Ces renseignements sont à demander tout spécialement à l'exploration aérienne. Il serait intéressant cependant que le Service spécial pût, dans la mesure du possible, permettre d'identifier les formations en présence desquelles nous nous trouvons. Il serait, en outre, nécessaire qu'il soit en état de recueillir des informations aux ponts du Rhin, en ce qui concerne le courant des transports.

Il importe également de continuer à rechercher les organisations défensives préparées. En dehors des points déjà signalés, ces organisations sont à rechercher entre Metz et Thionville, à l'ouest de Saint-Avold, au sud de Sarrebruck.

La question essentielle pendant la période de concentration n'en sera pas moins la détermination des ailes.

Elle a été exposée en ce qui concerne l'aile droite allemande, dans les lignes qui précèdent ; pour l'aile gauche, les débarquements et rassemblements seraient à rechercher :

...Dans la région de Colmar.

...Dans la plaine de la rive droite du Rhin, de Strasbourg à Bâle ;

...Le long du Rhin, en amont de Bâle.

Cette recherche, confiée tant au Service spécial qu'à l'exploration aérienne, serait à combiner avec la surveillance des nœuds de voies ferrées d'Immendingen et d'Hintchingen, d'où les courants de transports peuvent se diriger vers Waldshut, Säckingen, ou sur Donaueschingen, Offenbourg, éventuellement Donaueschingen, Fribourg.

Il importe que toute violation ou menace de violation de la frontière suisse par les Allemands soit immédiatement signalée au général commandant en chef, au commandant de la 1re armée et au commandant du 1er groupe des divisions de réserve.

Comme il ne nous est pas possible de disposer à notre droite d'une masse importante de cavalerie susceptible d'être orientée dans la partie nord de la Suisse, comme nous aurons peut-être intérêt à laisser aux Suisses eux-mêmes le soin de défendre leur neutralité, la surveillance des forces allemandes qui auraient pénétré en Suisse serait à demander à l'exploration aérienne et au Service spécial. A cet égard il y aurait lieu d'observer plus particulièrement la région d'Olten et la transversable Laufen-Biel.

2° A la fin de la période de concentration et à la période des opérations correspondront spécialement :

...La recherche du sens dans lequel se mettront en mouvement les gros rassemblements adverses.

...La recherche des armées de seconde ligne que l'ennemi pourrait constituer en arrière de son centre ou de ses ailes avec des formations de réserve.

Direction dans laquelle se mettront en mouvement les gros rassemblements ennemis.

On a déjà signalé l'intérêt que nou avions à connaître :

...L'amplitude des mouvements allemands à travers la Belgique.

...L'orientation des forces débarquées dans la région de Strasbourg et dans les Vosges.

Il y aurait lieu de poursuivre en outre la recherche des informations suivantes :

Au cas où les colonnes allemandes auraient pénétré en Luxembourg sans avoir franchi la frontière belge, continuent-elles leur mouvement vers l'ouest ou se rabattent-elles vers le sud-ouest ?

...Les forces rassemblées en arrière de Thionville s'orientent-elles franchement vers l'ouest ?

...Les forces rassemblées en arrière de Metz (et qui constituent probablement la masse principale de l'armée allemande) se dirigent-elles franchement vers l'ouest ou s'infléchissent-elles vers le sud-ouest ?

En ce qui concerne l'offensive française qui se développerait entre Metz et les Vosges, on sent tout le prix qu'il y aurait à pouvoir éviter en temps utile les contre-attaques susceptibles d'intervenir sur son flanc gauche en partant de la région du nord-ouest de Metz, sur son flanc droit, en partant de la région au nord de Strasbourg.

Le Service spécial sera, sans doute, impuissant à donner des renseignements sur ces questions. L'exploration aérienne, ultérieurement le combat, pourront seuls nous en procurer.

Recherche des armées de seconde ligne.

Cette recherche des armées de seconde ligne allemandes sera poursuivie en arrière du centre et des ailes :

...aux nœuds des voies ferrées de Deux-Ponts, de Haguenau,

...vers Wesel, vers Dusseldorf, Cologne,

...vers Mannheim, Carlsruhe,

...sur la rive droite du Rhin, à hauteur et en amont de Strasbourg.

Il y a également procédé plus en arrière :

...autour de la Mayence, Francfort, Hanau,

...le long de la ligne ferrée Stuttgart, Carlsruhe,

...vers Ulm.

Il devra être en même temps recherché s'il n'est pas fait, en ces diverses régions, de préparatifs de transports par voie ferrée.

