Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 295-358).


LIVRE CINQUIESME


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CHAPITRE PREMIER.


Estat misérable de la France avant la paix. Confusion estrange de tous les ordres durant la guerre. Justification de cette paix et de l’edict de mars. La division fomentée en France par l’ambassadeur d’Angleterre, qui y engagea sa maistresse. Ses raisons pour la persuader d’appuyer le party huguenot. Prétexte de cette Reyne.


Après la publication de la paix et de l’edict, qui fut le septiesme jour de mars 1562[1], combien qu’il de plust fort à beaucoup de catholiques de voir un tel changement de religion romaine autorisé par ordonnance du Roy, si est-ce qu’ils furent contraincts de s’accommeder au temps et ceder à la nécessité, laquelle, n’estant point sujette aux lois humaines, avoit reduit à ce point les affaires de France, veu qu’une année de guerres civiles luy avoit apporté tant de malheurs et calamitez, qu’il estoit presque impossible que, par la continuation, elle s’en pust relever ; car l’agriculture, qui est la chose la plus nécessaire pour maintenir tout le corps d’une république, et laquelle estoit auparavant mieux exercée en France qu’en aucun autre royaume, comme le jardin du monde le plus fertile, y estoit toutesfois delaissée, et les villes et villages, en quantité inestimable, estans saccagez, pillez et brûlez, s’en alloient en deserts ; et les pauvres laboureurs, chassez de leurs maisons, spoliez de leurs meubles et bestail, pris à rançon, et volez aujourd’huy des uns, demain des autres, de quelque religion ou faction qu’ils fussent, s’enfuyoient comme bestes sauvages, abandonnans tout ce qu’ils avoient, pour ne demeurer à la miséricorde de ceux qui estoient sans mercy.

Et pour le regard du trafic, qui est fort grand en ce royaume, il y estoit aussi delaissé et les arts mechaniques ; car les marchands et artisans quittoient leurs boutiques et leurs mestiers pour prendre la cuirasse ; la noblesse estoit divisée, et l’estat ecclesiastique opprimé, n’y ayant aucun qui fust assuré de son bien ny de sa vie. Et quant à la justice, qui est le fondement des royaumes et rzpubliques, et de toute la société humaine, elle ne pouvoit estre administrée, veu que, où il est question de la force et violence, il ne faut plus faire estat du magistrat ny des loix. Enfin la guerre civile estoit une source inépuisable de toutes meschancetez, de larcins, voleries, meurtres, incestes, adulteres, parricides et autres vices énormes que l’on pust imaginer ; èsquels il n’y avoit ny bride, ny punition aucune. Et le pis estoit qu’en cette guerre les armes, que l’on avoit prises pour la deffence de la religion, aneantissoient toute religion et pieté, et produisoient, comme un corps pourry et gasté, la vermine et pestilence d’une infinité d’atheistes ; car les églises estoient saccagées et demolies, les anciens monastères detruits, les religieux chassez et les religieuses violées ; et ce qui avoit esté basty en quatre cens ans, estoit destruit en un jour, sans pardonner aux sepulchres des roys[2] et de nos peres.

Voilà, mon fils, les beaux fruits que produisoit cette guerre civile, et tout ce qu’elle produira quand nous serons si malheureux que d’y rentrer, comme nous en suivons le chemin. Donc, par le moyen de la paix, l’artisan qui avoit délaissé son mestier pour se faire brigand et voleur, retournoit à sa boutique, le marchand à son commerce, le laboureur à sa charrue, le magistrat en son siège ; et par conséquent chacun en son office jouissoit d’un repos avec une grande douceur, après avoir gousté l’amertume et le fiel de la guerre civile, qui n’avoit esté de cent ans en France plus cruelle. Or, tout ainsi qu’un sage medecin, pour guérir un malade qui est travaillé d’une fièvre ardente, le fait reposer premierement, ainsi estoit-il nécessaire de donner relasche à la France, en ostant les guerres civiles, afin de guerir l’Estat de tant de maladies, ulceres et cruelles douleurs dont il estoit accablé : ce que j’ay bien voulu toucher en passant, pour respondre à ceux qui vouloient donner blasme à la Reyne, mere du Roy, et à ceux du conseil qui estoient pour lors, d’avoir accordé l’edict de pacification, et à la cour de parlement de l’avoir vérifié.

Mais les moins passionnez d’une part et d’autre estimoient qu’il estoit necessaire, tant pour les raisons susdites, que pour la crainte que l’on avoit des Anglois, lesquels ne se contentoient pas du Havre de Grace, qu’ils tenoient comme un héritage de bonne conqueste, ains desiroient et taschoient de s’advancer le plus qu’ils pouvoient en France, à la faveur de nos divisions, lesquelles un ambassadeur d’Angleterre, nommé Trokmarton, duquel j’ay cy-devant parlé, avoit fomentées et entretenues longuement par la continuelle frequentation et intelligence qu’il avoit avec l’Admiral et ceux de son party. Trokmarton, que j’ay cognu homme fort actif et passionné, prit violamment l’occasion, laissant à part tout ce qui estoit de l’office d’un ambassadeur, qui doit maintenir la paix et l’amitié, pour se rendre partial contre le Roy, ne recognoissant que les volontéz de l’Admiral ; et sceut si bien gagner la reyne d’Angleterre, sa maistresse, et ceux de son conseil, qu’il la fit entrer en cette partie, dont elle m’a souvent dit depuis qu’elle s’estoit repentie, mais trop tard.

Il n’avoit rien oublié à la persuader sur les belles occasions qui se présentoient par la division des François, et davantage pour la cause de la religion, plus importante que toutes les autres, et sur tout pendant le bas âge du Roy ; et que non seulement elle auroit la Normandie, mais la meilleure part du royaume de France, où les roys d’Angleterre avoient tant de prétentions, et dont ils avoient perdu la possession par la réunion des François. Davantage, que les Anglois se pourroient par ce moyen exempter des guerres civiles qu’ils craignoient s’allumer en leur royaume pour la mesme cause de religion, où les catholiques portoient fort impatiemment que l’on leur eust osté la leur. Pour ces causes donc, et autres, la reyne d’Angleterre avoit pris son pretexte de vouloir ayder le Roy, son bon frère, disant estre advertie qu’il estoit prisonnier, et secourir ceux de sa religion, suivant le titre qu’elle disoit porter de defenderesse de la foy ; desirant advancer la religion huguenotte en France autant qu’elle pourroit.

Toutesfois, elle m’a souvent dit que c’estoit pource que la Reyne, mere du Roy, avoit dit à ses ambassadeurs qu’il ne falloit pas espérer que l’on luy rendist jamais la ville de Calais, qui estoit l’ancien patrimoine de la couronne de France.


CHAPITRE II.


Le Havre assiegé par l’armée du Roy. Les Anglais mettent tous les François hors de la place. Le Connestahle les somme de se rendre. Response des Anglais. Batterie du Havre. Progrez du siège. Mort du sieur de Richelieu. Batterie ordonnée par le mareschal de Montmorency. On empesche le secours. Bon service du sieur d’Estrées, grand maistre de l’artillerie, et des mareschauœ de Brissac et de Bourdillon.


Mais comme ses prétextes estoient en substance autant pleins d’injustice qu’elle taschoit de les faire paroistre au dehors justes et saincts, aussi fut-il clairement recognu que Dieu avoit pris en main la juste querelle des François : lesquels, par le bon soin de la Reyne, mere du Roy, firent résolution de dresser une bonne et forte armée, et mener le Roy et Henry, duc d’Anjou, à présent regnant, avec le Connestable et la pluspart de la noblesse françoise, tant de l’une que de l’autre religion, devant le Havre, sans les forces qui y estoient desjà sous la conduite du comte de Rhingrave. Et n’eurent pas sitost pris cette délibération qu’ils vinrent aux effets ; dont la reyne d’Angleterre estant advertie, incontinent envoya du secours de vivres, artillerie et munitions, avec commandement de tenir jusques à la restitution de ce qu’elle prétendoit luy estre du par le traité de Cambresis, au défaut de la reddition de Calais.

L’on tient qu’il y avoit jusqu’à six ou sept mille Anglois sous la charge du comte de Warwik, comme j’ay dit cy-devant, lequel, dès lors qu’il entendit que la paix estoit faite, commanda que toutes sortes de gens eussent à déloger du Havre, excepté les Anglois naturels. Ce qui fut effectué, quelques plaintes et remonstrances pleines de pitié et compassion que pussent faire les pauvres habitans de la ville. Et se saisirent les Anglois de tous les vaisseaux et navires qu’ils purent attraper du long de la Normandie, estimans qu’il seroit malaisé au Roy de pouvoir mettre sus une armée de mer aussi forte que celle d’Angleterre, mesme en si peu de tems, après tant de ruynes et pertes que si fraischement la France avoit endurées.

Et dès lors ils se préparèrent à tout ce qui estoit necessaire pour bien garder cette place, en laquelle ayans esté aucunement resserrez par les troupes du comte de Rhingrave, ils le furent bien davantage par la présence du Roy et de l’armée, laquelle le Connestable commandoit, qui, estant logé à Vitanval, dès le lendemain partit de bon matin pour s’en aller aux tranchées, et fit sommer les Anglois de rendre la place, leur faisant remonstrer qu’ils ne la pouvoient deffendre contre le Roy et son armée, en laquelle estoient la pluspart des François de l’une et l’autre religion ; et que, s’ils attendoient d’estre forcez, ils ne dévoient espérer aucune faveur ny miséricorde ; dont il seroit marry pour l’amitié qu’il avoit tousjours portée à l’Angleterre, envers laquelle il avoit tousjours procuré une bonne intelligence avec les roys ses maistres ; et bien souvent s’estoit rendu médiateur de la paix et union entr’eux, ce qu’il désiroit encore faire en cette occasion. Ce sont ses mesmes paroles et remonstrantrances, ausquelles j’estois présent.

Sur une telle nouvelle, le comte de Warwik prit conseil et advis des capitaines, et, après, fit sortir un nommé Paulet desjà âgé, et commissaire generai des vivres : lequel fit response qu’ils estoient venus en cette place par le commandement exprès de la Reyne leur maistresse, et estoient resolus d’y mourir tous plustost que la rendre sans son très-exprès commandement ; usant au reste de toutes honnestes paroles, et qu’en autre occasion ils désireroient de faire service au Connestable ; lequel, voyant cette response, ne perdit pas temps, comme il n’avoit fait pendant la sommation, pour faire recognoistre une palissade que ceux de dedans gardoient soigneusement, comme leur estant de grande importance, et qui joignoit la porte de la ville. Il commanda, dès lors, de faire une batterie pour rompre les deffences de la tour du Guay[3] ; et le lendemain au matin fit tirer plusieurs coups de canon dedans la porte de la ville, et du long de la courtine : ce qui estonna fort les Anglois, qui voyoient faire telles approches en lieux si mal aisez, et loger l’artillerie en des tranchées faites dedans des pierres et gravois, sans qu’il y eust terre, gabions ou fascines pour se couvrir : ce qui est remarquable en ce siège, n’estant lesdites tranchées couvertes que de quelques sacs de laine, ou de sable mouillé, comme la marée donnoit de sept en sept heures dans les tranchées qui estoient de huit cens pas tout le long du rivage de la mer, depuis le boulevart Saincte-Adresse, où furent tirées plusieurs pieces de la ville, qui firent grand dommage aux nostres, et n’ay jamais veu tranchées, ny artillerie logée en lieu où il fist plus chaud.

Enfin les Anglois, se sentans pressés, mirent le feu à des moulins à vent qui estoient près de leur porte, et abandonnèrent la palissade et leurs tranchées, où l’une des enseignes colonelles de d’Andelot s’alla incontinent loger. Richelieu[4], maistre de camp, y fut blessé d’une arquebusade à l’espaule, dont il mourut despuis, estant un fort brave gentilhomme : chacun se rendit fort diligent à bien faire ; et mesme les plus frisez de la Cour, desarmez, mesprisans tout péril, se trouvoient souvent aux tranchées.

Le mareschal de Montmorency, fils aisné du Connestable, fit élever comme une plate-forme, où il fit asseoir quatre pièces d’artillerie joignant la palissade pour battre en plusieurs endroits de la courtine, qui n’avoit ny fossé au dehors, ny contrescarpe au dedans qui valussent, ce qui estonna encore davantage les assiegez. Le mareschal de Brissac, qui estoit fort vieil, et incommodé de la goutte, et l’un des plus sages et expérimentez capitaines de France, alla voir ces ouvrages, qu’il estima beaucoup, esmerveillé de voir un tel estonnement aux Anglois, et qu’ils eussent fait si bon marché de leurs palissade et tranchées.

