Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/14/La Suprême Manœuvre

La Suprême Manœuvre


Un vent de folie souffle depuis trois mois, agitant et convulsant un grand nombre de feuilles catholiques, bise progressivement plus violente en Allemagne d’abord, et ensuite véritable ouragan déchaîné en France.

Quand le calme sera revenu après cette invraisemblable tourmente, on demeurera stupéfait que tant de journalistes, dont plusieurs bien connus graves et sages, aient pu subir un tel entraînement, sans vouloir jeter un regard en arrière, sans se rendre compte que le vertigineux tourbillon qui les emportait et les changeait à les rendre méconnaissables était une infernale tempête dont l’Éole n’est autre que Satan, roi de ce monde, inspirateur et idole de la Franc-Maçonnerie.

J’avais signalé — et j’en avais haussé les épaules la burlesque fantaisie de Moïse Lid-Nazareth dans la Revue Maçonnique du F∴ Dumonchel. Je n’avais pas cité, tant cela était absurde. Selon le dire de l’agent de Lemmi, je n’étais pas moi-même ; j’étais une autre, et Moïse donnait le nom !

Qui aurait pu jamais croire qu’une farce de cette espèce était susceptible de créance un jour ; qu’elle trouverait, hors de la secte, des hommes sérieux pour l’adopter et en faire la base d’un échafaudage de mensonges, en se croyant naïvement dans le vrai !

Au mois de juin, je signalai la manœuvre de M. Margiotta, tendant à faire croire à l’existence de deux Diana Vaughan : l’une, la vraie, demeurée palladiste, ayant fait sa paix avec Lemmi ; l’autre, c’est-à-dire moi, la fausse, déclarée énergiquement par lui n’être pas la même que celle qu’il avait connue en 1889 à Naples. Mon article valut à la Revue Mensuelle une lettre de M. Margiotta, dans laquelle, avec accompagnement d’injures et de menaces, notre homme soutenait mordicus sa thèse de mon dédoublement. D’où, pour me défendre : la brochure Miss Diana Vaughan et M. Margiotta, où le mensonge de cet obstiné fut démontré avec ses lettres mêmes, reproduites en fac-simile par la photogravure.

Cet incident n’avait qu’une importance relative ; il n’était pas l’œuvre de la secte ; c’était le fait du dépit pur et simple d’un malheureux, sa rancune éclatant en quelques cris de colère, m’outrageant dans mon honneur, mais impuissant à détruire mon œuvre. En me dédoublant, dans son aveugle fureur, il me rendait témoignage ; sa méchanceté retombait sur lui, pour l’accabler.

Mais, si la secte fut étrangère à l’incident Margiotta, elle préparait dans l’ombre une suprême manœuvre.

Le mouvement antimaçonnique venait de prendre enfin une allure guerrière ; une organisation complète se préparait a surgir. Ayant à leur tête M. le commandeur Guglielmo Alliata, un des vaillants chefs des œuvres de la jeunesse catholique d’Italie, Mgr Lazzareschi, délégué officiel du Saint-Siège, et M. le commandeur Pietro Pacelli, président des comités électoraux catholiques de Rome, les antimaçons italiens avaient donné le bon exemple, avaient multiplié dans la péninsule les comités de résistance à la secte, et, encouragés par Léon XIII, ils conviaient le monde chrétien tout entier au premier Congrès antimaçonnique international.

Ah ! ce Congrès !… Longtemps les Loges avaient cru qu’il n’aurait pas lieu ; quelques renvois d’une époque à une autre avaient laissé au Maudit l’espoir que ce projet, datant de juillet 1895, serait finalement abandonné. « Tout se passera en paroles, croyait-on dans les Suprêmes Conseils ; les catholiques ne se décideront jamais à en venir à l’action. »

Or, voici que tout à coup la convocation définitive parut. La ville choisie était Trente, la cité du grand Concile tenu contre l’hérésie des diverses sectes protestantes, et la Maçonnerie est fille du protestantisme socinien !

À Trente ! à Trente ! clamèrent les voix des catholiques, réveillés, secoués de leur torpeur. Et les Loges apprirent ainsi soudain que tout était prêt ; que S. A. le Prince Evêque de Trente avait accepté avec joie l’honneur de présider ces grandes assises de la nouvelle Croisade ; que la bonne et chrétienne ville du Bas-Tyrol se faisait une fête d’accueillir les congressistes ; et que S. M. l’Empereur d’Autriche avait accordé toutes les autorisations nécessaires.

Cette convocation du Congrès de Trente fut un coup de foudre pour la secte. Avant que le F ▽ Nathan poussât ses hurlements de rage, le F ▽ Findel, de Leipsig, publia avec éclat sa brochure ; car c’est là le premier fait que je prie le lecteur de constater, la brochure Findel a suivi presque immédiatement la convocation définitive du Congrès. Le haut-maçon de Leipsig se levait ainsi brusquement, sortait de son silence de plusieurs années en apparence, il répondait aux accusations dont il était l’objet depuis plus de trois ans ; en réalité, il répondait au cri de guerre des antimaçons de Rome.

C’est à ce moment aussi que je publiai Le 33e∴ Crispi. Toutes les personnes qui connaissent à fond la question maçonnique ont été unanimes à déclarer que cet ouvrage est le réquisitoire le plus écrasant qui ait jamais paru contre la secte.

À peine le volume était-il parvenu au Vatican, que je recevais de l’un des secrétaires particuliers de Sa Sainteté une lettre dont j’ai cité ce passage :

« Continuez, Mademoiselle, continuez à écrire et à démasquer l’inique secte ! La Providence a permis, pour cela même, que vous lui ayez appartenu pendant si longtemps. »

Faisant allusion aux faux bruits semés sur mon identité par M. Margiotta et à la négation même de mon existence, émise par quelques autres lecteurs des élucubrations de Moïse Lid-Nazareth, mon éminent correspondant continuait ainsi :

« De beaucoup il y a calomnie sur votre existence et votre identité. Je crois que c’est là un artifice de la secte, pour ôter du poids à vos écrits. J’ose cependant vous soumettre mon avis, que, dans l’intérêt du bien des âmes, vous veuillez, de la même manière que vous croirez, écarter toute ombre de cela. »

La lettre se terminait en ces termes :

« Je me recommande de tout cœur à vos prières, et avec une parfaite estime je me déclare votre tout dévoué. »

On me laissait donc juge du moyen à employer pour réduire à néant les calomnies. Par une autre voie, je reçus l’avis apporté à l’un de mes amis : j’étais autorisée à prendre tout mon temps pour tenir certain engagement, qui n’a pas à être divulgué, et l’on reconnaissait que je ne devais rien faire qui pût compromettre ma sécurité.

Ma résolution fut bientôt prise : faire triompher la vérité par l’écroulement successif des mensonges.

Les mensonges mis en circulation n’étaient pas nombreux alors ; leur compte pouvait être réglé assez rapidement. Mon plan consistait à détruire l’une après l’autre chaque invention imaginée pour nuire à mon œuvre et à montrer à quel mobile avait obéi l’inventeur de chaque mensonge.

Après l’incident Margiotta, un répit me paraissait nécessaire, et d’ailleurs je portai toute mon attention sur le grand événement qui allait s’accomplir à Trente.

Cependant, j’eus des échos du premier tumulte soulevé en Allemagne par la brochure du F ▽ Findel.

Des journaux catholiques allemands s’étaient laissé troubler, avaient admis comme sincères, véridiques, les dénégations de ce vieil ennemi de l’Église.

En parcourant cette brochure, on se demande si l’hésitation était possible ! On se le demande, quand on sait ; puis, en constatant que ce trouble des esprits s’est vraiment produit, on déplore que l’ignorance de la plupart des bons journalistes soit si complète en matière maçonnique. Car elle méritait tout simplement d’être repoussée du pied, cette brochure où la stupéfiante effronterie de Findel a osé écrire que ni Cavour ni Mazzini ne furent jamais francs-maçons et qu’Albert Pike était un simple grand-maître du Rite Écossais, l’égal de tous les autres grands-maîtres, le Suprême Conseil de Charleston étant supérieur à aucun autre !

Oui, voilà ce que le palladiste Findel a eu le « toupet » d’écrire en toutes lettres, d’imprimer, et des journalistes catholiques se sont inclinés. « Meâ culpâ, pour avoir cru jusqu’à présent au maçonnisme de Cavour et de Mazzini ! Meâ maximâ culpâ, pour avoir cru à la suprématie souveraine d’Albert Pike ! Findel dixit ! »

Un religieux partit en campagne ; à la suite de ces belles déclarations de l’ineffable Findel. Il s’adressa aux journaux allemands qui avaient fait si bon accueil aux contre-révélations du haut-maçon de Leipsig. Ce religieux envoya partout un article, dans lequel il annonçait qu’il allait publier une brochure, lui aussi ; il se proposait de démontrer, mais en se plaçant sur le terrain catholique, que Findel avait raison. Findel avait attaqué l’Église en l’accusant de stipendier de faux révélateurs dans le but de calomnier la digne et toute pure Maçonnerie ; lui, il défendrait l’Église, en prouvant qu’en effet la Maçonnerie avait été calomniée, mais en prouvant par surcroît que ces calomnies étaient le fait de francs-maçons déguisés. On n’a pas tardé à reconnaître que ce pauvre religieux ne jouissait pas d’un cerveau bien équilibré ; il avait déjà donné des signes inquiétants ; ses supérieurs le firent taire, sa brochure n’a pas paru. Au Congrès de Trente, il fut déclaré qu’elle ne paraîtrait pas.



Je note pour mémoire un volume qui parut en Angleterre, vers la même époque que le pamphlet de Findel en Allemagne.

Ce volume ne me paraît pas, jusqu’à présent, appartenir à l’ensemble de la suprême manœuvre. Il a tout l’air d’un acte particulier, ordonné par les hauts-chefs de la Rose-Croix socinienne du Royaume Britannique. Dans le n° 8 de mes Mémoires, j’ai inséré quelques révélations sur les principaux supérieurs Rosicrucians d’Angleterre et d’Écosse, dont l’occulte rite en neuf degrés pratique le luciférianisme. Cette importante branche de la Haute-Maçonnerie britannique a vu là une déclaration de guerre directe contre elle, et elle a chargé un de ses membres de produire une négation publique. Le livre, pour innocenter les Robert Brown et consorts, enregistre leurs affirmations d’innocence, n’oppose aucune preuve contraire à mes révélations, et échafaude le roman qui, depuis le Congrès de Trente, a été mis à la mode et forme le thème favori de la polémique des journaux hostiles.

Oui, voilà à quelle source s’alimente la frénétique campagne de mes adversaires ; le F ▽ Findel et le F ▽ Arthur-Edward Waite, sont devenus des oracles.

Les Rosicrucians que j’ai nommés et sur lesquels j’ai donné des indications précises, sont-ils vraiment adeptes et chefs de ce rite d’occultisme ? Oui, ils l’avouent cela, ils ne le peuvent nier. Se faisaient-ils connaître du public comme tels ? Non ; ils cachaient, au contraire, à leurs compatriotes leur qualité de rosicrucians sociniens. Je les ai donc démasqués ; voilà un premier point acquis ; avec la clarté du plein soleil, il ressort du livre même de M. Waite. Ce qu’ils nient, ce sont les œuvres magiques dont j’ai accusé la Rose-Croix d’Angleterre et d’Écosse, dans ses hauts grades.

Eh bien, si j’ai dit le contraire de la vérité, pourquoi continuez-vous à couvrir de mystère vos rituels d’initiation ?

Les publier dans votre livre, voilà ce qu’il fallait faire, monsieur Waite, au lieu de divaguer autour de deux ou trois incorrections de style, commises par le F ▽ Palacios ; car vous savez bien que la voûte anglaise, destinée à une communication internationale, dont vous critiquez quelques mots, a été rédigée par ce haut-maçon mexicain. L’auteur du document a été révélé au public, en même temps que son texte[1]. Et vous-même, ne recevez-vous pas tous les jours des lettres qui sont loin d’être impeccables de style, et cela fait-il qu’elles n’aient pas été vraiment écrites ? Les planches qui sont publiées parfois dans les organes officiels maçonniques des divers pays ont-elles toujours toute la pureté de la langue nationale ? et, si deux ou trois incorrections s’y trouvent, sont-elles transformées pour cela en documents apocryphes ? L’authenticité de ces planches incorrectes est établie par leur insertion dans les organes officiels de la secte ; l’authenticité de la voûte rédigée par le F ▽ Palacios, que j’ai contresignée, est établie par le mouvement historique de révolte contre Lemmi, mouvement qui a suivi l’envoi de la voûte et que vous ne pouvez nier. Cette voûte a bien existé, puisque des hauts-maçons y ont adhéré et que d’autres l’ont rejetée. C’est officiel, cela, monsieur Waite.

Tout le roman, inséré dans le volume anglais des Rosicrucians, est une diversion qui ne saurait tromper les gens de bonne foi.

On m’accorde que mes révélations sur la qualité des personnes et sur les locaux des temples secrets sont exactes ; cela me suffit largement.

On repousse l’accusation d’œuvres magiques. Ah ! çà, mais qui êtes-vous donc vous-même, cher monsieur Waite ? — Si les renseignements qui m’ont été communiqués sont vrais, vous êtes né catholique, et vous avez apostasié pour passer au protestantisme. Ce n’est pas tout : votre protestantisme s’accommode fort bien de la pratique la plus assidue des sciences occultes. C’est ici que je vous prends la main dans le sac, trop malin Arthur-Edward. Vous êtes un des disciples d’Éliphas Lévi, l’ex-abbé Constant, le prêtre catholique qui apostasia pour devenir l’un des Mages de la sorcellerie moderne. Oserez-vous nier cela, monsieur Waite ? Non, vous ne le pouvez pas ; car un livre a été imprimé, un livre existe, qui est le Dogme et rituel de la Haute Magie, traduit d’Éliphas Lévi par un certain Arthur-Edward Waite, à l’usage des Anglais qui désirent se préparer aux grandes lumières de la Rose-Croix luciférienne ; et ce certain Arthur-Edward Waite, ce n’est pas un homonyme, c’est vous !

