Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 216-294).


LIVRE QUATRIESME


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CHAPITRE PREMIER.


Retour de la Cour à Paris. Le comte Rhingrave et le sieur de Castelnau Mauvissière marchent pour le siège du Havre. Belle escarmouche entre les reistres et les Anglais près de Graville. Misérable estat de la Normandie.


Or, mon fils, la ville de Rouen estant prise, le roy de Navarre mort, et le Connestable, qui commandoit à l’armée, ayant donné ordre d’y laisser des garnisons, remparer les bresches et murailles rompues, et remis les catholiques et ceux du parlement en leurs sièges et maisons, la Cour et le camp s’acheminerent vers Paris, tant pour conserver cette ville que pour donner ordre à toutes les affaires du royaume.

Le comte Rhingrave[1] se voulant loger à Graville, devant le Havre-de-Grace, ville qui estoit bien munie d’artillerie, il en sortit six ou sept mille Anglois et deux cens chevaux à la portée et faveur de ladicte artillerie, cherchans les avantages, comme s’ils eussent voulu donner une bataille ; ce que voyant ledict comte Rhingrave, et que desjà il estoit fort advancé pour se loger, n’y ayant plus moyen de se retirer, fit attaquer l’escarmouche, qui de part et d’autre s’eschauffa et se fit de telle sorte, qu’il ne s’en est point veu de plus grande de nostre temps. Je vis lors les lanskenets, aussi bien que les François, faire tout ce qui estoit possible, non en une escarmouche, mais en un grand combat, auquel le comte Rhingrave se trouva si empesché, qu’il commanda aussi-tost de faire venir ses reistres, lesquels se meslèrent courageusement parmy les Anglois qui estoient à la porte de la ville, de laquelle l’artillerie incommodoit fort nos gens. Bassompierre[2], lieutenant-colonel des lanskenets dudit comte, entr’autres, y fut blessé et pris prisonnier avec plusieurs François.

Ledit comte s’estant retiré et logé près de la ville, commença de resserrer les Anglois de plus près, qui faisoient neantmoins tous les jours quelques sorties ; comme aussi de nostre costé se faisoient nouvelles entreprises, et en conservant la Normandie des Anglois, elle estoit doublement travaillée par les reistres et lanskenets, qui ruynoient le pays et desesperoient un chacun, tant la noblesse que le tiers estat, dont la plus grande partie estoient contraincts d’abandonner leurs maisons.


CHAPITRE II.


Chaalon et Mascon repris par le sieur de Tavannes sur les huguenots. Grands desordres en Provence et Dauphiné à cause du massacre de Cabrieres et de Merindol. Grande guerre en Provence entre le comte de Tende, huguenot, et le comte de Sommerive son fils, chef du party catholique. Exploits du baron des Adrets contre le comte de Suze. Cruauté du baron des Adrets. Arrest du parlement contre les huguenots d’Orléans, qui declaroit le prince de Condé estre prisonnier entre leurs mains. Le conseiller Sapin et l’abbé de Gastines pendus par represailles à Orléans. Leur mort vengée. Sentiment du sieur de Castelnau sur toutes les violences de part et d’autre, et sur l’inutilité de tant de secours estrangers entretenus par le Roy à la ruyne de son royaume. Dangereuses intelligences des huguenots avec les Anglois et les princes d’Allemagne. Deux services importuns rendus au Roy en Angleterre contre le party huguenot, par le sieur de Castelnau Mauvisière. Le Roy escrit aux princes d’Allemagne pour empescher une levée de reistres par le sieur d’Andelot. Manifeste du prince de Condé contre l’arrest rendu par le parlement de Paris contre les huguenots.


En ce mesme tems la guerre se faisoit par tous les endroits de la France : Tavannes, lieutenant pour le Roy en Bourgogne en l’absence du duc d’Aumale, reprit sur les huguenots Chaalon et Mascon, que Montbrun tenoit, lequel, se défiant de ses forces, se retira une nuit auparavant que Tavannes fust arrivé, et mena ses soldats en la ville de Lyon, que tenoient les huguenots, tellement que la Bourgogne en demeura exempte.

Mais en Provence et Dauphiné il se fit de grands meurtres, tant des catholiques que des huguenots ; car, outre l’animosité qui estoit entr’eux, ces peuples-là sont farouches et belliqueux de leur nation, et des premiers qui s’estoient despartis, il y a trois cens ans, de l’église catholique romaine, sous le nom de Vaudois, lesquels on disoit alors estre sorciers ; mais il se trouva qu’ils estoient plustost huguenots. Depuis, le baron de La Garde avec le sieur de Cepede[3], premier président de Provence, l’an 1555[4], mena quelques soldats à Cabrières, Merindol et autres villages, qui en firent mourir quelques-uns, dont les huguenots d’Allemagne et les cantons des Suisses firent plainte au roy Henry ii ; et, à cette cause, ledict président et tout le parlement de Provence fut suspendu, jusques à ce qu’il se fust justifié, et la cause renvoyée au parlement de Paris pour en cognoistre.

Cela fut cause de faire multiplier les huguenots sous les roys Henry et François ii ; mais, après les meurtres de Vassy et de Sens, les catholiques se licencièrent un peu plus sur les huguenots de Provence, où il en fut tué en divers lieux. Combien que le baron de Cursol, depuis fait duc d’Uzès, chevalier d’honneur de la Ixeyne, mère du Roy, tenant le party des huguenots et de leur religion, eust aucunement reprimé les séditions, si est-ce que, comme il fut party du pays, les catholiques reprirent les armes sous la conduite de Sommerive[5], fils aisné du comte de Tende, lequel prit les armes contre son père, gouverneur de Provence, qui favorisoit et tenoit le party des huguenots ; lesquels s’assemblèrent sous la conduite de Mouvans, et prirent la ville de Cisteron, ayans auparavant pris celle d’Orange ; où Sommerive, comme l’on disoit, fut persuadé par le vice-legat d’Avignon, neveu du Pape, de s’acheminer, voyant que ladite ville d’Orange estoit grande et malaisée à garder, et qu’elle seroit plus facile à prendre, comme elle fut, y ayant esté tué grand nombre des huguenots par les catholiques, qui se voulurent venger des injures, pilleries et dommages qu’ils avoient receu d’eux, et en jettèrent quelques-uns par les fenestres, et pendirent les autres par les pieds.

Peu de temps après, le comte de Suze, qui s’estoit joinct avec Sommerive en Provence, reprit Pierre-Latte et Mornas au comté Venaissin : ce qui estonna fort les huguenots de ce pays-là, qui voyoient le traitement fait à la ville d’Orange, laquelle pensoit estre exempte de l’obéissance du Roy et du Pape. Lors le baron des Adrets, qui avoit esté capitaine en Piedmont avec le mareschal de Brissac, sortit de Lyon avec quelques compagnies, vers le commencement de juillet, et alla rechercher le comte de Suze, qui vouloit assiéger Vaureaz, tenu par les huguenots, et eut quelque avantage sur ledit comte, qui se retira avec la pluspart de ses gens. Qui fut cause que le baron des Adrets reprit les villes que le comte de Suze avoit ostées aux huguenots au comté Venaissin, et entr’autres Mornas, où environ deux cens catholiques qui avoient composé de rendre la ville, s’estoient retirez au chasteau, estimans que la capitulation leur seroit tenue, de sortir la vie et les bagages sauves ; neantmoins, sans avoir esgard à la foy jurée et publique, le baron des Adrets[6] les fit cruellement précipiter du haut du chasteau, disant que c’estoit pour venger la cruauté faite à Orange. Aucuns de ceux qui furent précipitez et jettez par les fenestres, où il y a infinies toises de haut, se voulans prendre aux grilles, ledict baron leur fit couper les doigts avec une très-grande inhumanité.

Il y eut un desdicts précipitez qui, en tombant du haut en bas du chasteau, qui est assis sur un grand recher, se prit à une branche, et ne la voulut jamais abandonner ; quoy voyant, luy furent tirez infinis coups d’arquebuse et de pierres sur la teste, sans qu’il fust possible de le toucher. De quoy ledict baron estant esmerveillé, luy sauva la vie, et reschappa comme par miracle. J’ay esté voir le lieu depuis avec la Reyne, mère du Roy, estant en Dauphiné ; celuy qui fut sauvé vivoit encore là auprès. Le mesme baron des Adrets, quelque temps après, assiégea et prit Montbrison en Forest, et en fit précipiter encore cinquante, disant pour toutes raisons que quelques-uns des siens avoient esté tuez en capitulant pour la reddition de la ville. Et là on remarqua plus de cruauté qu’es lieux precedens[7] ; et, à la vérité, il sembloit que, par un jugement de Dieu, elles fussent réciproques tant d’un costé que d’autre ; et Orange fut estimée le fondement de celles qui se faisoient au Dauphiné de sang froid par les huguenots. Bref, toutes choses estoient réduites à l’extrémité ; ledict baron des Adrets y fit bien parler de luy, et son nom fut cogneu par toute la France. Ainsi la guerre civile estoit comme une rage et un feu qui brûloit et embrasoit toute la France.

En ce temps, la cour de parlement de Paris, sur des lettres patentes envoyées par le Roy le vingt-cinquiesme juillet, déclara ceux qui tenoient la ville d’Orléans rebelles et coupables du crime de leze-majesté, horsmis le prince de Condé, comme estant iceluy detenu et arresté prisonnier des huguenots. En vertu de cet arrest, l’on prenoit tous ceux de la religion que l’on attrappoit portant les armes, et procedoit-on contre eux criminellement, comme coupables de leze-majesté. Et, davantage, la cour de parlement condamna et fit exécuter à mort Gabaston[8], lieutenant du capitaine du Guet, pour s’estre monstre trop partisan des huguenots.

Cela et la condamnation du ministre Marlorat, et autres qu’on fit mourir par justice en plusieurs villes reprises par l’armée du Roy, irrita fort les huguenots de la ville d’Orléans, qui jurèrent de s’en venger ; et prirent, par forme de represaille, un nommé George de Selve, que l’on disoit aller en Espagne, Sapin, conseiller au parlement de Paris, et l’abbé de Gastines. Pour le regard de Selve, il fut rendu pour le sieur de Luzarche, que l’on tenoit prisonnier à Paris pour la religion ; mais le conseiller Sapin avec l’abbé de Gastines, et le curé de Saint-Paterne[9] d’Orléans, furent pendus, ce qui estonna et esmeut fort la cour de parlement et les catholiques qui portoient les armes pour le Roy, voyant la hardiesse des huguenots contre les sujets de Sa Majesté : et n’y avoit catholique qui ne craignist d’estre traicté de mesme façon s’il tomboit entre leurs mains. La cour de parlement, pour revanche, en condamna aussi quelques autres à estre pendus, à la poursuite du président Le Maistre, de qui le conseiller Sapin estoit nepveu[10].

Alors l’on cogneut la nécessité qu’il y avoit de garder la foy et n’user de telles violences, possible envers les innocens autant que contre les coupables ; car, sans adjouster malheur sur malheur, la France estoit assez travaillée des estrangers, qui marchoient pour les uns et les autres, et desquels on se fust bien passé : car il est certain que les forces du Roy estoient suffisantes pour faire teste aux huguenots, et peu à peu les réduire en son obéissance, sans appeller tant d’estrangers, attendu qu’il y avoit pour lors en France cent catholiques pour le moins contre un huguenot ; joint aussi que la pluspart des reistres et lanskenets qui estoient au service du Roy estoient huguenots, et mesmement le comte Rhingrave, qui m’a souvent dit que la guerre civile luy desplaisoit fort en France, encore qu’il y eust beaucoup de profit, comme de faire la monstre sur les vieux rooles ; à quoy se sont depuis accommodez les reistres et lanskenets, aussi bien que les Suisses, où toutesfois il n’y a que les colonels et capitaines qui ayent du gain : et c’est chose à quoy le prince qui se sert de ces nations doit bien prendre garde ; car à la fin il n’a qu’une moitié de gens de guerre en effet, et les autres en papier ; et faut payer ceux qui sont retournez dès la première monstre en Allemagne ou en Suisse. Davantage, c’estoit une chose fort périlleuse que d’appeller des estrangers de religion contraire, et envoyez par les princes d’Allemagne, qui ne demandoient que l’entretenement de nos guerres civiles, aussi bien que les Anglois et Espagnols.

Aussi les huguenots prenoient ce prétexte et s’excusoient de la levée de reistres et lanskenets qu’avoit amené d’Andelot, sur ce qu’on avoit fait venir toutes sortes d’estrangers pour les exterminer. Et puis dire en cet endroit que, comme l’on ne peut croire ce que l’on ne désire point, les chefs de l’armée du Roy ne pouvoient croire que ledict d’Andelot pust faire cette levée, dont neantmoins j’avois adverty le Roy, la Reyne et le roy de Navarre, dès-lors que j’estois prisonnier au Havre-de-Grace, comme en ayant veu ceux qui s’estoient trouvez à la capitulation. Et il est certain que les Anglois ne se fussent jamais hazardez de faire descente en la Normandie, s’ils n’eussent premièrement este asseurez de la levée que faisoit ledict d’Andelot, de laquelle la pluspart de l’argent estoit venu d’Angleterre.

Et depuis ce temps-là toutes les pratiques et levées que les huguenots ont faites en Allemagne, ils les ont premièrement commencées audit Angleterre, où j’en ay empesché deux de très-grande importance pendant que j’y ay esté ambassadeur : l’une fut l’an mil cinq cens soixante et dix-huit, qu’avoit promis de mener le duc Casimir, et de ne sortir jamais de France qu’il n’y eust mis toutes choses à l’extrémité ; l’autre fut quand le prince de Condé vint en Angleterre, lorsque La Fere estoit assiégée, pensant y avoir de l’argent pour faire marcher les reistres et lanskenets qu’il avoit errez et retenus : mais je fis en sorte, avec la reyne d’Angleterre et ses principaux conseillers, que l’amitié du Roy fut préférée à celle de son sujet, et à la passion de ceux qui avoient précipité le roy de Navarre en cette guerre ; de quoy je parleray[11], Dieu aidant, en son ordre et retourneray à ce que le Roy et les chefs de son année ne crurent pas assez tost que d’Andelot pust amener des reistres et lanskenets, et qu’il pust les passer, comme il fit.

Raison pour laquelle le Roy fut conseillé d’envoyer en Allemagne, et escrire à l’électeur Palatin, pensionnaire de France, au landgrave de Hesse, et autres princes affectionnez aux huguenots, qu’ils n’eussent à les secourir, parce qu’ils estoient rebelles et sacramentaires, qui ne cherchoient autre chose que la ruine des huguenots de la Germanie et confession d’Ausbourg, contraires en plusieurs choses à la confession de Genève ; qui fut cause que les huguenots incontinent firent publier, pour la justice de leur cause, la nécessité qui les avoit contraints de prendre les armes, et appeller des estrangers à leur aide, pour défendre leur religion et leurs vies, et entretenir les edicts du Roy, sans entrer au différend de la confession d’Ausbourg.

Et particulièrement le prince de Condé fit publier une response contre l’arrest du parlement de Paris, par lequel il estoit excepté du nombre des huguenots que ledit parlement avoit déclarez rebelles ; disant que par son innocence les autres de sa suite estoient justifiez du crime de leze-majesté, en récusant toutefois les présidens et conseillers du parlement, qu’il disoit estre passionnez et partisans de ceux de Guise, lesquels avoient fait faire exception de sa personne afin de le mettre en défiance de ceux qui l’avoient eleu pour chef, veu qu’en plusieurs autres lettres patentes il n’avoit nullement esté excepté ; faisant aussi déclaration qu’il n’avoit pris les armes que pour le service du Roy et de la Reyne sa mère, et pour leurs libertez ; appellant Leurs Majestez en témoignage, et plusieurs lettres qu’ils luy avoient escrites pour le prier d’employer ses armes pour les enfans de France et leur mère, voyant la confédération faite par ceux de Guise et le Connestable, et leurs partisans, qui tenoient les premiers lieux par toute la France et aux parlemens ; lesquels il disoit se monstrer plustost parties formelles des huguenots, que juges equitables ; attendu mesmement qu’ils avoient envoyé Chambon et Faye, conseillers, pour luy faire entendre que la cour de parlement ne tiendroit aucun traité de paix fait avec les huguenots ; et persistoit au surplus aux protestations par luy faites.


CHAPITRE III.


