Mémoires (Saint-Simon)/Tome 6/9


CHAPITRE IX.


Projet d’Écosse. — Duc de Chevreuse ministre d’État incognito. — Projet de faire révolter les Pays-Bas espagnols. — Soupçons injustes de Chamillart éclaircis par Boufflers. — Retour sincère de Chamillart pour Bergheyck. — Ignorance et opiniâtreté surprenantes de Vendôme avec Bergheyck devant le roi. — Principaux de la suite du roi d’Angleterre en Écosse ; leur état et leur caractère. — Middleton et sa femme ; leur état, leur fortune, leur caractère. — Officiers généraux françois de l’expédition. — Gacé désigné maréchal de France ; son caractère. — Départ du roi d’Angleterre, que la rougeole arrête à Dunkerque. — Il met à la voile. — Belle action du vieux lord Greffin. — Espions à Dunkerque. — Le roi d’Angleterre battu d’une grande tempête. — Attente et désirs des Écossois. — Le roi d’Angleterre, chassé en mer et combattu par la flotte anglaise, déclare Gacé maréchal de France et revient à Dunkerque. — Gacé prend le nom de maréchal de Matignon. — Middleton et Forbin causes du retour, et très suspects. — Belle action du chevalier de La Tourouvre. — Prisonniers sur le Salisbury bien traités. — Lévi lieutenant général. — Grandeur de courage de Greffin. — Époque des noms de chevalier de Saint-Georges et de Prétendant demeurés enfin au roi Jacques III. — Entrevue du roi et de la cour débarquée et revenue à Marly. — Sage conduite de la reine Anne et de ses alliés.


Depuis longtemps un projet des plus importants frappoit secrètement à toutes les portes pour se faire écouter. Son heure arriva enfin au dernier voyage de Fontainebleau où il fut résolu, où les promoteurs que je devinai à leurs démarches, me l’avouèrent sous le dernier secret, où j’en découvris un qui n’a été su que de bien peu de personnes intimes : c’est que le duc de Chevreuse étoit en effet ministre d’État sans en avoir l’apparence et sans entrer au conseil. À la fin je m’en doutai ; ses conférences si fréquentes à Fontainebleau avec Pontchartrain, l’aveu qu’ils me firent l’un et l’autre de ce qui s’y traitoient, les suites de cette affaire dans ce même voyage achevèrent de me persuader que je ne me trompois pas en croyant le duc de Chevreuse ministre. Je me hasardai de le dire nettement au duc de Beauvilliers, qui dans sa surprise me demanda avec trouble d’où je le savois, et qui enfin me l’avoua sous le plus profond secret. Dès le jour même, je me donnai le plaisir de le dire au duc de Chevreuse. Il rougit jusqu’au blanc des yeux, il s’embarrassa, il balbutia, il finit par me conjurer de garder sur cela un secret impénétrable, qu’il ne put me dissimuler plus longtemps.

Je sus enfin par eux-mêmes qu’il y avoit plus de trois ans, même quatre, que les ministres des affaires étrangères, de la guerre, de la marine et des finances avoient ordre de ne lui rien cacher, les deux premiers de lui communiquer tous les projets et toutes les dépêches, et tous quatre de conférer de tout avec lui. Il entroit très souvent chez le roi par les derrières, souvent aux heures ordinaires. Il avoit des audiences du roi longues dans son cabinet, tantôt retenu par le roi, tantôt y restant de lui-même quand tous en sortoient.