N’essayez pas d’épiloguer. Ne venez pas nous raconter maintenant que votre Lucifer, à vous, est une « entité astrale », que votre Lucifer théosophique est « le Manasaputra », c’est-à-dire « l’ange planétaire, le bon ange qui est venu informer l’homme et le faire tendre à la fusion divine, d’où dérive le salut ». Cette mirifique explication est celle qui est imprimée dans une des plus importantes revues de l’occultisme anglais, le Lucifer ; cette mauvaise plaisanterie a pour but de justifier le titre de la feuille satanique aux yeux des pauvres fous que l’on égare et qu’il s’agit d’entraîner graduellement aux dernières œuvres de la magie.

J’ai eu la folie de croire que Lucifer était le Dieu-Bon et que le vrai Satan était Adonaï, la divinité adorée par les catholiques. Vous, monsieur Waite, vous n’avez pas mon excuse, puisque vous avez reçu une éducation chrétienne ; vous n’ignorez pas, vous ne pouvez pas ignorer que votre Lucifer ne fait qu’un avec Satan, prince des ténèbres, toujours vaincu par le glorieux archange Saint Michel.

Vous montrez le bout de votre oreille d’occultiste, — je devrais dire le bout de votre corne de diabolisant, — quand vous faites remarquer que la fameuse voûte doctrinaire d’Albert Pike est fortement teinte des théories d’Éliphas Lévi. Je crois bien ! Albert Pike était un grand admirateur de votre maître en sciences occultes. Vous dites ces théories défigurées ; vous auriez dû dire exposées dans leur vrai sens, appropriées au dogme palladique. Vous tirez argument de plusieurs similitudes pour insinuer que le document est, peut-être, faussement attribuer Pike et qu’il se pourrait qu’il eût été fabriqué par quelqu’un connaissant les œuvres d’Éliphas Lévi.

Ici, je vous arrête. Vous n’êtes pas le seul que des similitudes de ce genre aient frappé. Voulez-vous que je vous nomme quelqu’un qui, m’a-t-on assuré, a été, plus que tout autre, étonné de voir la doctrine palladique pétrie de Lévitisme et autres occultismes antérieurs à 1870 ? Voici le nom M. Solutore Zola, le grand-maitre d’Égypte récemment converti.

Un de mes amis m’a communiqué le fait et les raisons de cet étonnement de M. Zola ; cela vaut la peine d’être relaté. M. Solutore Zota, qui était en grandes relations d’amitié maçonnique avec Albert Pike, fut chargé par celui-ci de lui recueillir tous les travaux de ce genre ; c’est lui qui lui envoya les principaux systèmes d’occultisme, Éliphas Lévi, Ragon, et bien d’autres. Naturellement, Albert Pike, ne voulant pas se montrer plagiaire aux yeux de son ami, eut grand soin de ne pas lui faire part de son organisation secrète ; c’est pourquoi M. Zola, malgré sa haute situation maçonnique, fut tenu à l’écart de la fédération suprême des Triangles. Aussi, quand les révélations sur le Palladisme commencèrent, M. Solutore Zola les suivit avec intérêt et il a déclaré avoir reconnu dans divers documents dévoilés bon nombre d’extraits des travaux que lui-même avait envoyés à Albert Pike.

Pour vous tirer de l’embarras où vous mettra cette réplique, monsieur Waite, il ne vous reste qu’à insinuer que M. Solutore Zola n’existe pas ou qu’il est mon complice.

En tout cas, il est une autre façon de confondre votre audace. L’authenticité de la fameuse voûte doctrinaire d’Albert Pike est établie par son insertion dans les organes secrets de la secte.

Oh ! je sais qu’à l’époque même où les FF ▽ Findel et Waite publièrent leurs négations intéressées, Lemmi donna l’ordre de détruire, partout où cela serait possible, les recueils maçonniques ayant laissé échapper quelque preuve de l’existence du Rite Suprême, surtout dans les bibliothèques publiques ; et cet ordre a été exécuté. Mais que les hauts-maçons ne se réjouissent pas trop ; ils pourraient avoir un jour quelque surprise.

Enfin, pour en terminer avec les Rose-Croix anglais et leur porte-parole Arthur-Edward Waite, il est incontestable qu’ils n’avaient qu’une façon sérieuse de se laver de mes accusations d’occultisme satanique et qu’ils ont répondu à côté de la question. La façon sérieuse, la seule, l’unique, la voici : il fallait publier dans le livre et, au besoin, dans les journaux, les rituels d’initiation aux trois derniers degrés de votre Rose-Croix. Par là, on eût vu clairement si, oui ou non, vous avez été calomniés. Cette publication, que vous esquivez, nous la ferons, — s’il plait à Dieu !



Il me faut, à présent, revenir à Findel.

On pense si le rusé compère se réjouissait de voir des journalistes catholiques allemands marcher à sa suite, recueillir avec respect ses dénégations, quoique dénuées de la moindre preuve et proclamer qu’il avait raison, même contre la réalité des faits historiques.

Findel avait amoncelé les nuages ; mais comment faire éclater la tempête ?

Et voici la suprême manœuvre.

Rendons justice aux chefs de la Haute Maçonnerie : ils ont admirablement réussi, — jusqu’à présent.

Le coup n’est pas de Lemmi ; Adriano n’est pas d’une telle force. Ce coup extraordinaire marque les débuts de Nathan, combinant son action avec celle du Grand Orient de France, sous le sage conseil du vieux Findel.

Depuis ma campagne de 1893-1894, Lemmi est usé jusqu’à la corde. Que mes négateurs disent ce qu’ils voudront sur mon compte, ils ne peuvent nier ma campagne antilemmiste et ses effets ; c’est de l’histoire, cela ! Bon gré mal gré, Lemmi a été mis dans la nécessité de rentrer dans la coulisse.

La Maçonnerie la plus atteinte a été la Maçonnerie Française ; il ne faut pas se le dissimuler. Lemmi ayant été publiquement dépouillé de ses apparences d’honnête homme, les preuves authentiques de son indignité ayant été étalées au grand jour sous forme d’actes légaux, inattaquables même par le démenti, et sa gallophobie, connue seulement de l’autre côté des Alpes, ayant été mise en relief dans le monde entier, les maçons français souffraient, plus cruellement que tous les autres, des récentes révélations.

De là, les démarches du F ▽ Amiable, envoyé à Rome par le Grand Orient de France ; l’une d’elles a été mentionnée par la Rivista della Massoneria Italiana.

Depuis lors, le Grand Orient de France fit comprendre, en multipliant ses doléances auprès du palais Borghèse, qu’il ne suffisait pas de nier la prépondérance actuelle de la Maçonnerie Italienne, mais qu’il devenait nécessaire de profiter de l’échéance des pouvoirs de Lemmi dans la Maçonnerie officielle avouée pour ne pas les lui renouveler, afin d’enlever un argument aux catholiques.

Rien n’était plus désagréable aux maçons français que de s’entendre accuser à tout instant d’obéir à un chef suprême ennemi mortel de la France et ayant subi une condamnation à un an de prison pour vol.

Lemmi, lui, ne voulut rien entendre, d’abord ; qu’importaient, répondait-il, les railleries des cléricaux ? Mais les objurgations devinrent tellement pressantes qu’il dut céder, à la fin. Ces pourparlers, ces tiraillements causèrent le retard de l’élection jusqu’au 1er  juin ; on sait que ces pouvoirs de neuf ans, les pouvoirs avoués, expiraient le 28 janvier de cette année, l’élection en remplacement des FF ▽ Tamajo et Riboli avant eu lieu le 28 janvier 1887 au Convent de Florence.

Pour donner satisfaction au Grand Orient de France, il fut convenu qu’Adriano ne se représenterait pas ; il demeurerait désormais dans la coulisse, et l’on nierait plus carrément que jamais l’existence d’une Haute Maçonnerie internationale.

Cette retraite a dû être sensible à Lemmi : il aime parader dans les banquets, se montrer, débiter des discours, dont sa situation à la tête de la Maçonnerie officielle lui fournissait mille prétextes ; il n’est pas comme Mazzini, qui savourait au contraire l’effacement, qui trouvait des délices l’incognito, qui préférait la réalité de la haute direction aux semblants pompeux des titres connus des profanes.

Enfin, Lemmi se résigna. Ah ! ce n’est certes pas lui qui me déclare mythe ; il sait que c’est bien mon existence qui lui a valu de boire jusqu’à la lie la coupe des humiliations. Il se résigna, mais en exigeant néanmoins une double fiche de consolation : cédant la place officielle à Nathan, qui d’ailleurs lui prendra bientôt l’autre, il se fit décerner, faute de mieux, le titre de grand-maître d’honneur du Grand Orient d’Italie, et… il garda la caisse. Car, voyez-vous, le coffre-fort est plus cher au cœur d’Adriano que tous les titres, auxquels il tenait pourtant. Ainsi, le F ▽ Silvano Lemmi, fils d’Adriano, fut nommé grand-trésorier du Grand Orient d’Italie.

Nathan, aussitôt élu, tint à se signaler par son zèle. Il a eu des éclats bruyants ; on a lu ses retentissantes circulaires. Il ne parle pas en simple grand-maître de la Maçonnerie Italienne il affecte déjà de s’adresser aux FF∴ du monde entier. On sent qu’il pose dès à présent, auprès des Triangles, sa candidature de chef suprême, en cas d’une vacance possible. Adriano n’aura peut-être pas tort de surveiller sa cuisine.

Or, Nathan examina la situation. Par les faits, que je vais énumérer tout à l’heure, — et je ne serai pas démentie, — il est facile de distinguer quel raisonnement il se tint.

En premier lieu, le grave danger pour la secte était l’organisation des forces antimaçonniques par le Congrès de Trente. Il fallait donc jeter dans le camp catholique le trouble, la division, le désarroi, si c’était possible.

En second lieu, mon volume sur Crispi nominalement, mais en réalité dévoilant avec preuves le complot contre la Papauté, montrait au public que je suis armée, plus que personne ne te fut jamais, pour combattre et démasquer la Franc-Maçonnerie. Nous vivons dans un siècle sceptique quand on se borne a parler de l’action du démon, il est aisé aux maçons de répondre par un haussement d’épaules ; mais, en dehors des faits surnaturels, toujours discutables tant que l’Église ne s’est pas prononcée, si l’on apporte aux débats un formidable dossier de documents authentiques, — tel, mon volume sur Crispi, — la question change d’aspect, et tes sectaires, écrasés par l’évidence, entrent en fureur, ne pouvant plus nier, n’ayant plus la ressource de sourire avec dédain. Comment donc détruire l’effet de ce réquisitoire, étayé de tant de documents, puisqu’on ne pouvait nier les documents eux-mêmes ?

En troisième lieu, enfin, tes conversions de francs-maçons, se multipliant, constituaient pour la secte un, périt qui ne pouvait que s’accroître ; car chaque conversion amènerait vraisemblablement un témoignage contre l’Ordre, et par leur groupement toutes ces dépositions seraient une terrible cause de ruine, même les dépositions des adeptes non-palladistes. Il fallait donc aviser à frapper d’avance d’une déconsidération complète, absolue, toutes les révélations, tous les témoignages quelconques des maçons convertis, présents et futurs.

On avait reconnu l’impossibilité de m’atteindre ; toutes les recherches n’avaient abouti à rien.

Je profite de ce que je viens d’écrire ces mots, pour répondre à un journal qui a imprimé : « Comment veut-on qu’une personne qui est tous les jours en correspondance avec un éditeur, pour une publication périodique, puisse cacher son domicile à la Franc-Maçonnerie qui voudrait le connaître ? » (Semaine Religieuse de Cambrai)

Peu commode, oui ; impossible, non.

Au temps où je prévoyais, non ma conversion encore, mais ma rupture avec les chefs de la secte, j’ai pu rendre quelques services à des braves gens, et cela sans me faire connaître sous mon nom ; Dieu merci ! la reconnaissance n’est pas totalement bannie de notre pauvre humanité ; il est encore des cœurs pleins de gratitude, gardant le souvenir de qui leur est venu en aide aux heures de la plus sombre tristesse. Quand j’ai eu à demander asile, je savais que telle porte où j’irais frapper s’ouvrirait, et que là, paisible, j’aurais toute certitude d’hospitalité discrète et ignorée. Discrète, parce que la chère famille au sein de laquelle je vis ne soupçonne rien des événements auxquels j’ai été mêlée ; étrangers à la politique, ne s’en occupant en aucune façon, ils ne se doutent même pas qu’un mystère peut être attaché à ma personne ; simples et bons, m’entourant d’affection et de respect, ils ne se préoccupent nullement de connaître quel motif m’a poussée à choisir pour ma retraite leur coquette propriété, où la promenade m’est possible ; quand je pleure, ils me croient des chagrins de famille ; je prends mes repas avec eux ; je travaille, prie et médite dans un pavillon qu’ils m’ont cédé et où j’ai pour compagne une amie, inconnue à la secte ; cette amie et un saint prêtre du voisinage sont seuls dans le secret bien loin la ronde, on ignore, ou peu s’en faut, qu’il existe une Franc-Maçonnerie ; mes hôtes m’appellent leur « bonne fée » et prennent ma compagne pour ma sœur.

Oui, retraite discrète et ignorée, qu’avec la protection du bon Dieu, en qui j’ai mis toute ma confiance, la secte ne peut découvrir.

Pour recevoir ma correspondance, il me suffit d’une double transmission dont j’ai déjà parlé (page 349) ; les amis sûrs, déjà éprouvés, que j’ai autorisés à faire le triage de mes lettres, sont deux seulement, et ne connaissent que l’adresse d’un bureau restant d’une grande ville. Je n’ai pas à dire commentée qui m’est destiné me parvient les lettres urgentes, par courrier immédiat ; les moins pressées, apportées en tas, au moment où le voyage est possible à l’un de mes deux amis, et ce voyage alors n’a rien d’anormal, vu la profession du porteur des correspondances en retard.