Le prince de Condé justifie ses armes envers l’Empereur. Le landgrave de Hesse favorise les levées du sieur d’Andelot. Prise de Cisteron par le comte de Sommerive. Quelques exploits du mareschal de Joyeuse en Languedoc. Grand affoiblissement des huguenots, qui se remettent par l’arrivée des reistres sous d’Andelot, et marchent droit à Paris. On les amuse en négociations. Offres et demandes du prince de Condé. Response faite au prince.


Peu auparavant, le prince de Condé avoit aussi envoyé à l’empereur Ferdinand, et autres princes d’Allemagne, pour leur faire entendre qu’il n’avoit pas pris les armes sans grande et juste occasion, afin que tous les princes estrangers qui sont jaloux de leurs Estats et de l’obéissance que doivent les sujets à leur prince souverain, n’estimassent que luy et ceux qui portoient les armes de son party fussent rebelles au Roy ; voulant par là se justifier le plus qu’il pourroit envers un chacun.

Or le landgrave de Hesse, qui estoit bien asseuré des autres princes d’Allemagne, qui ne vouloient pas abandonner les huguenots, donna à d’Andelot toute la faveur qu’il luy fut possible, et marcha avec les reistres et lanskenets ; et à l’instant il y eut quelques princes d’Allemagne qui envovèrent vers les reistres qui estoient sous le comte de Rokendolf, qui avoit auparavant esté au ban impérial, pour leur faire dire que, s’ils ne se retiroient, ils y seroient aussi mis. Cela fut cause que quelques-uns se retirèrent vers le prince de Condé, et les autres continuèrent au service du Roy.

En ce temps-la Sommerive assiégea la ville de Cisteron, que Mouvans fut contraint d’abandonner et se retirer la nuit à Grenoble ; et en toute la Provence il ne demeura pas une seule ville aux huguenots, contre lesquels on exerça des cruautés plus grandes qu’en nulle autre province. Aussi cette contrée est la plus méridionale de France, où les esprits sont fort passionnez et vindicatifs.

Le sieur de Joyeuse, à présent mareschal de France » et lors lieutenant generai pour le Roy au gouvernement de Languedoc, reprit Pezenas vers le mois d’aoust. Et, peu après la prise de Montbrison, Negrepelisse mit aussi le siège devant Montauban, qui ne put estre pris : sur cela on assembla les forces de Provence et de Languedoc, pour assiéger Montpellier tenu par les huguenots, où fut envoyé ledit sieur de Joyeuse pour commander à l’armée ; mais il ne fut pas pour lors jusques audit Montpellier, estant adverty que d’Acier, frère puisné du baron de Cursol, à présent duc d’Uzès, bon catholique et grand serviteur du Roy, avoit de grandes forces, et suffisantes pour défendre la ville, voire mesme pour tenir la campagne, et aussi que les habitans dudit Montpellier offroient de garder leur ville, où les huguenots ruinèrent les fauxbourgs et toutes les églises d’icelle. Alors Joyeuse reprit la forteresse de Maguelone par composition, et alla mettre le siège devant Montpellier. Ce qu’ayant entendu, le baron des Adrets y alla, disant qu’il assiègeroit les assiègeans, ausquels il donna beaucoup de peine. Mais incontinent il fut rappelle à Lyon par les habitans de la ville, qui craignoient d’estre assiégez.

Après qu’il fut retiré à Lyon, les catholiques de Provence voulurent aller au siège de Montpellier avec Sommerive et le comte de Suze, lesquels, pensans assiéger la ville de Nismes, y eurent grande perte ; cela fut cause que le siège de Montpellier fut levé. Mais je retourneray au cœur de la France, pour dire qu’entre les rivières de Seine et de Loire, les huguenots avoient perdu et perdoient beaucoup de villes, semblablement en Bourgogne, Picardie, Bretagne et Normandie ; qui fut cause que plusieurs gentils-hommes et soldats huguenots se retirèrent au camp du Roy, où ils furent bien recueillis et obtinrent lettres de pardon d’avoir porté les armes contre Sa Majesté, avec entière restitution en leurs biens, honneurs et offices. Quelques-uns aussi qui tenoient le party catholique, s’en allèrent vers les huguenots, lesquels avoient de grandes intelligences en l’armée du Roy, et ne se faisoit rien à la Cour dont ils ne fussent advertis ; et de ces gens-là il s’en faut plus donner de garde que des ennemis déclarez. Aussi sont-ils peu estimez, et ne peuvent éviter le nom de traistres et espions, qui n’ont ordinairement le cœur de se déclarer fidelles pour un party ny pour l’autre. Le Roy envoya derechef lettres patentes pour estre procedé contre ceux qui avoient pris les armes et ses villes, comme rebelles à Sa Majesté. Et y eut lors de grandes deliberations de reprendre lesdites villes que tenoient les huguenots, qui ne les pouvoient deffendre et tenir la campagne sans secours estranger ; car en l’armée du Roy il y avoit une fort bonne infanterie et grand équipage d’artillerie.

Mais tous ces desseins furent rompus par la venue des reistres que d’Andelot amenoit pour les huguenots, lesquels, s’estans joincts près d’Orléans environ le mois de novembre, firent délibération d’aller mettre le siège devant Paris, où le Connestable et le duc de Guise allèrent incontinent pour asseurer les habitans de la ville, qui estoient en grande crainte.

Or, d’Andelot ayant esté laissé en ladite ville d’Orléans avec bonne et forte garnison, l’armée des huguenots, suivant leur délibération, s’achemina droict à Paris ; et, après avoir pris en passant, sans résistance, les villes de Pluviers, Estampes, La Ferté et Dourdan, se vint camper à Arcueil sous Paris ; pour lequel asseurer, le duc de Guise s’alla loger hors la ville et aux fauxbourgs, où furent faits des retranchemens pour loger les gens de pied, et y mit-on si bonne garde que ceux de Paris furent un peu moins estonnez.

Toutesfois l’on advisa prudemment de ne rien hasarder contre des gens qui ne mettoient leur espérance qu’au hasard d’une bataille, et devant la principale ville du royaume, mais plustost de parlementer avec eux pendant que le secours des Espagnols et Gascons se joindroit à l’armée du Roy. Et afin que l’on prist plus d’asseurance, tant d’une part que d’autre, le Connestable alla comme ostage au camp des huguenots : cependant l’Admiral passoit au Port-à-l’Anglois pour parler à la Reyne, mère du Roy, laquelle luy dit résolument qu’il ne falloit point espérer l’edict de janvier, ny changement de la religion catholique ; qui fut cause que l’Admiral s’en retourna sans rien faire ; et depuis encore l’on parlementa au faux-bourg Sainct-Marcel.

Le prince de Condé offrit lors de laisser l’armée, pourveu que leur religion fust entretenue dedans les villes où elle estoit exercée publiquement devant la guerre, et es autres villes ; que l’on ne recherchait plus les huguenots au fait de leurs consciences, et qu’ils eussent main levée de leurs biens, et tous jugemens et sentences contr’eux donnez fussent rescindez ; qu’ils pussent avoir et tenir offices et chargea honorables, comme les catholiques, et qu’il fust permis à tous gentils-hommes d’avoir exercice de leur religion en leurs maisons, et aux conseillers du privé conseil, quand ils seroient à la suite de la Cour ; que le Roy advouast les deniers pris en ses receptes par les huguenots, et les reliques qu’ils avoient fondues, estre pour son service ; que le concile general fust tenu en toute liberté, sans que le Pape ni légat pour luy y assistast ; ou, s’il ne se pouvoit faire, que du moins dedans six mois l’on tint un concile national de toute la France avec entière liberté ; que les armes fussent posées, tant d’une part que d’autre, et pour l’armée du prince de Condé, advouée avoir esté faite pour le service du Roy. Que pour la seureté de la paix, Leurs Majestés jurassent, avec tous ceux de leur conseil privé, toutes les conditions susdictes.

Et cependant que le Connestable estoit pour voir s’il pourroit passer quelques articles, l’on ne perdoit pas temps pour assembler des forces de tous costez, pour empescher par tous moyens les desseings du prince de Condé, auquel l’on fit response qu’il n’y auroit point d’exercice de la religion à Paris, ny à la Cour, ny es villes frontières, mesmement en la ville de Lyon ; que l’armée du Roy demeureroit, et l’armée dudit prince seroit licentiée ; que les jugemens qui avoient esté donnez contre les huguenots ne seroient cassez, ains seulement suspendus ; que les huguenots ne pourroient avoir offices ni charges publiques, horsmis le prince de Condé. Et si l’on ne vouloit pas approuver que les deniers du Roy et les reliques prises par les huguenots eussent esté employées pour le service de Sa Majesté.


CHAPITRE IV.


Quelques huguenots se retirent du party. Le prince de Condé songe à la retraite et decampe. L’armée du Roy le suit. Diverses opinions des chefs huguenots touchant leur marche. Hardie proposition du prince de Condé de revenir à Paris. L Admiral contraire en son advis. Ils résolvent leur route en Normandie, prennent Gallardon. Les deux armées proches d’ Ormoy. Le sieur de Castelnau Mauvissière envoyé par le Connestable et le duc de Guise vers le Roy et la Reyne, pour apporter un ordre de donner bataille. La Reyne en est faschée , et déplore l'estat des affaires. Son adresse pour se railler de cette deputation des généraux. Le conseil du Roy résout qu’un general doit se servir des occasions de combattre, sans demander conseil ny ordre à la Cour.


Pendant ce parlement et ces allées et venues, ceux des deux armées, comme parens et autrefois amis, et de mesme nation, se voyoient et discouroient ensemble le jour, et les autres bien souvent venoient à quelques combats et escarmouches. Quelques-uns desdits huguenots se retirèrent au camp du Roy, ou en leurs maisons : entr’autres, Genlis, lequel avoit toujours esté serviteur de la maison de Guise, se retira comme à demy mal-content du prince de Condé et de l’Admiral ; et ayant prié un soir le sieur d’Avaret, qu’il avoit tiré de ce costé-là, de l’accompagner, il s’en alla avec le mot du guet, sans que ledit d’Avaret le voulust suivre ; mais rapporta cette nouvelle, qui estonna fort le prince ; lequel fit soudain changer le mot, combien que Genlis asseurast ledit d’Avaret qu’il ne feroit rien contr’eux, ny changeroit de religion.

Au mesme temps, l’armée du Roy fut renforcée des compagnies espagnoles et de plusieurs Gascons ; qui fut cause que le prince de Condé, ayant prins conseil de ce qu’il falloit faire, advisa de se retirer vers la Normandie, où les huguenots avoient quelques villes qu’ils vouloient asseurer et y passer l’hyver, et pour se fortifier de plusieurs de leurs partisans en ladite province qui estoient en leurs maisons, et des Anglois que la reyne d’Angleterre promettoit de leur envoyer avec quelque somme d’argent pour le payement de leurs reistres, qui commençoient fort à se mescontenter de ce qu’on ne leur pouvoit tenir promesse ; joinct aussi que le Roy commençoit à les faire pratiquer.

Davantage, l’on avoit fait une délibération d’attaquer le prince au mesme lieu qu’il avoit choisi pour combattre devant Paris, où il estoit en danger de se perdre et toute son armée, s’il y fust demeuré plus longtems. Quoy voyant, et qu’il ne pouvoit avoir la paix aux conditions qu’il désiroit, ny moins forcer les tranchées de Paris, il prit résolution le dixiesme de décembre 1562 de desloger, faisant mettre le feu à la pluspart de leurs logis, en partie pour tesmoignage de l’inimitié qu’ils portoient à ladite ville, à laquelle ils ne purent faire pis. Son armée estoit d’environ huit à neuf mille hommes de pied et quatre mille chevaux. Estant deslogé, il se mit en l’arrière garde avec tout ce qu’il avoit de meilleur et de plus fort, craignant d’estre assailly de l’armée du Roy, comme il en fut suivi de bien près. Il alla faire son premier logis à Palayseau, et le lendemain à Limours, où il demeura tout le jour à tenir conseil, faire plusieurs despesches et attendre nouvelles de ce que feroit nostre armée. Le treiziesme jour dudit mois, il alla loger à Sainct-Arnoul, sur le chemin de Chartres, pensant le prendre ; mais les portes luy furent fermées : neantmoins, plusieurs prestres et catholiques y furent tuez ; et voyant qu’il ne pouvoit prendre cette ville, pour n’avoir pas un suffisant attirail ny esquipage d’artillerie, il en fit charger la pluspart audit Sainct-Arnoul sur des chariots.

Cependant l’armée du Roy sortit de Paris, et, costoyant celle des huguenots, s’approcha d’Estampes feignant la vouloir assiéger ; ce qui n’estoit pas son dessein, mais de combattre l’armée des ennemis avant qu’elle fust passée en Normandie et jointe avec les Anglois, et qu’elle eust receu l’argent que l’on leur apportoit de ce costé.

Là-dessus les huguenots se trouvèrent bien empeschez, et prirent diverses délibérations : l’une, d’aller droit à Chartres l’assiéger, et en promettre le pillage à leurs soldats ; l’autre, de se loger en lieu avantageux pour attendre l’armée du Roy au combat, ce qui ne fut trouvé bon des principaux chefs, voyans que nostre armée avoit eu du renfort et les suivoit de si près. Lors le prince, duquel le grand courage ne pouvoit plus souffrir qu’on reculast, mit en délibération de retourner à Paris, disant qu’il le regagneroit le premier, et y trouveroit les tranchées et les faux-bourgs sans résistance, et qu’il lui donneroit un second estonnement plus grand que le premier, et fermeroit le retour à l’armée du Roy, laquelle seroit contrainte d’aller prendre un grand tour pour passer la rivière, et rentrer par l’autre costé audit Paris ; que cependant il prendroit son advantage sans se retirer devant ses ennemis.

Cette opinion du prince de Condé, plus gaillarde et courageuse que raisonnable, l’eust emporté si l’Admiral n’y eust entièrement contredit, en remonstrant que l’armée du Roy auroit bien-tost repassé, ou se mettroit entre Orléans et eux pour leur couper les vivres sans difficulté, ou peut-estre iroit assiéger et prendre ledit Orléans, ou enfin les viendroit enclorre dedans les tranchées, pour avoir Paris en teste d’un costé, et l’armée du Roy en queue de l’autre. De sorte que l’opinion de l’Admiral l’emporta, attendu mesmement que leurs reistres et lanskenets les pressoient pour avoir de l’argent, ausquels ils n’en pouvoient bailler autre que celuy qui leur estoit promis d’Angleterre.

Toutes ces choses bien débattues et mises en considération, et que la perte de leur armée estoit la ruine entière et évidente de tous les huguenots de France, lesquels ne se pourroient jamais relever, il fut conclu qu’ils iroient droit en Normandie suivant leur première délibération ; joint que sur toutes choses l’Admiral craignoit la perte d’Orléans comme de leur magasin et retraite, attendu que l’armée du Roy estoit la plus forte de gens de pied, et qu’il y avoit force artillerie. Alors ils résolurent de marcher droit à Dreux, que Baubigny avoit promis de surprendre, ce qu’il voulut tenter, mais l’effet ne s’ensuivit pas ; au contraire il fut contraint de se retirer plustost qu’il n’y estoit allé.

Le seiziesme du mois, le prince de Condé alla loger à Ablie, à deux petites lieues de Sainct-Arnoul, et de là le dix-septiesme à Gallardon, où l’entrée luy fut refusée par les catholiques, qui tirèrent et tuèrent quelques huguenots ; mais nonobstant, la place, qui ne valoit rien, fut prise et forcée, où il y eut plusieurs prestres et catholiques tuez ; ils y logèrent la nuit avec une grande commodité de vivres, dont ils avoient bon besoin, et le soir, ils firent pendre un greffier de ladite ville, qu’ils disoient avoir esté cause de leur refuser l’entrée, et en vouloient faire mourir d’autres s’ils ne se fussent sauvez. Ils sejournerent là deux jours, où ils firent une revue de leurs gens de pied, qui se deroboient tous les jours depuis qu’ils eurent perdu l’espérance de la prise et pillage de Paris, dont ils avoient esté amusez et entretenus longuement.

De là le prince alla loger en un village appelé Ormoy, où il se trouva plus près de nostre armée qu’il ne pensoit, et qui estoit à une lieue de l’Admiral, qui menoit l’avant-garde, laquelle estoit logée au village de Néron, et alla le soir trouver le prince pour ensemble adviser à leurs affaires, et le lendemain ils y sejournerent.