Sur le soir sortit une petite barque du Havre, en laquelle y avoit douze ou quinze personnes, pour aller trouver l’armée et secours d’Angleterre, avec une galere qui estoit à la rade, pensant donner secours à la ville : mais ils en furent empeschez à grands coups de canon, et plusieurs pieces pointées pour cet effet ; de sorte qu’ils n’osèrent approcher jusques à la portée de l’artillerie. Ce que voyant les Anglois, et que les François les approchoient de si près de tous costez, ils jugerent bien qu’en peu de tems le secours de la mer ne leur serviroit de gueres.

Ils voulurent loger des pièces tout au bout de la jettée, mais d’Estrée, grand-maistre de l’artillerie, fit grande diligence de loger canons et coulevrines, afin de faire une batterie pour donner incontinent l’assaut ; et vouloit en cela prévenir et devancer Caillac, qui avoit commandé à l’artillerie avant qu’arrivast d’Estrée, d’autant qu’ils n’estoient pas bien ensemble : toutesfois le Connestable les mit d’accord ; de sorte que chacun d’eux s’efforça de faire son devoir, et firent continuer la tranchée jusques au bout de la jettée des assiégez.

Les mareschaux de Brissac et de Bourdillon firent aussi toute la diligence qui leur fut possible d’avancer les ouvrages, et ce qui estoit requis pour donner l’assaut, et y demeurerent la pluspart du jour.


CHAPITRE III.


Lettre des Anglais interceptée. Prudence de L’Aubespine, secrétaire d’Estat. Grand service du prince de Condé et du duc de Montpensier au siège du Havre. Grande incommodité des assiegez. Le comte de Warwik parlemente. Prudence du Connestable a la capitulation des assiegez. Conditions de la réduction du Havre. Grand service du connestable de Montmorency en la prompte exécution de ce siege. Grand secours d’Angleterre arrivé deux jours trop tard. Civilité de la Reyne envers l’admiral d’Angleterre, chef du secours. Execution du traité du Havre. Sarlabos fait gouverneur de la place.


En mesme temps fut amené au Connestable un secrétaire de Smyth, ambassadeur d’Angleterre, auquel son maistre avoit donné commandement d’entrer dedans le Havre par quelque moyen que ce fust, et portoit lettres au comte de Varwik. Mais ceux desquels se fioient l’ambassadeur et son secrétaire, et qui luy devoient donner l’entrée au Havre, en donnerent avertissement à Richelieu, qui estoit blessé. Le secrétaire estant trompé et pris, ses lettres furent baillées à L’Aubespine, secrétaire d’Estat, homme fort prudent et de grande experience, qui fut d’advis de les envoyer au comte de Warwik par quelqu’autre interposé, et en retirer la response après s’estre enquis fort exactement du secrétaire de tout ce qui pouvoit servir aux affaires du Roy ; mais il fut depuis résolu que le comte de Warwik n’auroit cognoissance de cette lettre, ains d’une contrefaite et d’autre stile, pour l’asseurer de la part de l’ambassadeur qu’il ne devoit espérer aucun secours d’Angleterre.

Cependant l’on ne perdoit pas une heure de temps à presser de tous endroits les assiegez ; et, sur ces entrefaites, les prince de Condé et duc de Montpensier, qui ne vouloient perdre l’occasion de faire service au Roy en ce siège, arriverent au camp, et aussitost furent aux tranchées pour n’espargner leurs personnes, non plus que leurs bons conseils, en la prise de cette place. Alors d’Estrée commença de faire la batterie au boulevart Saincte Adresse et à la tour du Guay.

Ce qui fit penser les Anglois en leurs affaires, tant pour se voir serrez de si près que pour les incommoditez qu’ils souffroient de la contagion, qui estoit grande parmy eux, et autres maladies, avec une telle foiblesse de courage et negligence d’eux-mesmes, qu’ils laissoient les corps morts de peste dans les logis sans les enterrer. Et entre les autres maux, ils enduroient une grande nécessité des eaux douces que l’on leur avoit ostées, et coupé la fontaine de Vitanval. De sorte qu’ils estoient contraints pour la plupart de se servir de l’eau de la mer et en faire cuire leurs viandes, n’ayans que bien peu de cisternes qui furent tost épuisées.

Ce que voyant le comte de Warwik, et le peu de moyen qu’il avoit de deffendre cette place en laquelle il se voyoit forcé en moins de six jours, environ la nuit du jeudy, qui estoit le vingt-septiesme du mois de juillet mil cinq cent soixante et trois, il escrivit au comte Rhingrave, avec lequel il avoit eu toute l’amitié et les courtoisies qui se peuvent entre gens de guerre, auparavant qu’y arrivast le Connestable, et lui manda que lorsqu’il l’avoit envoyé sommer, il n’avoit point de pouvoir de sa maistresse pour traiter, mais que depuis il luy en estoit venu un, en vertu duquel il y entendroit volontiers s’il plaisoit au Connestable : lequel aussitost donna cette charge au mareschal de Montmorency, son fils aisné. Et le comte de Warwik fit sortir un gentilhomme du costé du fort de l’Heure où estoit logé le mareschal de Brissac, à l’opposite de nos tranchées : lieu sujet à y avoir des escarmouches, parce que les Anglois avoient les sorties de cet endroit plus commodes et avantageuses que de nul autre. Et ainsi que le mareschal de Montmorency pensoit traiter avec le gentilhomme anglois qu’il avoit mené au camp des Suisses, tout joignant les tranchées des assiegez, ils firent de ce costé-là une fort belle sortie, en laquelle ils furent aussi bien repoussez, et où les maistres de camp Charry et Sarlabos, encore à présent gouverneur au Havre de Grâce, firent fort bien. Et y en eut quelques-uns tuez de part et d’autre : incontinent le gentilhomme anglois, appelle Pellain, accompagné d’un qui estoit sorty pour parlementer, fut mené au Connestable ; et afin qu’il n’arrivast plus de desordre pendant que l’on traiteroit, furent faites trefves de part et d’autre.

Et lors le Connestable remonstra à Pellain comme les Anglois n’avoient aucun moyen de garder le Havre, et que, s’ils ne se hastoient de faire la composition en bref, ils verroient la ville forcée, prise d’assaut, et remise en l’obéissance du Roy, chose qui ne tourneroit qu’à la ruine et confusion des assiegez. Ce que le Connestable disoit ne désirer point tant qu’une bonne composition, s’ils y vouloient entendre : ce qu’entendu par Pellain, il respondit toutes honnestes et gracieuses paroles, en priant le Connestable de remettre ce traité au lendemain, à quoy il montroit de faire difficulté : neantmoins il l’accorda, à la charge que les François ne cesseroient d’avancer les ouvrages de la batterie, et faire tout devoir à suivre leur dessein. Et ainsi se retirèrent avec quelques rafraichissemens et vivres que le Connestable leur fit donner pour ce jour. Le lendemain, vingt-huitiesme du mois, Pollet et Horsay, qui avoient esté au service du roy Henry II avec Pellain, sortirent pour venir parlementer avec le Connestable, qui estoit à la tranchée de bon matin. Et pour acheminer à quelque conclusion, les mareschaux de Montmorency et de Brissac s’interposèrent comme mediateurs entre le Connestable et les deputez des Anglois, ausquels il tenoit toute rigueur, leur témoignant que s’ils ne se hastoient de faire composition, il n’estoit plus deliberé d’y entendre, avec plusieurs autres remonstrances pleines de l’authorité que ceux qui ont l’avantage ont accoustumé de garder pour faire leur composition meilleure ; d’où il persuada et mena si chaudement les deputez du Havre, qu’il les fit venir à accorder les articles qui s’ensuivent :

A sçavoir, que le comte de Warwik remettroit la ville du Havre de Grace entre les mains du Connestable, avec toute l’artillerie et munitions de guerre appartenantes au Roy et aux habitans de la ville ; et pareillement laisseroit tous les navires qui estoient en la ville avec tous leurs équipages. Pour seureté de quoy, le comte de Warwik bailleroit quatre ostages, tels qu’il plairoit au Connestable, et davantage que le comte mettroit à l’instant la grosse tour du Havre entre les mains d’un nombre de soldats françois tels qu’il plairoit au Connestable de commander, sans toutesfois qu’ils pussent entrer en la ville, ny arborer leurs enseignes sur la tour.

Fut aussi accordé que le comte feroit garder les portes de la ville, sans toutesfois arborer aussi aucunes enseignes, promettant le comte, dès le lendemain huit heures du matin, faire retirer les soldats qui estoient dedans le fort, pour y introduire le Connestable.

Que tous prisonniers pris tant d’une part que d’autre seroient delivrez sans payer rançon.

Que le comte et tous ceux qui estoient avec luy au Havre, tant gens de guerre qu’autres, se pourroient retirer en toute seureté, et transporter ce qui seroit à eux sans qu’il leur fust donne aucun empeschement.

Et que les navires et vaisseaux qui seroient ordonnez pour transporter les Anglois, pourroient seurement et librement entrer dedans le port et havre.

Les quatre ostages des Anglois furent Olivier Manere[5], frère du comte de Rutland, Pellan, de Horsay et Leton[6]. Le Connestable accorda six jours au comte de Warwik et à tous ceux qui estoient avec luy, pour deloger et emporter tout ce qui leur appartenoit. Et au cas que la mer et les vents leur fussent contraires durant les six jours, leur seroit donne le temps nécessaire pour se retirer.

Ce que dessus estant donc accordé, les députez des Anglois allèrent faire leur récit au comte de Warwik de ce qu’ils avoient fait. Et au mesme temps le mareschal de Montmorency alla trouver le Roy à Cricquetoc, pour luy porter ces nouvelles, avec les articles signez du comte de Warwik. Le lendemain, Leurs Majestez s’approchèrent plus près du Havre, où le Connestable les alla rencontrer sur le chemin, qui en fut fort caressé, avec infinis remerciemens de ce bon service qui fut fait à temps ; car la reyne d’Angleterre avoit fait embarquer deux mille Anglois en plusieurs bons navires de guerre, pensant les envoyer pour secourir le Havre, lesquels vinrent aborder à la rade deux ou trois jours après la capitulation ; mais ils trouvèrent desjà grand nombre des Anglois qui estoient sortis de la ville, ladite capitulation se devant effectuer le lendemain. Le comte de Clinton, admiral d’Angleterre, parut avec toute l’armée de sa reyne, qui estoit d’environ soixante voiles, et fit grande contenance de vouloir descendre en terre : soudain il fut pourvu à mettre bonnes gardes, tant de gens de pied que de cheval, pour s’opposer à son dessein. Quoy vovant, l’admiral cognut bien que sa maistresse et luy avoient esté trop tardifs en leurs affaires, de sorte que, ne pouvant faire autre chose, ce fut à luy de se conformer à ce qui avoit esté traité auparavant qu’il arrivast.

La Reyne mere luy envoya un gentilhomme de la chambre du Roy, appelle Lignerolles, pour sçavoir de luy s’il vouloit descendre en terre, où il trouveroit Leurs Majestez prestes à luy faire bonne reception et faveur, et donner toute la seureté qu’il pourroit désirer pour ce regard. A quoy l’Admiral, que j’ay tousjours cogneu sage et modeste en toutes ses actions, pour avoir traité plusieurs grandes affaires avec luy, respondit que s’il voyoit occasion propre d’aller baiser les mains de Leurs Majestez, il ne voudroit meilleure asseurance que leurs paroles ; et sur cela il se délibéra d’aller retrouver sa maistresse.

Or, les Anglois qui estoient au Havre n’avoient pas moindre desir de se retirer que les François de les voir desloger ; à quoy il fut donné si bon ordre de tous costez, que, dès le trentiesme jour du mois, chacun estoit embarqué, horsmis deux ou trois cens pestiferez, restans de plus de trois mille de leurs compagnons qui y estoient morts. Et le dimanche, trente-uniesme juillet, Sarlabos, maistre de camp, entra dedans la ville avec six enseignes de gens de pied, lequel depuis y a tousjours demeuré gouverneur jusques à présent ; et n’eust esté la blessure de Richelieu, de laquelle il mourut, il eust eu cette charge.


CHAPITRE IV.


Grand dessein sans effet d’un hospital fondé pour les soldats estropiez. Le sieur de Castelnau Mauvissière prie le Roy de le descharger du commandement de Tancarville. Le Roy l’envoye au devant des ambassadeurs d’Angleterre Smyth et Trokmarton. Il arreste Trokmarton de la part du Roy, et l’envoye au chasteau de Sainct Germain en Laye. Raisons de sa détention. Smyth pareillement arresté par le sieur de Castelnau, en haine du mauvais traitement fait au sieur de Foix, ambassadeur de France en Angleterre. Prudence de Smyth, et ses bonnes intentions pour la paix des deux Couronnes. Il refuse au sieur de Castelnau de traiter d’une treve, et propose de traiter de la paix. Le Roy fait négocier avec luy par le sieur de Castelnau, qui le met en liberté. Le Roy déclaré majeur au parlement de Rouen. Cheute dangereuse de la Reyne, laquelle continue le traité de la paix d’Angleterre par l’entremise dudict sieur de Castelnau, qui met Smyth en pleine liberté et l’amene à Paris, ou la Cour se rendit.