Tout ceci peut paraître compliqué, parce qu’il serait imprudent de dire ici quelle est la combinaison employée pour éviter à ma compagne de se rendre au bureau même où mes lettres sont adressées à son nom, recommandées, et comment, quoique recommandées, elles peuvent parvenir à tel autre bureau, hors de la ville, sous enveloppe nouvelle à un autre nom. La combinaison est des plus simples ; mais il fallait en avoir l’idée et trouver un prétexte afin qu’un intermédiaire salarié pût se charger de la plus vulgaire des opérations de poste, sans pouvoir soupçonner quelle correspondance passe entre ses mains. D’ailleurs, cette combinaison si simple a été indiquée à telles et telles personnes amies, qui pourraient en témoigner, — je dis indiquée, car chacun a été trop discret pour demander les noms mis en usage, quoique faciles à changer d’ailleurs ; — et l’on a été unanime à déclarer le procédé merveilleux de simplicité et de sécurité.

Quant aux lettres non urgentes, apportées en bloc, leur paquet est remis de la main à la main à l’une des deux seules personnes qui sont dans le secret de ma résidence ; il suffit d’une rencontre, convenue d’avance dans une grande ville plus ou moins à proximité.

Les lettres que j’expédie ne partent jamais de la localité où je suis. On comprendra sans peine que cela est la chose la plus aisée du monde, puisque j’ai pour cela deux personnes éprouvées, sans qu’il soit nécessaire que l’enveloppe extérieure porte leur véritable nom et leur adresse dans certains cas. Il suffit que la transmission se fasse d’une grande ville à une grande ville, pour ne donner jamais l’éveil aux cabinets noirs depuis le moment du départ jusqu’à celui de la réexpédition. Par contre, dès que la lettre circule sous sa dernière enveloppe, c’est-à-dire portant l’adresse de son destinataire, il est évident que les cabinets noirs ne se gênent pas pour la lire, pour peu que mon correspondant soit un homme connu ou signalé par la secte. Mais jamais dans aucune lettre je n’écris un seul mot qui puisse compromettre ma sécurité.

En résumé, tout se borne à l’emploi de cinq personnes : deux qui sont dans le secret complet ; deux qui savent les envois faits par moi ou pour moi en réalité, mais qui ignorent exactement le lieu même de ma résidence ; un intermédiaire salarié, qui ne peut se douter de rien, attendu que la correspondance passant entre ses mains est réduite à sa plus simple expression et que le stratagème employé est tellement banal que sa curiosité ne saurait être éveillée.

Je ne sais qui a fait courir le bruit que je suis réfugiée dans un couvent ; je n’ai jamais écrit cela. Quand ma mission actuelle sera accomplie, j’irai me renfermer pour toujours dans tel couvent déjà choisi et que la secte voudrait bien connaître. Voilà la vérité.



La Haute-Maçonnerie ayant constaté l’inutilité de ses efforts pour me découvrir, le F ▽ Nathan jugea que le plus sûr coup de poignard serait l’éclat universel de la négation de mon existence, en lui faisant prendre les proportions d’un scandale prodigieux.

Cela atteindrait le triple but que j’ai exposé tout à l’heure.

Au surplus, l’assassinat brutal a ses inconvénients pour la secte ; on n’y aurait pas eu recours contre Luigi Ferrari, si l’on n’avait pu donner à ce crime les couleurs d’un attentat anarchiste. Aujourd’hui, les révélateurs ont plus à craindre le poison lent que le poignard ou le revolver. Elle serait visible pour le monde entier, la véritable main qui frapperait d’un stylet ou d’une balle M. Léo Taxil, par exemple, lui dont l’œuvre de révélations personnelles est terminée. Contre M. Solutore Zola, qui au contraire peut beaucoup dire, l’exaspération a des chances de se produire : on préférera l’empoisonner, sans doute mais peut-être aussi la fureur sectaire ne raisonnerait pas. Il fera bien de se garder de toutes façons.

Sauf à commettre le crime matériel ensuite, les hauts-maçons ont donc pensé qu’il fallait tenter d’abord le crime de la ruine morale.

Mais comment ?…

Pourquoi n’achèterait-on pas un ou deux des derniers révélateurs ?

Nathan se souvint du mot célèbre de Philippe de Macédoine. Et dans quel ouvrage donc avait-il été parlé de moi pour la première fois ?

Le malheureux, qui allait se laisser tenter par l’or maçonnique et dont la trahison me fait pitié plutôt qu’elle ne m’indigne, a eu son nom jeté à tous les échos de la publicité en cette circonstance. Il a repoussé le pseudonyme de « Docteur Bataille » qu’il avait pris pour écrire ce qu’il appela ses « récits d’un témoin » dans la publication le Diable au XIXe Siècle. Cependant, puisque j’ai à m’occuper de lui, c’est sous ce pseudonyme que je le nommerai plus tard, quand il se repentira, comme je l’espère, il me remerciera de ne pas avoir accolé le mot « traître » à son nom de famille.

Le docteur Bataille avait donc écrit ou signé tout ou partie de l’ouvrage dont il s’agit. Qu’il eut des collaborateurs, un ami qui rédigea les passages relatifs à des faits antérieurs, des abonnés qui envoyèrent de nombreux épisodes à l’appui de ses récits personnels, cela importe peu. On lui accorde volontiers qu’il fut, en tout et pour tout, l’auteur des « récits d’un témoin » proprement dits ; je m’en rapporte là-dessus à ce qui a été publié en ces derniers jours, de part et d’autre[2]. Voilà la vraie question.

Or, j’avais déjà fait quelques rectifications à ces récits d’un témoin ; je me proposais d’en apporter d’autres, et je l’ai annoncé bien avant ma conversion, soit dans des lettres particulières, soit dans le Palladium Régénéré et Libre.

Je suis donc bien à mon aise pour juger l’ouvrage.

Des exagérations, il y en a, elles sont nombreuses ; l’auteur se laisse entraîner souvent par son ardeur descriptive ; il dépasse le but. Tous les faits sont-ils controuvés ? c’est une autre affaire. Quant au fond, l’ouvrage est vrai. Oui, là Haute Maçonnerie existe ; oui, le Rite Suprême dit Palladique est pratiqué dans des arrière-loges nommées Triangles ; oui, le Grand Architecte de la Franc-Maçonnerie, tel qu’il est connu des parfaits initiés, n’est autre que Lucifer, c’est-à-dire Satan.

Et voilà la révélation qu’il fallait détruire à tout prix.

Renier cette révélation après l’avoir faite, dire publiquement : « Je me suis moqué des catholiques, tout ce que j’ai écrit n’est qu’une fumisterie », cela est une trahison.

Une trahison de ce genre se paie. Qui paierait ? Évidemment, une forte somme serait nécessaire, vu l’immense scandale qu’on voulait. Or, il n’y avait pas à compter sur Lemmi, trop vexé de l’humiliation qui venait de lui être infligée par les exigences du Grand Orient de France. Donc, le Grand Orient de France ferait les frais, quels qu’ils pussent être car il y avait lieu de prévoir leur accroissement, en cas de complications.

Ici, une observation : quand telle fédération maçonnique a telles dépenses extraordinaires à s’imposer, cela ne veut pas dire qu’elle prend les fonds dans la caisse centrale nationale, constituée par le tant pour cent des cotisations et autres ressources connues des imparfaits initiés. Chaque Maçonnerie particulière sait toujours se ménager des amitiés puissantes, soit dans le monde gouvernemental, soit dans le monde de la haute finance tout en s’insinuant dans la direction des affaires politiques, la secte rend des services secrets, qui lui permettent à l’occasion de se faire remettre des fortes sommes. — Citons deux exemples historiques : Mazzini était loin d’être riche, et les carbonari qu’il dirigeait appartenaient à la bohème politique et aux classes inférieures de la société, tous gueux sans le sou ; ce n’était ni dans sa bourse, ni dans la caisse des cotisations des Ventes, que Mazzini puisait les sommes considérables qui lui furent nécessaires pour l’organisation de ses complots et l’exécution des criminels attentats dont il était l’inspirateur. — Plus récemment, l’affaire du Panama a montré que feu le F ▽ Floquet, au moment où la Franc-Maçonnerie venait de condamner l’aventure boulangiste comme dangereuse pour la République (réunion des Loges de Paris au Cirque d’Hiver), sut extorquer trois cent mille francs au F∴ Ferdinand de Lesseps pour subventionner les journaux à rédactions maçonniques, radicaux et opportunistes, et alimenter leur campagne contre le blond général.

Le Grand Orient de France n’eut donc pas grand mérite à accepter de prendre à sa charge les frais que nécessiteraient la trahison du docteur Bataille et les complications qui en seraient fatalement la conséquence. Un jour, peut-être, la découverte d’un pot-aux-roses financier, quelconque donnera la clé de l’énigme pécuniaire qui nous préoccupe aujourd’hui.

Le docteur Bataille, depuis quelque temps, était comme une de ces citadelles que Philippe de Macédoine savait si bien prendre, sans exposer ses troupes à un assaut meurtrier. Une forte somme, même si elle lui était offerte par la Franc-Maçonnerie, serait la bienvenue ; il ne se gênait pas pour le dire. Enfin, survint l’affaire de Mlle  Couédon, la « Voyante de la rue de Paradis ». On sait que la Société des Sciences psychiques, dont le docteur était vice-président, examina le cas de Mlle  Couédon ; qu’une commission médicale fut nommée en premier lieu ; que le docteur Bataille fut chargé du rapport ; que son rapport fut rejeté à l’unanimité par la Société tout entière. Ou le docteur fut froissé de ce rejet, ou bien il était déjà décidé à une rupture avec les catholiques. Quoiqu’il en soit, à partir de ce moment, le docteur Bataille ne fut plus le même pour ceux qui le connaissaient. Les journaux ennemis de l’Église le comblèrent de louanges ; il suffit de parcourir les collections de la Lanterne et du Radical, etc., pour le constater. D’autre part, le docteur Bataille a, depuis quelque temps, des intérêts engagés dans un restaurant situé sur les grands boulevards, dans la même maison que celle où il a son cabinet de consultations (boulevard Montmartre) ; cela, il l’a reconnu publiquement, et par lettres aux journaux, et dans des interviews. Or, il est avéré que deux Loges de la juridiction du Grand Orient de France donnent leurs banquets dans le restaurant du docteur Bataille. On voit que, pour circonvenir le malheureux, les émissaires de la rue Cadet n’eurent pas à déployer beaucoup de diplomatie. Et, depuis la trahison consommée, la clientèle de ce restaurant est de plus en plus maçonnique ; ceci est notoire.

Quelle somme le docteur Bataille demanda-t-il ? — À l’époque où des aveux lui échappèrent, il disait que, pour trois cent mille francs, il était disposé à rentrer dans la secte et à la servir. C’est sans doute ce prix qu’il mit en avant, lorsque des propositions lui furent faites ; mais on m’a assuré qu’il baissa ses prétentions. L’accord se fit sur la base de cent mille francs.

Il fut donc convenu que le docteur Bataille produirait tout à coup, au moment où personne ne s’y attendrait, une déclaration sensationnelle, de nature à jeter la perturbation la plus profonde parmi les catholiques ; qu’il se déclarerait publiquement faux-témoin ; qu’il se proclamerait mystificateur, s’étant moqué des hommes de foi, ayant inventé à plaisir tous ses récits personnels ; en un mot, que, s’appuyant sur ses exagérations, il manœuvrerait de telle sorte que le public pourrait croire désormais à la non-existence même de la Haute Maçonnerie et du Rite Suprême Palladique.

Mais où et quand faire éclater ce scandale ?

L’insertion de la déclaration du docteur Bataille dans une feuille rédigée par des francs-maçons montrerait trop bien le complot de la secte. Il était nécessaire de se servir d’une gazette catholique.

Il fallait, en outre, discréditer le Congrès de Trente.

Pour s’assurer un immense retentissement, il était indispensable que le coup, ainsi prémédité, ne fût pas soupçonné des congressistes. Quelle meilleure tactique que celle-ci pouvait-on imaginer ? Susciter adroitement, au sein du Congrès, une question qui n’était pas dans le programme, « la question Diana Vaughan » ; pousser à une discussion quasi-publique, dans une séance où la presse serait admise ; et, quand le Congrès se serait terminé, ayant eu une de ses assemblées laissant cette question ouverte aux commentaires passionnés dans les journaux catholiques du monde entier, jeter brusquement dans le débat la lettre promise par le docteur Bataille.

À aucun prix cette lettre ne devait être publiée d’abord, et cela tombe sous le sens. En effet, si les émissaires secrets chargés de la manœuvre avaient apporté au Congrès la lettre de reniement du docteur Bataille, s’ils l’avaient produite dans la section où l’on devait susciter les premiers troubles pour provoquer une grande réunion spéciale avec admission de la presse, il est indubitable que la Présidence générale du Congrès aurait réfléchi à deux fois et fait appeler les anciens amis du docteur, afin de leur demander ce qu’ils pensaient de cet incident inattendu ; ceux-ci auraient déclaré sans hésiter que le docteur était devenu subitement fou ou s’était vendu à l’ennemi, mais qu’en tout cas le fait de cette volte-face, inexplicable et suspecte au plus haut degré, devait être examiné avant tout. La prudence et la sagesse des Évêques présents auraient immédiatement paré à l’explosion du scandale si habilement combiné pour troubler l’action antimaçonnique. Le Congrès ne serait pas sorti de son programme. Les questionneurs émettant des doutes à mon sujet auraient été appelés dans un bureau et mis en face de mes amis ; ceux-ci auraient répondu ; des explications discrètes auraient été échangées, et, si après cela les négateurs s’étaient dits non convaincus encore, la Présidence leur aurait fait prendre l’engagement d’attendre dans le silence la décision d’une Commission d’enquête qui avait été nommée à Rome antérieurement au Congrès.

Non, la secte ne pouvait risquer qu’il en advînt ainsi.