Cependant l’armée du Roy ne perdoit pas temps, résolue de donner la bataille : à quoy le Connestable, le duc de Guise et le mareschal de Sainct-André, chefs et conducteurs d’icelle, concluoient toujours ; mais ne le vouloient entreprendre sans en avoir le commandement exprès du Roy, de la Reyne sa mère, des princes et autres du conseil privé qui estoient avec eux. Occasion pourquoy, le quatorziesme du mois, lesdits Connestable, duc de Guise, et mareschal de Sainct-André, me depeschèrent en grande diligence pour aller trouver Leurs Majestez au bois de Vincennes, et leur dire que dedans quatre ou cinq jours au plus tard ils estoient à la bataille : ce que les ennemis ne pouvoient éviter, et que les deux armées ne se rencontrassent ou en la plaine de Dreux ou de Neubourg. Parquoy lesdits sieurs demandoient un commandement exprès et absolu de Leurs Majestez avec leur conseil, de combattre ; et me baillèrent chacun une petite lettre de cette substance principale, et créance qu’ils ne vouloient rien hazarder sans ce commandement, afin que l’on ne rejettast sur eux aucune faute en affaires de telle importance, et estant si près du Roy.

Je fis ce petit voyage toute la nuit, et arrivay le lendemain de grand matin au lever de la Reyne, mère du Roy, laquelle m’ayant ouy sur ce sujet piteux et lamentable, d’estre à la veille de donner une bataille de François contre François, Sa Majesté me dit qu’elle s’esmerveilloit comme lesdits Connestable, duc de Guise et Sainct-André, estant bons capitaines, prudens et experimentez, envoy oient demander conseil à une femme et à un enfant, pleins de regret de voir les choses en telle extrémité que d’estre réduites au hasard d’une bataille civile.

Alors entra la nourrice du Roy, qui estoit huguenote ; et au mesme temps que la Reyne me menoit trouver le Roy, qui estoit encore au lit, elle reprit ce propos, que c’estoit chose estrange de leur envoyer demander conseil de ce qu’il falloit faire pour la guerre ; et lors, fort agitée de douleur, me dit par moquerie : « Il faut demander à la nourrice du Roy si l’on donnera la bataille. » Lors l’appellant : « Nourrice, dit-elle, le temps est venu que l’on demande aux femmes conseil de donner bataille : que vous en semble ? » Lors la nourrice suivant la Reyne en la chambre du Roy, comme elle avoit accoustumé, dit par plusieurs fois, puis que les huguenots ne se vouloient contenter de raison, qu’elle estoit d’avis que l’on leur donnast la bataille. Et continua ce propos entre quelques-uns qui lui parloient, comme chacun en discouroit alors selon sa passion.

À l’instant la Reyne me dit, en faisant sortir ladite nourrice, et quelques autres qui estoient en la chambre du Roy, qu’elle ne me pourroit dire pour sa part autre chose que ce qu’elle m’avoit dit, mesmement pour donner conseil à des capitaines ; aussi que l’on ne leur pouvoit rien prescrire de la Cour, et que j’avois vu ce qu’en disoit la nourrice du Roy, auquel je présentay les lettres ; et s’y trouvèrent le prince de la Roche-sur-Yon, le Chancelier, les sieurs de Sipierre, de Vieilleville, depuis mareschal de France, Carnavalet et quelques autres du conseil privé. Et comme je faisois mon récit de ce qui m’avoit esté commandé par lesdits chefs, et pressois pour m’en retourner l’après-disnée, afin de les résoudre sur le fait de donner la bataille, Losse arriva de la part desdits seigneurs avec semblable charge que la mienne. Sur cela y eut plusieurs discours du bien et du mal qui en pourroit arriver.

Mais la résolution fut que ceux qui avoient les armes en main, ne dévoient demander conseil ny commandement de la Cour ; et à l’heure mesme je fus renvoyé pour leur dire de la part du Roy et de la Reyne, qui leur escrivoient aussi chacun un mot de leur main, que, comme bons et prudens capitaines et chefs de cette armée, ils fissent ce qu’ils jugeroient le plus à propos, de combattre ou non avec tous les avantages qu’ils scauroient bien choisir.

Je partis à l’instant en poste, et arrivay au village où ils estoient à l’issue de leur disner, ayant laissé Sipierre et tous ceux qui estoient près du Roy, en volonté d’estre bientost après moy au camp pour se trouver à la bataille. Losse (depuis capitaine des gardes du Roy) demeura jusques au soir, et arriva le lendemain à nostre armée sans apporter rien plus que moy de la Cour, d’où l’on remettoit tout en la prudence des chefs de l’armée de faire ce qu’ils verroient nécessaire, selon les forces qu’ils avoient en main.


CHAPITRE V.


Le Connestable et le duc de Guise résolus au combat contre l'opinion de l'Admiral qui n'en vouloit rien croire. Fautes faites par les chefs de part et d'autre. Bataille de Dreux. Le prince tasche d’éviter le combat. Ordonnance de l'armée royale. Pourquoy le duc de Guise ne prit point de commandement cette journée. Louange de sa valeur et de sa conduite. Forces des deux partis. Commencement du combat. Faute du prince de Condé. Mort du sieur de Montberon, fils du Connestable. Le Connestable blessé et pris. Grande valeur des Suisses. Exploit du duc de Guise. Défaite des reislres du prince par le mareschal de Sainct-André. Le prince de Condé pris prisonnier par le sieur d’Anville. Louange du duc de Guise. Faute de l’avant-garde royale. Grands devoirs de l'admiral de Chastillon en cette journée. Sa retraite. Le duc de Guise demeuré general.


Alors ils tinrent conseil et résolurent de combattre, et d’aller passer la rivière d’Eure le plus près de Dreux et des ennemis qu’il seroit possible, en certains villages où nostre armée se logea, pour le lendemain ou le jour suivant donner la bataille. Ce qui advint contre l’opinion de l’Admiral, qui, pour toutes raisons, alleguoit que l’armée du Roy, voyant le progrès du chemin qu’elle avoit fait depuis qu’elle estoit partie de Paris, ne se mettroit jamais au hasard de donner la bataille ; ce qui fut rapporté au Connestable ; mais que le prince de Condé estoit de différente opinion à l’Admiral, disant que la bataille ne se pouvoit éviter : à quoy il se prépara plustost que ledit Admirai, qui estoit fort entier en ses opinions, comme je l’ay cognu souvent es affaires que j’ay depuis eues à traiter avec luy, tant pour la paix que pour licencier par deux fois ses armées, dont j’ay eu la charge, comme je diray en son lieu.

Donc, pour revenir au point de donner la bataille, l’armée du Boy, qui avoit tousjours costoyé celle des huguenots, passa l’eau le dix-huictiesme décembre, et se logea avec tout l’avantage qu’elle put, dont les huguenots furent assez mal advertis ; et y en a quelques-uns qui disent que le prince de Condé ny l’Admiral ne firent pas ce qu’ils devoient faire, soit pour donner, soit pour éviter la bataille. Aussi nostre armée perdit-elle de son avantage de combattre au bout de la campagne de Beauce et en la plaine de Dreux ; attendu que la pluspart de nos forces consistoient en gens de pied, et celle des huguenots en plus grand nombre de cavalerie, et avoit un fort grand bagage, et leurs reistres trop de chariots. De sorte que, passant au bourg de Trion, comme il sembloit que ce fust leur intention, ils eussent esté fort incommodez, à l’occasion des chemins bas et plus estroits, et plus avant tant d’arbres qui estoient de ce costé.

Or le jour du combat estant venu, le prince de Condé monta à cheval de grand matin, et premier que l’Admirai qui menoit l’avant garde : mais ils ne firent pas grand chemin, qu’ils n’eussent advertissement que l’armée du Koy avoit passé l’eau de leur costé, et la voyant en bataille, et qu’elle ne bougeoit, ains les attendoit pour voir leur contenance, ils firent alte, et se mirent en bataille à la portée du canon. Le prince de Condé fit délibération de charger le premier, estimant que ce luy seroit avantage ; mais il jugea aussi qu’il luy falloit endurer un grand eschec de nostre artillerie, et que la campagne estoit large, de sorte que, venant le premier combat, il couroit le danger d’estre rencontré par le flanc : et toutesfois il fit quelque semblant de tourner la teste vers Trion ; ce que voyant le Connestable, et que quelques troupes paroissoient, mesmement les reistres du prince, il leur fit tirer quelque volée de canon ; ce qui les esbranla de telle sorte, que les reistres se voulurent couvrir, et prendre le chemin du valon.

Cela fit juger à quelques-uns de nostre armée, qui le rapportèrent au Connestable, que le prince vouloit chercher le moyen d’éviter la bataille, voyant l’armée du Roy composée de cinq gros bataillons de gens de pied entremeslez de cavalerie, d’autant qu’elle estoit plus foible, à l’occasion des reistres, que celle du prince. L’avant-garde, conduite par le mareschal de Sainct-André, estoit de dix-sept compagnies de gens d’armes, vingt enseignes de pied françoises, et quatorze compagnies espagnoles, dix enseignes de lanskenets et quatorze pièces d’artillerie. Le Connestable, chef de l’armée, menoit la bataille, où il y avoit dix-huit compagnies de gens d’armes, avec les chevaux légers, vingt-deux enseignes de Suisses, et seize compagnies de gens de pied françois et bretons, avec huit pièces d’artillerie.

Le duc de Guise ce jour là, pour plusieurs considerations, ne se disoit avoir charge que de sa compagnie, et de quelques-uns de ses amis et serviteurs, aussi que les huguenots disoient que c’estoit sa querelie, et qu’il estoit le motif de cette guerre, dont il vouloit oster l’opinion. Il ne laissa toutesfois de remporter avec sa troupe l’honneur de la bataille, par sa prudence et bonne conduite ; et pour en parler avec la vérité, l’armée du Roy estoit d’environ treize ou quatorze mille hommes de pied et deux mille chevaux, que bons que mauvais. Celle du prince de Condé estoit de quatre mille chevaux, et de sept à huit mille hommes de pied.

Donc, l’armée du Roy estant en bataille, voulut marcher vers celle du prince qui nous monstroit le flanc, et se mit à costé de deux villages nommez Bleinville et l’Espi, si proches l’un de l’autre, que nostre armée n’y peu voit marcher d’un front ; qui fut cause que la bataille que menoit le Connestable advança l’avant garde que menoit le mareschal de Sainct-André. Le prince de Condé, qui estoit tousjours d’opinion de charger le premier, voyant que nostre armée marchoit droit à luy, fit aussi tourner son armée en la plus grande diligence qui luy fut possible, mais non sans quelque désordre, comme il advient le plus souvent en telles affaires ; de sorte que l’Admiral, qui menoit l’avant garde des huguenots, se trouva en teste du Connestable et de sa bataille, et le prince et sa bataille à i’opposite du mareschal de Sainct-André, qui menoit l’avant-garde du Roy. Neantmoins le prince la laissa à la main gauche, et tourna contre le flanc des Suisses, qui fermoient la bataille du Connestable, laissant l’avant-garde du mareschal de Sainct-André entière. De sorte que le prince laissoit toute son infanterie engagée, sans considérer qu’estant le plus fort de cavalerie il ne devoit pas charger les gens de pied, comme il en donna le commandement à Mouy et à Davaret, qui avoit succédé à Genlis, en les asseurant qu’il les suivroit de bien près, comme il fit de telle furie qu’ils entamèrent fort le bataillon des Suisses avec les reistres, qui les chargèrent en mesme temps ; mais lesdits Suisses, lesquels firent ce jour-là tout ce qui se pouvoit désirer de gens de bien, se rallièrent avec grand courage, sans espargner les coups de picques à leurs ennemis.

En ce mesme temps d’Anville, aujourd’hui mareschal de France, s’advança avec trois compagnies de gens d’armes et les chevaux légers, ausquels il commandoit, pour faire teste au prince ; mais il fut en mesme temps chargé par les reistres, où fut tué Montberon son frère ; La Rochefoucault donna aussi dedans les Suisses, qui les trouva ralliez, et où il ne gagna guères. Cependant l’Admirai, avec une grosse troupe de reistres, son régiment et la troupe du prince Porcian, marcha droit au Connestable, qui soustint cette grande charge, en laquelle il fit, et plusieurs qui estoient avec luy, tout ce qui se pouvoit. Quelques autres ne tinrent ferme, voyant qu’il avoit eu son cheval tué, remonté aussi-tost par d’Orayson, son lieutenant, qui luy bailla le sien ; mais enfin estant rechargé, et fort blessé au visage d’un coup de pistolet, il fut contraint de se rendre à un gentilhomme françois, au quel les reistres l’ostèrent, en prenant sa foy et son espée de force : et pour en parler en un mot, la bataille où il commandoit fut presque desfaite, combien que les Suisses se ralliassent tousjours, en faisant teste à toutes les charges qui leur estoient faites : de sorte que jamais cette nation ne fit mieux que ce jour-là. Les lanskenets du prince de Condé, les voyans ainsi assaillis de tous endroits, se voulurent mettre de la partie : quoy voyans les Suisses, au lieu de s’estonner, marchèrent droit à eux et les mirent en fuite ; quelques cornettes de reistres et de François s’estans ralliées, voulurent entreprendre de leur faire encore une charge ; mais ils les trouvèrent si bien ralliez qu’ils ne l’osèrent entreprendre, et ainsi passèrent sans les charger de ce coup là ; mais leur firent une entreprise, en despit de laquelle il se maintinrent tousjours ensemble, en se retirant vers nostre avant garde, qui tenoit ferme sans se mouvoir, ayant ainsi veu maltraiter le Connestable et l’emmener prisonnier.

Lors le duc de Guise tira environ deux cens chevaux des troupes, avec quelque nombre de harquebusiers à sa main droite ; et, avec les Espagnols qui suivoient, alla charger les gens de pied des huguenots, qu’il desfit entièrement, sous la charge de Grammont et de Fontenay.

À l’instant le mareschal de Sainct-André, avec tout le reste de l’avant-garde, s’alla ranger au bout du bataillon des lanskenets, pour charger les reistres et ceux qui se rallieroient et seroient sur pied de l’armée du prince : lesquels voyans telle charge leur tomber sur les bras, et leurs gens de pied desfaits, se retirèrent au grand trot vers un grand bois prochain. Ce que voyant d’Andelot, et leurs lanskenets, dont il avoit esté le conducteur, s’enfuir au travers du village de Bleinville, et assez près du lieu où le Connestable avoit soustenu la charge, les voulut contraindre de tourner teste à la cavallerie qui les suivoit, ce qu’ils ne voulurent faire, et ainsi se servirent ce jour-là plus des pieds et des jambes que de leurs picques et corselets : ce que voyant d’Andelot, et qu’il ne pouvoit rien faire, estant las et malade[12], comme je luy ai depuis ouy dire, et ne pouvant retrouver ny rallier les siens, s’arresta quelque peu, puis se hazarda d’aller regagner le reste de leur armée, qu’il ne retrouva que le lendemain au matin.

Le prince de Condé et l’Admiral, voyans nostre avant-garde entièrement victorieuse, et que c’estoit à recommencer, leurs François estans séparez et débandez en divers endroits, furent bien estonnez, et de voir leurs reistres qui prenoient la fuite au grand galop, et leurs François qui les suivoient de près. Le prince, qui ne pouvoit se mettre en l’esprit de se retirer, y demeura, et fut chargé et pris du sieur d’Anville, auquel il se rendit, et donna la foy et l’espée, ayant son cheval blessé, et luy un peu en une main.

Les reistres et les François huguenots, ayant passé des taillis qui estoient près de là, en fuyant trouvèrent un petit haut au de-là d’un vallon où ils s’arrestèrent, montrant de vouloir faire teste à nostre avant-garde, qui temporisa un peu trop à les charger et à suivre entièrement cette victoire obtenue par le duc de Guise sur leur infanterie ; lequel, ne s’estant porté que pour un particulier capitaine en cette armée, fit bien paroistre qu’il estoit digne d’un plus grand commandement, se gouvernant comme un bon et sage capitaine, et bien affectionné à la cause pour laquelle il portoit les armes, en prenant sagement le party où il voyoit le plus d’avantage. Toutesfois il y en a qui veulent dire que nostre avant-garde, soit par le retardement du mareschal de

( » ) Estant las et malade. D’Andelot avoit alors la fièvre quarte. Il voulut combattre, quoique ce jour-là fût son jour de fièvre. Sainct-André ou du duc de Guise, donna trop de temps à l’Admiral, qui ne le perdoit pas, à rallier tout ce qu’il pouvoit de sa cavalerie, comme il fit environ quatre cens chevaux François et ses reistres, à la teste desquels il se mit avec le prince Porcian, La Rochefoucault, et la pluspart de la noblesse huguenote, et les pria tous de retourner au combat. Et ainsi ils marchèrent droit au village de Bleinville où nostre avant-garde estoit en bataille, foible de cavalerie, ce qui apportoit beaucoup d’avantage audit Admiral, lequel se vouloit tousjours avancer pour la rompre ; mais le duc de Guise fit approcher Martigues, qui estoit avec un bataillon de gens de pied couvert de la cavallerie, où estoient les plus vieux soldats de toutes les bandes, lesquels rompirent le dessein dudit Admiral, qui estoit de défaire notre cavalerie, comme j’ay dit, laquelle soustint une si grande et forte charge sous la conduite du duc de Guise, qu’il ne luy demeura pas cent chevaux ensemble ; mais il fit une grande diligence de se rallier : ce que voyant l’Admiral, et que Martigues avec son bataillon de gens de pied faisoit merveilles de tirer sur sa cavalerie, il commença alors à se serrer avec ses reistres pour faire la retraite.