Alors le Roy et la Reyne sa mère, après avoir rendu grâces à Dieu de ce bon et heureux succès, prirent resolution avec le Connestable de donner divers contentemens aux gens de guerre, tant capitaines que soldats, qui avoient esté blessez, et leur faire donner quelque argent, avec promesses d’autres bienfaits quand l’occasion s’en offriroit. Et proposa la Reyne, mère du Roy de faire un hospital, fondé de bonnes rentes et revenus, pour les soldats estropiez, et ceux qui le seroient dès-lors en avant au service du Roy.

Et se firent beaucoup de belles délibérations, qui furent bien-tost oubliées, après que l’armëe fut rompue et separée, et Leurs Majestez esloignées ; qui laissèrent le Connestable au Havre-de-Grace, afin de donner ordre à toutes choses, et de là s’en allèrent à Sainct-Romain, puis à Estellam, où j’allay les trouver, pour les supplier d’avoir agréable que je leur remisse le chasteau de Tancarville, qu’ils m’avoient baillé en garde, et licenciasse quelque quatre-vingts chevaux légers que j’avois de reste dedans le pays de Caux, et des gens de pied qui n’estoient plus nécessaires d’y estre entretenus, me voulant retirer de ce pays-là le plustost qu’il me seroit possible, et me descharger des grandes despenses que j’y faisois, pour lesquelles je me voyois beaucoup endebté, n’estans mes gens trop bien payez.

Surquoy Leurs Majestez me firent de belles premesses, et en mesme instant me commandèrent, avant que de licencier mes chevaux légers, d’aller sur le chemin de Rouen, pour rencontrer les deux ambassadeurs d’Angleterre qui vouloient s’acheminer vers le Roy, lequel ne les vouloit nullement voir. L’un estoit Smyth, pour ambassadeur ordinaire, l’autre estoit Trokmarton, son prédécesseur, tous deux commandez par la reyne d’Angleterre de se haster d’aller trouver Leurs Majestez au Havre-de-Grace, où Trokmarton laissoit aller Smyth devant pour voir quel il y feroit. Mais l’un et l’autre y arriverent trop tard ; et d’autant que Foix, qui estoit pour lors ambassadeur du Roy résidant en Angleterre, estoit fort estroitement observé et quasi comme prisonnier, le Roy fut conseillé de faire le semblable à l’endroit de Smyth, et de ne recevoir Trokmarton en quelque façon que ce fust ; mais plustost le faire arrester prisonnier, comme celuy lequel, ayant esté cause de la guerre avec la Reyne sa maistresse, et de rompre le traité de Cambresis fait avec elle, se seroit encore hazardé de passer en France sans passeport ni sauf-conduit du Roy ; surquoy Sa Majesté ne le pouvoit recevoir autrement que pour un prisonnier. Ce qu’elle me commanda de luy dire, et davantage qu’estant hay en l’armée du Roy, comme il estoit, tant des catholiques que des huguenots, et de tous les peuples de France, il seroit en danger de sa personne s’il n’estoit en lieu de seureté. Luy ayant fait cette harangue, comme il estoit homme fort colere et passionné en toutes ses actions, il se voulut élever, se prévalant de sa maistresse, et se deffendre par plusieurs raisons. Mais, pour couper chemin à tous ses discours, je renvoyay au chasteau de Sainct-Germain en Laye, avec garde, comme j’en avois eu commandement.

Cela fait, je fis entendre à Smyth, ambassadeur ordinaire, que pour lors il n’avoit que faire au Roy, et seroit en mesme hazard que Trokmarton des peuples et soldats de France, qui avoient tant reçu d’incommodité des Angiois. Par ainsi, et voyant que Foix, ambassadeur du Roy en Angleterre, estoit comme prisonnier, il seroit meilleur que je luy baillasse quelques gens de cheval pour sa garde, comme j’avois fait à Trokmarton, qui estoit à Sainct-Germain en Laye, et que je l'envoyerois au chasteau de Melun, où il seroit en seurete.

Surquoy il monstra moins de passion que Trokmarton, disant qu’il falloit qu’il portast la penitence des fautes que l’autre avoit faites. Et, soit qu’ils ne fussent pas amis, comme il estoit aise à voir, car ils ne faisoient pas grande estime l’un de l’autre, Smyth me dit alors que, s’il eust esté cru en Angleterre, et que Trokmarton ne luy eust renversé ses desseins, le Roy seroit en bonne amitié et intelligence avec la reyne d’Angleterre sa maistresse, qui eust donné tout contentement et satisfaction à Leurs Majestez ; et que, comme bien instruit de l’estat de France et d’Angleterre, il sçavoit bien que ces deux royaumes ne pouvoient demeurer longuement en guerre, que nécessairement ils ne vinssent à quelque bonne paix, pour la grande communication et correspondance qui est entre eux, et sçavoit les moyens, s’il plaisoit au Roy et à la Reyne sa mère, de les rendre en peu de jours en meilleure intelligence avec la Reyne sa maistresse, qu’ils ne furent jamais : chose qu’il ne voudroit communiquer qu’à Leurs Majestez, et plustost par moy que par nul autre, pour l’amitié que je luy avois portée et à toute l’Angleterre. Il me dit aussi qu’il estoit adverty que le Connestable avoit dit au Roy et à la Reyne sa mère qu’en peu de jours il leur feroit une trefve avec la reyne d’Angleterre, qui seroit meilleure que la paix qui estoit auparavant.

Ce qu’ayant mandé à Leurs Majestez, elles m’escrivirent incontinent de tenir l’ambassadeur sur ce propos, et, attendant que la paix se pust faire, de commencer de traiter de la trefve avec luy, afin d’éviter tant de dommages et pertes que les Anglois et François recevoient tous les jours, qui ne tournoient qu’au profit des pirates, estant le commerce arresté et tous les marchans volez et pillez sur la mer, avec grande perte pour tous les deux royaumes. Mais Smyth demeura résolu et opiniastre à ne vouloir parler d’autre chose que de la paix. Dequoy ayant donné advis à Leurs Majestez, elles m’escrivirent incontinent de luy donner quelque espèce de liberté, regardant toutesfois qu’il n’eschapast, comme aucuns donnoient des advis qu’il en avoit intention ; mais c’estoit chose où il ne pensoit pas. Trokmarton, qui estoit à Sainct-Germain en Laye tenu assez estroitement, se scandalisoit fort que l’on voulust traiter sans luy avec Smyth, disant qu’il luy feroit un jour couper la teste, pour estre entré seul en ce traité, sans demander qu’ils fussent conjoints ensemble, disant qu’il sçavoit mieux, comme le dernier party d’Angleterre, l’intention de leur maistresse.

Mais Smyth, qui estoit homme résolu et prévoyant, n’en fit pas grand compte. Au contraire il demanda d’estre mis en liberté, comme ambassadeur ordinaire de la Reyne sa maistresse ; et, comme sçachant ce qui estoit utile pour le bien de la France et de l’Angleterre, il viendroit bien-tost aux particularitez necessaires pour le bien de la paix. Ce qu’ayant mandé au Roy et à la Reyne sa mère, ils m’escrivirent par un courier que je luy proposasse, comme de moy-même, que, s’il vouloit, nous irions à Paris, et de là nous approcherions de la Cour, et pourrions aller jusques à Meulan où le Roy estoit, lequel, de son retour du Havre de Grace, s’estoit fait déclarer à Rouen majeur à quatorze ans, selon l’ordonnance de Charles cinquiesme ; ce qui donna jalousie au parlement de Paris, où tels actes avoient accoustumé à estre faits. Je dis donc à Smyth qu’estant près de Leurs Majestez, je luy procurerois une favorable audience, dont il fut fort aise. Neantmoins il me dit, comme nous avions beaucoup de familiarité ensemble, qu’il ne croyoit pas que je voulusse faire cela sans en avoir commandement, ce que je ne luy voulus confesser.

Ainsi nous nous acheminasmes dès le lendemain matin de Melun pour aller coucher à Paris, et, le jour ensuivant, allasmes coucher à Poissy, où je reçus commandement de demeurer quelques jours avec l'ambassadeur, d’autant que la Reyne mère estoit tombée[7] d’un fort traquenart qu’elle montoit, si rudement, que l’on pensoit qu’elle en deust mourir, comme elle en fut à l’extrémité ; et lors l’on ne pensa qu’à chercher tous les remedes pour sa guerison, laquelle ayant recouverte, elle m’envoya querir, et, en la présence du Roy, des princes du sang, du Connestable, et quelques-uns du conseil, m’ayant enquis des particularitez et discours que j’avois eus avec Smyth, pour la paix ou pour la trefve, dont je luy fis récit, elle pria le Roy de luy laisser faire la paix avec la reyne d’Angleterre, puis qu’elle estoit venue à bout de son entreprise du Havre de Grace, et en avoit chassé les Anglois. Et sur cela je fus commandé de retourner trouver Smyth, et l’amener à Meulan, et regarder s’il y auroit moyen de commencer à mettre quelque chose par escrit. Ce que luv ayant proposé, il me fit response que, puis qu’il estoit question d’une chose de telle importance, après avoir ouy parler le Roy et la Reyne sa mere, il falloit qu’il en advertist la Reyne sa maistresse, se promettant de la disposer si bien à la paix, qu’en peu de temps les choses prendroient une bonne fin ; alléguant aussi que, s’il entroit trop avant sur cette matière, sans nouveau commandement et sans en donner advis en Angleterre, et du traitement qu’il avoit reçu, il n’estoit pas sans ennemis et envieux qui l’en voudroient blasmer.

Lors Leurs Majestez me commandèrent de mettre Smyth en liberté, et luy faire compagnie jusques à Paris, le faire remettre en son logis, et luy rendre ses papiers qui avoient esté scellez, et faire encore garder Trokmarton à Saint-Germain en Laye. Et au mesme temps, la Reyne mere du Roy se portant assez bien de sa grande cheute et blesseure, il fut advisé que la Cour et le conseil iroient à Paris pour donner ordre aux affaires de tout le royaume, afin d’y establir la paix, et faire plusieurs beaux reglemens et ordonnances avec la majorité du Roy, punir plusieurs malversations, et adviser sur l’exécution des articles du concile de Trente[8], et, sur toutes choses, d’appointer les princes et seigneurs qui pouvoient apporter encore quelques troubles à l’Estat. En quoy la Reyne mère travailloit autant qu’il estoit possible pour oster toutes rancunes, afin de ne rentrer aux guerres civiles, dont tout le royaume et principalement ceux qui avoient quelque chose à perdre, estoient fort las.


CHAPITRE V.


La douairière de Guise accuse l’Admirai de la mort de son mary y et demande justice au Roy. Punition d’un sacrilege execrable commis à Paris contre la saincte hostie. Mort du mareschal de Brissac. Le seigneur Bourdillon succede à sa charge. Les ecclésiastiques obtiennent faculté de racheter les biens aliénez pour la subvention. Le Roy va à Fontainebleau recevoir plusieurs ambassadeurs des princes catholiques, qui proposent et offrent assistance pour la ruine des hérétiques et rebelles, pour le faire rentrer en guerre. Le Roy veut garder la paix jurée. Les Bourguignons demandent qu’il n’y ait point d’exercice de la religion prétendue en leur province. Nouvelle secte des déistes et trinitistes découverte à Lyon.


En ce mesme temps, Anne d’Est[9], douairière de Guise, qui a depuis épousé le duc de Nemours, avec ses enfans et beaux frères, demanderent justice de la mort du feu duc de Guise contre l’Admiral, qui se vouloit d’un costé purger, et de l’autre se tenoit sur ses gardes, et donnoit ordre de se deffendre par le moyen des huguenots, qu’il avoit presque tous à sa dévotion. Ce que prévoyant, Leurs Majestez commanderent à ceux de Guise d’attendre le temps et l’occasion. Tout le reste de cette année le Roy, avec une grande cour, demeura à Paris, tousj ours remédiant à une occurrence, puis à l’autre, selon qu’elles se présentoient.

[1564] Je ne veux obmettre qu’en ce temps-là un misérable et meschant homme osta la saincte hostie d’entre les mains d’un prestre disant la messe en l’église Saincte Geneviève, chose qui fut trouvée si impie et meschante d’un chacun, qu’il n’y eut homme si mal conditionné qui n’en eust horreur ; et mesme les huguenots confessoient publiquement qu’il avoit merité une mort rigoureuse.