La première résolution, formellement arrêtée dans les conseils de la Haute Maçonnerie, fut que la lettre publique du docteur Bataille paraîtrait après le Congrès, en pleine agitation de la question Diana Vaughan, laquelle serait soulevée au Congrès.

Findel, ayant été consulté, émit l’avis que le pays le plus favorable était l’Allemagne. En effet, la presse catholique allemande avait déjà « avalé » les mensonges de sa brochure ; la Germania, de Berlin, la Volkszeitung de Cologne, avaient cru sur parole les dénégations intéressées du vieux haut-maçon de Leipsig.

En particulier, la Volkszeitung avait imprimé ceci :

« Les révélations de Margiotta et de Miss Diana Vaughan, le Palladium et son action prédominante dans la fédération maçonnique, la direction centrale dans la Maçonnerie, la papauté maçonnique, le culte satanique de Pike et de Lemmi avec invocations diaboliques et profanations d’hosties consacrées, il faut qualifier une bonne fois tout cela d’impostures, comme cela l’est en réalité. »

Il semblerait qu’à Rome on avait le pressentiment de quelque maladresse nouvelle de la part des journalistes allemands car la Rivista Antimassonica, organe officiel du Conseil directif général de l’Union Antimaçonnique universelle, publia, dans son numéro du 15 septembre, un magistral article répondant victorieusement aux absurdités du journal de Cologne. Et le journal romain faisait suivre cet article d’une importante note de la rédaction ; cette note disait ceci :

« Nous ne croyons pas que les affirmations sans fondement de la gazette de Cologne puissent préoccuper les congressistes de Trente, parce que nous les tenons assez sérieux pour les croire incapables de donner quelque poids et quelque importance à des affirmations qui, par elles-mêmes, prouvent qu’elles viennent de personnes tout à fait ignorantes du sujet sur lequel elles veulent prononcer un jugement que leur ignorance dans la matière devrait les empêcher de prononcer.

« Il nous en coûte de nous exprimer aussi… durement ; mais notre confrère d’au delà des Alpes doit comprendre que, si tout les premiers nous aimons la discussion logique soutenue par des preuves et des faits, nous, n’aimons pas entendre proclamer, sans fondement et sans aucune preuve qui Justine une pareille affirmation, proclamer, disons-nous, comme impostures des vérités désormais reconnues par l’autorité ecclésiastique elle-même et prouvées par des documents et des preuves irréfragables. »

On le voit, le meilleur terrain, le mieux préparé, était celui de la presse catholique allemande. La seconde résolution fut donc que l’éclat, après le Congrès, aurait lieu en Allemagne. Le docteur Bataille, d’ailleurs, s’affirmait CERTAIN d’allumer l’incendie, un incendie formidable, s’il s’adressait à la Volkszeitung, de Cologne ; la matière était inflammable à merveille, là. Disons mieux : rien ne pouvait être plus à souhait, pour la réussite des desseins de la secte, que les dispositions d’abord étalées précisément par la Volkszeitung. Dans un autre journal, cela n’aurait pas fait aussi bien l’affaire,

Je prie de remarquer que je ne me borne pas à des phrases ; je suis précise, du moins autant qu’on peut l’être en traitant un pareil sujet. Et j’affirme expressément ceci quelque temps avant le Congrès de Trente, le docteur Bataille se rendit à Cologne ; il séjourna à Cologne ; la Volkszeitung eut sa promesse d’une lettre où il se proclamerait impie, où il traiterait de mensonges ses propres écrits, lettre destinée à produire un immense scandale. M. le docteur Cardauns, rédacteur en chef de la Volkszeitung, ne démentira pas ceci, et ceci est un fait, un fait des plus significatifs.

Et la Volkszeitung, dont la direction ne pouvait ignorer la préméditation d’une discussion passionnée à Trente, préféra publier la lettre du docteur Bataille après le Congrès plutôt qu’avant.

La Volkszeitung, journal catholique, n’a pas dit un mot du séjour du docteur Bataille à Cologne ; et quand, plus tard, elle a publié la lettre promise, elle l’a donnée comme si le docteur Bataille lui était un inconnu ! comme s’il avait répondu purement et simplement à l’article sensationnel du octobre, en ayant eu connaissance tout à coup et par hasard !

Si la gazette prussienne avait été mue par le seul et pur désir d’éclairer sincèrement les catholiques, est-ce qu’elle aurait joué cette comédie ? est-ce qu’elle n’aurait pas, au contraire, en toute loyauté, déployé ses cartes sur la table et dit franchement : « Le docteur Bataille vient d’arriver à Cologne, et voici la déclaration qu’il nous a faite à l’instant même ! »

La Volkszeitung n’a pas agi ainsi, parce qu’il entrait dans les plans de la Franc-Maçonnerie de provoquer et d’obtenir, avant tout, une séance quasi-publique destinée à faire retentir dans le monde entier les négations de Findel, et parce que la Volkszeitung, tout au moins en cette circonstance, a été complice de la secte, a été sciemment l’auxiliaire de Findel.

Enfin, n’oublions pas que le Grand Orient de France s’était chargé des frais de la suprême manœuvre. Il avait donc le plus direct intérêt à surveiller de près les opérations. Un de ses délégués, orateur de la Loge l’Avant-Garde Maçonnique, fut chargé de se rendre à Trente ; ce n’était pas, évidemment, pour, passer ses journées à l’hôtel et y lire, dans les journaux de la ville, les comptes rendus du Congrès ; autant eût valu prendre un abonnement à ces journaux, au nombre de deux, et les recevoir à Paris pendant cette période, il fallait voir du plus près possible, c’est-à-dire au sein même du Congrès, ce qui s’y passerait. Notons que tes congressistes français furent peu nombreux. Les noms m’ont été communiqués : M. le chanoine Mustel, directeur de la Revue Catholique de Coutances ; M. l’abbé de Bessonies, secrétaire du Comité national français de l’Union Antimaçonnique ; le R. P. Octave, directeur de la Franc-Maçonnerie démasquée, de Paris ; le R. P. Lazare, rédacteur de la Croix de Paris ; M. le chanoine Pillet, doyen de la Faculté de théologie de Lille et correspondant de t’Univers, de Paris ; M. Fromm, rédacteur de la Vérité de Paris ; M. l’abbé Josepff, représentant l’Anti-Maçon, de Paris ; M. Léo Taxil, représentant la Revue Mensuelle, de Paris ; M. Laurent Billiet, représentant la France Libre, de Lyon ; M. l’abbé Vallée, prêtre de Tours ; MM. Doal, Douvrain et Gennevoise, trois étudiants de l’Université catholique de Lille, venus avec M. le chanoine Pillet. En tout treize. Le F. orateur de la Loge l’Avant-Garde Maçonnique ne s’est donc pas glissé dans le Congrès au moyen d’une carte frauduleuse obtenue du Comité national français de l’Union Antimaçonnique. Ce fait essentiel méritait d’être établi. Or, le délégué du Grand Orient de France a assisté aux séances du Congrès, séances de la IVe section et assemblées générales, et il en a fait le compte rendu à son retour au principal temple de l’hôtel de la rue Cadet. Cet autre fait est acquis, sans contestation possible.



Nous venons de voir comment le coup avait été préparé. Arrivons au Congrès de Trente. Sur ce qui s’est passé, les renseignements abondent : indépendamment d’un rapport complet que j’ai eu, plusieurs congressistes amis, même des amis inconnus, m’ont envoyé des notes personnelles et des coupures de journaux ; j’ai pu contrôler ainsi les relations des uns par celles des autres, et j’ai la confiance que la Commission d’enquête de Rome, en lisant ces pages, n’y trouvera aucune inexactitude.

On sait par un hasard providentiel, le train même que prit le délégué du Grand Orient de France pour se rendre à Trente. Un congressiste, parti pour Zurich le 23 septembre par l’express de 8 h. 35 du soir (gare de l’Est), apprit d’un voyageur, au cours d’une conversation, qu’un franc-maçon de la rue Cadet se trouvait dans le même train ; ce voyageur avait entendu deux personnes se saluer, à Paris, à l’embarcadère, et l’une dire à l’autre : « Moi, je vais à Trente à l’occasion d’un Congrès antimaçonnique qui va s’y tenir. — Toi ? fit l’interlocuteur avec surprise ; mais… — Parfaitement, fut-il riposté, j’y vais pour la rue Cadet. » Le congressiste pria son compagnon de wagon de lui montrer ce voyageur, s’il se rappelait ses traits, quand on descendrait à Bâle pour le changement de train ; mais, ni au buffet ni sur le quai, le compagnon du congressiste ne put reconnaître son homme. D’ailleurs, il n’attachait pas aux propos entendus la même importance que le congressiste. Quand le lendemain celui-ci arriva à Trente, son premier soin fut d’informer de ce fait plusieurs membres du Comité. Un moment, on pensa que le faux-frère avait pu se glisser parmi les représentants de la presse ; mais, de ce côté, on fit fausse route : au surplus, les représentants de la presse qui n’étaient pas en outre congressistes n’avaient pas accès dans les sections. On ne s’occupa plus de l’incident, dans la pensée qu’une erreur avait pu être commise par le voyageur qui avait donné l’éveil ; mais ce fait prend une singulière valeur, aujourd’hui qu’on sait qu’un franc-maçon de la rue Cadet s’est vanté d’avoir assisté au Congrès et en a fait le compte-rendu en loge.

C’est à la IVe Section (section de l’action antimaçonnique) que le feu fut ouvert contre moi. M. le chanoine Mustel présidait la Ire Section ; le R. P. Octave et M. l’abbé de Bessonies étaient à la IIe section, dont le président fut M. Tardivel, directeur de la Vérité, de Québec (Canada). Quant à M. Léo Taxil, il s’était inscrit à la IVe Section ; mais, dès le début de la première séance, il fut élu membre de la commission spéciale, chargée de jeter les bases de l’organisation antimaçonnique universelle. L’absence de mes principaux amis fut mise à profit par trois congressistes allemands, auxquels un quatrième, allemand aussi, vint se joindre à la fin.

L’attaque était conduite par le docteur Gratzfeld, secrétaire de Mgr l’Archevêque de… Cologne !

Maintenant qu’il est certain que le docteur Bataille se trouvait à Cologne quelques jours ayant le Congrès, le rôle que jouait le docteur Gratzfetd au sein de la IVe Section est aisé à comprendre, si l’on ne perd pas vue que le délégué du Grand Orient de France, payeur de la trahison, était présent et surveillait la manœuvre.

Le docteur Gratzfeld, — tous mes correspondants sont d’accord pour m’écrire qu’il a une physionomie des moins sympathiques, — avait adopté la tactique que voici : sous n’importe quel prétexte, il intervenait dans toute discussion pour attaquer mes Mémoires, plus particulièrement encore, mon volume sur Crispi. Alors même que personne ne parlait ni de moi ni de mes écrits, il partait à fond de train pour s’écrier qu’il fallait rejeter mes ouvrages de toute action ou propagande antimaçonnique ; car « Findel avait traité d’impostures les allégations quelconques relatives à l’existence d’une Haute-Maçonnerie et du Rite Suprême Palladique ». Ses trois compères se joignaient à lui et se démenaient comme des enragés, troublant la séance ; plusieurs fois, on fut obligé de les calmer. M. l’abbé Josepff, voyant que le docteur Gratzfeld s’entêtait à citer toujours le nom de Findel, fui répondit : « Votre Findel prétend que Cavour et Mazzini ne furent jamais francs-maçons ; laissez-nous donc tranquilles avec votre Findel ! »

En résumé, tout ce tapage concluait a la demande d’une grande séance consacrée à examiner, devant tous les congressistes et la presse, la question : « Miss Diana Vaughan existe-t-elle, oui ou non ? »

On pense si le délégué du Grand Orient de France devait rire sous cape et s’applaudir des résultats qui se préparaient.

Pour en finir, la séance tant réclamée fut accordée.

D’autre part, la Présidence générale du Congrès avait demandé à M. l’abbé de Bessonies, l’un des vice-présidents, de faire un rapport sur la question. Ce rapport fut lu à une réunion intime de quelques-uns des Évêques présents à Trente, qui désiraient être renseignés ; les Évêques, très satisfaits et se déclarant convaincus, émirent l’avis qu’il serait utile que ce rapport fût communiqué officiellement au Congrès, afin de dissiper une bonne fois les doutes semés chez les Allemands par les menteuses dénégations de Findel. En même temps, on venait d’apprendre les incidents de la IVe section, et l’on prenait la résolution de tenir toute une grande séance pour s’occuper de moi.

Je ne veux critiquer personne ; les membres du bureau présidentiel crurent bien agir en cela. Toutefois, ils perdirent de vue qu’ils créaient un précédent fâcheux. Une assemblée délibérante, convoquée dans le but d’organiser une action universelle aussi grave que celle qui réunissait à Trente les délégués catholiques des deux mondes, a autre chose à faire que s’occuper des questions de personnes. L’amitié qu’on me portait, — et dont je remercie, — m’a valu un trop grand honneur ; le désir de me défendre a empêché de voir le piège. Même si l’on avait eu affaire à des adversaires de bonne foi, il valait mieux réserver l’anéantissement de leurs doutes à une réunion de comité strictement privé, à une réunion intime, comme celle des Évêques. En se renfermant dans les limites de cette règle, on se conformait aux traditions des grands congrès internationaux.

Je ne rappellerai pas, par le détail, cette séance, désormais célèbre, du 29 septembre[3]. Divers comptes rendus en ont été publiés, la presse ayant été admise à la séance, tenue dans la salle des assemblées générales. Les orateurs qui prirent la parole furent : M. l’abbé de Bessonies (lecture de son rapport), Mgr Baumgarten, M. Léo Taxil, le R. P. Octave, M. Kolher, M. le comte Paganuzzi, M. l’avocat Respini. S. A. le prince de Lœwenstein. président général du Congrès, proposa de remercier les différents orateurs, en reconnaissant que le but de chacun avait été de faire la lumière. M. le commandeur Alliata, président du Conseil directif général de l’Union antimaçonnique universelle, fit une déclaration dans ce sens : « Le Conseil, dont j’ai été élu président et qui a été l’organisateur de ce Congrès, possède dans son sein une Commission spéciale qui s’occupe de tout ce qui a rapport à Miss Diana Vaughan ; on peut s’en rapporter avec confiance à cette Commission, composée d’hommes expérimentés et prudents, et communiquant directement avec le Saint-Siège. » L’ordre du jour, qui fut voté, a été publié avec deux rédactions quelque peu différentes ; je donne les deux textes, en attendant le compte rendu officiel des actes du Congrès.