Ainsi le duc de Guise demeura chef en l’armée du Roy, pour estre le Connestable pris prisonnier, et le mareschal de Sainct-André aussi pris et tué. Et voyant que l’Admiral se retiroit avec ses reistres et ses François, essaya de le suivre avec Martigues et ses gens de pied et fort peu de cavalerie : mais il n’y eut moyen qu’il le pust joindre, et aussi que la bataille ayant duré plus de cinq heures, les jours estans courts, la nuit survint, qui osta la vue et la cognoissance de l’Admiral. Lequel sauva avec sa cavalerie quelques pièces de son artillerie, et les bagages, que les reistres principalement ne veulent jamais abandonner, et s’en alla à La Neufville, environ deui petites lieues de la bataille, de laquelle l’honneur, le gain et la place demeurèrent au duc de Guise, avec la pluspart de l’artillerie des huguenots, horsmis, comme nous avons dit, quelques pièces que sauva l’Admiral avec luy.


CHAPITRE VI.


Observations sur la bataille de Dreux. Des morts et blessés en cette journée. Losse porte au Roy la nouvelle de la victoire. Grand service du sieur de Biron. Le Connestable mené à Orléans, et mis entre les mains de la princesse de Condé sa nièce. Le prince de Condé prisonnier du duc de Guise. L’Admiral veut revenir au champ de bataille tenter un nouveau combat. Les reistres et les Allemans s’y opposent et l’empeschent. Le duc de Guise, demeuré maistre du champ de bataille, vient saluer le Roy à Rambouillet, luy fait le récit du combat et loue la valeur du Connestable, du prince de Condé, et du mareschal de Sainct-André qui y fut tué. Il loue encore le duc d’Aumale et le grand prieur ses frères, et les sieurs d’Anville et de Martigues, et parle modestement de soy. Le duc de Guise fait lieutenant general pour l’absence du Connestable. L’Admiral éleu chef des huguenots pour l’absence du prince de Condé. Ses exploits en Berry. Le prince de Condé mené au chasteau d’Onzain.


[1563] Voila, mon fils, comme passa la bataille de Dreux, où la victoire fut bien débattue d’une part et d’autre, et en laquelle il n’y eut point d’escarmouches des deux costez avant que de venir aux grands combats. Les deux chefs y furent prisonniers, et l’on s’y rallia fort souvent. Aussi y eut-il un grand meurtre de part et d’autre ; le duc de Nevers y fut blessé, toutesfois par un des siens ; d’Annebaut blessé, qui mourut depuis ; La Brosse et son fils aussi ; Givry y fut tué, et Beauvois, son frère, y fut blessé. Pour les morts, l’on disoit, et ay vu rapporter au duc de Guise, qu’il y en avoit huit ou neuf mille sur la place ; mais d’autres disent qu’il n’y en avoit pas six ; tant y a que la bataille fut fort sanglante : de laquelle les nouvelles furent portées en grande diligence de tous costez par ceux qui n’attendoient pas à en voir la fin, tant d’une part que d’autre.

L’on avoit rapporté au Roy et à la Reyne sa mère, et dit par toute la Cour, que la bataille estoit perdue et le Connestable prisonnier et blessé, de sorte qu’il y en avoit de bien estonnez à la Cour, où se faisoient diverses délibérations et discours. Mais telle nouvelle fut bientost tournée en joye par l’arrivée de Losse, qui fit le discours à Leurs Majestez de tout ce qui s’estoit passé en la bataille, en laquelle il ne faut pas celer que Biron[13], alors premier mareschal de camp, depuis grand maistre de l’artillerie, aujourd’huy mareschal de France, n’aye remporté beaucoup d’honneur, comme il a fait en toutes les batailles qui se sont données es guerres civiles. Losse ayant esté ouy avec grande allégresse à la Cour, meslée toutesfois de douleur pour la prise du Connestable et mort du mareschal de Sainct-André et des autres seigneurs et gentils-hommes morts ou blessez de nostre costé, il fallut faire part de cette rejouissance à Paris, où il fut commandé de faire feux de joie et processions pour rendre grâces à Dieu. Le semblable fut fait es bonnes villes de France, èsquelles on despescha force courriers pour leur faire entendre cette nouvelle.

Cependant le Connestable fut mené en si grande diligence, blessé et vieil comme il estoit, qu’il porta presque le premier ces nouvelles à Orléans, où l’on lui bailla pour hostesse la princesse de Condé sa nièce ; laquelle, d’autre costé, avoit besoin de consolation pour la prise du prince son mary, lequel demeura hoste du duc de Guise son cousin, qui le traita fort bien ; et couchèrent ensemble[14] le jour de la bataille près de Dreux, où ledit duc avoit son logis, et devisèrent de tout ce qui s’estoit passé.

Il y eut au matin quelques advertissemens apportez au duc de Guise, que l’Admiral voulust persuader aux reistres de retourner le lendemain au combat, leur disant qu’ils trouveroient le reste de nostre armée en desordre, avec si peu de cavalerie, que la victoire leur seroit asseurée ; mais les reistres n’approuverent pas ce conseil, pour les excuses qu’ils alléguèrent de n’avoir plus de poudre, et qu’ils avoient plusieurs chevaux blessez, déferrez et mal repeus, et autres raisons que l’Admiral fut contrainct de recevoir. De sorte que le lendemain, au lieu de retourner combattre, ils prirent le chemin de Gallardon, laissant quelques pièces de leur artillerie par le chemin.

Le jour suivant au matin, le duc de Guise se trouva seul au champ et maistre de la place, où il fit tirer quelques coups de canon pour assembler et appeller un chacun, et fit mettre les blessez dans Dreux et enterrer tous les morts. Puis il envoya les enseignes gagnées sur les gens de pied, et les cornettes et guidons remportez sur la cavalerie, à Paris, pour signal de la victoire qui luy estoit demeurée, et s’arresta quelques jours es environs de Dreux, attendant le commandement du Roy.

Alors Leurs Majestez avec toute la Cour s’acheminerent à Rambouillet, où ledit duc fut mandé de s’y trouver : et y estant allé accompagné de la pluspart des seigneurs, gentils-hommes et capitaines de son armée, après le disner du Roy il se trouva dedans la sale pour faire la révérence à Leurs Majestez, où il leur rendit en public, et comme en forme de harangue, compte de tout ce qui s’estoit passé en cette bataille ; et commença par le regret qu’il avoit d’avoir vu tant de braves François, princes, seigneurs et gentilshommes, obstinez, aux despens de leur sang et de leurs vies, les uns contre les autres, qui eussent esté suffisans pour faire quelque belle conqueste sur les ennemis estrangers. Puis il s’estendit amplement à parler de la prudence du Connestable, chef et general de l’armée, tant pour l’avoir mis en bataille avec tous les avantages que la nature du lieu lui avoit pu permettre, que pour avoir si bien encouragé un chacun au combat, que les moins courageux s’estoient résolus d’y bien faire, ausquels il avoit monstré le chemin, se trouvant par tout, suivant son ancienne valeur. Après il fit le discours de toutes les charges qui furent faites par le prince de Condé, auquel il attribua toutes les louanges qui se peuvent donner à un chef d’armée qui ne vouloit rien commander dont luy mesme ne prist courageusement le hasard, et comme, après plusieurs recharges, l’un et l’autre furent à la fin pris prisonniers, et plusieurs braves seigneurs, capitaines et gentils-hommes, tuez ou blessez. Il loua aussi fort amplement les Suisses ; puis il fit une digression sur le malheur qui estoit advenu au mareschal de Sainct-André, chef et conducteur de l’avant-garde, qui, après avoir esté pris, fut tué par la mauvaise volonté que luy portoit un gentilhomme.

Il n’oublia pas l’Admiral, qui avoit esté contrainct de quitter la partie ; et loua fort le duc d’Aumale, son frère, qui y avoit esté porté par terre, et eu une espaule rompue, et le grand prieur, son autre frère, pour avoir usé de grande diligence et esté deux ou trois jours à cheval devant la bataille, tousjours à la teste ou aux flancs, ou à la queue des ennemis, où il s’estoit porté aussi vaillamment qu’on eust sceu désirer. Il fit semblablement un bon récit de d’Anville et de Martigues ; mais il parla légèrement des lanskenets, comme ayans peu fait, tant d’une part que d’autre, et fort sobrement de luy, comme n’estant qu’un simple capitaine et particulier en l’armée, avec sa compagnie et quelques gentils-hommes de ses amis, qui luy avoient fait cet honneur de le suivre et accompagner ce jour-là, où, après la prise dudit Connestable et la mort du mareschal de Sainct-André, le reste de l’armée luy avoit fait cet honneur de le prier de la commander. Et s’estant joinct avec eux, et ayant pris leur conseil, ils avoient tant fait avec la volonté de Dieu, que la victoire et la place de bataille leur estoit demeurée, et s’estoient maintenus jusques à l’heure, pour attendre ce qu’il plairoit au Roy de leur commander.

Et après avoir dit, il présenta à Sa Majesté une infinité de ceux qui l'avoient accompagné audit Rambouillet, où le Roy, l’ayant remercié du bon service qu’il luy avoit fait ce jour-là, luy commanda et pria d’accepter la charge de l’armée pendant l’absence du Connestable ; et ainsi il fut fait lieutenant du Roy, avec grand honneur qui luy fut rendu, tant des gens de guerre que de ceux de la Cour, bien qu’il se voulust excuser de cette charge en suppliant le Roy d’y commettre quelque prince de son sang, ou le mareschal de Brissac.

L’Admiral cependant, qui avoit pris le chemin de la Beausse, alla à Dangeau, où il fut aussi esleu chef de l’armée des huguenots en l’absence du prince de Condé ; et là fit délibération d’aller rafraischir son armée es villes des pays de Sologne et de Berry, et prit une petite ville appellée Le Puiset, qui se rendit par composition. Estant à Espies en Beausse, il eut quelques advertissemens que le duc de Guise le vouloit suivre. Qui fut cause qu’il manda à Orléans pour rassembler tout ce qui s’y estoit allé rafraischir, puis s’en alla à Beaugency, où il passa la rivière de Loire, et alla, au commencement de janvier, à Selles en Berry, qu’il assiégea et prit par composition. Il alla semblablement prendre Sainct-Agnan et Montrichard, qui sont toutes places lesquelles ne pouvoient tenir, n’y ayant que les habitans. Le duc de Guise, d’autre part, ayant grande quantité d’artillerie, et son armée estant composée de gens de pied du reste de la bataille, ne pouvoit aller si tost que l’Admiral, qui n’avoit que de la cavalerie, il prit cependant Estampes et Pluviers, et alla jusques aux portes d’Orléans.

Au mesme temps le Roy alla à Chartres, et de là à Blois, où le prince de Condé fut mené, et de là envoyé au chasteau d’Onzain, où il pratiqua de se sauver ; ce que toutesfois il ne put exécuter, et y en eut quelques-uns pendus de ceux qui faisoient l’entreprise.


CHAPITRE VII.


Le sieur de Castelnau, après la bataille de Dreux, où il se rencontra, est renvoyé continuer le siège du Havre. Il prend Tancarville. Le Roy luy en donne le commandement. Miserable estat de la Normandie entre les deux partis catholique et huguenot. L’admiral de Chastillon prend Jargeau et Sully, et se retire en Normandie. Querelle entre le mareschal de Vieilleville et le sieur de Villehon, gouverneur de Rouen. Le mareschal de Brissac envoyé lieutenant general en Normandie à la place du mareschal de Vieilleville. Amnistie publiée par ordre du Roy, pour diminuer les troupes de l’Admiral, qui escrit aux princes d’Allemagne que le Roy n’est pas libre. La Reyne tasche de divertir l’Admiral de son voyage de Normandie, qu’il continue, et prend Caen.


Mais avant que poursuivre à parler de ces deux armées, que je laisseray pour un peu, je te diray, mon fils, qu’ayant esté laissé au Havre de Grace avec le comte Rhingrave, dès lors que l’armée du Roy partit de Rouen après la prise de la ville, ce que je m’estois trouvé dedans Paris, en l'armée du Roy, et en tout le progrez qu’elle fit jusques après la bataille, ne fut qu’en poursuivant ce qui nous estoit nécessaire pour assiéger ledit Havre, avoir des gens de pied, de l’argent, poudres et munitions. De sorte que du mesme lieu de Rambouillet je fus renvoyé audit Havre de Grace, avec l’un des régimens de lanskenets du comte Rhingrave, qui estoit à la bataille, qui fut tout le secours que l’on envoya lors audit comte. Lors le sieur de Vieilleville, estant fait mareschal de France par la mort du mareschal de Sainct André, fut envoyé à Rouen pour y commander, et faire les entreprises de chasser les Anglois de la >~ormandie, reprendre le Havre et Dieppe.

Et comme je passois au pays de Caux avec ledit régiment de lanskenets, et près d’un chasteau appelle Tancarville, que tenoient les Anglois sur la rivière de Seine, ils eurent quelque espouvante, pensans que ce fust toute l’armée du Roy, dont je leur fis courir le bruit, et à l’instant loger là auprès et au village dudit Tancarville les lanskenets, qui fut cause de faire parlementer ceux du chasteau : ce que je manday incontinent au comte Rhingrave, qui estoit à Montivillier ; lequel partit à l’heure mesme pour voir cette composition avec son régiment : le mareschal de Vieilleville partit aussi au mesme temps de Rouen, et le jour mesme qu’ils arrivèrent la place fut rendue des François et Anglois qui estoient dedans.

Le Roy, en estant adverty, m’envoya une commission pour y mettre quelques gens de pied et de cheval, afin de tenir les Anglois resserrez de ce costé-là, et asseurer la rivière de Seine jusques au Havre de Grace, et pour faire le magazin de vivres et toutes choses necessaires audit Tancarville pour assiéger ledit Havre. Car en toute la Normandie il y avoit eu tel désordre par les armées qui y avoient passé et séjourné, que toutes choses y estoient desolées, et tous les pauvres peuples au desespoir ; où les catholiques ne faisoient pas moins de mal que les Anglois et les huguenots : de sorte qu’il ne se trouvoit rien par les villages ny par les maisons, qui ne fust caché et retiré dedans des carrières longues et profondes qu’ils ont en ce pays-là, où ils sauvoient tous leurs biens et bestail et eux mesmes, comme gens sauvages désespérez ; de façon que les reistres du comte Rhingrave battoient ordinairement sept ou huit lieues de pays, pour trouver des vivres et aller aux fourrages.

Mais, pour retourner aux deux armées du Roy et des huguenots, l’Admiral, craignant le siege d’Orléans, persuada aux siens d’y aller, et les fit passer et loger en la ville, ayant pris en passant Jargeau et Sully. Alors le duc de Guise s’alla loger à quatre lieues d’Orléans par le costé de la Sologne, tellement que ces deux armées se trouvèrent voisines, ledit duc pour assaillir, et l’Admiral pour defendre : mais, après avoir demeuré quelques jours en ladite ville d’Orléans, il persuada à ses reistres, avec grande peine et difficulté, de reprendre le chemin de la Normandie pour deux raisons : l’une, pour ne se hasarder et enfermer tous en la ville d’Orléans ; l’autre, pour recevoir l’argent qui luy estoit promis d’Angleterre pour les payer, leur persuadant de laisser leurs chariots en la ville, qui demeureroient seurement et à couvert, en prendre les chevaux, pages et valets, et en faire quelques cornettes ; ce qu’ils firent à la fin, mais très mal volontiers. Cette résolution faite, il laissa d’Andelot son frere audit Orléans, pour la deffence de cette ville, et aussi qu’il estoit malade de la fièvre quarte. Cela fait, l’Admiral prit son chemin vers Tyron et Dreux, au mesme lieu où s’estoit donné la bataille, où il fit divers discours des fautes faites des deux costez.