Aussi ne porta-t-il pas longuement ce crime de leze-majesté divine ; car, le jour mesme, il fut exécute et brûlé en la place Maubert. Environ ce temps-là, le mareschal de Brissac, qui avoit esté si long-temps lieutenant du Roy en Piedmont, desjà fort vieil et cassé, et retourné malade du Havre de Grace, mourut, et le sieur de Bourdillon fut fait mareschal de France en sa place. Lors les ecclésiastiques firent grande instance envers le Roy, à ce que les biens de l’Eglise vendus et alienez avec permission du Pape pour supporter les fraix de la guerre, ne demeurassent entre les mains de ceux qui les avoient achetez, la pluspart seigneurs ou gentils-hommes, et à bon marché, ce qui diminuoit beaucoup des decimes ordinaires. Sur cette remonstrance, le Roy leur accorda de racheter les terres et biens immeubles par eux vendus, pour cent mille escus de rente, suivant l’edict de l’aliénation.

Or le Roy, se faschant du sejour de Paris, et de plusieurs affaires et rompemens de teste, qui sont tousjours plus grands en cette ville qu’en autre lieu, résolut d’aller à Fontainebleau sur le commencement de l’année, tant pour y avoir l’air plus commode que pour y recevoir les ambassadeurs du Pape, de l’Empereur, du roi d’Espagne, du duc de Savoye, et autres princes catholiques amis et alliez de la couronne, qui envoy oient visiter Sa Majesté comme par un commun accord, la prier de faire observer par toute la France les articles et decrets du concile de Trente, et l’exhorter à demeurer ferme en la religion catholique, comme avoient fait tous ses predecesseurs très-chrestiens dont il portoit le nom, et ne se laisser esbranler aux heresies de son royaume. Ils parlerent aussi à Sa Majesté pour faire cesser l’alienation des biens de l’Eglise, du tout préjudiciable à son Estat, et contre la loy divine, et luy donnerent conseil de punir tous ceux qui avoient ruiné, saccagé et demoly les eglises, porté les armes contre leur Roy, donné entrée aux estrangers dedans son royaume, et faire punir ceux qui estoient cause de la mort du feu duc de Guise. Et finalement ils firent à Sa Majesté plusieurs propositions, plustost pour l’induire à rentrer à la guerre, et rompre son edict de pacification qu’à le maintenir, asseurans les ambassadeurs que leurs maistres donneroient toute faveur et assistance au Roy pour chasser les hérésies de son royaume, et punir ceux qui en estoient les autheurs.

Mais le Roy, la Reyne sa mere et leur conseil, qui ressentoient les maux advenus à la Fiance par le malheur des guerres civiles, n’avoient pas grand desir d’y rentrer sur les belles promesses des ambassadeurs ; car aussi ne se fioit-on pas en celles de leurs maistres : mais nonobstant, l’on leur donna toutes gracieuses et honnestes responses pleines de remerciemens, et telles qu’elles se devoient donner à des ambassadeurs en semblables occasions. Et Leurs Majestez firent réponse qu’une paix et edict, si solemnellement faits par le conseil et advis de tous les princes du sang, et des plus sages du royaume, ne se pouvoit pas ainsi rompre ny alterer, sans un grand danger de la recheute, ordinairement plus dangereuse que la première maladie ; ce que nous avons eprouvé assez souvent depuis ce temps-là, sans y trouver autres remèdes que le bien de la paix, et les edicts faits pour y parvenir. Il y eut aussi les estats de Bourgogne qui remonstrerent au Roy qu’il estoit impossible de maintenir deux religions en France ; et sur cela supplièrent Sa Majesté, par personnes envoyées exprès, qu’il n’y eust point de temples ny exercice de la religion pretendue reformée au pays de Bourgogne pour les huguenots. La harangue de celuy qui fut envoyé pour cet effet a depuis esté imprimée.

En ce mesme temps il y eut à Lyon une nouvelle secte de deistes et trinitistes[10], qui est une sorte d’heresie laquelle a esté en Allemagne, Pologne et autres lieux : secte très-dangereuse, dont la foy et la doctrine doit estre rejettée, et laquelle a grandement troublé l’Allemagne, comme il se peut voir par les histoires du temps de l’empereur Ferdinand.


CHAPITRE VI.


Divertissemens de la Cour à Fontainebleau. Adresse et vaillance du prince de Condé. Festins faits par la Reyne mere. Tournoy de douze Grecs contre douze Troyens, dont fut le sieur de Castelnau, comme aussi d’une belle tragi-comedie. Adventure de la tour enchantée, entreprise par le Roy et son frere.


Or, quittant ce discours plus sérieux, puis que j’ay commencé à parler du lieu et du sejour de Fontainebleau, je parleray en passant des festins magnifiques, courses de bague et combats de barriere qui s’y firent, où le Roy et le duc d’Anjou son frère, depuis roy, firent plusieurs parties esquelles le prince de Condé fut des tenans, lequel fit tout ce qui se peut désirer, non-seulement d’un prince vaillant et courageux, mais du plus adroit cavalier du monde, ne s’espargnant en aucune chose pour donner plaisir au Roy, et faire cognoistre à Leurs Majestez, et à toute la Cour, qu’il ne luy demeuroit point d’aigreur dans le cœur.

La Reyne mere du Roy, qui n’en voulut pas estre exempte, fit aussi de très-rares et excellens festins, accompagnez d’une parfaite musique, par des syrenes fort bien représentées es canaux du jardin, avec plusieurs autres gentilles et agréables inventions pour l’amour et pour les armes.

Il y eut aussi un fort beau combat de douze Grecs et douze Troyens, lesquels avoient de long-temps une grande dispute pour l’amour et sur la beauté d’une dame : n’ayans encore pu trouver l’occasion de combattre pour cette querelle, laquelle ils desiroient terminer en présence de grands princes, seigneurs, chevaliers et de belles dames, pour estre tesmoins et juges de la victoire, et sçachans qu’en ce festin il y avoit des personnes de ces qualitéz pour decider ce point dignement, ils envoyèrent demander le combat au Roy par hérauts d’armes, accompagnez aussi de très excellentes voix, qui présentèrent et récitèrent les cartels et plusieurs belles poésies, avec les noms et actes belliqueux des Grecs et Troyens, qui devoient combattre avec des dards et grands pavois, où estoient depeintes les devises de chaque combattant : j’estois de ce combat sous le nom d’un chevalier nommé Glaucus, comme aussi des autres tournois et parties qui se firent à Fontainebleau, et semblablement d’une tragi-comédie que la Reyne, mere du Roy, fit jouer en son festin, la plus belle, et aussi bien et artistement representée que l’on pourroit imaginer, et de laquelle le duc d’Anjou, à présent roy, voulut estre, et avec luy Marguerite de France sa sœur, à présent reyne de Navarre, et plusieurs princes et princesses, comme le prince de Condé, Henry de Lorraine duc de Guise, la duchesse de Nevers, la duchesse d’Uzès, le duc de Rets, aujourd’huy mareschal de France, Villequier et quelques autres seigneurs de la Cour. Et, après la comedie, qui fut admirée d’un chacun, je fus choisi pour réciter en la grande salle, devant le Roy, le fruit qui se peut tirer des tragedies, esquelles sont representées les actions des empereurs, rois, princes, bergers et toutes sortes de gens qui vivent en la terre, le théâtre commun du monde, où les hommes sont les acteurs, et la fortune est bien souvent maistresse de la scène et de la vie ; car tel représente aujourd’huy le personnage d’un grand prince, demain joue celuy d’un bouffon, aussi bien sur le grand théâtre que sur le petit.

Le lendemain, pour clorre le pas à tous ces plaisirs, le Roy et le duc son frere, se promenans au jardin, apperceurent une grande tour enchantée, en laquelle estoient detenues plusieurs belles dames, gardées par des Furies infernales, de laquelle deux geans d’admirable grandeur estoient les portiers, qui ne pouvoient estre vaincus, ny les enchantemens defaits, que par deux grands princes de la plus noble et illustre maison du monde. Lors le Roy et le duc son frère, après s’estre armez secrettement, allerent combattre les deux geans qu’ils vainquirent, et de là entrèrent en la tour, où ils firent quelques autres combats dont ils remporterent aussi la victoire, et mirent fin aux enchantemens ; au moyen de quoy ils délivrerent les dames et les tirèrent de là ; et au mesme temps, la tour artificiellement faite devint tout en feu.


CHAPITRE VII.


Continuation de la haine entre ceux de Guise et l’Admiral. Pourparler de paix avec l’Angleterre, où le sieur de Castelnau est employé de la part du Roy. Voyage du Roy par toute la France pour affermir la paix des provinces. Negociations de la paix d’Angleterre conclue à Troyes. Difficulté terminée pour la prétention des Anglois sur Calais.


Voila comme l’on mesloit avec les affaires de la Cour toutes sortes de plaisirs honnestes ; mais, nonobstant cela, la haine de ceux de Guise contre l’Admiral demeuroit tousjours en leurs cœurs, et ne se pouvoit trouver aucun moyen de les contenter.

Sur ce temps arrivèrent nouvelles d’Angleterre à Smyth, ambassadeur, que la Reyne sa maistresse et tout son conseil estoient du tout disposez à faire la paix avec le Roy : et Smyth en eut tout le pouvoir avec Trokmarton, auquel, parce qu’il n’estoit pas agreable à Leurs Majestez, ils ne vouloient donner audience, et fut resolu au conseil qu’il ne seroit point employé en ce traité. De quoy ayant donné advis à Smyth, avec lequel j’eus quelque conference pour esbaucher les premiers commencemens de cette paix, il me dit qu’il ne pouvoit traiter luy seul, puisque la commission estoit aussi conjointement adressée à Trokmarton.

Ce qu’ayant redit à Leurs Majestez, ils remirent la chose à une autre fois ; et cependant la resolution fut prise, selon que la Reyne mere l’avoit projettée avec les princes du sang et son conseil, de faire le voyage par toutes les provinces du royaume, pour faire voir le Roy à tous ses sujets, leur commander et enjoindre ses volontez comme majeur, et pour appaiser plusieurs divisions qui estoient encore entre les uns et les autres, et establir par tout une bonne paix.

Le Roy partit donc de Fontainebleau, et s’en alla à Sens faire son entrée, et de là à Troyes en Champagne, où l’on resolut, avant que de passer outre, de conclure la paix avec la reyne d’Angleterre ; ce qui ne se pouvoit faire sans envoyer quérir Trokmarton, qui estoit tousjours prisonnier à Sainct-Germain en Laye, et le mettre en liberté. Le Roy donc me commanda de l’envoyer quérir par un gentilhomme et dix archers de ses gardes, feignant que c’estoit pour luy faire compagnie, et donner ordre qu’il fust bien traité et n’eust point de mal par le chemin, dont il fut fort scandalisé, encore qu’il eust des maistres d’hostel du Roy ordonnez pour le deffrayer de toutes choses fort honorablement. Et, comme il estoit fort violent, il ne se put tenir de dire qu’au traitement qu’il avoit reçu l’honneur de sa maistresse estoit fort touché. Estant donc arrivé le lendemain. Leurs Majestez adviserent d’ordonner des commissaires avec ample pouvoir pour traiter avec eux, qui furent les sieurs de Morvillier et Bourdin. La paix ainsi estant mise sur le bureau, en peu de jours fut resolue, et publiée à Troyes le treiziesme jour d’avril, avec grande allegresse de Leurs Majestez et de toute la Cour.

Les plus grandes difficultez qui s’y trouvèrent furent pour le regard des ostages que l’on tenoit en Angleterre pour cinq cens mille escus, au défaut de la restitution de Calais dedans huit ans. Mais le Roy, avec juste raison, suivant la clause du traité de Cambresis touchant Calais, soustenoit que la reyne d’Angleterre estoit entièrement déchue du droit qu’elle pourroit pretendre à Calais, pour avoir la premiere enfreint la paix, envoyant prendre le Havre de Grace, et, si elle eust peu, toute la Normandie, durant la minorité du Roy et le malheur de nos guerres civiles. De sorte que les commissaires insistoient fort, et soustenoient que les gentilshommes françois envovez par le Roy en Angleterre avoient perdu entièrement le nom d’ostages : toutesfois, pour ne s’arrester à peu de chose, Sa Majesté donneroit volontiers six vingt mille escus à la reyne d’Angleterre, si elle vouloit renvover les gentilshommes sans les appeller ostages de part ny d’autre.


CHAPITRE VIII.


Le sieur de Castelnau deputé par le Roy vers la reyne d’Angleterre pour l’exécution de la paix. La reyne d’Angleterre feint des difficultez de l’accepter, et blasme ses ambassadeurs. Solemnité de la publication de la paix, La Reyne fait disner avec elle le sieur de Caslelnau au festin qu’elle fit aux grands de sa Cour. Plainte faite par la reyne d’Angleterre de la conduite de quelques seigneurs de France quelle avoit en ostage. Le sieur de Castelnau l’appaise et obtient leur liberté. Libéralité de la reyne d’Angleterre envers le sieur de Castelnau à son retour. Le Roy, fort content de la négociation du sieur de Castelnau, accepte l’ordre de la Jarretière.