« La IVe Section, reconnaissante envers les orateurs qui ont apporté la lumière dans le cas de la demoiselle Vaughan, et vu la communication faite par le commandeur Alliata, président du Comité central antimaçonnique qui déjà a dans son sein une commission chargée d’étudier le cas susdit, passe à l’ordre du jour. » (Texte donné par l’Unità Cattolica, de Florence, et d’autres journaux italiens. )

« La IVe Section remercie chaleureusement les orateurs qui ont parlé en sens divers sur Miss Diana Vaughan, et, sur la déclaration du commandeur Alliata qu’il existe dans le Comité de Rome une commission spéciale pour cette question, passe à l’ordre du jour. (Texte donné par M. l’abbé de Bessonies et M. le chanoine Mustel dans la Franc-Maçonnerie démasquée.)

Le docteur Gratzfeld, remarquons-le bien, ne monta pas à la tribune ; c’était lui, pourtant, qui avait le plus poussé à la tenue de cette grande séance. Ce fut Mgr Baumgarten, qui se fit le porte-parole des négateurs allemands ; encore, déclara-t-il qu’il n’entendait nullement préjuger, mais que, s’occupant de travaux historiques, en sa qualité d’archiviste à Rome, il désirait purement et simplement : 1° que l’on produisit l’acte de naissance légal de Miss Diana Vaughan ; 2° que l’on nommât au Congrès de Trente le couvent où elle a reçu le baptême et l’Évêque qui a autorisé sa première communion.

Ces deux questions, également insidieuses, tendaient l’une et l’autre au même but, et les lecteurs qui suivent avec attention mes écrits reconnaîtront bien vite que seule la secte avait intérêt à les faire poser en plein Congrès ; car aucun de mes amis congressistes ne pouvait y répondre.

Je n’accuse pas Mgr Baumgarten. Jusqu’à preuve du contraire, je crois qu’il ignorait que la réponse à l’une ou l’autre de ses deux questions mettrait la Franc-Maçonnerie sur ma piste. Mgr Baumgarten me paraît n’avoir posé ces questions que parce qu’elles lui avaient été soufrées par le docteur Gratzfeld. D’ailleurs, on m’a écrit, qu’il avait regretté d’être intervenu. Une lettre amie m’a été communiquée, où il est dit : « Mgr Lebruque, Évêque de Chicoutimi (Canada), qui a assisté au Congrès et à qui j’ai eu l’occasion de parler à Rome, est entièrement avec nous. Il m’a assuré avoir vu Mgr Baumgarten, le soir du 29 septembre, à la suite de la séance ; Mgr Baumgarten lui a dit qu’il regrettait ce qui s’était passé et surtout ce qu’il avait dit dans cette séance. Voilà une confession précieuse et surtout significative ; vous pouvez publier cela sans crainte, car Mgr l’Évêque de Chicoutimi n’est pas un menteur ! »

Sur la question de l’acte de naissance, j’avais déjà répondu à mes amis. Il y a fort peu de temps que les citoyens des États-Unis se soucient d’avoir des registres d’état civil, et encore en un grand nombre d’endroits on n’en est pas là. Du temps de mon père, le Kentucky brillait au premier rang par sa négligence ; il savait, par tradition de famille, son lieu et sa date de naissance, voilà tout. Se conformant aux habitudes de son pays, il ne me déclara pas, quand je naquis. Ceci peut paraître extraordinaire, incroyable, aux Français ; c’est ainsi, pourtant. Pour suppléer aux actes de naissance, quand on en a besoin, l’usage est de se présenter chez un solicitor ; on lui déclare qu’on est Un-Tel, né tel jour en telle ville, enfant d’Un-Tel et d’Une-Telle ; on affirme, et la plupart du temps on ne vous demande même pas le serment ; on paie au solicitor ses honoraires, il dresse l’acte de déclaration, l’enregistre, le délivre, et c’est cet acte qui fait foi. Voilà ce que j’avais écrit à mes amis, et j’ajoutai : « Vous pouvez vous renseigner chez le consul général des États-Unis à Paris ; il vous dira que c’est ainsi. » Si j’étais une aventurière, il ne m’en coûterait donc pas de m’être munie non pas d’un, mais de dix certificats de naissance ; et chacun différent, si j’en avais eu la fantaisie. Je n’aurais donc rien prouvé, même avec un acte sincère.

Le R. P. Octave, répondant à Mgr Baumgarten, donna cette explication ; elle fit sourire le porte-parole des négateurs allemands.

M. Tardivel, directeur de la Vérité, de Québec, et président de la IIe Section du Congrès de Trente, assura que rien n’était plus vrai que ce que j’avais dit. Le bon Dieu vint à mon aide par lui ; il est du Kentucky, comme ma famille paternelle. Et voici ce qu’il a publié dans son journal, en relatant cet incident :


« Elle est née à Paris, d’un père américain et d’une mère française. Sa naissance a peut-être été inscrite au consulat américain, peut-être aussi ne l’a-t-elle pas été du tout : car on sait avec quelle négligence ces choses se font ou du moins se faisaient autrefois aux États-Unis. Ainsi, à titre d’exemple, je sais, pour ma part, par tradition, que je suis né à Covington, dans l’état du Kentucky, le 2 septembre 1851 ; mais s’il plaisait à quelqu’un de nier mon existence, je ne pourrais pas l’établir par un extrait quelconque des registres soit de l’état-civil, soit de la paroisse catholique de Covington. Des recherches que j’ai fait faire il y a quelques années n’ont abouti à aucun résultat. Voilà ce qui m’est arrivé, à moi, né de parents catholiques, baptisé dans une paroisse catholique régulièrement constituée. Et parce que Miss Vaughan, née d’un père américain et luciférien et d’une mère française et protestante, qui probablement n’étaient que de passage à Paris (car la famille paraît avoir vécu surtout prés de Louisville, Kentucky), parce que, dis-je, Miss Vaughan, née dans de telles circonstances, ne peut pas produire un acte de naissance en bonne et due forme, on ne voudrait pas admettre son existence ? C’est par trop puéril. Je dis on' ; c’est l’abbé allemand (Mgr Baumgarten) que j’aurais dû dire, car il m’a paru seul de son avis. On discute encore l’'œuvre de Miss Vaughan ; on y attache plus ou moins d’importance, selon qu’on l’a plus ou moins étudiée (en effet je constate de plus en plus que ceux qui sont contre sont précisément ceux qui n’ont rien lu) ; mais, après le rapport de M. l’abbé de Bessonies, aucun homme sensé ne voudrait contester l’existence d’une personne appelée Diana Vaughan. Comme l’a dit le Père Jésuite Sanna Solaro, de Turin, présent à la réunion : « Que Miss Vaughan soit née à Paris, à Londres ou dans la lune, qu’est-ce que cela fait ? »


Cela ne peut rien faire au public, en effet ; mais cela importe beaucoup à la secte, aujourd’hui. Elle sait que je ne suis pas capable d’avoir jamais fait chez un solicitor une fausse déclaration ; ce qu’elle voudrait connaître, par le seul acte d’état-civil qui est possible dans mon cas, c’est le nom de famille de ma mère. Quelques-uns des chefs secrets de la Haute-Maçonnerie ont mieux lu que le public entre les lignes de certaine correspondance du Palladium Régénéré et Libre et dé certains passage de mes Mémoires ; mon père ayant laissé échapper autrefois certains mots sur la situation de sa belle-sœur, ces mots sont revenus à la mémoire d’hommes qui sont aujourd’hui mes ennemis mortels ; ils ont déchiffré l’énigme, malgré mes précautions de style, et il ne leur manque plus que le nom. Ce nom, dans la secte, mon oncle seul le sait : mais sur lui je suis tranquille ; non converti, mais antilemmiste, il m’a écrit qu’il emporterait ce secret dans la tombe ; il m’aime trop pour me trahir.

Dire le nom de l’Évêque qui a autorisé ma première communion, laisser circuler dans une lettre le nom de cet Évêque, ce serait donner le fil qui conduirait bientôt au couvent où j’ai promis de finir mes jours. Or, elles se tiennent par là, les deux questions que le docteur Gratzfeld fit poser à Trente par Mgr Baumgarten. Je ne puis pas en dire plus long. Mais j’ai le droit de ne pas voir un simple hasard dans la position de ces deux questions. M. le chanoine Mustel a eu mille fois raison, quand il a imprimé son appréciation en ces termes : « La plus vulgaire prudence interdisait de répondre aux deux questions de Mgr Baumgarten. » Merci !

L’acte de naissance, le nom de l’Évêque, cela, tels princes de l’Église qui m’ont fait l’honneur de m’écrire ne me le demandent pas. Et cela, le docteur Gratzfeld l’exige. Pourquoi ?…



Enfin ! ils étaient parvenus à leur but, les sectaires !… Que leur importait le vote d’un ordre du jour remerciant chaleureusement mes amis ! Et les acclamations qui accueillirent le lendemain M. Léo Taxil à son entrée dans la salle des assemblées générales, et les applaudissements qui saluèrent à son tour M. l’abbé de Bessonies lorsqu’il monta à la tribune pour y lire un rapport sur l’action antimaçonnique en France, interminable salve de bravos avant même qu’il eut ouvert la bouche, ces acclamations et ces applaudissements étaient les enthousiastes remerciements du Congrès, reconnaissant à ceux qui avaient défendu ma cause ; ces ovations étaient significatives, mais elles importaient peu à la secte. Elle avait ce qu’il lui fallait : le trouble nécessaire dans la presse catholique allemande, le prétexte indispensable pour entretenir l’agitation, jusqu’au moment où éclaterait comme une bombe la lettre promise par le docteur Bataille.

Et voici les journaux libéraux, dont le libéralisme est un masque qui cache un maçonnisme honteux, les voici qui entrent en campagne, donnant de la séance du 29 septembre les comptes rendus les plus mensongers. Et la Volszeitung, de Cologne, s’appuyant triomphalement sur ces mensonges. représente comme un vainqueur son compère le docteur Gratzfeld ; il n’avait pas vaincu à Trente, certes ! mais il méritait bien ces félicitations.

Alors, la Volszeitung publia le grand article « Miss Diana Vaughan sous sa véritable forme », dans son numéro du 13 octobre ; il tient toute la première page, moins les trois quarts de la dernière colonne. Là sont accumulés les plus énormes mensonges, audacieux, mais habiles, bien faits pour impressionner, mais échappant au contrôle du public. Je n’existe pas ! et l’on jette au lecteur le nom que l’agent Moïse Lid-Nazareth avait imprimé dans la Revue Maçonnique du F∴ Dumonchel ; et l’on imagine le roman complet d’une comédie, dont le metteur en scène, le Deus ex machinâ, serait M. Léo Taxil. Des phrases, des phrases, des phrases ; pas une seule preuve de ce qui est avancé si odieusement[4].

Le docteur Bataille avait commis une faute. Dans un livre tel qu’en écrivent les journalistes boulevardiers, intitulé le Geste, il avait introduit un chapitre indigne d’un chrétien : « le Geste hiératique ». J’ignorais ce livre ; il est, paraît-il, devenu introuvable, et l’Univers a reconnu qu’il semblait avoir été retiré du commerce ; peut-être, simplement, l’édition a été épuisée, l’éditeur ne l’a plus réimprimé. Un de mes amis a bien voulu aller lire ce livre à la Bibliothèque Nationale de Paris, afin de m’envoyer son appréciation. J’avais posé cette question : « Est-ce l’œuvre d’un libre penseur militant, comme on l’a dit ? est-ce un ouvrage de combat contre l’Église ? » Il m’a été répondu : « C’est une œuvre d’artiste sceptique ; le fond est mauvais ; le chapitre du Geste hiératique est des plus déplorables ; mais ce livre n’a aucun rapport avec ceux que publient les écrivains qui font métier de combattre l’Église. C’est l’erreur d’un cerveau troublé, et non l’œuvre d’un libre penseur militant ; ce n’est pas un ouvrage de combat, je le déclare en mon âme et conscience, et quiconque le lira sans parti pris jugera de même. » Depuis la publication de ce livre, aujourd’hui devenu introuvable, le docteur Bataille a-t-il reconnu avoir eu « des heures de défaillance » ? a-t-il marqué son repentir ? On m’a répondu, d’autre part : « Oui, dans la publication le Diable au xixe Siècle, le docteur s’accuse d’avoir été un grand pécheur, d’être un chrétien indigne, et enfin d’avoir eu le bonheur de retrouver sa foi, après les tristes heures de défaillance. Cela est en toutes lettres dans l’ouvrage. »

Quant à moi, lorsque j’ai eu à faire part de mon appréciation sur le compte du docteur Bataille, — n’ayant été interrogée par personne sur ses récits d’un témoin et m’étant réservé le moment opportun de réduire ses exagérations et de couper les cornes à quelques-uns de ses diables, mais décidée aussi à mettre en lumière le vrai, c’est-à-dire ce qui, dans ce grand ouvrage, est la confirmation de choses et de faits connus des missionnaires et des personnes compétentes ayant étudié à fond la Franc-Maçonnerie, — quant à moi, j’ai maintes fois qualifié familièrement le docteur Bataille ainsi : « le bon toqué. » Bon, parce qu’il était bon ; maintenant, il n’est plus lui-même. Toqué, parce que ses exagérations ne me l’ont pas fait paraître imposteur, mais incohérent ramasseur de toutes les légendes en cours dans les Triangles, procédant sans examen approfondi, halluciné peut-être en quelques cas, en quelques autres ne se rendant pas compte du prestige diabolique ; ainsi, s’il avait été le jouet de l’esprit du mal dans les circonstances que j’ai racontées au premier chapitre de mes Mémoires, aurait narré qu’il avait été transporté vraiment au paradis terrestre et en Oolis. Oui, un peu toqué, je le répète, et, aujourd’hui même, je crois, à sa décharge, qu’un grain de folie est mêlé à sa trahison, malgré les faits qui rendent celle-ci certaine, indiscutable.