Le Roy, adverty du parlement et voyage que ledit Admiral faisoit en Normandie avec tous ses reistres et François, depescha lettres en tous les lieux de cette province, pour porter tous leurs biens et vivres es villes fermées. En ce temps, estant survenu une querelle entre le mareschal de Vieilleville et le sieur de Villebon, baillif et gouverneur de la ville de Rouen, comme ils disnoient ensemble, le maresclial de Vieilleville coupa le poing ; au lieu de la jointure, d’un coup d’espée audit Villebon, comme il vouloit mettre la main à la sienne, laquelle luy tomba par terre. Un jour après, j’allay à Rouen où j’avois affaire, pour adviser aux nécessitez de la Normandie ; et comme j’avois donné advis à Sa Majesté de cet accident arrivé, elle m’envoya lettres pour voir ceux du parlement et les premiers de la ville, pour leur commander qu’il n’y eust aucunes factions qui pussent troubler le public. J’avois aussi commandement de Sa Majesté de voir lesdits mareschal de Vielleville et de Villebon, et leur dire le desplaisir qu’elle avoit de cet accident survenu à l’un et à l’autre ; mais chacun d’eux voulut rejetter le tort sur son compagnon. Villebon ne parloit que de mettre la vie, et employer tous ses amis pour avoir sa revanche.

Le Roy, pour obvier à l’inconvénient qui pouvoit arriver de quelque sédition et nouveau remuement en la ville de Rouen, qui ne commençoit qu’à se remettre de tant de maux qu’elle avoit soufferts auparavant, advisa de retirer le mareschal de Vieilleville, et y envoya le mareschal de Brissac, pour estre lieutenant-general en toute la Normandie, et luy commit la puissance et authorité generale de reprendre les villes du Havre et Dieppe, et faire une armée pour empescher les desseins de l’Admiral en ladite province.

Et alors le Roy, pour diminuer et rompre les forces des huguenots, fut conseillé de faire publier un pardon generai à tous ceux qui se retireroient d’avec l’Admiral pour aller vivre paisiblement dans leurs maisons. Outre cela, Sa Majesté fit faire une déclaration particulière adressante aux princes d’Allemagne, pour leur faire entendre qu’elle estoit en pleine liberté, la Reyne sa mère, et messeigneurs ses frères ; et en envoya la copie au mareschal de Hesse et à ses reitremaistres, pour les inciter à se retirer hors du royaume de France, ou bien de se mettre à son service, et de laisser le parti de ses ennemis, mauvais sujets et perturbateurs du repos public qui les avoient déceus.

Cette déclaration estant venue à la cognoissance du mareschal de Hesse et de ses reistres, aussi-tost l’Admiral leur fit entendre qu’elle estoit contrainte et forcée ; que le Roy estoit mineur, comme aucuns des autres princes de son sang qui l’avoient signée par son commandement, et les autres intimidez, et la Reyne sa mère, par ceux qui les tenoient en subjection. Il escrivit le mesme à l’empereur Ferdinand et aux princes d’Allemagne pour les advertir de croire tout le contraire de ce que l’on leur avoit mandé, en les priant plustost de leur aider et envoyer le secours qui leur avoit esté promis, que de l’empescher et garder que les catholiques ne fissent des levées en Allemagne. La Reyne mère, comme j’ay dit souvent, tousjours desireuse de trouver quelque moyen de pacification, escrivit à l’Admiral de différer son entreprise d’aller en Normandie pour quelques jours, durant lesquels l’on pourroit traiter de la paix. A quoy il respondit que c’estoit une chose qu’il désireroit volontiers, et que, pour cet effet, il seroit bon que le prince et le Connestable se vissent pour traiter cette affaire ; mais cependant qu’il estoit délibéré de poursuivre son entreprise ; et, comme j’ay dit, estant desjà arrivé au lieu où s’estoit donnée la bataille, il fit diligence d’achever son voyage ; mais il ne put, comme c’estoit son dessein, prendre la ville d’Evreux, d’où il fut repoussé, et y perdit quelques gens. En passant, le prince Porcian fit une entreprise d’aller composer avec celuy qui estoit au Pont-l’Evesque qui le rendit. L’Admiral séjourna quelques jours à Dives, attendant des nouvelles des Anglois, et, peu de temps après, alla assiéger la ville de Caen, de laquelle du Renouart estoit gouverneur, où le marquis d’Elbeuf, frère puisné du duc de Guise, s’estoit retiré, estant en ce pays-là ; et usa de telle diligence qu’il l’eut à la fin par composition, laquelle ne fut tenue en toutes choses ; car les églises furent ruinées, les reliques saccagées, les ecclésiastiques pris et mis à rançon, avec plusieurs catholiques, qui furent contraints de contribuer à ce qu’ils avoient esté cottisez.


CHAPITRE VIII.


Conquestes de l’Admiral en Normandie. Déclaration de la reyne d’Angleterre sur le secours quelle luy donne. Le duc de Guise assiège Orléans contre le conseil de plusieurs, et ainsi abandonne la Normandie à l’Admiral. Le mareschal de Brissac, renfermé dans Rouen, et hors d estat de secourir la province, veut remettre son employ, n’estant point assisté. Il envoye vers le Roy, et conseille la levée du siège d’Orléans pour venir secourir la Normandie.


L’Admiral, triomphant de la prise de Caen, commença à bastir de plus grands desseins sur la Normandie, et depescha plusieurs capitaines pour faire des entreprises sur les villes d’icelle, et entr’autres Mouy et Coulombiers, qui se saisirent de Honfleur et de Bayeux ; et Montgommery, lequel, comme nous avons dit, avoit fait un grand ravage dans cette province, fut aussi envoyé pour reprendre les villes de Sainct-Lo, Vire et autres places, ce qu’il fit, avec quelques gens de pied et pionniers anglois qui lui furent baillez par l’Admiral, lequel toucha l’argent de la reyne d’Angleterre, que le sieur de Trokmarton, lequel estoit auparavant son ambassadeur auprès du Roy, avoit apporté, avec autres belles promesses de ce royaume pour augmenter le mal qui estoit au nostre. Ce qui incita l’Admiral de leur donner le plus de pied qu’il luy seroit possible, afin qu’ils fussent plus prests à le secourir ; s’efforçant de contenter ledit Trokmarton en tout ce qu’il put, et fit relire et publier de nouveau la déclaration qu’avoit faite la reyne d’Angleterre, pour monstrer que son intention n’avoit jamais esté autre que de secourir le Roy son bon frère, contre la violence et desseins de ceux qui le gouvernoient par force, sans vouloir rien entreprendre dedans le royaume, qui ne fust pour le bien et conservation de son Estat.

Et ainsi, par tous moyens, ledit Admirai taschoit de faire ses affaires en Normandie, y branquetant[15] tous les villages, leur faisant payer et fournir certaines contributions, et mettre les catholiques à rançon, pour payer ses reistres qui estoient logez au large : lesquels je laisseray pour retourner au duc de Guise qui approcha d’Orleans, et s’alla loger au village d’Olivet, à demie lieue de la ville, le 5 février 1563, où, ayant fait refaire le pont en diligence, et celuy de Sainct Mesmin, et la chaussée des Moulins de Sainct-Samson, il fit son dessein en peu de temps de mettre en liberté le Connestable, et de prendre la ville d"Orléans, contre le conseil et opinion de plusieurs de la Cour, qui demandoient qu’il allast en Normandie, pour y combattre ou empescher les desseins de l’Admiral, et lequel n’avoit personne qui luy contredist et fist resistance. Car le comte Rhingrave, qui n’avoit que ses deux régimens de lanskenets et les six compagnies qui m’avoient esté baillées, avec quelque cavalerie, et douze cens reistres, estoit de l’autre costé, au pays de Caux, au delà de la rivière de la Seine, et attaché au Havre-de-Grace, que l’on ne pouvoit abandonner sans mettre le pays à la mercy des Anglois, qui estoien audit Havre et à Dieppe, guidez par plusieurs huguenots qui estoient dedans le pays.

Matignon, lieutenant du Roy en la basse Normandie, et a présent mareschal de France, estoit d’autre part bien empesché par l’Admiral, lequel avec ses reistres estoit maistre de la campagne, comme aussi par le comte de Montgommery ; ce qui faisoit bien mal au cœur au mareschal de Brissac, lieutenant-général par toute la Normandie, lequel estoit contraint de demeurer à Rouen, pour n’avoir ny hommes, ny argent, ny moyen de sortir de la ville, et trouvoit ce commandement bien different de celuy qu’il avoit eu en Piedmont, avec tant d’argent et de braves capitaines et soldats, et qu’il n’y avoit rien en France qui luy fust lors espargné, n’y ayant jeune prince, seigneur et gentilhomme qui n’allast faire son apprentissage en cette guerre de Piedmont. Voyant donc le mareschal de Brissac le piteux commandement qu’il avoit, et le peu de moyen de conserver sa réputation, et faire service au Roy en cette charge, manda le comte Rhingrave et quelques autres seigneurs et gentilshommes, et des principaux capitaines qui estoient serviteurs du Roy en Normandie, pour le venir trouver à Rouen, afin de prendre conseil et délibération de ce qu’il falloit faire. Or estans assemblez avec luy, il nous proposa qu’il avoit un extresme regret d’avoir, sur ses vieux jours, accepté la charge de lieutenant general du Roy en Normandie, se trouvant seulement avec la commission qu’il vouloit renvoyer à Sa Majesté, parce que l’on ne luy avoit tenu aucune chose de ce qui luy avoit esté promis, luy ayant esté dit et asseuré au partir de la Cour, qu’aussi tost qu’il seroit à Rouen l’on luy envoyeroit des hommes, de l’argent, du canon, des munitions, des pionniers et autres choses nécessaires pour reprendre les villes du Havre-de-Grace, de Dieppe et autres detenues, et qui se prenoient tous les jours en Normandie ; qu’il estoit un bourgeois de la ville de Rouen, et non un lieutenant du Roy, parce qu’il n’avoit pas seulement deux cens chevaux pour recognoistre l’Admiral, lequel faisoit tout ce qu’il vouloit sans aucun empeschement. Que de tirer le comte. Rhingrave avec ses forces du Havre-de-Grace, où il tenoit les Anglois resserrez, il n’y avoit point d’apparence, tant pour n’estre assez fort pour faire teste à l’Admiral, qu’aussi ce seroit bailler entièrement le pays de Caux aux Anglois, qui avoient six mille hommes dedans le Havre-de-Grace. Et après avoir le mareschal de Brissac allegué plusieurs autres raisons accompagnées de la douleur qu’il avoit de se voir enfermé dans la ville de Rouen, et voir ruiner, prendre et piller toute la Normandie par l’Admiral, il demanda conseil d’un chacun de ce qui estoit de faire. La plus grande partie fut d’opinion d’envoyer vers le Roy, tant pour luy remonstrer les maux que faisoit l’Admiral, que pour la grande espouvante qu’il donnoit à tout le pays, afin que Sa Majesté envoyast des forces et de l’argent au mareschal pour faire une armée, et se mettre en campagne avec ce qu’il tenoit pour le Roy, et aller combattre l’Admiral.

Le mareschal de Brissac ayant entendu l’opinion d’un chacun, prenant de l’un et de l’autre ce qui luy sembloit bon, fit la conclusion qu’il avoit prise, comme il est à presumer, avant que de nous envoyer quérir, qu’il falloit donc en diligence envoyer vers le Roy qui estoit à Blois, avec les instructions et mémoires de tout l’estat présent de la Normandie et de la nécessité où elle estoit reduite, en danger d’estre bientost plus mal, s’il n’y estoit promptement pourvu, et qu’au lieu de six mille Anglois qu’il y avoit, il y en auroit bientost douze mille et plus ; disant qu’il avoit toujours ouy dire et recognu que cette nation ne demandoit qu’à prendre pied en France du costé des lieux maritimes. Davantage, que l’Admiral, ayant de l’argent d’Angleterre, n’auroit pas faute de gens, mesme d’un renfort de reistres, comme il traitoit avec quelques princes d’Allemagne. Par ainsi qu’il jugeoit (ce qu’à Dieu ne piust) que, s’il n’estoit bientost pourvu à la Normandie, les Anglois et l’Admiral y auroient la meilleure part, et seroit fort mal-aisé de les en desloger ; et que, pour cette occasion, il ne voyoit autre remède plus prompt, ny forces qui fussent bastantes de deux mois de donner aucun secours à cette province, si ce n’estoit de l’armée que commandoit le duc de Guise : estans d’advis qu’il laissast la ville et le siège d’Orléans et les entreprises au milieu de la France, où il se trouveroit tousjours assez de remèdes pour ruiner les huguenots, afin d’aller chasser les Anglois, principaux ennemis du royaume, et l’Admiral de Normandie : lequel estant défait avec ce qui luy restoit de reistres, et le prince de Condé prisonnier, les huguenots estoient perdus pour jamais, et demeureroient sans chef, et les Anglois avec la honte et le repentir d’avoir mis le pied en France. Et fit avec cette résolution plusieurs beaux discours trop longs à réciter, selon son expérience au fait des armes.


CHAPITRE IX.


Le sieur de Castelnau Mauvissière envoyé au Roy à Blois par le mareschal de Brissac proposer ses advis. Le Roy le renvoye au duc de Guise devant Orléans. Le duc de Guise a son arrivée le mene à l’attaque du fauxbourg de Portereau qu’il emporte de force. Entretiens du duc de Guise avec le sieur de Castelnau Mauvissière, tendant à ne point quitter son entreprise. Libéralité du duc de Guise envers les soldats blessez. En continuant le siege le duc assemble le conseil de guerre pour entendre les ordres du sieur de Castelnau Mauvissière. Discours du duc de Guise contre le conseil de la levée du siège. Il ramene tous les chefs à son opinion, et fait difference du commandement des armées en guerres civiles et en guerres estrangeres. Le duc de Guise propose la levée du ban et arriereban, et de faire une grande armée commandée par le Roy et s'en promet en peu de mois la ruine des rebelles et la paix du royaume.


Après cela il me voulut choisir pour porter ce conseil et son opinion au Roy et au duc de Guise, avec instruction et amples mémoires. Cette depesche ainsi resolue fut faite tout le reste du jour et de la nuit, et le lendemain au matin je fus pressé de partir par ledit mareschal, après m’avoir dit plusieurs choses de bouche pour dire à Leurs Majestez et au duc de Guise, afin de les porter à cette résolution. Donc le chemin de Rouen à Blois n’estant pas fort long, je fis diligence d’y aller en poste, et trouvay le Roy et la Reyne sa mère, et tout le conseil qui estoit auprès d’eux, si préparez à ce que je leur proposay de la part du mareschal, qu’ils me dirent estre entierement de son opinion, mais qu’il sembloit que ce ne fust celle du duc de Guise, lequel se vouloit attacher à Orléans de sa seule volonté.

Gonnor, frere dudit mareschal de Brissac, qui avoit la super-intendance generale des finances, pressoit fort de conseil et de raisons semblables à celles de son frere, que le duc de Guise s’acheminast incontinent en Normandie. De sorte qu’à mesme heure je fus depesché du Roy et de la Reyne sa mère, par l’advis de tout le conseil qui estoit auprès d’eux, pour aller trouver le duc de Guise qui faisoit ses approches à Orléans. Et comme il n’y a que quatre postes j’y arrivay devant son disner ; et incontinent après il s’en alla voir son infanterie, qui estoit à deux cents pas du faux-bourg du Portereau, sur les deux costez du droit chemin, qui l’attendoit sans faire aucun bruit, suivant le commandement qu’elle en avoit reçu.