Incontinent après que la paix fut publiée, le Roy me despescha pour aller visiter la Reyne, et luy faire entendre de quelle affection il avoit procédé à l’advancement de cette paix, ensemble luy offrir toute ferme et constante amitié, l’asseurant qu’il oublieroit le passé si elle vouloit proceder sincerement pour l’advenir envers luy. J’avois encore un particulier commandement, que, si je trouvois la reyne d’Angleterre en quelque bonne volonté vers Sa Majesté, de luy dire qu’il sçavoit l’amitié que luy avoit portée le feu roy Henry son père, qui l’avoit grandement désirée pour sa belle-fille ; ce que je fis après avoir traité les affaires de la paix avec le sieur de Foix, qui estoit pour lors ambassadeur, et de la reddition des gentilshommes françois que nous ne voulions point appeller ostages.

Estant donc arrivé, la Reyne aussi-tost me voulut ouir ; et, m’ayant donné une favorable audience, me demanda quelle estoit l’affection du Roy, de la Reyne mere et des François vers elle, et de quelle façon la paix avoit esté reçue et publiée, où je n’oubliay rien à luy représenter au vray. Lors elle me dit qu’elle avoit meurement considéré deux choses ; la première, le désir que Leurs Majestez en France avoient eu et monstré à l’advancement de cette paix, à quoy elle desiroit de correspondre en toutes choses pour sa part, mais que ses ambassadeurs avoient du tout failly en son endroit, pour avoir suivy la generalité de leur commission, et en vertu d’icelle avoir conclu la paix sans luy en donner advis, ny avoir suivy leurs instructions particulieres ; la seconde, qu’elle ne pouvoit consentir que les ostages fussent rendus à autres conditions que celles pour lesquelles ils avoient esté baillez : chose qui luy touchoit tant à l’honneur et reputation, qu’elle ne voyoit pas comment elle pourroit sastifaire à la volonté du Roy mon maistre, qui avoit pris tous les avantages pour luy. Ce qu’ayant deduit avec plusieurs raisons, elle conclut qu’il luy vaudroit mieux demeurer avec la guerre, desavouer ses ambassadeurs et leur faire trancher la teste, pour l’avoir mise, sans l’advertir, en un traicté deshonnorable. A quoy il fut fort amplement respondu par Foix et par moy. Mais tout le discours de la Reyne n’estoit qu’artifice, dont elle estoit pleine, pour nous faire trouver bonne la paix de sa part, qui luy estoit autant ou plus utile qu’à nous.

Enfin, voyant que les discours et repliques de part et d’autre ne servoient plus de rien, elle nous dit, avec un visage fort ouvert, que puis que le Roy et la Reyne desiroient tant son amitié, qu’elle ne la vouloit donc mesurer à aucune chose du monde, et accordoit au Poy le traicté, mais qu’elle feroit bien chastier ses ambassadeurs lors qu’ils seroient de retour. Et en mesme temps elle commanda que l’on fîst publier la paix au chasteau de Windsor, Londres et autres endroits du royaume. Ce qui fut faict le jour de Sainct-Georges 1563[11], sur les onze heures du matin, où la Reyne marcha accompagnée de tous les chevaliers de son Ordre, et grande quantité de seigneurs et noblesse, jusques à la chapelle de Windsor, où elle nous pria de l’accompagner pour voir la publication, qui se fit avec les trompettes, tambours, clairons, haubois, et toutes sortes d’allegresses qu’on pouvoit desirer en tel acte. Après que leur service fut achevé, elle envoya querir Foix et moy pour disner avec elle en la compagnie des chevaliers, et but à la santé du Roy et de la Reyne sa mere, puis nous envoya la coupe où elle avoit bu pour luy faire raison.

Après le disner il fut question de parler des gentilshommes françois, auparavant appeliez ostages, qui estoient Mouy, Nantoüillet, prevost de Paris, Palaiseau et La Ferté, lesquels estoient là pour luy estre presentez par moy, afin d’estre deschargez et mis en pleine liberté. Ce qu’ayant fait, et requis leur délivrance pour les ramener au Roy, la Reyne me tint quelques propos sur la vie, actions et deportemens d’iceux en son royaume, et comme ils s’estoient voulu sauver, bien qu’ils luy fussent obligez de les avoir mis sur leur foy, et comme ils avoient recherché de faire quelques menées, entre lesquelles elle dit que celles de Nantoüillet luy estoient les plus desagréables, parce que, non seulement il s’estoit voulu sauver comme ses compagnons, mais avoit cherché des pratiques inutiles et sans apparence d’aucun effet, pour troubler son Estat, mesme au temps qu’elle luy faisoit le plus de faveur, et qu’il y avoit plus d’esperance de paix que de guerre. Surquoy elle dit que, quand bien elle accorderoit la pleine et entière delivrance de Mouy, Palaiseau et de La Ferté, en faveur du Roy, elle ne devoit nullement consentir à celle de Nantoüillet, mais plustost le mettre en la tour de Londres pour les causes alléguées : alors luy parla fort aigrement sur beaucoup de particularitez, concluant qu’elle ne le pouvoit laisser aller. A quoy je repliquay que ce seroit rompre les bons commencemens de la paix, ou la vouloir attacher S une difficulté de nulle conséquence. Enfin, après luy avoir dit ce qui se pouvoit sur ce sujet, elle consentit à sa liberté comme à celle des autres ; outre lesquels je fis encor delivrer quelques cent cinquante prisonniers françois qui estoient en diverses prisons d’Angleterre, ayans esté pris sur la mer ou autrement.

Ce qu’estant fait, après avoir esté quelques jours traicté avec toute sorte de faveurs et bonnes cheres de la Reyne, qui me fit un present d’une chaisne de trois mille escus, et d’une quantité de chiens et de chevaux du pays, outre ceux qu’elle envoyoit au Roy, je pris congé d’elle après avoir eu toutes mes despesches, et m’en retournay trouver le Roy à Bar-le-Duc, où se fit le baptesme du fils aisné du duc de Lorraine, tenu sur les fonts et nommé Henry par le Roy : et fut aussi parrain le roy d’Espagne, pour lequel le comte de Mansfeld, gouverneur du Luxembourg, le leva sur les fonts, et la mère du duc de Lorraine fut marraine.

Là, je trouvay le Roy et la Reyne sa mere, contens des bonnes responses et nouvelles de la reyne d’Angleterre ; laquelle, pour plus grand temoignage d’amitié, et du désir qu’elle avoit d’entretenir la paix, prioit Sa Majesté de prendre l’ordre de la Jarretière, qu’avoit eu le feu roy Henry son père. Ce qui fut agréable à Sa Majesté, qui s’enquit beaucoup de la reyne d’Angleterre, et comme elle avoit receu cette paix, et en quelle deliberation je l’avois laissée de l’entretenir et garder. Cependant le Roy, poursuivant son voyage, envoyoit plusieurs personnes qualifiées par les provinces, pour l’execution de l’edict de pacification : et fit-on suspendre le parlement de Provence, d’autant qu’il se rendit difficile à l’execution de l’edict.


CHAPITRE IX.


Le cardinal de Lorraine, à son retour du concile de Trente, sollicite chaudement la vengeance de la mort du duc de Guise son frère. Procès fait à Rome contre la reyne de Navarre, et ses Estats mis en interdit, à quoy le Roy s’oppose, et le Pape demeure ferme en son entreprise. Voyage du Roy à Nancy. Le Roy, sollicité de rompre la paix avec les huguenots, le refuse. La publication du concile de Trente refusée par les parlemens de France. Importance du voyage du Roy, et de la necessité qui oblige les roys en France de donner accès à leurs sujets, et de prendre connoissance des affaires de leur Estat.


Le cardinal de Lorraine, nouvellement retourné du concile de Trente, qui ressentoit tousjours une douleur incroyable de la mort du feu duc de Guise son frère, comme faisoient tous les parens, amis et partisans de cette maison, fit nouvelle instance pour en avoir justice. Mais parce que ceux qu’il disoit en estre coupables estoient forts et puissans, et qu’il estoit impossible pour lors de leur donner contentement sur ce poinct sans alterer le repos du royaume, le Roy ne vouloit entrer en cognoissance de cette cause, mais bien donnoit tousjours esperance d’en faire la justice en temps et lieu. Et d’autant que Jeanne d’Albret, reyne de Navarre, avoit tousjours soustenu le party des huguenots, tant auparavant qu’après la mort d’Antoine de Bourbon, roy de Navarre, son mary, l’on luy dressa des poursuites en la cour de Rome, à la requeste des commissaires et deputez par le pape Pie IV, pour luy faire son procès. Ce qui fut fait par sentence donnée contre elle[12] par deffaut et contumace. Et ses pays, terres et seigneuries furent interdites et exposées au premier conquérant, de mesme que le pape Jules II en avoit usé contre feu Jean d’Albret, ayeul paternel d’icelle, qui fut aussi interdit, et chassé de son royaume par Ferdinand, roy d’Arragon, combien que Jean d’Albret fust catholique, excommunié toutesfois, soit qu’il fust affectionné au roy Louis douziesme, qui le fut aussi par le mesme Jules second, ou par autre cognoissance de cause que je laisse libre de juger. Mais le roy Charles neufviesme, resolu pour lors de maintenir la paix en son royaume, embrassa la protection de la reyne de Navarre, comme de sa sujette et proche parente, et envoya vers le Pape pour luy faire entendre le tort que l’on luy faisoit, contre la teneur des traitez et concordats d’entre les papes et les roys de France, premiers deffenseurs du Sainct-Siege apostolique, en priant Sa Saincteté de mettre au neant les deffauts et contumaces, autrement qu’il se pourvoiroit par les voyes et moyens desquels les roys ses prédécesseurs avoient usé en cas semblable. Ce que Sa Majesté fit finalement entendre aux autres princes par ses ambassadeurs ordinaires. Neantmoins le Pape ne voulut aucunement révoquer les procedures par luy faites contre la reyne de Navarre. Son successeur en fit de mesme contre la reyne Elisabeth d’Angleterre, la déclarant aussi incapable de regner. Ce qui a depuis suscité plusieurs à entreprendre contre elle et son Estat, tant en Angleterre qu’Irlande, meus du zele de la religion catholique, ou du pretexte d’icelle.

Mais, pour retourner au voyage du Roy, Leurs Majestez partirent de Bar-le-Duc pour se trouver à Nancy le jour de l’Annonciation de Nostre-Dame 1564, où quelques-uns voulurent dire que l’on commença à traiter d’une saincte ligue, afin d’extirper toutes les heresies de la chrestienté, et de faire cesser en France l’alienation des biens des ecclesiastiques, et faire punir ceux qui avoient esté cause de tant de malheurs en ce royaume, spécialement sur l’Eglise catholique, comme aussi les principaux autheurs de la mort du duc de Guise, entre lesquels ils mettoient le premier l’Admiral de Chastillon, lequel tous les catholiques de la France tenoient pour leur principal ennemy, et celuy qui avoit basty les commencemens de cette guerre civile, et contraint le Roy à l’edict de janvier, et à celuy dernièrement fait au traité de la paix à Orléans ; auquel tous les catholiques et princes voisins et alliez du Roy, mesmement le Pape et le roy d’Espagne, insistoient qu’il ne falloit avoir aucun esgard ; offrant, par leurs ambassadeurs qui arriverent à Nancy, d’aider à Sa Majesté de toutes leurs forces et puissances ; dont le Roy les remercia, et leur respondit qu’il n’estoit pas possible de casser un edict si nouvellement fait pour la pacification des grands troubles et guerres civiles de son royaume.

En mesme temps furent publiez plusieurs livres portans les grands prejudices que pouvoit recevoir la France pour les prerogatives, privileges et concordats que les roys de France avoient de si long-temps avec les papes, qui estoient aneantis par la publication du concile de Trente, sans entrer aux points et termes de la religion ; qui fut cause en partie que les cours de parlement de France refuserent de publier le concile[13], comme le cardinal de Lorraine et tous les ecclesiastiques de France le desiroient, aussi que, par la publication d’iceluy, l’edict de pacification et le repos auquel estoit alors le royaume eust esté du tout alteré.

Et d’autant que le Roy et ses commissaires n’estoient entierement obeys, comme il estoit necessaire pour le bien de la paix, cela fit continuer la deliberation que Leurs Majestez avoient prise d’avancer leur visite par toutes les provinces du royaume, afin d’authoriser les officiers de la justice, et entendre les doleances d’un chacun, faire executer les edicts, et cognoistre la volonté de leurs peuples contre l’opinion en laquelle on nourrissoit les roys de la première lignée, qui ne se monstroient qu’une fois l’année, et à une poignée de peuple seulement, pendant que les maires du palais disposoient des armes, des finances et de tous les estats, offices et benefices ; et par ce moyen gagnoient les cœurs des soldats aux despens de leurs maistres, ausquels ils ravissoient leurs sceptres et couronnes : chose qui est très-dangereuse à un prince, et sur tout à un roy de France, où les princes, la noblesse, les peuples et magistrats, veulent avoir honneste et libre accès à leurs roys, ce qui leur a tousjours apporté et apportera à l’avenir l’amitié conjointe avec l’obeyssance de leurs sujets.