Donc : la Volkszeitung, de Cologne, publia, le 13 octobre, l’article tapageur, qui, pour la grande joie de la secte, devait faire éclater la bombe Bataille, selon la promesse faite avant le Congrès au Grand Orient de France et confirmée, à Cologne même, le 22 septembre, à un délégué de Findel.

Le journal prussien ne manquait pas de citer le Geste, le livre introuvable non réimprimé depuis quatre ans ; il se gardait bien de dire que, depuis cette faute, le docteur Bataille avait été, à Paris, connu de tous excellent chrétien, revenu à la foi après ces heures de trouble déplorées, se prodiguant en bonnes œuvres charitables à sa clinique, vice-président d’une Société des plus catholiques. Cela, il ne fallait pas l’imprimer ! il ne fallait pas dire non plus que ce pauvre Geste était tout le bagage littéraire condamnable du malheureux. Et voilà le docteur Bataille transformé, par les journaux embellisseurs du premier récit, en auteur de nombreux ouvrages anticléricaux, que nul ne cita jamais, et pour cause ! le voilà proclamé libre penseur militant, forcené, ayant trompé les catholiques, impudent faux témoin, dénoncé par conséquent, au mépris du monde entier.

J’en appelle à tout homme sensé : un pareil outragé est-il acceptable ? le vraiment faux-témoin, à qui l’on arracherait aussi son masque, ne se trouverait-il pas bouleversé sur le coup, épouvanté de la situation dans laquelle on met avec lui ceux qu’il a trompés et ceux qu’on lui pour complices ? n’irait-il pas demander conseil aux uns, aux autres, ayant de prendre une décision ?

Eh bien, les faits sont là ; et, lors même qu’on ne saurait pas aujourd’hui le voyage à Cologne avant le Congrès, l’entrevue du 22 septembre avec l’émissaire de Findel, la leçon faite au docteur Gratzfeld, la fréquentation notoire des gens de la rue Cadet au restaurant du boulevard Montmartre, les cent mille francs, les banquets des deux Loges chez le docteur, la présence frauduleuse au Congrès de Trente du délégué du Grand Orient de France, surveillant la bonne exécution de la manœuvre, lors même qu’on ignorerait tout cela, l’évidence crie : Cet homme est un traître, cet homme s’est vendu !

Le numéro de la Volkszeitung parut à Cologne le 13 octobre ; le journal prussien ne se trouve en dépôt nulle part à Paris, notez-le bien. Le numéro du 13 octobre a donc été envoyé tout exprès au docteur Bataille ; car il répondit par retour du courrier, — si même l’article ne lui avait pas été communiqué d’avance ou si la réponse n’était pas déjà à Cologne quand le numéro du 13 s’y imprimait.

Froidement, sans sourciller, de la plume la plus tranquille, cet homme qui, trois mois auparavant, était le vice-président d’une société catholique (la Société des Sciences psychiques : président, M. l’abbé Brettes, chanoine de Notre-Dame de Paris) ; cet homme, le docteur Bataille, écrivit la stupéfiante lettre que voici :


Paris, le 14 octobre 1896.
Monsieur le rédacteur en chef de la Volkszeitung, à Cologne.

Je ne possède malheureusement pas assez bien la langue allemande pour pouvoir traduire mot à mot l’article de votre journal : « Miss Diana Vaughan sous sa véritable forme », et dans lequel mon nom est cité à différentes reprises. Cependant, je crois avoir compris que vous posez les points suivants :

1° Je serais l’auteur de l’ouvrage leDiable au XIXe Siècle, sur la Franc-Maçonnerie, signé « Docteur Bataille ».

2° Un de mes livres, le Geste, aurait paru sous mon nom et donnerait très nettement mes opinions religieuses vraies et mon sentiment à l’égard de la religion catholique, dans un chapitre : « le Geste hiératique », opinions qui seraient diamétralement opposées aux assertions de Bataille dans le Diable au XIXe Siècle.

3° Vous dites que j’ai quitté ma carrière pour ne plus m’occuper que d’histoires du diable, antimaçonniques, et que j’étais associé avec des gens qui se couvrent de mon nom et de mon argent pour continuer la campagne que j’ai commencée dans le Diable au XIXe Siècle.

Dans des cas pareils, la loi française nous autorise à répondre et contraint le journal incriminé à une insertion comprenant le double de l’espace occupé par l’article accusateur.

Je ne sais s’il en est de même en Allemagne. Je m’adresse donc à votre impartialité.

1° Je ne suis pas l’auteur, mais simple collaborateur du Diable au XIXe Siècle, et je n’ai contribué qu’à une très petite partie du premier volume. Quand j’eus cessé ma collaboration, je ne me suis plus occupé de l’œuvre et ne revendiquai donc aucun droit d’auteur ou autre. Je n’ai jamais écrit une ligne pour la Revue Mensuelle ou autres brochures ou journaux parus depuis. Le pseudonyme « Docteur Bataille » ne m’appartient donc pas.

2° Le volume le Geste est bien de moi et renferme mes pensées véritables sur la religion, particulièrement sur la religion catholique, que j’accable de mon plus complet mépris.

3° Comme depuis des années je ne collabore en aucune manière, ni directe ni indirecte, aux histoires diaboliques antimaçonniques, je pense que vous comprendrez aisément que je ne commandite personne et que je ne suis associé avec personne dans un pareil but.

La lettre s’arrête là dans le journal prussien ; son destinataire n’y a inséré ni salutations ni signature. Ce rédacteur en chef et le docteur parisien sont totalement étrangers l’un à l’autre ! ils ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais vus !

Cette lettre a été publiée dans le numéro du 16 octobre de Volkszeitung. La gazette de Cologne était à tel point certaine de la recevoir, que des clichés d’illustration, dessinés à nouveau d’après des gravures du Diable au XIXe Siècle, étaient prêts et ont paru tout auprès de la lettre du docteur, pour mieux la mettre en relief.

Voici encore ce qu’il importe de faire remarquer : — La Volkszeitung avait imprimé le 13 octobre que le docteur Bataille était associé aux éditeurs de mes Mémoires, qu’il était bailleur de fonds des librairies de propagande antimaçonnique. Où le journal prussien avait-il pris cette belle histoire-là ? Il ne le dit pas : je vais le dire. Cette mensongère assertion avait paru dans la Revue Maçonnique du F∴ Dumonchel, quelques semaines avant les premières négociations du Grand Orient de France avec le docteur Bataille ; alors, peut-être, n’osait-on pas encore espérer que le malheureux se vendrait si facilement. Et peut-être aussi n’aurait-il pas eu cette lamentable chute sans l’incident du rejet unanime de son rapport dans l’affaire Couédon, rejet qui blessa son orgueil. Ne serait-ce pas l’orgueil qui a été la principale cause de la perte de l’infortuné docteur ?… Quoi qu’il en soit, voilà le journal prussien bien convaincu d’avoir puisé, pour me nuire, à la source maçonnique. D’autre part, puisque le voyage du docteur Bataille à Cologne ne peut être nié, la Volkszeitung n’a pu ignorer que ce fait de l’association de mes éditeurs n’était pas vrai. On l’a donc inséré, le sachant faux, afin de fournir au docteur un prétexte de plus pour répondre ; on dissimulait mieux la connivence ainsi ; on lui offrait en même temps le moyen de traiter avec mépris ma campagne antimaçonnique, comme si elle était une exploitation commerciale et jusqu’à une escroquerie. Les journaux hostiles, interprétant les déclarations du docteur Bataille au gré de leur haine, ont été jusqu’à dire que les souscriptions ouvertes ici constituaient une escroquerie !

Mais, si une partie de la presse, prenant à son compte et amplifiant encore les mensonges de la Volkszeitung, a montré jusqu’à ce jour un acharnement invraisemblable, j’ai eu la joie de douces consolations.

Le journal prussien, qui s’est prêté à la suprême manœuvre de la secte, a publié le 13 octobre son numéro de l’odieux article et le 16 son numéro contenant la lettre du docteur Bataille, et le directeur envoyait partout à profusion ces numéros pleins de noires calomnies ; les exemplaires furent expédiés, oui, partout où on pensait me nuire.

Et voici la lettre que m’écrivait, le 19 octobre, Mgr Villard, secrétaire de l’Éminentissime Cardinal-Vicaire :

Rome, le 19 octobre 1896.
Mademoiselle.

Depuis longtemps, j’avais l’intention de vous écrire personnellement ; mais j’en ai toujours été retenu par la crainte de me trouver importun et par le désir que vous avez si souvent manifesté dans vos Mémoires qu’on ne vous envoyât pas tant de lettres. Aujourd’hui, je me sens poussé cependant à venir rompre la consigne.

Une personne pieuse, etc. (Ceci est une communication d’ordre privé, qui n’a pas à être reproduite.)

Mais ce que je désirais avant tout, c’était de vous adresser mes humbles encouragements au milieu des souffrances morales dont votre noble cœur est assailli en ce moment. Vous n’ignorez pas qu’une guerre acharnée est déclarée contre vous. Non seulement on révoque en doute l’authenticité de vos révoltions précieuses sur la Maçonnerie ; mais on révoque en doute votre existence même. Les bruits les plus contradictoires circulent sur votre compte et les échos s’en sont répercutés en haut lieu.

J’avais des preuves matérielles et psychologiques non seulement de votre existence, mais de ta sincérité de votre conversion. Grâce à elles, j’ai eu l’occasion et je dirai le bonheur de vous défendre énergiquement, dans plus d’une circonstance. Je ne vois, dans cette guerre qui vous est déclarée, qu’une manœuvre infâme de celui que plus que tout autre vous connaissez pour être le Père du mensonge.

Je ne suis pas tout à fait un inconnu pour vous. Secrétaire du Cardinal Parocchi, j’ai eu la joie de vous écrire en son nom, il y a bientôt un an, pour vous consoler et vous encourager dans votre œuvre sublime qui est de révéler à la face du monde le véritable but de la Maçonnerie, celui que j’avais toujours soupçonné, le culte de Satan.

Pour vous venir en aide, je ne puis vous apporter que le concours de mes faibles prières, mais de mes plus chaudes sympathies.

Continuez, Mademoiselle, par votre plume et par votre piété, à fournir des armes pour terrasser l’ennemi du genre humain. Tous les saints ont vu leurs œuvres combattues ; il n’est donc pas étonnant que la vôtre ne soit pas épargnée.

La Communauté des Sœurs Carmélites de l’Adoration Réparatrice établie ici à Rome, dans la maison habitée autrefois par Sainte Brigitte de Suède, et dont je suis le père spirituel, a déjà beaucoup prié pour vous, et elle me charge de vous assurer qu’elle le fera plus que jamais.

Veuillez, Mademoiselle, me pardonner mon indiscrétion et agréer mes plus vifs sentiments d’admiration et de respect.

(Ainsi signé :) A. Villard,
Prélat de la Maison de Sa Sainteté,
Secrétaire de S. Ém. le Cardinal Parocchi.


Oui, l’on peut déverser sur moi les plus sanglants outrages. Comment mon honneur ne sortirait-il pas vainqueur de cette longue épreuve, puisque ceux et celles qui prient par vocation adressent chaque jour au ciel leurs prières pour moi ?…

J’avoue que cette lettre me rendit encore plus confuse qu’elle ne me consola, et ce n’est pas peu dire. Mais puisqu’une poignée de braves luttaient pour le triomphe de la vérité, je pensai aussi qu’il était de mon devoir de leur communiquer cette lettre, afin de leur montrer que la trahison du docteur Bataille n’avait pas troublé les yeux des vrais voyants. Mes amis tinrent conseil entre eux et jugèrent que la lettre de Mgr Villard devait être publiée ; c’est pourquoi je viens de la reproduire à mon tour, comme serait un ordre du jour, adressé non à ma personne indigne, mais à la cause elle-même, pour laquelle nous combattons les uns et les autres avec bonheur et saint espoir.

La secte se croyait alors victorieuse ; la réussite de sa manœuvre l’enivrait et l’enivre. La lettre du docteur Bataille ayant paru, le feu ayant été mis aux poudres, il n’y avait plus à cacher qu’un F∴ de la rue Cadet avait réussi à s’introduire au Congrès de Trente. Le délégué du Grand Orient de France fit donc son compte rendu.

Et voici la planche :


Mercredi 21 octobre 1896.
Tenue solennelle à 8 heures et demie très précises.

GRAND ORIENT DE FRANCE
R∴ L∴ L’AVANT-GARDE MAÇONNIQUE
(Orient de Paris)
Temple : rue Cadet, 16.
Vénérables : F∴ René Renoult, 7, rue de Lille,
Secrétaire : F∴ Paul Collignon, 85, rue des Martyrs.
Trésorier : F∴ Amouroux, 9, place d’Italie.
Adresse de la Loge : chez le Vénérable.

Ouverture des Travaux.

Compte rendu du Convent de 1896, par le F∴ René Renoult, délégué.

Compte rendu du Congrès Antimaçonnique de Trente, par le F∴ Sapor, Orateur.

Clôture des Travaux.


Ceux qui ne connaissent rien des choses maçonniques s’étonnent de ma prudence et la trouvent excessive ; je suis ridicule, en étant défiante. Et voici un Congrès antimaçonnique, une assemblée qui plus que toute autre devait se garer des francs-maçons ; le règlement disait dans les termes les plus formels qu’on n’y pourrait avoir accès qu’en étant personnellement connu d’un des Comités nationaux de l’Union Antimaçonnique ou en produisant un certificat de bon catholicisme délivré par un Évêque ; on a donc pris toutes les précautions, et pourtant un franc-maçon est entré. Je dis un, parce qu’on en connaît un, aujourd’hui, un qui l’a laissé savoir, qui s’en est allègrement vanté.