Enfin, et en vue d'une exploitation ultérieure du succès, il y a lieu de se rendre compte le plus tôt possible des points où les Allemands préparent des organisations défensives de seconde ligne, notamment à Coblentz, Mayence, Spire et Gemersheim.

Théâtre d'opérations des côtes et de Russie ; coopération éventuelle à l'offensive allemande des Italiens et des Autrichiens ; pays neutres.

...La poursuite des renseignements qui correspondent à ces diverses questions doit être entamée dès la période de tension politique et de couverture, puis prolongée jusqu'à la fin des hostilités.

Théâtre d'opérations des côtes et de la Russie.

Afin de pouvoir recouper les données que nous recueillerons sur les forces allemandes, il nous sera nécessaire de connaître et d'identifier les éléments qu'ils laisseront face à la Russie et sur leurs côtes.

En ce qui concerne la Russie, la question se rattachera à l'organisation de nos correspondances avec elle, lorsque la guerre sera déclarée. En ce qui concerne les côtes, il nous sera tout particulièrement intéressant de savoir le plus tôt possible s'ils laissent initialement des troupes actives, en particulier les IXe et Xe corps. Ces corps pourraient être, dès lors, considérés comme des formations à transport réservé, destinés à jouer le rôle de réserves entre les mains du haut commandement. Il serait dans ce cas utile de connaître la date de leur départ.

Coopération à l'offensive allemande des Italiens et éventuellement des Autrichiens.

a) Surveillance du Grand Saint-Bernard, du Simplon, du Saint-Gothard, du Brenner, afin d'éventer toute offensive italienne par la Suisse ou tout transport de torupes italiennes vers l'Allemagne du Nord.

Cette surveillance serait à combiner avec celle des chantiers de débarquements dans la vallée du Pô (particulièrement vers Milan et Vérone) et dans la Vénétie.

b) A titre de sécurité, surveillance des lignes permettant de transporter des corps autrichiens vers la frontière française.

Surveillance plus particulière des corps de Vienne (IIe corps) et de Presbourg (Ve corps).

Pays neutres.

a) On a déjà indiqué les avantages que les Allemands pouvaient trouver à s'emparer de l'Île de Fionie et de se rendre maîtres des détroits de la Baltique.

Éventuellement, il y aurait donc intérêt à connaître les forces qu'ils engageraient de ce côté.

b) De même, il est utile de savoir s'il y a des rassemblements allemands à la frontière de Hollande. La question a, du reste, été envisagée dans la recherche de leur aile droite.

c) Reste, enfin, la question des mesures prises par les Belges et par les Suisses, pour faire respecter leur neutralité ou se joindre à l'un de ses belligérants. A cet égard, les renseignements seront fournis par la voie diplomatique, et il sera particulièrement important qu'ils soient transmis d'urgence au général commandant en chef.

A partir du moment où les Allemands auront pénétré soit en Belgique, soit en Suisse, nous pourrons chercher à entrer en relations avec les armées de ces deux puissances :

...par l'envoi d'officiers d'état-major,

...par notre cavalerie et nos avions.

Mais il y aura certainement avantage à nous les ménager et, particulièrement en ce qui concerne les Suisses, à respecter leurs susceptibilités, en n'envoyant pas, immédiatement, nos avions ou nos dirigeables survoler leurs rassemblements[2].

Il est donc nécessaire que le Service spécial puisse nous tenir constamment au courant de la mobilisation belge et suisse et des dispositions militaires prises entre les deux pays.

Les questions intéressantes à cet effet sont les suivantes :

Belgique. — Répartition des forces belges entre Liége et Givet ; forces réunies à Liége, entre Liége et Namur, vers Namur, entre Namur et Givet. Travaux de défense exécutés le long de la Meuse ; préparation de destruction des ponts ; recherche des rassemblements principaux des Belges notamment vers Bruxelles, Landen et Louvain.

Suisse. — ...Troupes surveillant immédiatement la frontière française..., troupes occupant le territoire de Bâle..., troupes tenant la ligne générale jalonnée par le lac de Neufchâtel et la vallée de l'Aar. Tout particulièrement : région d'Yverdon et au sud, Neufchâtel (Ier corps), Olten (IIe corps), Brugg, Zurich, Wintherthur (IIIe corps).

Indices qui pourraient tendre à faire supposer que le dispositif de rassemblements des Suisses s'oriente plus particulièrement face à l'Allemagne ou face à la France.

Où les Suisses font-ils des travaux de fortification ?


Il me reste à indiquer encore quelques mesures que je fus amené à prendre dans les derniers mois qui précédèrent la grande guerre, et qui avaient un rapport direct avec le sujet que je viens de traiter dans ce chapitre.