CHAPITRE X.


Belle reception du Roy en Bourgogne. Fruit de ses voyages de Dauphiné et Languedoc. Citadelle bastie à Lyon par la Reyne, à laquelle la maison de Lorraine et le roy d’Espagne taschent de persuader de rompre la paix pour ruiner les heretiques. Interests des particuliers et du roy d’Espagne en cette rupture. Le Roy reçoit l’Ordre d’Angleterre, et va à Roussillon, où il reçoit visite du duc et de la duchesse de Savoye. Edict de Roussillon. Divers remuemens et plaintes reciproques des catholiques et des huguenots. Reglemens politiques en faveur des huguenots.


Donc le Roy partit de Nancy pour aller par la Bourgogne, et premièrement à Dijon, où le duc d’Aumale, gouverneur, et le sieur de Tavannes, lieutenant general au gouvernement de la province, firent ce qu’ils purent pour donner plaisir à Leurs Majestez, soit à courir la bague et autres joustes et tournois, et parties qu’ils firent pour rompre en lice ; et le parlement, la noblesse et les peuples, s’efforcerent aussi d’agreer à Leurs Majestez, lesquelles, après y avoir esté quelque temps, partirent pour aller à Lyon, afin de pourvoir au Dauphiné et Languedoc, y restablir la religion catholique et la messe, qui en avoit esté ostée en plusieurs endroits, et par mesme moyen ordonner certains lieux pour faire les presches, et cependant donner commissions pour faire demanteler quelques villes et chasteaux qui avoient esté les plus seditieux et plus favorables aux huguenots, comme Meaux et Montauban, et faire la justice de plusieurs assassinats commis en beaucoup d’endroits où les magistrats catholiques, remis en leurs estats, avoient bien souvent quelque dent de prendre la revanche des huguenots, qui les avoient maltraitez et chassez de leurs biens : chose qui estoit assez suffisante pour rallumer les feux des guerres civiles ; et n’y avoit que l’authorité du Roy qui y pust remedier.

Cependant la Reyne mere donna ordre incontinent que le Roy fut à Lyon, d’y dresser une bonne et forte citadelle, outre celle qui estoit auparavant. Et combien qu’elle eust un fort grand desir de faire entretenir la paix, comme elle s’y employoit entierement, si est-ce qu’elle se trouvoit fort combattue par les diverses sollicitations que l’on luy faisoit de recommencer la guerre, pour ne laisser prendre plus de pied aux huguenots, et leur oster tout exercice de leur religion, et les moyens de pouvoir jamais reprendre les armes, afin de reduire entièrement tout le royaume à la religion catholique ; à quoy la ligue saincte, de laquelle nous avons parlé cy-dessus, donnoit de grands eschecs. D’autre costé, le duc de Lorraine, qui avoit espousé madame Claude, sœur du Roy, la duchesse de Nemours, mere de plusieurs beaux enfans du feu duc de Guise, le cardinal de Lorraine, les ducs de Guise, d’Aumale, d’Elbœuf, pressoient fort la Reyne mere, pour avoir raison de la mort du feu duc de Guise ; et le roy d’Espagne, mary de la fille aisnée de France, sœur du Roy, de laquelle l’on commença lors à projetter le voyage et entrevue à Bayonne, afin d’y faire une ample conclusion pour la conservation de la religion catholique, luy faisant aussi remonstrer que c’estoit une grande honte que Leurs Majestez fussent contraintes, par une petite poignée de leurs sujets, de capituler, quand il leur plaisoit, à leur dévotion ; que cependant se perdoit ce grand et glorieux nom de Tres-Chrestien roy de France, que ses predecesseurs luy avoient acquis par si longues années, et avec une perpétuelle constance de combattre les heretiques, et maintenir le Sainct Siege apostolique en sa grandeur.

Et là-dessus je ne veux pas dire qu’il n’y eust aussi de l’affection de quelques-uns sur les confiscations, jointes au ressouvenir que l’on avoit de la mort du duc de Guise, à l’ambition et aux interests du roy d’Espagne, qui vouloit oster les moyens au Roy de donner secours aux Pays-Bas, desjà disposez à la revolte et à prendre les armes pour le mesme fait de la religion, comme depuis ce temps-là ils ont continué jusques à cette heure, avec une haine mortelle les uns contre les autres ; mais bien diray-je qu’il se parloit dès-lors de voir un soulèvement universel de tous les catholiques de France pour abolir les huguenots ; que si le Roy et son conseil ne vouloient leur prester faveur, l’on s’en prendroit à luy-mesme, en danger de diminuer son authorité et l’obeyssance de ses sujets. Toutes ces raisons estoient bien fortes pour esmouvoir Leurs Majestez à entrer en la ligue des catholiques ; mais d’autant qu’il estoit perilleux de casser tout à coup l’edict de pacification, il falloit trouver le moyen peu à peu de diminuer l’effet d’iceluy par autres edicts limitez.

Or le Roy, desireux d’achever ce grand voyage par son royaume, après avoir donné ordre en la ville de Lyon et aux affaires plus importantes de la province, et donné favorable audience au milord Honsdon, parent de la reyne d’Angleterre, qui estoit venu pour jurer la paix, et porter à Sa Majesté l’ordre de la Jarretière, avec asseurance de la parfaite amitié que la reyne d’Angleterre promettoit de porter à Leurs Majestez, s’achemina, avec la Reyne sa mere, à Roussillon, maison du comte de Tournon qu’elle tenoit pour son appanage, où le duc et la duchesse de Savoye et de Berry, et tante du Roy, les vinrent visiter, desquels ils furent fort bien reçus. Et comme le duc de Savoye estoit prince fort sage et advisé, il se rendit si agreable à Leurs Majestez, qu’il fut grandement aimé d’elles.

Alors fut faite une deffence fort expresse de ne prescher à dix lieues à la ronde de la Cour, sans avoir esgard à la permission de prescher en certaines villes portées par l’edict, qui fut interprété quand le Roy n’y seroit point. Et par un edict[14] que l’on appella l’edict de Roussillon, il fut deffendu expressement à toutes personnes, de quelque religion, qualité et condition qu’elles fussent, de se molester les uns les autres, ny de rompre et briser les images, ny toucher aux choses sacrées, sur peine de la vie ; et qu’en certains lieux non suspects seroit fait exercice de la religion des huguenots, avec deffence aux magistrats de ne la permettre qu’es lieux spécifiez. Outre ce, fut deffendu aux huguenots de ne faire synodes ny assemblées, sinon en la présence de certaines gens et officiers du Roy, qui seroient tenus d’y assister : qui estoient deux articles de grande importance, pour coupper la voye aux conspirations et monopoles contre le Roy.

Plusieurs de la religion pretendue reformée faisoient diverses plaintes que le cours et exercice de leur religion estoit empesché : aussi les grandes chaleurs de cette année, 1564, correspondoient aux esprits violens qui ne se pouvoient contenir en repos, ains excitoient divers remuemens en plusieurs endroits du royaume, comme au pays du Maine, Anjou, Touraine, Auxerrois, Guyenne ; et venoient de tous costez plaintes des huguenots à la Cour, qu’ils estoient maltraitez, et que l’on ne leur faisoit point de justice ; en quoy le conseil du Roy connivoit de son costé. Aussi d’autre part, plusieurs catholiques et gens d’église se plaignoient que les huguenots les empeschoient de jouir de leurs biens, et les ecclésiastiques et curez de faire les fonctions de leurs charges ; de sorte que chacun recommençoit à se liguer, comme ne se pouvans plus souffrir ; dont je laisseray plusieurs particularitez à ceux qui en ont escript bien amplement.

Le Roy, par le conseil de la Reyne sa mere, voyant l’aigreur qui s’augmentoit nouvellement, meslée avec l’ambition des plus grands qui entretenoit le mal, ordonna aux gouverneurs des provinces, maires et eschevins des villes, de ne rien dire ny faire aux huguenots qui chantoient des psalmes hors des assemblées ; davantage, que l’on ne les forçast au pain benit, ny à tendre devant leurs portes et fenestres le jour de la Feste-Dieu, ny de bailler aux églises pour les pauvres, ou payer les confrairies. Et fut ordonné qu’aux lieux ou il y auroit des huguenots qui ne voudroient tendre devant leur logis, les commissaires et capitaines des quartiers, et autres officiers, eussent à y suppléer.


CHAPITRE XI.


Le sieur de Castelnau Mauvissiere renvoyé en Angleterre proposer le mariage du Roy avec la reyne Elizaheth. Sage response de cette reyne. Les seigneurs anglois souhaitent le duc d’Anjou pour mary de leur reyne. Le sieur de Castelnau passe d’Angleterre en Escosse pour parler du mariage du duc d’Anjou avec la reyne Marie Stuart. Estat florissant de la reyne d’Escosse. Plusieurs princes la recherchent en mariage. Elle advoue que l’interest de grandeur luy feroit preferer le prince Charles d’Espagne au duc d’Anjou.


Voila une partie des occupations qu’avoit la Cour, soit d’entendre les plaintes d’un chacun et y remedier comme l’on pouvoit, au progrès de ce voyage, durant lequel Sa Majesté fit assez long séjour à Valence, puis en Avignon, et de là fut à Marseille. Pendant ce temps-là je retournay en Angleterre, où Leurs Majestez m’envoyèrent derechef après que le sieur de Cosse, qui depuis a esté mareschal de France, fut retourné d’y jurer la paix. Outre la charge que j’avois de visiter la reyne d’Angleterre, avec plusieurs offres de complimens pour entretenir et fortifier tousjours l’amitié, le Roy me donna commission, selon la disposition en laquelle je la trouverois, de luy offrir son service et luy proposer le mariage d’eux deux, afin d’effacer pour jamais ces mots qui estoient entre les François et les Anglois, d’anciens ennemis, et les remettre en parfaite et asseurée amitié par le moyen du mariage.

A quoy la reyne d’Angleterre me fit tous les remerciemens et honnestes responses qu’il estoit possible, estimant cette recherche à très-grand honneur et faveur d’un si grand et puissant Roy, auquel et à la Reyne sa mere elle se sentoit infiniment obligée. Mais y trouvoit une difficulté, à sçavoir que le roy Très-Chrestien son bon frère (ce sont ses paroles) estoit trop grand et trop petit : et se voulut interpreter, disant que Sa Majesté avoit un grand et puissant royaume, qu’il n’en voudroit jamais partir pour passer la mer et demeurer en Angleterre, où les sujets veulent tousjours avoir leurs roys et leurs reynes, s’il est possible, avec eux. Pour l’autre poinct, d’estre trop petit. Sa Majesté estoit jeune, et elle desjà âgée de trente ans, s’appellant vieille, chose qu’elle a tousjours dit depuis que je l’ay cognue, et dès son advenement à la couronne, encore qu’il n’y eust dame en sa Cour qui eust aucun avantage sur elle pour les bonnes qualitez du corps et de l’esprit. Et après infinis remerciemens, elle dit que le Roy et la Reyne sa mère y penseroient avec meure délibération ; cependant qu’ils fissent estat qu’elle prenoit cet honneur en très-bonne part.

Et comme j’estois très-bien vu et traité de tous les premiers et principaux seigneurs de sa Cour, quelques-uns me dirent, en confirmant la bonne volonté que leur reyne portoit au Roy, à la Reyne sa mere et à la France, que le mariage ne seroit pas si propre ny commode de Sa Majesté que du duc d’Anjou, à présent régnant, parce qu’il pourroit, avec moins de difficulté, passer la mer et demeurer en Angleterre, que non pas le Roy qui estoit couronné et sacré, et que les François auroient aussi peu de volonté de le laisser passer en Angleterre, que les Anglois leur reyne en France. Parquoy il leur sembloit que le mariage de monseigneur d’Anjou seroit plus propre que l’autre, et par ce moyen, autant que par celuy du Roy, seroit jointe et unie l’Angleterre avec la France.

Ce que j’escrivis à Leurs Majestez partant pour aller vers la reyne d’Escosse, que j’avois aussi charge de visiter et luy reconfirmer l’amitié de Leurs Majestez, sçavoir si elle auroit besoin de leur assistance, comme aussi sentir si elle auroit agreable le mariage du duc d’Anjou, frère du Roy, ayant si peu esté avec le feu roy François ; désirant Sa Majesté de maintenir tousjours par une bonne alliance la ferme et constante amitié qui avoit tousjours esté avec l’Escosse depuis huit cens ans.

Estant donc arrivé en Escosse, je trouvay cette princesse en la fleur de son âge, estimée et adorée de ses sujets, et recherchée de tous ses voisins ; en sorte qu’il n’y avoit grande fortune et alliance qu’elle ne pust espérer, tant pour estre parente et heritiere de la reyne d’Angleterre, que pour estre douée d’autres grâces et plus grandes perfections de beauté que princesse de son temps. Et parce que j’avois l’honneur d’estre fort cognu d’elle, tant pour avoir esté nostre reyne que pour avoir particulièrement esté de ses serviteurs en France, et l’avoir accompagnée en son royaume d’Escosse, où je retournay le premier pour la visiter de la part du Roy, et lui porter nouvelles de ceux de Guise, ses parens, j’avois plus d’accès à Sa Majesté qu’un autre qui lui eust esté moins cognu et familier.