Là je proposai au duc de Guise, le plus briefvement qu’il me fut possible, la commission que j’avois. Mais il ne me respondit autre chose, sinon que j’estois le fort bien venu, et que nous aurions du temps à parler et resoudre sur une affaire de telle importance ; puis me fit bailler un bon cheval de son escurie, et me commanda de le suivre et de bien considérer les gens de pied qui estoient en cette armée, les meilleurs, disoit-il, qu’il eust jamais veu, et d’aussi bons maistres de camp et capitaines qu’il y en eust en France, et entr’autres Martigues, leur colonel, qui estoit plein de valeur et de courage. Au mesme temps il met pied à terre au milieu de ses troupes, parle à quelques capitaines et commissaires de l’artillerie, prend ses armes et fait mettre à la teste de son infanterie quatre coulevrines traisnées seulement par les pionniers ; puis donna droit au faux-bourg du Portereau, qui n’estoit fortifié que de quelques gabions, fascines et tonneaux, où il fit tirer une volée desdites coulevrines, et, au mesme temps donner quelques enseignes, lesquelles au mesme instant faussent les portes, renversent tous les gabions et tonneaux, et entrent dedans le faux-bourg, où il y avoit quelques lansquenets et François, qui avoient promis à d’Andelot de garder et deffendre ledit Portereau ; mais les uns se retirèrent fuyans et jettans les armes par terre pour entrer en la ville : les autres qui n’alloient sitost y furent tuez et taillez en pièces, autres pris prisonniers, laissans tout ce qu’ils avoient en leurs logis, qui fut tout pris et gagné par les gens de pied du duc de Guise, lequel fit assez grande diligence, et d’entrer pesle-mesle pour gagner la porte de la ville, et entrer dedans avec les fuyards, qui aidèrent à fermer la porte à leurs compagnons et leurs ennemis tout ensemble, et tiroient fort et ferme du portail et de plusieurs endroits de la ville sur les nostres, qui avoient gagnez le fauxbourg.

Lors le duc de Guise me dit qu’il avoit ouy dire autrefois que l’on prenoit des villes, et y entroit-on pesle-mesle quand il y avoit un espouvantement tel que celuilà, et qu’il n’en avoit jamais veu un plus grand, ayant toutesfois bien fermé leur porte, sans nous epargner la poudre. Aussi tiroient-ils force arquebusades, et quelques pieces qui faisoient beaucoup de dommage aux nostres, et où ledit duc mesme n’estoit pas hors de danger ; qui fut cause de le faire descendre de cheval et entrer es premieres maisons à la main gauche, qui regardoient vers la porte ; de laquelle ceux de la ville tiroient jusques à son logis, où il demeura jusques environ sur les cinq heures du soir à voir tout ce qui se passoit, entendant quelques prisonniers sur l'estat de la ville et de ce que faisoit d’ Andelot, qu’ils dirent avoir la fièvre quarte ce jour-là. Lors il dit en riant que c’estoit une bonne médecine pour la guérir. Et s’enquit du Connestable d'autres particularités, selon qu’il pensoit apprendre quelque chose, puis il me dit : « Je voudrois que le mareschal fust ici pour une heure ; j’estime qu’il prendroit contentement de nos gens de pied, et qu’il auroit regret de les voir partir d’icy sans metLre M. le Connestable en liberté et desnicher le magazin et première retraite des huguenots. »

Achevant ce propos, il sortit de ce logis, et alla recognoistre ce qu’il put de la ville, de leurs fortifications et des lieux par où il la voudroit prendre ; puis il assit ses gardes, et ordonna à un chacun ce qu’il avoit à faire pour la nuit, leur asseurant qu’il seroit le lendemain de bon matin avec eux pour adviser du surplus, et donna lui mesme de sa main de l’argent à quelques soldats blessez, comme c’estoit ordinairement sa coustume, et ainsi avec la nuit il se retira à son logis, qui estoit à une lieue de là, et en retournant me dit : «Nous parlerons demain pour faire response au Roy et à M. le mareschal de Brissac. » Le lendemain de grand matin il m’envoya quérir, estant desjà prest à monter. à cheval pour aller au Portereau et retourner à son entreprise, où il employa tout le jour à commander et ordonner tout ce qu’il y avoit à faire pour la prise de la ville, et à préparer des batteaux pour passer la rivieie et faire sa batterie, avec esperance que la ville ne tiendroit pas long-temps après. Le troisiesme jour au matin, sur les huit heures, il envoya querir tous les principaux seigneurs et capitaines qui avoient charge en son armée, et, pour avoir plus d’espace, entra au jardin, où il me donna charge en leur présence de dire, sans oublier aucune chose, la commission que m’avoit donnée le mareschal de Brissac, par l’advis de ceux qui estoient serviteurs du Roy en Normandie, et le commandement que m’avoient fait Leurs Majestez, qui approuvoient l’opinion dudit mareschal : ce que je recitay de point en point, avec toutes les raisons qu’il m’estoit commandé de dire au duc de Guise et à tous ceux qui estoient avec luy. Et, après m’avoir attentivement escouté, demanda l’advis à tous les seigneurs et capitaines qui estoient présens, et les fit opiner par ordre, commençant aux plus jeunes. Il n’y en eut pas un qui ne trouvast en apparence ce conseil du maresched et ce commandement du Roy très-bon, d’aller incontinent combattre l’Admiral.

Et après les avoir tous ouys, le duc de Guise commença de parler en cette façon : « Messieurs, nous avons tous entendu le bon conseil de M. le mareschal de Brissac par la bouche de Castelnau, et l’opinion de tous les bons serviteurs du Roy qui sont avec luy, ensemble l’estat auquel sont de present les affaires en la Normandie, et les actes d’hostilité qu’y fait journellement l’Admiral avec ses reistres, et ce qui luy reste de cavalerie de la bataille, toutes choses à la vérité dignes de grande considération, et le commandement exprès que le Roy nous donne la-dessus de partir d’icy avec cette armée, pour nous aller opposer à l’Admiral et à ses desseins, qui seroient de subjuguer le pays de Normandie, et en bailler une bonne partie aux Anglois, anciens ennemis de la couronne de France, et qui ont tousjours cherché de faire leur profit de nos divisions, dont il n’est besoin d’alléguer les exemples connus à un chacun ; et est bien croyable que la nécessité d’argent dans laquelle est réduit l’Admiral pour payer son armée et ses reistres, avec la passion de sa cause, luy fera oublier le devoir de sujet envers son roy et sa patrie ; et en l’opinion et au jugement de vous autres, très-sages et bons capitaines qui estes icy assemblez, je recognois bien que vous voulez du tout, comme très-obeissans, vous conformer au commandement du Roy et advis très-prudent du mareschal de Brissac, le plus sage et expérimenté capitaine de France après le Connestable ; et, de ma part, je craindrois toujours de faillir en mon opinion, mesmement pour contredire à tant de sages capitaines et au commandement du Roy ; mais j’ai aussi souvent ouy dire et appris par expérience que sur nouveau accident il faut prendre nouveau remède. Chose qui me fera plus librement dire ce qui me semble en cette affaire, sans me laisser emporter d’aucune affection particulière. Premièrement je trouve qu’en apparence le conseil de M. le mareschal de Brissac est fort bon, de vouloir persuader au Roy que Sa Majesté envoye son armée pour défaire celle de l’Admiral, remettre la Normandie en liberté, et en chasser les Anglois le plustost qu’il sera possible, et garder qu’ils ne prennent plus de pied et ne donnent plus d’aide et d’argent aux huguenots, et confesse que leur conservation ou leur ruine dépend de l’Admiral et de son armée. Mais de partir si soudain pour le penser trouver et sa cavalerie en lieux desavantageux, comme Castelnau m’en a fait le rapport, et laisser l’entreprise d’Orléans, ville si estonnée et à demi prise, c’est chose qui me semble hors de propos ; veu aussi que l’Admiral ne sera pas si mal adverty (attendu qu’il en a de sa faction à la Cour et par toute la France), qu’en moins de vingt-quatre heures l’on ne luy mande ce qui aura esté conclu contre luy : sur quoy il pourvoira diligemment à ses affaires pour se mettre et sa cavalerie en lieu de seureté et commode pour chercher ses advantages ; et faut considérer que l’armée du Roy qui tient Orléans de bien près, est composée de gens de pied seulement ; que depuis la bataille toute la cavalerie s’est allé rafraischir et remettre en estat de faire service ; et lorsqu’il a esté question d’employer cent chevaux après avoir passé la rivière de Loire, j’y ay eu assez affaire, la pluspart estant volontaires, et bien souvent j’ay presté ceux de mon escurie et de ma maison, Aussi a-t-on jamais veu une armée, toute de gens de pied, aller chercher une armée de gens de cheval, ayant tant de plaines à passer, comme celle de la Beausse, celle de Dreux et celle du Neufbourg, en l’une desquelles l’Admiral attendra l’armée du Roy, en son option de combattre, ou de hasarder mille ou douze cens chevaux, pour les sabouler parmy les gens de pied, voir s’il les pourra entamer, pour donner dessus tout le reste ? ou bien, quand il n’aura volonté de combattre, il leur coupera les vivres, et leur fera endurer de grandes incommoditez en quelque mauvais logis ; et, en un mot, pour partir d’Orléans, quand bien ce seroit chose forcée, il faux six ou sept jours à desloger, à faire cuire du pain, ordonner aux commissaires des vivres de faire leurs estapes, et le chemin qu’il faut tenir, envoyer quérir et faire ferrer les chevaux de l’artillerie, bailler quelque argent aux soldats, dont la pluspart ont besoin, et qui sont sans souliers ; et, pendant ce temps-là, l’Admiral, estant adverty, s’acheminera pour se trouver en l’une des trois plaines susdites, èsquelles, s’il ne veut tenter la fortune de combattre, il passera, avec toute sa cavalerie, à cent ou deux cens pas de l’armée du Roy, la laissera aller en Normandie, retournera à Orléans, passera auprès de Paris, donnera aux habitans un estonnement, en danger de brûler les faux-bourgs, espouvantera tous ces quartiers, rançonnera chacun à discrétion, peut-estre ira droit à Blois, prendra la ville, ou du moins en fera desloger le Roy, et par conséquent se fera maistre de la campagne tout le long de la rivière de Loire, et y asseurera Orléans et les places qu’il y a et au pays de Berry, et, en somme, fera la pluspart de ce qu’il luy plaira sans aucun empeschement. Alors l’on dira : Où est l’armée du Roy ? où va le duc de Guise ? pourquoy a-t-il laissé l’entreprise d’une ville qu’il pouvoit prendre en dix jours, abandonne le Portereau et ce qu’il avoit pris sur les ennemis, pour entreprendre de passer l'armée du Roy en Normandie, laquelle à moitié chemin il faudra faire retourner bien harassée, sans avoir rien fait qui soit à propos ? Parquoy, je prie un-chacun de ne prendre en mauvaise part mon opinion, du tout contraire à celle de M. de Brissac, et faut, à mon advis, prendre Orléans avant que partir de-là, et asseurer toute la rivière de Loire et le Berry. »

Lors, comme tous les seigneurs et capitaines qui estoient en ce lieu avoient esté d’opinion contraire, à l’heure mesme ils demeurèrent tous de celle du duc de Guise, lequel fit incontinent une digression et assez ample discours sur l’estat et malheur des guerres civiles ; disant que le mareschal s’y trouveroit bien plus empesché qu’aux guerres de Piedmont, où il n’avoit eu qu’un ennemy en teste, ayant toutes les commoditez d’hommes et d’argent que pouvoit produire la France.

Puis il pria ceux qui estoient en ce conseil de prendre bien son opinion, et ne desloger d’Orléans, s’il estoit possible, que la ville ne fust prise : que tousjours il estoit d’advis qu’on allast chercher l’Admiral en Normandie, où la part[16] qu’il tourneroit, pour le combattre : toutesfois, qu’il y falloit marcher avec advantage, pour vaincre s’il estoit possible, et non pour estre vaincu ; et, pour cet effet, qu’il estoit d’opinion que, dans peu de jours, le Roy fist donner le rendez-vous à toute la gendarmerie et arrièreban de France à Baugency et es environs, ou à Estampes, comme il seroit advisé pour le mieux, et que pareillement il fust mandé à tous ceux de la noblesse de France, depuis l’âge de dix-huict et vingt ans jusques à soixante, sans aucune excuse que de légitime maladie, de se trouver tous à faire, non pas profession de leur foy, mais de leur affection envers le Roy, et que tous ceux qui luy voudroient estre bons sujets prissent les armes et combatissent avec Sa Majesté pour la deffence de sa couronne. Que pareillement toutes les forces qui estoient esparses en divers endroits par le royaume, fussent ramassées comme celles qu’avoient mandées les ducs de Montpensier, de Nemours, Montluc, et toutes les compagnies des gens de pied et de cheval qui estoient à la solde du Roy ; et que Sa Majesté, estant accompagnée de la Reyne sa mère, des princes de son sang qui estoient à la Cour, et de tout le conseil, commanderoit en personne à son armée, laquelle, après avoir fait monstre, il feroit marcher droit où seroit l’Admiral, avec trente mille hommes de pied, et pour le moins dix mille chevaux, dont il se pourroit faire deux armées, desquelles la moindre seroit trop forte pour le combattre et défaire ; de telle sorte que luy ny ceux de sa faction ne s’en pourroient jamais relever ; et que lors l’on diroit estre la cause et l’armée du Roy, et non celle du duc de Guise, respondant aussi à ceux qui pouvoient objecter que Sa Majesté estoit trop jeune, disant qu’il prendroit sur sa vie de le faire commander et le mettre et loger tousjours en lieu si asseuré, qu’il ne courroit non plus de hasard, ny tout son conseil, que s’ils estoient à Paris ; et qu’il esperoit, par ce moyen, qu’avant que l’esté fust passé le Roy seroit aussi paisible en son royaume, et exempt de guerres civiles, qu’il fut jamais.

Tout ce que dessus estant proféré par le duc de Guise, plut grandement à tous les seigneurs, capitaines et autres qui estoient en ce conseil, où aucun ne répliqua rien, sinon qu’il leur sembloit le devoir faire ainsi. Sur cela je fus renvoyé vers le Roy, où estant arrivé, soudain Sa Majesté me voulut entendre en présence de la Reyne sa mère, du cardinal de Bourbon, du prince de La Roche-sur-Yon et du conseil.


CHAPITRE X.


Le sieur de Castelnait Mauvissière retourne vers le Roy, qui approuve la résolution prise par le duc de Guise, et renvoye le sieur de Castelnau Mauvissière en Normandie vers le mareschal de Brissac. Histoire de l’assassinat du duc de Guise par Poltrot. Prise de Poltrot. Les huguenots s’excusent et se purgent de ce meurtre, qui causa de grands malheurs. Continuation du siège d’Orléans. Poltrot tiré à quatre chevaux. Les charges du duc de Guise continuées a son fils. Reflexion de Vautheur sur la mort tragique de tous les chefs des deux partis.


Chacun pensoit que je deusse apporter le parlement du duc pour aller avec l’armée en Normandie. Mais ayant rapporté le contraire au Roy, et tout ce qui s’estoit passé es opinions des seigneurs, gentils-hommes, capitaines et autres, desquels le duc avoit pris l’advis, et sa conclusion susdite, elle fut incontinent approuvée de Leurs Majestez et des princes du sang et du conseil, où il n’y eut pas un de ceux qui estoient avec le Roy qui y contredist. Occasion pourquoy Leurs Majestez luy despeschèrent au mesme instant Rostaing, tant pour luy communiquer les autres affaires du royaume, que pour en avoir son advis.

Ce mesme jour je fus despesché en Normandie pour faire entendre au mareschal de Brissac ce que je remportois de mon voyage, et luy dire qu’il advisast, avec les forces qui estoient en Normandie, de conserver et deffendre le pays le mieux qu’il seroit possible, et empescher l’Admirai et sa cavalerie d’y faire un plus grand progrès, attendant que le Roy y envoyast son armée, où peut-estre il iroit en personne, selon le conseil du duc de Guise. De façon que l’Admiral ne pourroit là ny ailleurs trouver lieu de seureté, qu’il ne fust combattu et défait, et que ce seroit le vray moyen de mettre la fin à toutes les guerres civiles de la France.

Je n’avois pas encore esté une heure et demie avec le mareschal de Brissac, qu’il arriva en diligence un chevaucheur d’escurie, qui avoit couru jour et nuict, portant la nouvelle d’une grande blessure qu’avoit eue le duc de Guise en retournant, le jour d’après que je l’eus laissé, en son logis, résolu la nuit mesme d’assaillir les isles. Il estoit accompagné de son escuyer, qui marchoit devant luy, et de Rostaing, monté sur un mulet, lorsqu’un jeune soldat, qui se disoit gentil-homme du pays d’Angoumois, appelle Jean de Meré, dit Poltrot, estant peu auparavant party de Lyon, lors occupé par les huguenots, vint trouver le duc, feignant de se rendre à luy pour servir Sa Majesté en son armée. S’estant donc mis au service de ce prince, qui recevoit volontiers ceux qui le recherchoient, et qui l’avoit fort bien traité, il espia toutes les occasions d’exécuter sa détestable entreprise. L’on disoit que ce Poltrot avoit esté nourry quelque temps en Espagne, dont il parloit le langage, et s’estoit, quelque temps auparavant, tenu au service de Soubise, où quelques-uns vouloient dire qu’il avoit prémédité son entreprise, bien que par sa confession il l’aye deschargé, et qu’estant party de Lyon il fut trouver l’Admiral, qui s’en servit comme d’un espion, et luy bailla de l’argent pour acheter un cheval. Quoy que ce soit, il suivit le duc de Guise jusques au dix-huitiesme février 1562, qu’il luy tira en l’espaule, de six ou sept pas, un coup de pistolet chargé de trois balles empoisonnées.