Quelquefois au dîner, mais presque tous les soirs au milieu du souper, il venoit au coin du fauteuil du roi. On se rangeoit alors pour les seigneurs. Le roi, qui entendoit le mouvement, ne manquoit guère à se tourner pour voir qui arrivoit, et quand c’étoit M. de Chevreuse, la conversation se liait bientôt, puis se faisoit à l’oreille, ou par M. de Chevreuse de lui-même, ou par le roi qui l’appeloit et lui parloit bas. J’en fus Longtemps la dupe avec toute la cour, qui admiroit qu’un détail des chevau-légers pût fournir à des conversations si longues, si fréquentes et si fort à l’oreille, et qui s’en étonna bien plus quand ce prétexte eut cessé par la démission de cette compagnie à son fils. À la fin je me doutai d’autre chose, et j’en découvris tout le mystère à Fontainebleau. C’étoit d’affaires d’État qu’il s’agissoit dans ces conversations, et d’affaires d’État que le duc de Chevreuse s’occupoit si assidûment dans son cabinet, où personne ne pouvoit comprendre que ses affaires domestiques ni celles des chevau-légers le pussent tenir si habituellement. Il avoit toujours été, au goût du roi. C’étoit peut-être le seul homme d’esprit et savant qu’il ne craignît point. Il étoit rassuré par sa douceur, sa mesure, sa modestie, et par ce tremblement devant lui qui fit toujours son grand mérite et celui du duc de Beauvilliers. Personne ne parloit plus juste, plus nettement, plus facilement, plus conséquemment, ni avec plus de lumière, avec une douceur et un tour aisé en tout. Le roi l’auroit volontiers mis dans le conseil, mais Mme de Maintenon, Harcourt, jusqu’à M. de La Rochefoucauld qu’il craignit là-dessus, l’en empêchèrent. Il prit donc le parti de cet incognito, que je crois avoir été unique en ce genre, et dont personne peut-être, hors le duc de Chevreuse, ne se seroit accommodé, surtout avec la certitude de l’obstacle qui le réduisoit à cette sorte de ténèbres subsisteroit toujours, et toujours lui fermeroit la portée du conseil. Il étoit un avec le duc de Beauvilliers, et ils passoient presque tout leur loisir ensemble ; ils étoient en liaison et cousins germains de Torcy, et maintenant de Desmarets, et amis intimes de Chamillart dès son entrée au ministère. Quoique le chancelier fût ennemi de Beauvilliers, il aimoit le duc de Chevreuse, et celui-ci en avoit été si content lors de ses divers échanges avec Saint-Cyr qu’il en étoit demeuré de ses amis. Par conséquent Pontchartrain, quoiqu’il n’aimât pas les amis de son père, n’osoit, avec les ordres qu’il avoit, n’être pas en grande mesure avec lui ; et de cette façon, les commerces continuels d’affaires des ministres avec lui, et de lui avec eux, étoient couverts des liaisons de parenté, d’amitié et de société.

Ce fut par lui que le projet fut admis. Hough, gentilhomme anglois, plein d’esprit et de savoir, et qui surtout possédoit les lois de son pays, y avoit fait divers personnages. Ministre de profession et furieux contre le roi Jacques, puis catholique et son espion, il avoit été livré au roi Guillaume qui lui pardonna. Il n’en profita que pour continuer ses services à Jacques. Il fut pris plusieurs fois, et s’échappa toujours de la Tour de Londres et d’autres prisons. Ne pouvant plus demeurer en Angleterre, il vint en France, où, vivant en officier, il s’occupa toujours d’affaires, et fut payé pour cela par le roi et par le roi Jacques, au rétablissement duquel il pensoit sans cesse. L’union de l’Écosse avec l’Angleterre lui parut une conjoncture favorable par le désespoir de cet ancien royaume de se voir réduit en province sous le joug des Anglois. Le parti jacobite s’y étoit conservé ; le dépit de cette union forcée l’accrut dans le désir de la rompre par un roi qu’ils auroient rétabli. Hough, qui conservoit partout des intelligences, fut averti de cette fermentation ; il y fit des voyages secrets, et, après avoir frappé longtemps ici à diverses portes de ministres, Caillières, à qui il s’ouvrit, en parla au duc de Chevreuse, puis au duc de Beauvilliers, qui y trouvèrent de la solidité. C’étoit un moyen sûr de faire une diversion puissante, de priver les alliés du secours des Anglois occupés chez eux, et les mettre dans l’impuissance de soutenir l’archiduc en Espagne, et dans l’embarras partout ailleurs dénués des forces anglaises. Les deux ducs gagnèrent Chamillart, puis Desmarets tout à la ’fin, dès qu’il fut en place. Mais le roi étoit si rebuté des mauvais succès qu’il avoit si souvent éprouvés de ces sortes d’entreprises, que pas un d’eux n’osa la lui proposer. Chamillart ne faisoit qu’y consentir. Épuisé de corps et d’esprit, accablé d’affaires, il n’étoit pas en situation de devenir le promoteur de cette affaire. Chevreuse en parla au chancelier pour voir s’il la goûteroit et s’il voudroit persuader son fils dont le ministère devenoit principal en ce genre. Le chancelier y entra. Pontchartrain n’osa rebuter, mais il essaya de profiter de la lenteur naturelle de M. de Chevreuse et de sa facilité à raisonner sans fin pour allonger et le rebuter à force de difficultés. C’est ce qui me fit découvrir l’affaire à Fontainebleau. J’y logeois chez Pontchartrain au château, et j’étois fort souvent chez M. de Chevreuse. Leurs visites continuelles, leurs longues conférences me mirent en curiosité, et je sus enfin dès Fontainebleau, de quoi il s’agissoit entre eux, que Caillières après me mit au net à mesure du progrès.