Donc si je fus bien reçu de la reyne d’Angleterre, je ne le fus pas moins en Escosse, recevant beaucoup d’honneur et faveur de cette princesse, laquelle après m’avoir tesmoigné estre bien aise de ce mien voyage par devers elle, pour me commettre plusieurs choses dont elle vouloit faire part à Leurs Majestez en France, comme à ses plus chers amis, elle me dit les recherches que luy faisoient plusieurs princes, comme l’archiduc Charles, frere de l’Empereur, quelques princes de la Germanie, le duc de Ferrare : et encore quelques-uns de ses sujets luy avoient voulu mettre en avant le prince de Condé, qui estoit pour lors veuf, afin d’unir la maison de Bourbon en meilleure amitié et intelligence avec la maison de Lorraine qu’elle n’avoit esté jusques alors. Elle me parla aussi d’un autre party duquel l’on luy avoit ouvert quelques propos, plus grand que tous ceux-là, qui estoit de don Charles, fils du roy Philippe et prince d’Espagne, lequel estoit en quelques termes d’être envoyé par son père au Pays-Bas.

Et quand je luy parlay de retourner en France par l’alliance du duc d’Anjou, frère du Roy, elle me respondit qu’à la vérité tous les pays et royaumes du monde ne luy touchoient au cœur tant comme la France, où elle avoit eu toute sa nourriture et l’honneur d’en porter la couronne ; mais qu’elle ne sçavoit que dire pour y retourner avec une moindre occasion, et peut-estre en danger de perdre son royaume d’Escosse, qui avoit esté auparavant bien esbranlé et ses sujets divisez par son absence ; et que, grandeur pour grandeur, si le prince d’Espagne, qui pouvoit estre asseuré, s’il vivoit, d’avoir tous les Estats de son pere, passoit en Flandre et continuoit en son dessein, elle ne sçavoit pas ce qu’elle feroit pour ce regard, rien toutesfois sans le bon conseil et consentement du Roy son bon frère, et de la Reyne sa belle-mère.


CHAPITRE XII.


La reyne d’Angleterre, par raison d’Estat, apprehende l’alliance de Marie Stuart avec quelque prince puissant. Elle moyenne adroitement son mariage avec Henry Stuart, seigneur d’Arlay, sous des prétextes forts spécieux. Raison de la pretention de Henry sur la couronne d’Angleterre. Les principaux seigneurs d’Escosse pratiquez pour faire reussir ce mariage. Leurs raisons pour y faire consentir leur reyne. Le seigneur d’Arlay tasche de gagner le sieur de Castelnau, qui ny avoit pas d’inclination. La ryne d’Escosse le prie d’en escrire en France, où le mariage fut approuvé par politique. Elle l’engage d’aller exprès devers le roy Charles IX. La reyne d’Angleterre fait mine d’improuver ce mariage.


Mais toutes ces alliances plaisoient aussi peu à la reyne d’Angleterre les unes que les autres ; car elle ne pensoit jamais avoir espine au pied qui luy fust plus poignante qu’une grande alliance estrangere avec cette reyne, craignant par ce moyen qu’elle ne luy mist un mauvais voisin en son pays, si proche d’Escosse qu’il n’y a rien qui empesche le passage qu’une petite rivière, comme je crois avoir dit cy-devant, qui se passe presque à gué de tous costez, sur laquelle est assise la ville de Warwik, qui a esté depuis quelque temps fortifiée.

Ce que prévoyant dès-lors la reyne d’Angleterre, jetta les yeux sur un jeune seigneur de son royaume, pour en faire un présent à la reyne d’Escosse, lequel estoit fils du comte de Lenox, appellé Henry Stuart, milord d’Arlay[15], que la comtesse sa mère[16], qui estoit du sang royal d’Angleterre, avoit fait nourrir fort curieusement, luy ayant fait apprendre dès sa jeunesse à jouer du luth, à danser, et autres honnestes exercices. La reyne d’Angleterre trouva donc moyen de faire persuader par de grandes considerations à la reyne d’Escosse, qu’il n’y avoit point de mariage en la chrestienté qui luy apportast tant de bien asseuré et d’entrée au royaume d’Angleterre, dont elle pretendoit d’estre héritiere, que celuy du milord d’Arlay, afin de fortifier le droit de l’un et de l’autre, estans conjoints par mariage avec le bon consentement de la reyne d’Angleterre et de tous les deux royaumes, comme les plus sages Anglois et Escossois estimoient être le bien de tous, et par mesme moyen oster beaucoup de doutes qui pourroient, avec le temps, troubler ces deux Estats si voisins et en une mesme isle, tant pour n’estre point née la reyne d’Escosse en Angleterre, que pour ce que le milord d’Arlay y estoit né, nourry et élevé.

Car le roy Henry huitiesme avoit voulu faire une loy, par acte de son parlement, pour frustrer sa sœur aisnëe mariée en Escosse, et ses heritiers, que ceux qui estoient nez hors du royaume d’Angleterre n’en pourroient heriter. Mais, comme telle loy n’estoit pas juste, aussi n’a-t-elle esté approuvée par le parlement, car c’estoit aller contre la nature, de faire une loy au peril et dommage de ses plus proches héritiers, pour en avancer d’autres en degré plus éloigné, comme il entendoit faire en faveur de sa sœur puisnée, mariée premierement en France au roy Louis douziesme, et, après estre retournée en Angleterre, à Charles Brandon, qui fut fait duc de Suffolk, fort aimé du roy Henry huitiesme, ainsi que j’ay dit cy-devant : dequoy l’on s’est souvent voulu aider contre la reyne d’Escosse durant sa prison ; laquelle m’a donné charge depuis de deffendre la justice de sa cause es parlemens qui se sont tenus durant ma legation, où à la fin il n’a point esté touché jusques à present ; mais plustost m’a asseuré la reyne d’Angleterre, par diverses fois, qu’elle ne luy feroit point de tort à la succession de son royaume après elle, si elle y avoit le meilleur droit.

Mais pour ne m’esloigner de cette pratique, d’envoyer le milord d’Arlay en Escosse, cela fut d’autant plus chaudement executé, que la chose fut délibérée et approuvée de ceux en qui la reyne d’Escosse avoit plus de creance ; car le comte de Muray, frere bastard de la Reyne, qui manioit toutes les affaires de ce royaume, avec le sieur de Ledinton, secrétaire d’Estat, et leurs partisans, avoient esté gagnez pour persuader à leur maistresse, non-seulement de bien recevoir ce milord, et le remettre es biens de son père, mais aussi d’entendre à ce mariage, qui luy seroit plus utile que nul autre pour parvenir à la couronne d’Angleterre ; et quand bien elle voudroit derechef se marier en France ou en Espagne, ce seroit avec tant de despenses et de difficultez, que le royaume d’Escosse ne seroit bastant pour y fournir ; et aussi que ce seroit apporter une grande jalousie à la reyne d’Angleterre, laquelle n’en prendroit point du milord d’Arlay, qui estoit son sujet, et de son sang comme la reyne d’Escosse ; laquelle je trouvay une autre fois que je la fus revoir ainsi que l’on luy faisoit tous ces discours, et que le milord d’Arlay arriva en Escosse avec peu ou point de moyens, lequel me rechercha tant qu’il put pour luy estre favorable en ses amours, vu l’accès que j’avois de longue main auprès de cette princesse, qui me faisoit l’honneur de ne me rien celer de ce qui luy estoit proposé pour son mariage, mes audiences durant depuis le matin jusques au soir.

Ce n’estoit pas toutesfois mon intention de la porter de ce costé, bien que je recognusse que cette pratique alloit si avant qu’il eust esté fort difficile de l’en divertir, soit qu’elle y eust esté poussée, comme aucuns ont voulu dire, par des enchantemens artificiels ou naturels, ou par les continuelles sollicitations des comtes de Muray et du secrétaire Ledinton, et autres de cette faction, qui ne perdoient pas une heure de temps pour avancer ce mariage.

De façon que la reyne d’Escosse, m’en demandant un jour mon opinion, me déclara fort particulierement les raisons qui la pourroient mouvoir à le faire, avec le consentement du Roy et de la Reyne sa belle-mere, s’ils le treuvoient bon et luy conseilloient, et non autrement ; me priant de recevoir cette charge de leur représenter le tout comme si elle y envoyoit exprès ; ce qu’elle ne pourroit faite par personne en qui elle eust plus de fiance. Sur cela je depeschay en toute diligence un courier à Leurs Majestez, leur escrivant amplement le traité de ce mariage, qui s’avançoit tous les jours de telle façon, que mal aisement la reyne d’Escosse eust pu dès-lors s’en retirer. Quoy entendans, Leurs Majestez me remandèrent aussi-tost que, puisque les choses estoient en ces termes pour cette alliance, elles ne l’auroient pas desagreable, ains la trouveroient beaucoup meilleure que celle de l’archiduc d’Austriche, du prince d’Espagne, ou de quelqu’autre prince que ce fust, au cas que Dieu n’eust ordonné qu’elle se pust faire avec le duc d’Anjou, et qu’à la vérité ils estoient fort proches : et ce que Leurs Majestez m’en avoient commandé, estoit plustost pour la grande amitié qu’elles portoient à la reyne d’Escosse, qui avoit esté nourrie avec eux, que pour grande nécessité qu’il y eust, et qu’ils estimoient qu’avec l’alliance de ce jeune seigneur d’Arlay elle se maintiendroit en parfaite amitié, et son royaume d’Escosse, avec la France.

Ainsi donc estant remis en moy d’user discrettement de ce que m’en escrivoient Leurs Majestez, pour laisser plustost aller avant ce mariage que de le rompre ou empescher, il ne faut pas demander si je fus bien reçu de ces deux amans, puis que j’avois dequoy contenter leurs affections, et ausquelles je ren dois plustost de bons que de mauvais offices : neantmoins la reyne d’Escosse me protesta souvent n’avoir point de plus grande passion qu’au bien de son Estat, et à vouloir le conseil de ces amis, entre lesquels elle mettoit le Roy et la Reyne sa belle-mere, pour les plus certains et assurez. Et lors me pria qu’elle me pust commettre toute la charge quelle pourroit donner à qui que ce fust vers Leurs Majestez, voire mesme ce qu’elle leur pourroit dire de bouche, si elle les voyoit, touchant ce mariage, et autres choses de son Estat et de son affection envers elles et la couronne de France, qui luy estoit aussi chere que la sienne. Après donc l’avoir asseurée que Leurs Majestez trouveroient bon tout ce qui luy seroit agreable pour ce mariage, elle voulut en avoir derechef par moy leur libre et entier consentement, et pour ce fait me pria de faire diligence, et de luy mander, comme je luy avois promis, ou porter la response. Or, combien a esté commode et utile ce mariage à l’un et l’autre, les effets l’ont tesmoigné depuis.

Estant licencié avec tout contentement de la Reyne et de ce nouvel amant, je trouvay par le chemin, m’en retournant, la reyne d’Angleterre qui alloit visiter une partie de son royaume, laquelle ne monstroit pas la joye et plaisir qu’elle en avoit en son cœur d’entendre que ce mariage s’avançoit, ains au contraire faisoit semblant de ne l’approuver pas : ce qui l’advança plustost que d’y apporter retardement.


CHAPITRE XIII.


Le sieur de Castelnau renvoyé par le Roy en Angleterre pour le mariage du duc d’Anjou, ou pour favoriser celuy du comte de Leicester avec la reyne Elizabeth. Elle reçoit ses propositions avec grande satisfaction, et se loue de sa conduite en tous ses emplois auprès d’elle. Sa response. Elle feint tousjours de ne point approuver le mariage de Marie Stuart, que le sieur de Castelnau trouve fait a son retour en Escosse. Le roy et la reyne d’Escosse renouvellent l’alliance avec la France. Le roy d’Escosse fait chevalier de l’ordre de Sainct Michel. Ils se brouillent avec la reyne d’Angleterre. Le sieur de Castelnau employé par le Roy pour leur reconciliation. Esprit altier de Marie Stuart. Malheureux succès de son mariage. Il met les deux reynes d’accord. Jalousie entre le roy et la reyne d’Escosse, cause de nouveaux troubles. Ingratitude du Roy, qui fait tuer le secrétaire de la Reyne. Mort tragique du Roy. La Reyne est chassée et se retire en Angleterre. Raison d’Elizabeth pour l’arrester prisonniere. Son courage dans sa prison. Le roy Jacques, son fils, au pouvoir de ses sujets.