Incontinent qu’il eut fait le coup, il essaya de se sauver par les taillis, desquels il y a quantité en ce pays là ; mais ayant chevauché toute la nuit en crainte, pour la grande trahison qu’il avoit commise, et estant, luy et son cheval, fort las et harassez, il descendit en une grange près du lieu d’où il estoit party ; et le lendemain, ayant esté trouvé endormy par Le Seurre, principal secrétaire du duc, il fut pris et mené en prison, où estant accusé par conjecture, il confessa le fait ; et fut mené en présence de la Reyne mère deux ou trois jours après, où il fut interrogé.

Quelque temps après, il fut publié un petit livre, par lequel l’on chargea l’Admiral, La Rochefoucauld, Feuquières, Théodore de Beze et Soubise, auquel les huguenots firent response par forme d’apologie, disant que ledit Poltrot avoit pris ce conseil de soy-mesme, sans en demander advis à personne. Aussi l’Admiral s’en est tousjours voulu purger, disant l’acte estre meschant, encore qu’il dist que, pour son particulier, il n’avoit pas grande occasion de plaindre la mort du duc de Guise, lequel finit ses jours de cette blessure le mercredy vingt-quatriesme dudit mois, après avoir esté malade sept jours[17] avec de grandes douleurs et convulsions. Ce fut un acte le plus meschant que ce Poltrot eust pu commettre, car le soldat mérite la mort, qui seulement aura voulu toucher le baston duquel son capitaine l’auroit voulu chastier. Et ceux qui sçavoient quelque chose de cette entreprise, eussent eu plus d’honneur de l’en détourner que de le conforter en sa mauvaise volonté ; comme fit le consul Fabritius, auquel s’adressant un jour le médecin de Pyrrhus, luy offrit de l’empoisonner s’il luy vouloit donner une somme d’argent ; mais au contraire, Fabritius, voyant la perfidie d’un tel homme, le fit prendre, et l’envoya, pieds et mains liez, à son maistre, lequel avoit gagné trois grandes batailles sur les Romains. Et combien que quelques-uns ayent pensé que ce Poltrot eust beaucoup fait pour les huguenots, si est-ce que cet acte a esté cause d’autres grands maux qui s’en sont depuis ensuivis, lesquels l’Admiral a sentis pour sa part, comme je diray en son lieu ; et a cette mort apporté un changement à toutes les affaires de la France.

L’armée, toutesfois, vouloit poursuivre l’entreprise, et fut faite une plate-forme sur le pont pour tirer en la ville ; mais le Roy, la Reyne sa mère, et tous les catholiques, demeurèrent fort estonnez, comme aussi la ville de Paris, qui luy fit des funérailles fort honorables, et en laquelle ledit Poltrot fut exécute et tiré à quatre chevaux. La Reyne, mère du Roy, monstra lors le ressouvenir qu’elle avoit de ses services, et l’affection qu’elle portoit à sa mémoire et à toute sa maison, faisant pourvoir Henry, duc de Guise, son fils aisné, de l’estat de grand-maistre de France, et du gouvernement de Champagne, que tenoit son père, et a fait depuis tout ce qu’elle a pu pour cette maison.

Or il fut advisé, sur les occurrences qui se présentoient, de regarder ce qui estoit le meilleur pour l’estat du Roy, du royaume et de l’armée, qui avoit perdu quatre de ses chefs en peu de temps, sçavoir : le roy de Navarre, qui estoit mort au siège de Rouen, le Connestable, pris prisonnier, le mareschal de Sainct-André, tué à la bataille de Dreux, et le duc de Guise, tué devant Orléans : chose fort remarquable, que tous les chefs de part et d’autre de ces deux armées, sont à la fin mort violemment sans qu’il en soit eschappé aucun, comme on verra cy-après.


SUPPLÉMENT DU CHAPITRE X

par l’éditeur.


On a vu que Coligny, La Rochefoucauld, Feuquières, Théodore de Bèze et Soubise, furent accusés par Poltrot de l’avoir excité à tuer le duc de Guise ; l’assassin prétendoit même qu’il avoit reçu, à deux reprises différentes de l’argent de l’Amiral. Cette accusation augmenta la fureur des partis, et le plan de défense qu’adopta Coligny n’étoit pas fait pour la calmer. Dans l’espace de trois ans que dura l’affaire, il publia trois apologies, qui peuvent être considérées comme des pièces infiniment curieuses, parce qu’elles répandent beaucoup de lumière sur le plus grand événement de la première guerre de religion, et parce qu’elles donnent une idée très-juste, tant du caractère de l’Amiral, que de la disposition où se trouvoient alors les esprits. Nous allons en faire un extrait impartial, laissant au lecteur à juger si l’accusation avoit quelque fondement.

Le duc de Guise avoit été assassiné le 18 février 1563 : l’assassin fut arrêté le lendemain, et conduit, deux jours après, au camp de Saint-Hilaire, près de Saint-Mesmin, où se trouvoient Catherine de Médicis et Charles IX. Là il fut interrogé par le conseil privé, et fit les révélations dont nous avons parlé.

Dès le 12 mars suivant, Coligny, se trouvant à Caen, publia une première apologie, qui fut signée par le comte de La Rochefoucauld et par Théodore de Bèze.

L’Amiral avance d’abord qu’il n’a vu Poltrot, pour la première fois, qu’un mois avant l’assassinat ; qu’il lui fut alors présenté par Feuquières comme un homme d’exécution, et que, dans le court entretien qu’il eut avec lui, il ne fut nullement question du duc de Guise. Il convient qu’il l’a revu depuis dans différens lieux, et qu’il lui a donné une fois vingt écus, une seconde fois cent, pour l’employer, dit-il, à sçavoir des nouvelles du camp des ennemis, sans luy tenir autre langage ni propos, et sans luy faire mention de tuer ou ne pas tuer le seigneur de Guise. Il prend à témoin la duchesse qu’autrefois il a fait souvent avertir son mari des dangers qui le menaçoient ; mais il ajoute qu’il a dû changer de conduite, après avoir appris que le duc avoit conçu le projet de faire assassiner le prince de Condé et tous les seigneurs de la maison de Châtillon. « Depuis ce temps-là, continue-t-il, quand j’ay ouy dire à quelqu’un que, s’il pouvoit, il tueroit le sieur de Guise jusques en son camp, je ne l’en ay point détourné ; mais, sur ma vie et mon honneur, il ne se trouvera jamais que j’aye recherché, induit ni sollicité quelqu’un à ce faire, ni de paroles, ni d’argent, ni par promesses, par moy ni par autrui, directement ni indirectement. »

Coligny finit par avouer que, à sa dernière entrevue avec Poltrot, celui-ci lui dit qu’il seroit aisé de tuer le duc de Guise : « Je n’insistai jamais sur ce propos, se hâte-t-il d’ajouter, je l’estimois pour chose du tout frivole, et je n’ouvris jamais la bouche pour l’exciter à l’entreprendre. « 

n termine cette première apologie par demander que Poltrot soit étroitement gardé jusqu’à la fin des troubles. Il récuse les cours de parlement et tous autres juges qui se sont manifestement déclarés ses ennemis ; il veut, à la paix, être confronté avec l’assassin, et comparoître ensuite devant des juges non suspects.

Cette pièce fut transmise à Catherine de Médicis avec une lettre de l’Amiral, dans laquelle il emploie de nouvelles raisons pour se justifier. « Cependant, poursuit-il, ne pensez pas que ce que j’en dis soit pour regret que j’aie à la mort de M. de Guise ; car j’estime que ce soit le plus grand bien qui pouvoit advenir à ce royaume et à l’église de Dieu, et particulièrement à moy et à toute ma maison ; et aussy que, s’il plaît à Votre Majesté, ce sera le moyen pour mettre ce royaume en repos. »

Cette justification fut loin de satisfaire les catholiques, et les protestans trouvèrent que l’Amiral avoit eu tort de ne pas chercher à dissimuler sa haine implacable contre le duc de Guise. Les représentations de ces derniers ne purent le déterminer à changer de ton : il fit paroître, le 5 mai de la même année, une seconde apologie, où, sans faire valoir de nouveaux moyens de défense, il s’étend sur les entretiens qu’il a eus avec Poltrot, et soutient toujours qu’ils n’ont roulé que sur les moyens de découvrir ce qui se passoit dans l’armée catholique.

« Si j’en avois fait davantage, ajoute-t-il avec audace, pourquoy le dissimulerois-je ? Car y eut-il jamais un ennemy plus déclaré contre autre que cestuy-là ? Pourquoy estoit-il devant Orléans, que pour exterminer femmes, enfans et tout ce que j’avois de plus cher au monde ? Voire que gens dignes de foy disent qu’il s’estoit vanté de ne pardonner à nul sexe de ce qui se trouveroit audit Orléans. Il ne faut aussi douter que l’homme de toute l’armée que je cherchay le plus le jour de la bataille dernière, ne fust cestuy-là : aussy peu faut-il douter que si j’eusse pu braquer un canon contre luy pour le tuer, que je ne l’eusse fait, que je n’eusse semblablement commandé à dix mille harquebusiers, si je les avois eus à mon commandement, de luy tirer entre tous les autres, fust-ce en campagne, au-dessus d’une muraille ou derrière une haye. Bref, je n’eusse épargné un seul moyen de ceux que le droit des armes permet, en temps d’hostilité, pour me défaire d’un si grand ennemy que cestuy-là me l’estoit, et à tant d’autres bons sujets du Roy : et, pour conclusion, je proteste, devant Dieu et devant ]es anges, que je n’en ay ni faict ni commandé rien davantage que ce que j’en ay mis par escript. »

Après la paix d’Amboise, au mois de septembre 1563, Anne d’Est, veuve du duc de Guise, la maison de Lorraine et ses partisans pressèrent le parlement de Paris de faire des informations contre Coligny : mais le prince de Condé et les protestans obtinrent de Catherine de Médicis que la cause fût évoquée au conseil du Roi, et que le parlement eût défense d’en connoître. Alors Anne d’Est s’adressa directement à Charles IX, et lui présenta une requête où elle établit qu’une évocation générale ne pouvoit, ni ne devoit comprendre un crime de lèse-majesté, et le meurtre d’un pair de France, lieutenant général du royaume. « Rien, ajoutât-elle, ne seroit plus inique que de bailler à un accusé d’un tel crime, juges par luy demandés et poursuivis. »

L’Amiral répondit à cette requête, et c’est sa troisième apologie. Il est assez singulier de voir ce chef des protestans, qui se prétendoit le plus ardent défenseur des anciennes libertés du royaume, soutenir que les rois peuvent dérober leurs sujets à la justice ordinaire, et les traduire devant des commissions. « Quoi que madame de Guise puisse supposer par ses requestes, dit-il au jeune monarque, la justice, administration et distribution d’icelle est en vostre main, non liée, ni obligée à cour de parlement ou autre, pour, soit de volonté, soit par justice, la raison et nécessité le requérant, la commettre à qui bon semblera, comme vous et vos prédécesseurs avez faict en plusieurs cas et exemples. » Ensuite, d’accusé devenant accusateur, l’Amiral reproche audacieusement au feu duc de Guise d’avoir pris les armes sans l’aveu du Roy, et faict plusieurs choses au préjudice de Sa Majesté, et du repos du royaume.

Catherine ajourna cette affaire à trois ans, et elle défendit de faire aucune poursuite jusqu’à l’expiration de ce terme. Enfin, en 1566, elle obtint à Moulins une réconciliation apparente entre les maisons de Guise et de Châtillon.

Pendant que Coligny se justifioit ainsi de l’assassinat du duc de Guise, un protestant écrivit à la Reine-mère une lettre datée de Rome. On y trouve l’apologie la plus révoltante du crime de Poltrot. En voici un passage très-remarquable :

« Au lieu de recognoistre, madame, qu’un tel ouvrage est procédé de la main de Dieu en faveur manifeste du Roy et de vous, madame, et pareillement aussy de tout le royaume, et luy rendre louange et gloire d’une telle délivrance, vous avez permis, contre tout devoir et observancc des loix militaires, qui permettent en guerre ouverte tuer et mesmement envahir son ennemy, à tel avantage que l’on peut, sans que pour cela on puisse estre attiré en justice, que le preux et vaillant gentilhomme Poltrot ait esté, par tourmens barbares et non accoustumés, condamné et exécuté à mort. » L’auteur regarde un lâche assassinat, commis par derrière, comme une action légitime et glorieuse. « Il faudroit, poursuit-il, condamner à la mort tous ceux qui, en juste bataille, ont ainsy tué ou occis quelqu’un ; et certainement le faict dudict Poltrot n’est du tout dissemblable de celuy de Moïse, qui, se voyant estre ordonné, par la vertu et puissance de Dieu, à faire délivrance de son peuple, mit à mort l’Égyptien. » {Mémoires de Condé, tome v, pages 212 et suivantes.)


CHAPITRE XI.


Prise de Vienne par le duc de Nemours, qui entreprend sans effet sur la ville de Lyon et defait le baron des Adrets. Autre defaite des huguenots, et prise d’Annonay par le sieur de Saint Chaumont. Le duc de Nemours pratique le baron des Adrets, lequel le sieur de Mouvans retient prisonnier.


Laissant l’armée au Portereau, et les affaires de la Cour et du royaume sur le point de nouveau changement, je ne veux obmettre que le duc de Nemours, lequel avoit une armée en Dauphiné, joignant ses forces à celles de Bourgogne, Auvergne et Forest, alla assiéger et prendre la ville de Vienne, avec les catholiques qui estoient dedans. Après la prise de laquelle il s’approcha de Lyon, où Soubise commandoit pour les huguenots, d’autant qu’ils ne s’osoient plus fier au baron des Adrets. Là, il y eut plusieurs escarmouches aux approches, où l’un des habitans de la ville, nommé Marc Herbin, promettoit au duc de Nemours de le faire entrer en la ville, moyennant quelque somme qu’il demandoit : de laquelle ne retirant que des premesses, il advertit Soubise de l’entreprise ; lequel disposa si bien les garnisons, habitans et gens de guerre qui estoient en la ville, qu’ils en laissèrent entrer quelques-uns de l’armée du duc de Nemours, qui furent presque tous tuez ; ce que voyant le duc, et qu’il avoit esté trompé, et qu’il falloit trois camps pour assiéger ladite ville, à cause de sa situation qui est sur le bord de deux grandes rivières, le Rhosne et la Saosne, et une citadelle qui commande aux deux rivières, fut contraint de laisser son entreprise, après avoir défait et mis en déroute quelques enseignes de gens de pied, et quelques cornettes de cavalerie que le baron des Adrets menoit à Lyon pour leur secours. Cette défaite estonna fort toutes les villes situées sur le Rhosne, et donna beaucoup de courage aux catholiques du pays de courir sus aux huguenots.

En ce mesme temps, ceux qui tenoient la ville d’Annonay en Vivarez, que les huguenots avoient prise sur les catholiques, sortirent de ladite ville pour aller surprendre Saint-Estienne-en-Forest, ce qu’ils firent ; mais, comme ils s’amusoient au pillage, ils furent surpris par Saint-Chaumont, où il y en eut beaucoup de tuez, et de là il retourna prendre la ville d’Annonay, devant que les huguenots qui estoient dedans en fussent advertis, qui furent fort maltraitez, de tous sexes et âges, l’espace de deux jours ; et la ville fut pillée, tant par les soldats que par les catholiques qui y estoient encore. Mais ayans nouvelle que le baron des Adrets marchoit en diligence pour avoir la revanche, ils troussèrent bagage, et abandonnèrent la ville d’Annonay, après avoir gasté les grains et vivres qui restoient en icelle, de peur que leurs ennemis ne s’en pussent prévaloir.