On sait que la mobilisation allemande pouvait se dérouler en plusieurs temps et se trouvait, de ce fait, avoir une grande souplesse.

Il était nécessaire de préparer chez nous quelque chose d'analogue qui permît dce progressivement procéder à une grande partie des dispositions de la mobilisation, afin de ne pas nous trouver en retard sur la mobilisation allemande.

Il existait depuis février 1909 une Instruction réglant une série de mesures pouvant être prescrites en cas de tension politique. Je donnai l'ordre de reprendre ce document et de le mettre à jour. Cette révision donna naissance à deux mémentos très détaillés, en date du 4 avril 1914, 1visant d'une part les mesures à ordonner aux commandants de corps d'armeé, d'autre part celles à prendre directement par le ministre. On verra dans la suite de cet ouvrage que, pendant la période de tension politique de la fin de juillet, on fit jouer toute une série de ces mesures ; les autres parurent de nature à donner des arguements à nos adversaires ; elles ne furent pas appliquées. Je me contente de noter ici que l'Allemagne ne témoigna pas des mêmes scrupules.


J'ai indiqué déjà que notre système fortifié, malgré plusieurs lacunes, était en état de concourir efficacement à la couverture de la concentration et du déploiement des armées de campagne ; mais j'ai dit aussi que notre système fortifié était insuffisant pour assurer le débouché de nos armées. J'ai été amené à indiquer de quelle manière j'avais réglé cette question en faisant appel aux ressources de la fortification du moment. Un inventaire raisonné des éléments de notre système fortifié m'apparut indispensable ; d'ailleurs, l'attention du public se portait à ce moment sur tout ce qui intéressait notre organisation militaire, et des polémiques s'étaient engagées à ce sujet au Parlement et dans la presse. Je résolus donc de revoir en détail chaque de nos diverses places, et de fixer celles d'entre elles sur lesquelles il conviendrait de concentrer nos efforts et les crédits qui nous seraient accordés. Je fis faire, en conséquence, une étude approfondie de la question, le but à poursuivre étant d'établir l'assiette générale des organisations fortifiées dans des conditions favorables pour les opérations. Cette étude portait non seulement sur nos frontières du Nord-Est et du Nord, mais encore sur les frontières secondaires des Alpes, des Pyrénées et des côtes.

Le 21 février 1914, le résultat de cette étude me fut soumis en ce qui concernait la frontière du Nord-Est ; elle concluait qu'il y aurait avantage au point de vue des opérations : 1° A organiser une région fortifiée comprenant les trois grandes positions de Toul, de Frouard et de Saint-Nicolas-Tonnoy au sud de Nancy ;

2° Au sud de cette région, à étendre jusqu'au Durbion les défenses de la plaine d'Épinal, et à remettre en valeur le fort du Mont Bard au sud de Belfort ;

3° Au nord de la région de Nancy, à remettre en valeur l'ensemble Girouville-Jouy ; à étendre la place de Verdun jusqu'à Haudiomont par une position extérieure installée sur le plateau des Blusses ; à créer à Montmédy une place pour servir de pivot à la conversion que notre aile gauche aurait à faire si les conditions nous permettant d'entrer en Belgique se réalisaient.

Des positions du moment devraient être organisées en avant de la forêt de Charmes et sur les Hauts-de-Meuse.

Les forts du Jura au sud de Pontarlier, la place de Longwy, le camp retranché de Lille étaient proposés pour un déclassement. En ce qui concerne Lille, il semblait que, par la situation topographique, cette ville ne se prêtait pas à l'organisation d'un camp retranché qui pouvait être tourné de tous côtés et ne permettait aucune manœuvre.

Après une étude détaillée des besoins des diverses places, je songeai à soumettre ce programme au Conseil supérieur de la Guerre. Ses membres furent, à cet effet, convoqués pour le 21 juillet 1914 dans le cabinet du ministre de la Guerre. L'ordre du jour de la séance comprenait : la situation de défense des grandes places, l'examen des nouveaux matériels d'artillerie de siège et de place, l'emploi de l'artillerie dans la défense et l'étude de l'emploi des avions dans les places de guerre.

Mais déjà la guerre grondait ; des préoccupations plus immédiates se présentaient à nos esprits. C'était le jour où les avis préliminaires de mobilisation étaient donnés dans toute l'Allemagne...


Il me reste un mot à dire sur les membres du Conseil supérieur de la Guerre qui allaient partager sous mes ordres la responsabilité de la conduite des opérations. uvre Le Conseil supérieur de la Guerre comprenait, au début de 1914, les généraux Gallieni, Archinard, Michel, gouverneur de Paris, Chomer, Laffont de Ladébat, de Langle de Cary, Dubail, Sordet, Ruffey, de Currières de Castelnau ; les généraux Belin et Legrand, tous deux sous-chefs d'état-major, étaient les rapports du Conseil.