Or, estant arrivé à Valence où estoient Leurs Majestez, après avoir rendu compte de mon voyage, je fus renvoyé aussi-tost vers ces deux princesses, pour remettre le propos en avant avec la reyne d’Angleterre, du Roy ou duc d’Anjou son frère, lequel seroit tousjours prest à luy offrir son service pour respondre aux effets de son affection, si elle le trouvoit plus à propos pour son contentement et le bien de son Estat. Mais j’avois aussi charge de Leurs Majestez que, si je trouvois la reyne d’Angleterre disposée, comme l’on disoit, d’espouser le milord Robert Dudley, qu’elle avoit fait comte de Leicester, et advancé pour sa vertu et ses mérites, comme estant des plus accomplis gentils-hommes d’Angleterre, et qui estoit aimé et honoré d’un chascun, et que son affection fust de ce costé là, comme estoit celle de la reyne d’Escosse au milord d’Arlay, je fisse tout d’une main au nom de Leurs Majestez tout ce qu’il me seroit possible pour avancer ces deux mariages.

Estant arrivé en Angleterre, la Reyne me tesmoigna derechef qu’elle prenoit à grand honneur et faveur ce soin que Leurs Majestez avoient d’elle, tant pour luy offrir un si grand party et alliance du Roy ou du duc d’Anjou son frère, que favoriser l’affection qu’elle portoit à un sien sujet, duquel elle me parla, pour estre le plus vertueux et accompli seigneur qu’elle cogneut jamais. Puis elle me dit que de son naturel elle avoit peu d’inclination à se marier, sinon pour acquiescer a la prière et requeste de ses sujets ; adjoustant que, si le comte de Leicester estoit prince et issu de tige royale, elle consentiroit volontiers à ce party pour l’amitié que toute l’Angleterre luy portoit, mais qu’elle prioit le Roy, mon maistre, de croire que jamais elle n’espouseroit son sujet, ny le feroit son compagnon. Enfin elle fit mille remerciemens au Roy, à la Reyne sa mere, et au duc d’Anjou, de l’affection qu’ils luy portoient, laquelle elle les prioit de luy continuer ; et me remercia fort souvent de la peine que j’avois prise de la retourner voir, et des bons offices que j’avois faits, tant en l’avancement de la paix qu’à bastir cette grande et particulière amitié, qui se nourrissoit et augmentoit tous les jours entre la Reyne, mere du Roy, et elle ; lesquelles, à la vérité, j’avois trouvé auparavant en assez mauvaise intelligence, par quelques sinistres rapports que l’on faisoit de l’une à l’autre. Chose qui est fort dangereuse en matiere d’Estat, d’animer les grands les uns contre les autres, soit que l’on les veuille flatter ou les mettre mal ensemble : ce qui n’apporte que dommage à eux et leurs Estats, et qui tourne bien souvent à la confusion de ceux qui procurent et font ces mauvais offices.

Donc, n’ayant fait que demi voyage, je proposay à la reyne d’Angleterre la charge que j’avois du Roy mon maistre, et de la Reyne sa mere, de passer jusques en Escosse pour aller voir la Reyne, tant pour leur rapporter de ses nouvelles que pour luy faire part de leur bon conseil et advis sur ce en quoy elle en pourroit avoir besoin ; mais je trouvai la reyne d’Angleterre plus froide envers la reyne d’Escosse qu’auparavant, comme se plaignant d’elle de luy avoir soustrait un sien parent et sujet, et de le vouloir espouser contre son gré. Discours bien esloigné de son cœur, comme j’ay dit cy-devant ; car elle faisoit tous ses efforts et n’espargnoit rien pour avancer le mariage, que je trouvay fait et consommé quand j’arrivay en Escosse : et par ainsi j’eus plustost à me conjouir du succès des nopces que d’y donner consentement pour Leurs Majestez, ausquelles les deux mariez tesmoignoient estre fort obligez du soin qu’elles avoient d’eux, promettant de vouloir confirmer les alliances plus grandes et fortes qu’elles n’avoient jamais esté entre ces deux royaumes.

Ce qui fut effectué par ce jeune Roy, qui fut, quelque temps après, fait chevalier de l’ordre de France, et visité et honoré de quelques présens. La reyne d’Escosse estant devenue grosse, la reyne d’Angleterre augmenta ses mescontentemens à cause de ce mariage ; ainsi, l’altération croissant entre ces princesses, elles font estet de se faire la guerre. Lors la reyne d’Escosse a recours à l’alliance de France, pour avoir aide et secours d’hommes, de munitions de guerre et d’argent, et presse violemment pour les avoir : ce qui estonne fort Leurs Majestez et le conseil, qui ne faisoit que sortir de la guerre civile (laquelle avoit esté si cruelle en France), et de faire la paix avec la reyne d’Angleterre, qui n’eust pas failly, secourant la reyne d’Escosse, de rentrer en mauvais mesnage avec nous, et par ce moyen l’on eust renversé tout le bon commencement d’establir quelque repos en France.

Surquoy fut advisé de me despescher de nouveau vers les reynes d’Angleterre et d’Escosse, avec lettres, pouvoir et instructions, pour les inciter à demeurer bonnes sœurs et amies, en l’amitié desquelles le Roy, la Reyne sa mère, ne desiroient rien plus que de se lier et conjoindre fermement, avec remonstrances particulières à la reyne d’Escosse et à ses sujets, de se garder bien d’entrer en guerre civile, qui est la ruine et destruction de tous Estats, et mesme de se mettre en mauvaise intelligence avec la reyne d’Angleterre ; que c’estoit le meilleur conseil et secours que Leurs Majestez et tout le conseil de France, tant de la part de l’une que de l’autre religion, luy pouvoient donner. Mais cette jeune princesse, qui avoit un esprit grand et inquieté, comme celui du feu cardinal de Lorraine, son oncle, ausquels ont succédé la pluspart des choses contraires à leurs deliberations, ne pouvoit s’accommoder avec la reyne d’Angleterre, qui estoit plus puissante qu’elle. Ainsi ce mariage et ces grandes amours, que nous pensions estre utiles pour maintenir l’Escosse en paix et destourner grande alliance de ce costé-là, ne produisoient autre chose qu’une nouvelle guerre, non seulement entre l’Escosse et l’Angleterre, mais encore une grande division entre les nouveaux mariez, comme il s’est veu depuis en toute leur vie, leur histoire estant fort tragique.

Cependant j’usay de tous moyens possibles pour esteindre le feu de cette guerre, qui commençoit de s’allumer en Escosse, dont les flammes fussent volées jusques en France : et, par l’intervention du Roy et de la Reyne sa mere, je les mis d’accord ; mais, bientost après cette paix generale, une autre guerre particuliere survint entre ces nouveaux mariez, à l’occasion des jalousies qui se mirent entr’eux, si grandes, que ce jeune roy d’Escosse, ingrat de l’honneur que luy avoit fait cette belle princesse, veufve d’un si grand roy, de l’avoir espousé en secondes nopces, suscité par le comte de Morthon, milord de Reven, et autres Escossois, lui tua honteusement en sa présence un sien secretaire appellé David Riccie, piedmontois, auquel, à la verité, elle avoit donné beaucoup de crédit et d’authorité sur toutes les affaires d’Escosse, dont, pour luy rendre compte, il ne pouvoit qu’il ne se tinst près d’elle, et le plus souvent en son cabinet, où il fut massacré cruellement de plusieurs coups, tant que le sang en tomba sur la Reyne : spectacle estrange, et assez souvent pratiqué par les Escossois, quand ils se mettent quelque chose de sinistre en l’esprit.

Cela fait, ils prirent leur Reyne prisonnière, laquelle leur eschappa, grosse du prince d’Escosse son fils, qui est aujourd’huy. Et lors se recommença nouvelle guerre, où je fus encore renvoyé pour y trouver remede : ce que les autheurs de ce meurtre eussent bien desiré, mais la reyne d’Escosse ayant eu le pouvoir et l’occasion de les chasser de son pays, ils s’allerent refugier en Angleterre, où ils furent reçus et maintenus, jusques à ce que le temps, qui porte tousjours avec soy vicissitude, les remena en Escosse avec nouvelles guerres ; lesquelles, avec la mort tragique de ce nouveau mary, qui fut emporté d’un caque ou deux de poudre estant couché au lit de sa femme, en ont enfin chassé la Reyne, qui aima mieux se réfugier entre les mains et en la puissance de la reyne d’Angleterre, où elle est encore aujourd’huy, que de plus se remettre en celle de ses sujets.

Et lors la reyne d’Angleterre, estant suppliée par la reyne d’Escosse de la recevoir comme sa cousine, et luy user d’hospitalité, envoya au-devant d’elle à la frontière, comme elle m’a dit, en intention de la traiter favorablement ; maisqu’aussi-tost elle cognut qu’elle faisoit des pratiques par tout le pays du Nort, pour luy troubler son Estat. Parquoy elle fut contrainte de la mettre prisonnière, où elle est encore, sans pouvoir trouver moyen d’en sortir, qu’à l’instant il ne survienne quelques nouvelles difficultez, lesquelles ont pour la pluspart passé par mes mains, comme l’occasion s’est présentée d’y estre employé, et le plus souvent deffendre l’honneur et la vie de la reyne d’Escosse, que l’on vouloit priver pour jamais de toutes ses pretentions à la couronne d’Angleterre. Ce qu’elle me disoit et escrivoit ordinairement luy importer plus que sa propre vie, qu’elle n’estimoit plus que pour conserver le royaume d’Angleterre au prince d’Escosse son fils ; lequel je laisseray en son royaume, nourry et prisonnier entre les mains de ses sujets, et la Reyne sa mere en Angleterre, pour retourner aux affaires de France, en laquelle se brassoit un renouvellement de la guerre civile, par les pratiques de ceux que j’ay nommés cy-devant.

  1. Le septiesme jour de mars 1562. L’ëdit d’Amboise fut publié le 19 mars 1563.
  2. Sans pardonner aux sepulchres des roys. Les protestans détruisirent à Cléry le tombeau de Louis XI. et brûlèrent son corps.
  3. Du Gay. Il faut lire du Quay.
  4. Richelieu. François du Plessis, surnommé le Sage. Il fut grand-oncle du cardinal de Richelieu.
  5. Manere, lisez Manners.
  6. Leton, lisez Leigton.
  7. La reyne mère étoit tombée. Cet accident arriva peu de jours après la déclaration de la majorité de Charles IX au parlement de Rouen. Catherine étoit partie de Gaillon pour aller à Vernon : elle fit d’abord peu d’attention à cette chute, mais les suites en turent inquiétantes. « Le temps, écrivoit Charles IX, luy a faict cognoistre et sentir que le coup étoit plus grand et plus fascheux, car il a fallu la saigner et inciser la teste, dont elle a porté grande douleur, et moy mu extresme desplaisir, comme vous pouvez penser. »
  8. Adviser sur l’exécution des articles du concile de Trente. Le chancelier de L’Hôpital mit la plus grande opposition à l’acceptation du concile de Trente. Il chargea l’avocat Dumoulin, d’abord calviniste, puis luthérien, d’écrire sur ce sujet ; et, au mois de février 1564, Dumoulin fit paroitre une espèce de consultation qui n’est qu’une déclamation violente contre la puissance des papes.
  9. En ce mesme temps, Anne d’Est. Voyez le supplément du chapitre 10 du livre IV.
  10. De déistes et trinitistes. Castelnau parle ici de la secte des sociniens, dont le chef, Lelio Socin, étoit mort à Zurich en 1562.
  11. Mil cinq cent soixante et trois. Suivant la nouvelle manière de rompter, 1564.
  12. Par sentence donnée contre elle. La bulle de Pie IV est du mois de septembre 1563. Elle a la forme d’un monitoire ; on y remarque ces expressions : Ita quod in casu contraventionis, quod Deus avertat et contumaciæ, regnum, principatus et alla cujuscunque status et dominia hujusce modi, dentur et dari possint cuilibet illa occupanti, vel illi aut illis quibus Sanctitati Suæ et successoribus suis dare et concedere magis placuerit.
  13. Refusèrent de publier le concile, « Ce n’est pas, observe Le Laboureur, qu’on n’y souscrivit d’affection à tous les decrets concernant la religion ; mais, comme la France avoit reçu atteinte en ses priviléges ecclésiastiques, qui est une chose de faict, dont on ne juge point par le droit ni par l’équité, mais par l’usage, elle craignoit de se faire tort de s’y soumettre par une acceptation publique. »
  14. Et par un édict. L’édit de Roussillon, publié le 4 aout, restreignit l’exercice du culte protestant dans les châteaux des seigneurs ; il défendit les levées de deniers, de quelque nature qu’ils fussent, sous peine de punitions corporelles ; enfin il ordonna aux prêtres, religieux et religieuses, qui s’étoient mariés, de vivre dans le célibat ou de sortir du royaume.
  15. D’Arlay, lisez Darnley.
  16. La comtesse sa mère. Marie Lenox, fille de Marguerite, sœur de Henri VIII.