Le baron des Adrets, estant adverty que Saint-Chaumont s’estoit retiré avec ses troupes, rebroussa chemin et s’en alla pour assiéger la ville de Vienne, où estoit une grande partie des gens et de l’armée du duc de Nemours ; lequel, cognoissant l’humeur du baron, et sçachant qu’il n’avoit pas tant d’affection à la religion des huguenots comme il monstra depuis, qu’à son profit particulier, soit qu’il vist qu’il n’y avoit plus de calices ny reliques à prendre, ou qu’il se faschast de ce party, soit pour acquérir réputation du costé des catholiques, ou bien pour se venger des injures qu’il avoit reçues des huguenots ; le duc le cognoissant pour capitaine, et qui avoit beaucoup de crédit et réputation, pensa que c’estoit le plus seur et expédient pour le service du Roy de le gagner que de le combattre par force ; ce qu’il fit si dextrêment avec belles promesses et douces paroles, comme c’estoit un prince fort persuasif, et qui a toujours sçu attirer les hommes par son gentil naturel, que depuis les huguenots n’ont eu en ce pays-là un plus grand ennemy que ce baron, qui commença dès-lors à pratiquer contre les huguenots ; lesquels, comme fort vigilans en leurs affaires, en furent advertis, aussi ont-ils toujours eu des espions partout. Qui fut cause que Mouvans, estant le baron des Adrets allé en la ville de Valence, le prit prisonnier par l’advis du cardinal de Chastillon et du sieur de Cursol, depuis fait duc d’Lzès, l’envoya à Nismes, où il fut en bien grand danger ; et à peine en fust-il eschapé, sinon par le moyen de la paix, en vertu de laquelle il fut eslargy.


CHAPITRE XII.


La Reyne moyenne une trêve. Entrevue du prince de Condé et du Connestable. Raisons qui portoient la Reyne à la paix. Dangereux estat de la France. Desseins des Anglais en France. La paix, souhaitée des deux partis, conclue, et a quelles conditions. Difflcultez apportées à la verification du traité par quelques parlemens. Cette paix arreste les progrès de l’Admiral en Normandie. Le prince de Condé le rappelle de Normandie. L'Admiral se plaint de la précipitation de la paix. Aliénation des biens ecclésiastiques pour la subvention.


Mais, pour retourner à l'armée que nous avons laissée au Portereau devant Orléans et à l’Amiral, qui faisoit tout ce qu’il pouvoit en Normandie pour y avancer ses affaires, chacun ayant diverses affections par le royaume, les uns de poursuivre la guerre, les autres de faire la paix ; la Reyne mer« du Roy, qui ne respiroit que le bien du Roy et de l’Estat, voyant, comme j’ay dit, les trois principaux chefs de l’armée du Roy morts, et le quatriesme prisonnier, fut conseillée de rechercher les moyens de faire la paix, où elle ne fut pas difficile à persuader. À cette occasion trefves furent accordées d’une part et d’autre.

La princesse de Condé fut voir la Rejne à Saint-Mesmin, où elle fut fort bien reçue avec beaucoup de belles promesses. Et fut arresté un parlement, qui se tint dans l'Isle-aux-Bœufs près la ville d’Orléans, où furent menez le prince de Condé et le Connestable, qui disoit ne pouvoir souffrir que l’on remist l’edict de janvier : mais il se trouva d’autres moyens par ceux qui estoient du tout désireux de la paix, disans qu’autrement l’Estat estoit en danger de se perdre. Le prince de Condé demanda d’entrer à Orléans pour en conférer, à condition aussi que le Connestable iroit en l’armée du Roy ; ce qui fut accordé avec suspension d’armes d’une part et d’autre.

Qui fut sagement advisé parla Reyne, mere du Roy, lassée de voir la France si affligée de guerre civile, en laquelle les victorieux perdoient autant et plus quelquefois que les vaincus. Et combien que le Roy eust une puissante armée, et moyen de la faire encore plus grande, si est-ce qu’ayant perdu les chefs, il n’en pouvoit pas recouvrer de semblables. Au contraire, les huguenots avoient encore l’Admiral, avec un grand nombre de cavalerie, avec plusieurs villes ; davantage l’on craignoit qu’il ne s’approchast d’Orléans pour le secourir, où, s’il eust eu la victoire, il eust mis le Roy et le royaume sous la puissance des huguenots, qui avoient lors une grande part aux finances du Roy, sans qu’il luy fust possible recevoir la moitié de ses deniers et subsides, ny les faire tenir au trésor de l’espargne, estant Sa Majesté endebtée de plus de cinquante millions.

Mais ce qui travailloit encore autant et davantage le Roy et son conseil, estoient les Anglois saisis du Havre-de-Grace, qui se preparoient d’amener une plus forte armée en France, pour y prendre pied à la ruine et entière desolation du royaume, comme leur dessein a toujours esté sur diverses prétentions, depuis qu’ils en ont esté chassez. G’estoit au moins leur esperance, en nourrissant nos divisions, de s’emparer de la Normandie, comme ils avoient fait pendant les querelles des maisons d’Orleans et de Bourgogne. Tant y a qu’il n’y avoit personne au conseil du Roy qui ne fust d’opinion que l’on fist la paix.

Long-temps auparavant le cardinal de Lorraine estoit allé au concile de Trente, lequel fut si fasché de la mort du duc de Guise et du grand-prieur, ses frères, qu’il ne se travailloit d’autre chose ; et beaucoup de catholiques, qui avoient tant souffert en si peu de temps, ne demandoient pas moins la paix que les huguenots, les uns et autres fort lassez de la guerre.

Pour ces causes, après toutes choses bien pesées et debatues de part et d’autre, la Reyne, le prince de Condé, le Connestable, d’Andelot, et ceux qui, des deux parts, furent appeliez à ce traité, résolurent la paix, après avoir adverty l’Admiral des conditions d’icelle, qui estoient telles : « C’est à sçavoir que tous gentilshommes protestans ayans haute justice ou fiefs de haubert, pourroient faire exercice de leur religion en leurs maisons avec leurs sujets ;

« Qu’en tous les bailliages et seneschaussées, il y auroit une ville assignée aux huguenots pour l’exercice de leur religion, outre les villes esquelles l’exercice se faisoit auparavant le septiesme jour de mars, qui fut le jour que l’edict fut conclu ; sans toutesfois qu’il fust permis aux huguenots d’occuper les eglises des catholiques, qui devoient estre restituez en leurs biens, avec toute liberté de faire le service divin, comme il se faisoit auparavant les guerres ;

« Qu’en la ville et prevosté de Paris il ne se feroit aucun exercice de la religion reformée, que l’on appelloit pour lors ainsi ; et neantmoins que les huguenots y pourroient aller avec seureté de leurs biens, sans estre recherchez au fait de leurs consciences ;

« Que tous les estrangers sortiroient de la France le plustost que faire se pourroit ; et toutes les villes que tenoient les huguenots seroient remises en la puissance du Roy

« Que tous sujets de Sa Majesté seroient remis en leurs biens, estats, honneurs et offices, sans avoir esgard aux jugemens rendus contre les huguenots depuis la mort du roy François second, qui demeureroient cassez et annulez, avec abolition générale octroyée à tous ceux qui avoient pris et porté les armes ;

« Que le prince de Condé et tous ceux qui l’avoient suivy, seroient tenus et réputez comme bons et loyaux sujets du Roy, et qu’ils ne seroient recherchez pour les deniers et finances de Sa Majesté par eux prises durant la guerre, ny pour les monnoyes, poudres, artilleries, demolitions faites par le commandement du prince de Condé ou des siens à son adveu ;

« Que tous prisonniers, tant d’une part que d’autre, seroient eslargis sans payer aucune rançon, fors et excepté les larrons et voleurs ;

« Défendu à tous, de quelque religion qu’ils fussent, de s’injurier ny reprocher les choses passées, sur peine de la hart, ny de faire aucun traicté avec les estrangers, ny lever aucuns deniers sur les sujets du Roy ;

« Que l’edict seroit lu, publié et enregistré en tous les parlemens du royaume. »

Voilà les principales clauses de cet edict, sans toucher à quelques autres que chacun peut voir, estant l’edict publié et imprimé.

Mais la dernière clause, que l’edict seroit vérifié en tous les parlemens, estoit la plus importante, et sans laquelle l’edict fust demeuré illusoire et sans effet ; car l’execution d’iceluy dependoit principalement des magistrats, qui n’eussent eu aucun esgard à l’edict si les parlemens ne l’eussent vérifié, attendu mesmement la minorité du Roy et la mort du roy de Navarre ; joint aussi qu’il s’en trouvoit qui ne le pouvoient gouster en sorte quelconque, comme ceux qui faisoient estat de s’enrichir des despouilles d’autruy, et ne demandoient qu’à pescher en eau trouble, esperans que les confiscations leur demeureroient. Et entre ceux qui estoient plus poussez du zele de religion, les parlemens de Paris, Rouen, Toulouse, Bordeaux et Provence, tenoient les premiers rangs, qui firent plusieurs remonstrances avant que de le vérifier, estimans qu’il seroit bientost rompu ; car l’edict precedent fut de mesme, parce qu’il n’estoit que provisionnel, et jusques à ce qu’autrement y fust pourvu, et de fait il advint ainsi.

Cependant l’Admiral, qui estoit en la basse Normandie, où il avoit pris plusieurs villes, et réduit les catholiques en mauvais estat, fut adverty par le prince de Condé que la paix estoit accordée, et qu’il laissast la Normandie pour se trouver à la conclusion des articles : ce qu’il fit, comme il m’a dit depuis, avec regret, pour la grande espérance qu’il avoit, après la mort du duc de Guise, d’avancer mieux ses affaires qu’il n’avoit fait auparavant, et, pour le moins, si le prince de Condé eust un peu attendu, d’avoir entièrement l’edict de janvier. Mais voyant que c’estoit fait, il partit de Caen le quatorziesme de mars avec sa cavalerie, et s’achemina par Lizieux, où l’on luy ferma les portes : de là il voulut aller à Bernay, où l’on luy vouloit faire le mesme ; mais à la fin il y entra, et, continuant son chemin, il passa à Falaize, et de là à Mortagne, où les habitans refusèrent à ses mareschaux des logis et fourriers d’y faire les logis, et se voulurent mettre en deffence ; mais nonobstant ils furent pillez et saccagez, et plusieurs prestres tuez. L’Admiral, estant arrivé à Orléans le vingt-troisiesme de mars avec son armée, trouva l’edict de la paix résolu, signé et scellé il y avoit cinq ou six jours ; dequoy il monstra d’estre marry, remonstrant plusieurs raisons au prince de Condé, comme il s’estoit par trop hasté, attendu qu’ils n’avoient eu, et ne pourroient jamais avoir plus grand moyen d’avancer leur party et religion, vu que les trois chefs de l’armée des catholiques estoient morts, et le Connestable prisonnier. Il fit plusieurs discours sur ce fait, et que l’on pourroit donner beaucoup de mescontentement à ceux qui n’avoient esté appellez à dire leur advis sur une paix de telle importance. Mais le prince de Condé luy respondit à tout ce qu’il pouvoit alléguer, et qu’il s’asseuroit de beaucoup de bonnes esperances que l’on luy avoit données, et de n’estre moins auprès du Eoy et de la Reyne, sa mère, que le feu roy de Navarre, son frère, et qu’il pourroit alors obtenir quelque chose de mieux. De sorte qu’ayant contenté l’Admiral, il le mena trouver la Reyne, mère du Roy, où il y eut plusieurs conférences de tout ce que l’on pourroit faire pour le bien de la France. Par ainsi l’edict de la paix demeura en la sorte qu’il avoit esté arresté, et y eut quelques villes nommées es bailliages et seneschaussées, pour l’exercice de la pretendue religion des huguenots. Au mois de may ensuivant, le Roy fit un autre edict pour faire une vente du temporel de l’Eglise, jusques à cent mille escus de rente, par la permission du Pape, avec pouvoir aux ecclésiastiques de les racheter, si bon leur sembloit. Et après furent mis les estrangers hors du royaume.

  1. Le comte Rhingrave. Philippe, comte du Rhin. Il épousa une dame françoise, Jeanne de Genouillac, veuve de Charles de Crussol. Quoique protestant, il servit toujours dans les armées catholiques.
  2. Bassompierre. Christophe de Bassompierre. Il fut le père de François de Bassompierre, maréchal de France et colonel général des Suisses, dont nous avons publié les mémoires dans la seconde série.
  3. Le sieur de Cepede ; il faut lire le sieur d’Oppede.
  4. L’an 1555 ; lisez l’an 1545.
  5. Sommerive. Ce seigneur fit la guerre au comte de Tende, son père, parce que, né du premier lit, il étoit jaloux du jeune Cipierre, que le comte avoit eu de sa seconde épouse. Sommerive devint, au mois d’avril, gouverneur de la Provence : il chassa les protestans, et se livra contre eux ù d’horribles cruautés. On dit que, pendant un an que dura la guerre, il fit périr dans les supplices sept cent soixante-dix hommes, quatre cent soixante femmes et vingt-quatre enfans.
  6. Le baron des Adrets. De Thou et d’Aubigné disent que cette exécution fut ordonnée par Montbrun. Il paroît que Castelnau a confondu cette action avec celle qu’il raconte immédiatement après, et qui appartient incontestablement à des Adrets.
  7. On remarqua plus de cruauté qu’es lieux précëdens. D’Aubigné raconte que des Adrets, en entrant dans le château de Montbrison, fit tailler en pièces les assiégés, et n’en réserva que trente qu’il appela pendant qu’il dînoit sur le bord d’un précipice. Il leur ordonna de s’y précipiter successivement. L’un d’eux s’étant arrêté sur le bord, le baron lui dit : Quoi ! tu en fais à deux fois ! — Monsieur, répondit le condamné, je vous le donne en dix. Ce fut le seul auquel le général protestant fit grâce.
  8. Gabaston : il avoit, l’année précédente, pris le parti des protestans dans le tumulte de Saint-Médard, et on lui attribuoit la mort de plusieurs catholiques.
  9. Le curé de Saint-Paterne. La mort de cet ecclésiastique précéda de quelques mois celle de Sapin. Ce ne fut point par représailles que les protestans le firent périr, mais parce qu’ils le soupçonnoient d’être délateur.
  10. De qui le conseiller Sapin estoit nepveu. Sapin étoit le beau-frère du président Le Maistre, et non son neveu.
  11. De quoy je parleray. Cette seconde négociation eut lieu en 1680. Il ne parle point de cette guerre dans ses mémoires, qui, comme nous l’avons observé, ne vont que jusqu’en 1570.
  12. Estant las et malade. D’Andelot avoit alors la fièvre quarte. Il voulut combattre, quoique ce jour-là fût son jour de fièvre.
  13. Biron. Armaud de Biron, qui fut par la suite l’un des serviteurs les plus dévoués de Henri IV.
  14. Et couchèrent ensemble. Pierre Mathieu dit que le prince de Condé coucha seul dans le lit du duc de Guise, et que celui-ci passa la nuit dans la même chambre sur une paillasse.
  15. Branquetant : pillant.
  16. Où la part : de quelque côté.
  17. Après avoir esté malade sept jours. Il ne le fut que six : blessé le 18 février, il mourut le 24. Par ordre de la Reine-mère, l’évêque de Riez fit une relation de la mort du duc de Guise. On y voit que ce prince fut plus grand encore dans ses derniers momens que pendant sa vie. À une époque où les partis étoient exaspérés l’un contre l’autre, un passage de cette relation fit beaucoup de scandale, et compromit la duchesse de Guise, Le prélat, rappelant les conseils du prince à son épouse, lui faisoit dire : « Je ne veux pas nier que les fragilités de la jeunesse ne m’aient quelquefois conduit à choses dont vous avez pu estre offensée. Je vous prie me vouloir excuser et me le pardonner, comme je vous pardonne ! Combien que mes offenses soient beaucoup plus grandes que les nostres, je ne me tiens pas des plus grands pécheurs en cet endroit, ni aussy des moindres. » Dans tout autre temps, ce passage n’auroit fait soupçonner dans la duchesse de Guise que quelque légèreté de conduite ; alors on prétendit y trouver la preuve des fautes les plus graves. L’évêque de Riez se hâta de publier une nouvelle édition de sa relation : le passage qui avoit donné lieu à de malignes interprétations y étoit ainsi changé. « Je ne veux pas nier que les fragilités de la jeunesse ne m’aient quelquefois conduit à choses dont vous avez pu estre offensée : je vous prie m’en vouloir excuser et me les pardonner : si veux-je bien dire que je ne suis pas en cet endroit des plus grands pécheurs, ni des moindres. » Cette précaution tardive n’effaça pas l’impression qu’avoit produite la première édition de la relation, car la méchanceté en conserva soigneusement des exemplaires.