Je connaissais de longue date le général Gallieni sous les ordres duquel j'avais servi à Madagascar. Pendant les manœuvres, au cours des exercies de cadres ou sur la carte, l'opinion très favorable que j'avais de ses talents militaires s'était confirmée. De la méthode, beaucoup de calme, une grande prudence, une lumineuse intelligence, une conception très nette des tâches qui lui étaient confiées, un souci poussé jusqu'à l'extrême de ne pas intervenir dans le commandement des subordonnés, telles étaient les caractéristiques essentielles du général Gallieni. En toute circonstance, il avait donné la preuve qu'on pouvait lui confier en toute sécurité les commandements les plus importants. La confiance qu'il m'inspirait, comme celle que ses subordonnés lui témoignaient étaient à mes yeux de sûrs garants qu'il se montrerait en toutes circonstances à la hauteur de son passé glorieux. Nul ne me paraissait plus capable de prendre, le cas échéant, la direction suprême des opérations. Sur ma proposition, il reçut une lettre de service le désignant comme mon remplaçant éventuel au commandement en chef du groupe des armées du Nord-Est.

Le général Galliéni exerçait depuis trois ans le commandement des troupes qui, en temps de guerre, devaient devenir la 5e armée, lorsqu'il fut atteint, le 24 avril 1914, par la limite d'âge.

Sur ma proposition, il fut remplacé au Conseil supérieur de la Guerre et au commandement éventuel de la 5e armée par le général Lanrezac, dont j'aurai à parler dans la récit que je ferai des premières semaines de la guerre.

Qu'il me suffise pour l'instant de dire que mon attention avait depuis longtemps été attirée sur le général Lanrezac, par les hautes qualités d'intelligence, d'activité, d'initiative, de sens de la manœuvre dont il avait fait preuve au cours des travaux sur la carte et des exercices sur le terrain. Nul ne me sembla mieux préparé que lui au commandement de la 5e armée, celle dont la manœuvre serait la plus délicate à mener, celle à laquelle serait dévolu un rôle essentiellement variable selon les circonstances.

Les autres armées étaient confiées :

La 1re au général Dubail, beau, fidèle et solide soldat, chef discipliné et consciencieux ;

La 2e au général de Castelnau. Celui-ci avait participé, comme je l'ai dit, à toutes les études du plan XVII dont il avait été l'un des principaux artisans. Sa réputation de manœuvrier l'avait désigné à mes yeux pour le commandement de cette armée destinée à attaquer en Lorraine entre les Vosges et Metz ;

La 3e au général Ruffey, dont la réputation comme artilleur était solidement établie. C'était un esprit brillant très imaginatif, dont les qualités de technicien auraient à s'employer utilement dans les opérations que son armée serait amenée probablement à exécuter dans la région de Metz ;

Enfin, la 4e armée était confiée au général de Langle de Cary. C'était un caractère droit et ferme, discipliné, plein d'autorité, animé à un très haut degré du sentiment de sa responsabilité. On pouvait lui faire la plus large confiance. Aussi, lorsqu'en juin 1914, il dut passer au cadre de réserve, j'obtins qu'il conservât encore sa lettre de commandement. La noble attitude et les hautes qualités qu'il déploya à la tête de la 4e armée dans les premiers mois de la guerre, puis comme commandant du groupe d'armées du centre, de la fin de 1915 au milieu de 1916, ont prouvé que cette confiance était bien placée.

Le général Valabrègue, commandant du 3e corps d'armée, entra au Conseil supérieur de la Guerre en remplacement du général de Langle. Il reçut une lettre de commandement pour le groupe de divisions de réserve, qui, à la mobilisation, devait se réunir dans la région de Vervins-Hirson en arrière de la gauche de notre dispositif.

Le général Sordet, le seul cavalier du Conseil supérieur de la Guerre, reçut le commandement du corps de cavalerie qui devait, dans la région de Mézières, éclairer la gauche de nos armées.

Le général Archinard reçut le commandement du groupe de divisions de réserve qui devait opérer à la droite de nos armées, et se concentrer initialement dans la région de Vesoul.

Enfin, le général Laffont de Ladébat fut nommé directeur de l'arrière.

  1. Cette division, qui venait porter le n°43, prit, après la réation du 21e, le n°44.
  2. Nous savons de bonne source que les troupes suisses ont ordre de tirer sur les avions qui survoleraient le territoire helvétique.