Oh ! je ne me livre à aucune critique. Je suis convaincue que, dans les Comités, chacun a fait son devoir, et l’intrus me paraît n’avoir pu passer qu’au moyen de la carte d’un congressiste complice, celui-ci n’éveillant pas le soupçon et pouvant franchir l’entrée sans avoir à exhiber sa carte.

Encore, ce F∴ Sapor n’était-il là que pour surveiller la manœuvre ; mais a-t-on déjà oublié l’histoire ? ignore-t-on que la secte, poussant l’art de la dissimulation au plus haut degré, sait glisser ses affidés partout ? Et je le répète, ce mot : partout.

Ce n’est pas de Rome que viennent les sourires moqueurs, au sujet de ma défiance. Là, on n’a pas oublié le procès Fausti-Venanzi, ce drame d’assassinats et de lâchetés, qui fait pleurer et frémir.

Pour les lecteurs qui ne sont pas de Rome, rappelons-le en quelques mots.

La date : 1863. Qui commettait les crimes ? un comité secret mazzinien, établi à Rome même. Quels crimes ? embrigadement des plus mauvais sujets dans la secte ; organisation des manifestations contre le Pape et son gouvernement ; bombes jetées au milieu de la foule, les jours de fête ; vols de papiers chez les princes de Naples résidant a Rome, et parmi ces papiers une liste de 5.000 légitimistes du sud restés fidèles à leur roi, lesquels furent aussitôt désignés au poignard et au poison des sectaires ; on empoisonna jusque dans les hôpitaux, par des médecins affiliés, des malades signalés par le comité secret comme gens dont il fallait se défaire. Lorsque la justice découvrit les principaux coupables, il y avait plusieurs années que le comité travaillait dans cette œuvre de crimes, d’infamie, de cruautés, de monstruosités inénarrables. Le comité secret avait juré d’exterminer quiconque portait une affection sincère au Pape et à son gouvernement. Procès formidable ! les dossiers, — on doit les posséder encore au Vatican, je pense, — formèrent douze énormes volumes ; douze volumes pleins de scélératesses, de vols, de rapines, de meurtres, d’incendies, de sang, de poison ! Et qui ordonnait tous ces crimes ? Mazzini. Qui payait les criminels, qui pourvoyait aux dépenses du comité ? l’or piémontais et l’or anglais. Quels étaient les chefs du comité secret ? Giovanni Venanzi et le chevalier Luigi Fausti. Et qu’était donc ce chevalier Luigi Fausti, qui fit exécuter si longtemps les ordres de la haute-secte ? C’était… le principal secrétaire du Cardinal Antonelli. — Voyons, est-ce vrai ?

En organisant le complot actuel contre le Congrès de Trente et contre toutes les révélations présentes et futures des francs-maçons convertis, la Maçonnerie a poursuivi un autre but, direct contre moi. Ainsi que je l’ai écrit dans ma lettre à Mgr Parodi : « Ce qu’on veut, c’est me pousser à bout, afin qu’une imprudence amène la découverte de ma retraite ; mais je ne tomberai pas dans le piège. Ce qui concerne ma personne est et doit demeurer le secret du Saint-Office. Trois fois aveugles sont les catholiques qui ne comprennent pas cela. Je les plains de ne pas voir qu’ils mettent en joie l’infernale secte, laquelle en est réduite à répandre des bruits stupides, uniquement parce qu’il lui est impossible de contester l’authenticité de mes documents. »

Tous les aveugles peuvent se déchaîner contre moi, les uns après les autres ; ils ne me feront pas dévier de la ligne que je me suis tracée et qui a été approuvée par mes meilleurs conseillers, ceux qui me portent le plus d’affection et qui aussi sont les plus compétents.

La Commission d’enquête de Rome, présidée par Mgr Lazzareschi, dira si, oui ou non, elles sont suffisantes, les preuves de mon existence et de la sincérité de ma conversion. J’espère qu’elle ne manquera pas, non plus, d’examiner les impudents mensonges des négateurs et de les flétrir dans son verdict. En allant au fond, elle verra nettement les causes de toute cette tempête : d’une part, la bouche de la secte soufflant l’ouragan chez les uns ; d’autre part, une animosité personnelle mettant le bandeau sur les yeux des autres.

Dès à présent, je crois qu’on me rendra une justice : c’est que ce n’est pas moi qui ai cherché le bruit. Jamais éditeurs ne firent moins d’annonces que mes éditeurs ; la diffusion de mes Mémoires sous une forme populaire a été expressément évitée, afin qu’on ne pût me jeter le reproche d’une spéculation commerciale. Cette accusation, on l’a formulée, néanmoins, contre toute équité, et elle m’a été pénible ; sans qu’il soit utile de publier les détails, la Commission romaine, après avoir apprécié, pourra dire si j’ai été intéressée ou non. Le vacarme de ces temps-ci a été contre moi, contre mes amis, et non pour moi ; par bonheur, ma retraite n’en a eu aucun écho.

Je remercie tout particulièrement M. le chanoine Mustel, qui ne s’est pas borné à me défendre, mais qui, avec le courage d’un grand cœur, a défendu l’homme le plus attaqué en cette circonstance, celui à qui la secte ne pardonne pas onze années de combats sans trêve et que ses confrères aveugles ont accablé avec une furie de sauvages. J’avoue que je n’aurais jamais cru à tant de haine chez des catholiques. Je ne suis pas encore revenue de ma surprise. Mais les épreuves de cette sorte ont du bon ; passée la bourrasque, on sait, au moins, combien l’on compte de vrais amis.



En attendant de m’occuper d’une lettre d’un personnage très vénérable et que je respecte infiniment, mais qui a manqué de mémoire, et après avoir adressé un discret reproche à l’ami qui cita un nom, non destiné à la publicité, — je terminerai en mentionnant un incident de la tourmente ; cet incident est, à lui seul, une très grosse affaire, et ses auteurs, quels qu’ils soient, ne sauraient en esquiver la prompte solution.

Le 29 octobre, le Nouvelliste de Lyon, journal conservateur, publiait l’article suivant, qui était reproduit presque en même temps par un grand nombre de feuilles de même nuance et que l’Univers accueillit à son tour avec un vif empressement. Cela était intitulé « Diana Vaughan à Villefranche ». Voici le morceau :


On discute fort depuis quelque temps, et bien inutilement, croyons-nous, sur l’existence de Miss Diana Vaughan, cette mystérieuse création de deux fumistes qui se font des rentes en exploitant la badauderie de leurs contemporains.

Nous n’avons pas grand mérite au Nouvelliste à n’avoir jamais été dupes des élucubrations de cet être imaginaire. Connaissant l’esprit mercantile de ceux qui la patronaient, nous nous étions fait ce raisonnement très humain que si Diana Vaughan avait existé, ses barnums n’eussent pas manqué une occasion de la montrer avec accompagnement de grosse caisse et de gros sous.

Nous en connaissons cependant dont l’incrédulité ne s’est pas trouvée satisfaite de cet argument et qui ont demandé à Léo Taxil et à son compère anonyme, le docteur Bataille, à voir la prêtresse du Palladisme. Il leur fut répondu qu’ils la verraient.

La première scène de cette comédie burlesque s’est jouée à Paris, la seconde à Villefranche (Rhône), il y de cela trois mois, et c’est par où elle nous intéresse.

Donc, deux personnalités, que nous ne qualifierons pas autrement et dont quelques confrères de la presse catholique de Paris pourraient donner les noms, manifestèrent le désir de voir Diana Vaughan.

— Parfaitement, leur dit Léo Taxil ; seulement elle n’habite pas la capitale et vous serez obligés de faire un petit voyage pour la rencontrer.

— N’importe, répondirent les curieux ; le phénomène vaut un voyage.

Rendez-vous leur fut donc donné avec date et heure précises à Villefranche. Pourquoi Villefranche ? Ceux qui connaissent le passé de Léo Taxil n’auront pas de peine à répondre à cette question.

Donc, au jour et à l’heure indiqués, dans une chambre d’hôtel de Villefranche, les deux incrédules attendaient la venue de la mystérieuse luciférienne. La porte s’ouvrit, et deux femmes, fort bien mises, entrèrent. L’une était jeune, jolie, d’une beauté étrangère ; l’autre, d’un âge mûr, chaperonnait sa compagne.

Après les présentations, on causa de maçonnerie, de palladisme, bien entendu. Tout marcha d’abord à souhait. Sans être d’une clarté absolue, les explications de celle qui s’appelait Diana Vaughan concordaient avec les révélations des brochures à dix centimes la livraison. Mais peu à peu la conversation dérailla, les mots prirent une allure étrange, et l’accent d’anglais qu’il était devint faubourien, en même temps que, fatiguée sans doute de la leçon qu’elle avait apprise et du rôle qu’on lui faisait jouer, la fausse palladiste se jeta dans des digressions qui, pour être lucifériennes, ne correspondaient plus au caractère dont les inventeurs de Diana Vaughan avaient revêtu leur héroïne.

Les deux personnages étaient fixés et dupés. Le premier train qui passa les ramena à Paris complètement édifiés.

Quant aux deux femmes, elles reprirent le chemin des trottoirs de Lyon, d’où elles étaient venues…

Nous n’en dirons pas plus long, ne voulant pas déflorer les renseignements très suggestifs que possède un de nos confrères de Paris sur l’étonnante mystification des Taxil et consorts, et qu’il a sans doute l’intention de rendre publics pour l’édification des âmes trop crédules.


Ici le but de la secte ne saurait échapper à personne de sensé. On cite un fait précis ; le coup est formidable contre M. Léo Taxil et contre moi-même. Une Commission d’enquête fonctionne, recueillant les témoignages des catholiques qui ont pu me connaître avant ma conversion. Avec cette anecdote, on réduit à néant la valeur de leur témoignage : quiconque m’aura vue, m’aura parlé, est une dupe, a été mystifié. « Maintenez-vous votre déposition ? » demandera-t-on, par exemple, à ce curé italien, congressiste de Trente, qui se rappelle s’être rencontré avec moi en voyage, ou bien à ce religieux qui réussit à se glisser dans une réunion où il déclare m’avoir entendu faire une conférence. Si l’interpellé persiste, si des témoignages de ce genre ont pour conséquence une décision favorable de la Commission romaine, la secte, qui garde le silence aujourd’hui, laissant certains journaux catholiques faire son jeu, rééditera alors l’anecdote du Nouvelliste et dira : « Les témoins qui ont été entendus, ceux qui ont certifié par écrit, sont peut-être de bonne foi ; mais ce sont des gens qui ont eu affaire à une pseudo-Diana plus habile que la fausse Diana Vaughan de Villefranche. »

« Il n’y a pas de Haute Maçonnerie, dit la secte ; il n’y a pas de Rite suprême. C’est M. Léo Taxil qui fait voyager par le monde ces mystérieux inspecteurs et ces mystérieuses inspectrices du Palladium, afin de donner un corps à ce Palladisme, sur lequel il fait des fausses révélations en les signant « Diana Vaughan ». Ainsi la Sophia Walder n’existe pas plus que l’autre : elle est allée à Cherbourg, à Reims, à Nancy ? c’est M. Léo Taxil qui faisait voyager une pseudo-Sophia. En septembre dernier, la présence de Sophia Walder à Jérusalem a été constatée ? c’est M. Léo Taxil qui a payé ce voyage en Palestine à une fille de Lyon, laquelle, à cette heure, doit être retournée à ses trottoirs. Sans doute, tous ces frais sont considérables ; mais les bénéfices nets de l’opération laissent de belles rentes à M. Taxil. Les Mémoires d’une Ex-Palladiste ont des centaines de milliers d’abonnés »

M. Léo Taxil réclame la lumière immédiate et complète sur l’étrange aventure signalée par le Nouvelliste de Lyon. Il demande à S. E. le Cardinal Richard, Archevêque de Paris, de nommer une commission de trois ou cinq ecclésiastiques, à qui le correspondant parisien de ce journal aura à désigner les journalistes catholiques de Paris dont il est question dans l’article reproduit ci-dessus ; ces journalistes connaissent, assure-t-on, les deux personnages que M. Léo Taxil aurait envoyés de Paris à Villefranche ; ils ne peuvent refuser de donner leurs noms à la commission, et celle-ci ne saurait refuser alors M. Léo Taxil une confrontation avec ces deux individus et une enquête poussée à fond, si ces derniers avaient audace de maintenir leurs dires.

M. Léo Taxil croit que ces deux individus existent, parce qu’il lui répugne de penser qu’un journal catholique, tel que le Nouvelliste de Lyon, ait pu inventer cette odieuse anecdote, et il est convaincu qu’une prompte et énergique enquête sur cette affaire donnera une éclatante preuve du complot maçonnique actuel, attendu, dit-il, que les deux imposteurs se trahiront d’une manière quelconque devant la commission, seront reconnus coupables de faux témoignage et découverts agents de la secte.

Peut-être M. Taxil a-t-il raison. Néanmoins, tout en m’associant à sa demande d’enquête immédiate, je ne partage pas son avis, quant au résultat, je crois que la commission n’aura pas à aller bien loin pour trouver la main de la secte dans cette affaire. Mon sentiment est que ceci a été inventé par quelque franc-maçon inspirateur du Nouvelliste de Lyon, exactement comme les mensonges de la Volkszeitung me concernant ont été inventés avec audace par la Haute Maçonnerie.

En effet, je n’ai pu m’empêcher de faire une remarque : tous ces journaux qui ont publié presque en même temps l’histoire de la fausse Diana Vaughan à Villefranche, Nouvelliste de Lyon, Nouvelliste de Bordeaux, Moniteur de l’Aveyron, Journal de Roubaix, etc., indiquent dans leur titre qu’ils ont à Paris un bureau spécial ou une agence particulière, à la même adresse pour tous. Cette adresse est 26, rue Feydeau. Or, d’autre part, l’Annuaire de la Presse française, aux pages 229 et 230, mentionne la présence, au n° 26 de la rue Feydeau, d’une double agence d’informations pour les journaux quotidiens, sous les titres de Correspondance télégraphique, service de dépêches, et de Correspondance littéraire parisienne, service d’articles. Le directeur de ce double service d’informations se nomme M. Chapeau des Varennes. Eh bien, parmi les noms des collaborateurs qui figurent dans l’annonce de cette agence de renseignements, je trouve un nom qui me fait rêver : celui du F ▽ Yves Guyot !

Oh ! oui, M. Léo Taxil a raison de réclamer une immédiate et sérieuse enquête. Il faut, à tout prix, que l’on sache quels sont les inventeurs des abominables contes mis en circulation pour troubler les catholiques. La découverte qui ne peut manquer de se faire montrera la moralité de la campagne endiablée menée à cette heure contre M. Taxil, dans le double but de le perdre de réputation et de ruiner moralement à jamais toutes les révélations qui pourraient être produites par des francs-maçons convertis.



Cet odieux conte de la fausse Diana Vaughan à Villefranche prouve, en outre, que me montrer aujourd’hui ne servirait à rien ; et d’ailleurs, le vacarme infernal de ces temps-ci n’ayant pas été suscité par moi, n’ayant été ni alimenté ni favorisé par moi en aucune façon, n’en étant responsable à aucun degré, je n’ai pas à en subir les conséquences. J’ai cru faire mon devoir, et je l’ai accompli tranquillement, modestement ; des voix autorisées m’ont encouragée, cela me suffit.

J’ai interrompu aujourd’hui la publication de mes Mémoires pour m’expliquer je la reprendrai tout de suite, et mes amis auront les dix fascicules auxquels ils ont droit. Après quoi, l’on n’entendra plus parler de moi, à moins que Rome ne me dise : Continuez. De même, je suis prête à me taire après le verdict de la Commission romaine, si le Saint-Père me dit formellement  : Cessez.

Un bon religieux de Rome écrivait ces jours-ci à un de mes amis, qui m’a communiqué sa lettre : « Quinze jours après la conversion de M. Solutore Zola, les maçons d’Allemagne ont inventé que ce prétendu Zola n’existait pas, et ils le répètent aujourd’hui plus fort que jamais. Or, tous les membres du Conseil directif général de l’Union antimaçonnique de Rome, un grand nombre de Prélats, de Cardinaux, notamment les Cardinaux Parocchi et Macchi, ont vu et reçu M. Zola. Sa Sainteté elle-même lui a accordé une audience de plus d’une heure, dont tous les journaux catholiques ont parlé, et à cette audience assistait Mgr Gennari, assistant du Saint-Office, qui avait amené M. Zola dans une des voitures du Vatican. Quand la secte donne le mot d’ordre de nier l’existence d’un converti, aucun témoignage n’arrête ses négations intéressées. En même temps qu’elle faisait nier l’existence de M. Zola, la Maçonnerie lui envoyait son billet de condamnation à mort, à la date du 7 mai dernier. Ce billet, nous l’avons vu de nos propres yeux, avec son enveloppe symbolique, et nous en conservons le fac-similé ? »

Méditez et concluez.

Diana Vaughan

P.-S. — À la question : « Miss Diana Vaughan existe-t-elle ? » Le docteur Bataille n’a pas répondu : « Non. » Sa navrante trahison ne va pas jusque-là, et ceci donne espoir à ceux qui prient pour lui, se rappelant combien il fut bon.

M. Margiotta, lui revient à la charge depuis quelques jours : il a donc offert de nouveau ses services à la secte, et cette fois, selon toute probabilité, ils ont été acceptés. À son tour, il se proclame faux témoin. Qui ne voit pas que tout ceci est le résultat d’un mot d’ordre a les yeux volontairement fermés.

Mais la secte va trop loin ; elle a fait un pas de clerc en se servant de M. Margiotta. Le malheureux nie avec une ridicule maladresse : il est vrai que plus maladroits et plus ridicules encore sont les journaux qui recueillent comme paroles d’Évangile les contes bleus d’un homme disant avec cynisme, avec forfanterie : « Je viens de passer trois années entières à mentir ; j’ai juré que j’avais connu Miss Diana Vaughan en 1889 à Naples ; je me suis donné pour un converti sincère, et je me montrais pieux, me confessant et communiant. Eh bien, je mentais. Je n’avais jamais vu Miss Vaughan, je ne la connaissais en aucune façon. Une dame m’avait dit l’avoir vue ; je n’en avais rien cru, parce que j’avais pris cette dame en flagrant délit de mensonge, au moment même où elle me disait cela : mais j’étais lié par un traité, il me fallait mentir comme les autres, et j’ai menti pendant trois ans, menti à la face du monde. Oui, durant trois années, j’ai été faux témoin. Maintenant, croyez-moi ! c’est à présent que je dis la vérité ! Miss Diana Vaughan n’existe pas, c’est un mythe inventé par M. Léo Taxil, mon complice, que je dénonce à votre indignation ! »

Alors, si M. Margiotta était si peu certain que cela de l’existence de Miss Diana Vaughan, pourquoi lui écrivait-il à l’effet de lui demander quelques billets de mille francs pour reconstruire son superbe hôtel de Palmi, détruit par les tremblements de terre de Calabre ?

Si M. Margiotta tenait Miss Vaughan pour un mythe, pourquoi écrivait-il, — et ceci a été écrit de sa main, — que la seule vue de cette personne « met dans le cœur un sentiment de poésie délicate » (sic), compliment d’amoureux transi qui équivaut à une déclaration ?

Si, aux yeux de M. Margiotta, Miss Diana Vaughan n’a jamais existé, pourquoi, sa trop ardente flamme ayant été accueillie par le plus froid dédain, pourquoi a-t-il été irrité de dépit au point de se vanter de l’avoir possédée, cherchant à la ruiner dans l’estime de ses amis, après l’avoir couverte de fleurs ?

Si M. Margiotta n’a attesté l’existence de Miss Diana Vaughan que pour obéir à M. Léo Taxil, comme il le prétend aujourd’hui, si c’est contre sa propre conviction qu’il écrivait ce qu’il dit lui avoir été dicté par son tyrannique complice, pourquoi, le 15 juin 1896, dans une lettre pleine de menaces et d’injures, écrivait-il à ce même prétendu complice : « Oui, Monsieur Taxil, je soutiens que votre amie Diana Vaughan, dont on a publié les portraits, ne ressemble aucunement à la Diana Vaughan que j’ai connue à Naples et que la Diana Vaughan que j’aie connue à Naples sache que je ne suis pas flatté du tout d’avoir été son ami ! » Cette lettre où il traite M. Léo Taxil d’imposteur et de tâche, tout en affirmant par deux fois, avec énergie connaître une Miss Diana Vaughan, cette lettre d’outrages, M. Margiotta dira-t-il que c’est M. Taxil qui la lui a dictée ?

Et quand, par la production de la correspondance même de M. Margiotta, autographiée, la preuve a été faite publiquement qu’il n’y avait pas deux Diana Vaughan, mais une seule, M. Margiotta, comprenant qu’il s’était porté tort à lui-même en essayant sa peu chrétienne propagation de fables absurdes, faisait des excuses dans une lettre du 14 août 1896, où il écrivait entre autres choses :

« Mademoiselle, ayons Dieu toujours présent, et laissons là les contestations et les plaintes. J’en finis, en reconnaissant mon erreur : errare humanum est, et je vois en vous la vraie Diana Vaughan, l’ex-grande maîtresse luciférienne, l’ex-directrice du Palladium Régénéré et Libre. Tout le trouble était arrivé par un portrait peu ressemblant ; je me croyais mystifié… j’ai provoqué la tempête pour avoir le cœur net… Par Jeanne d’Arc que vous aimez tant, oublions réciproquement les injures, et marchons la main dans la main pour accomplir notre sainte mission. Maintenant que je suis rassuré sur votre compte, je vous serre la main comme auparavant, et suis votre frère en Jésus-Christ. »

La lettre portait en post-scriptum :

« Par le même courrier, j’écris à M. Taxil, qui a raison d’être fâché. »

Ces excuses étaient trop incomplètes pour pouvoir être acceptées. Il ne demandait pas pardon, en effet, pour ses calomnies les plus douloureuses à une femme ; se lettre n’y faisait aucune allusion, et cependant il savait bien que, sur ce point comme sur le reste, il avait menti. Il ne reçut donc pas de réponse.

La trahison du docteur Bataille lui a appris que les portes de la secte pouvaient se rouvrir, pour lui aussi. Et, dans l’espoir de la forte somme, il va plus loin même que le docteur. C’est en cela qu’il est ridicule et maladroit. Qui veut trop prouver ne prouve rien ; qui veut trop nier… confirme !

  1. Voir le volume Adriano Lemmi, chef suprême des francs-maçons, page 319, dernière ligne. Je n’étais pas à Londres, quand Palacios y rédigea la voûte, d’accord avec Graveson et avec moi sur tout ce qu’il fallait dire : il était autorisé à faire imprimer nos deux signatures auprès de la sienne, sur le document lithographié qu’il expédia le 15 décembre 1893 à tous les Triangles. Et voici la preuve encore que je ne fus pas la rédactrice de la voûte : tandis que Graveson partit d’Angleterre le 9 pour se rendre en Italie où il réussit assez bien dans sa mission, moi, je quittai Londres le 10 pour venir à Paris, espérant soulever les hauts-maçons français contre Lemmi ; je m’arrêtai deux ou trois jours, je ne me rappelle plus au juste, dans une famille amie, demeurant aux environs de Paris ; mais je suis certaine que, le 15, jour de l’expédition de la voûte, de Londres, j’étais à Paris, puisque ce jour-là, je reçus délégué du Suprême Conseil de France à l’hôtel Mirabeau, où j’étais descendue depuis la veille ou l’avant-veille, je crois. À mon retour à Londres, je contresignai le document original, destiné à demeurer aux archives de la Mère-Loge le Lotus d’Angleterre.
  2. Voici à ce sujet les explications, données par M. Léo Taxil, dans une lettre du 2 novembre 1896 adressée à M. Eugène Tavernier, rédacteur à l’Univers.
    « Le docteur déclare n’avoir écrit qu’une partie du Diable au XIXe Siècle et dit qu’il y a eu pour cet ouvrage plusieurs collaborateurs mais il ne nie pas avoir été l’auteur de ce qui, dans cette publication, constitue les récits d’un témoin à proprement parler. Les personnes qui possèdent cette publication ont pu constater, en effet, qu’à côté des récits personnels du docteur, il a de nombreuses pages consacrées à des épisodes que l’auteur principal ne présente pas en témoin oculaire. Les premiers fascicules de la publication ayant soulevé des polémiques violentes, les éditeurs jugèrent qu’il était utile d’augmenter l’ouvrage de tout ce qui pourrait venir à l’appui des récits personnels du docteur ; ainsi, tout ce qui est relatif aux faits antérieurs n’est pas du docteur. Un grand nombre de faits merveilleux ont été communiques et attestés par des abonnés, tous vénérables ecclésiastiques. L’ouvrage ne trompe aucunement le lecteur ; car chacun peut faire aisément le triage de ces innombrables épisodes et se rendre compte très exactement de ce qui est l’œuvre personnelle du docteur. L’ouvrage subsiste, par conséquent, dans son ensemble et dans ses détails, et d’ailleurs il ne faut pas oublier que des faits racontés personnellement, par te docteur ont été confirmés par des missionnaires ».
  3. L’excellente revue française La Franc-Maçonnerie démasquée vient de publier un numéro spécial, entièrement consacré à l’exposé des faits me concernant qui sont à la connaissance de mes amis de Paris. Ce numéro, daté d’octobre, porte un titre général : « la Question Diana Vaughan. » Il contient le rapport lu par M. l’abbé de Bessonies au Congres de Trente, suivi d’un compte rendu de la séance du 29 septembre et d’un assez grand nombre de pièces justificatives.
    On trouve ce numéro spécial dans les principales librairies catholiques. Quarante-huit pages. Prix : 0 fr. 50. Il est édité par la maison de Bonne Presse, 8, rue François 1er , Paris., à qui on peut le demander.
  4. Deux des mensonges du journal prussien feront juger l’ensemble de l’article. Lorsque je vins à Paris en décembre 1893 pour tenter de soulever les hauts matons français contre Lemmi, ainsi que je l’ai dit dans la note de la page 420, je ne réussis pas ; ni le Grand Orient ni le Suprême Conseil de France ne voulurent entrer dans la révolte. Je vis bien alors qu’il ne fallait pas compter sur la presse inféodée à la Maçonnerie pour ameuter l’opinion publique contre l’intrus du palais Borghèse. L’idée me vint de renseigner des journalistes catholiques antimaçons, sans leur livrer cependant nos secrets de doctrine. Quelques mois auparavant, avant le Convent souverain du 20 septembre, j’avais eu la curiosité de faire la connaissance de M. Taxil ; il fut très heureux d’avoir des informations précises. Avant de retourner à Londres, l’ayant reçu avec ses amis, je me laissai interviewer à l’hôtel, offrant à déjeuner à ces messieurs. Aujourd’hui, afin de détruire les témoignages, la Volkszeitung dit que ce fut une comédie et que le rôle de Diana Vaughan était joué par une femme de chambre, insinuant que le gérant de l’hôtel, ami de M. Taxil et de connivence avec lui, lui avait prêté une camériste pour mystifier ses amis. Quand on porte des accusations aussi graves, on doit donner des preuves.
    Au sujet de ma photographie en tenue palladique (costume masculin), la Volkszeitung insinue que c’est M. Taxil qui a posé : puis, on aurait collé la tête de son épouse sur le portrait, et enfin on aurait photographié l’ensemble, retouché, pour établir le portrait définitif. Ce n’est pas le journal prussien qui a inventé ce mensonge ; il est maçonnique d’assez vieille date, et bon nombre de catholiques, y ayant cru plus ou moins, l’ont colporté, notamment un certain abbé. C’est sans doute une malice de dire que ma photographie est le portrait de telle autre personne ; mais ce n’est pas catholique du tout.