C’étoit cependant à qui attacheroit le grelot. Le duc de Noailles leur parut propre à gagner Mme de Maintenon qui en étoit coiffée, et qui lui parloit de tout. M. de Chevreuse, nonobstant tout ce que le maréchal avoit fait et tenté contre eux dans l’affaire de M. de Cambrai, étoit toujours en liaison avec eux, parce que, tantôt par ordre du roi, et quelquefois à la prière des parties, il avoit essayé de les accommoder avec les Bouillon dans l’affaire de la vassalité de Turenne, qui avoit été poussée extrêmement loin entre eux et qui n’étoit rien moins que finie ni qu’amortie. Ils attendirent donc le retour du duc de Noailles de Roussillon, et s’ouvrirent à lui du projet d’Écosse. Flatté de la confiance, du besoin de son secours et d’une occasion d’entrer de plus en plus avec Mme de Maintenon en affaires importantes, il se chargea volontiers de lui parler de celle-ci et de la lui faire approuver. Elle étoit alors pour le duc de Noailles en admiration continuelle ; elle n’eut donc pas de peine à approuver ce qu’il lui présenta comme faisable. Ces mesures prises, il ne fut plus question que d’y amener le roi. Il ne falloit pas moins pour y réussir que Mme de Maintenon avec tous les ministres. Encore était-il si dégoûté de toutes ces sortes d’entreprises, dont pas une n’avoit réussi, qu’il ne donna dans celle-ci que par complaisance et sans avoir pu la goûter. Dès qu’il y eut consenti, on mit tout de bon la main à l’œuvre ; mais en même temps, on se proposa une autre entreprise de cadence et de suite à celle-ci.

On crut pouvoir profiter du désespoir dans lequel les traitements des Impériaux avoient jeté les Pays-Bas espagnols, tombés entre leurs mains après la bataille de Ramillies, et les faire révolter dans le temps que l’affaire d’Écosse étourdiroit les alliés, les priveroit de tout secours d’Angleterre, et les engageroit peut-être à y en envoyer. Bergheyck, dont j’ai eu assez souvent occasion de parler pour n’avoir plus à le faire connoître, fut mandé comme l’homme le plus instruit de l’état de ces pays, par les amis et les intelligences qu’il y avoit toujours conservés, et dont la capacité, le grand sens et la connoissance des personnes et des lieux seroient les plus capables d’éclairer, tant pour la résolution à prendre que pour la manière d’exécuter. Il arriva donc chez Chamillart. Ce ministre, séduit dans tous les commencements par ceux dont il se servoit à Bruxelles, qui pour conserver et accroître leur autorité voulurent ruiner celle de Bergheyck, avoit conçu des soupçons auxquels il donna trop d’essor. Boufflers, qui commandoit alors à Bruxelles et dans tous les Pays-Bas françois et même espagnols, par son union avec le marquis de Bedmar, suivit de près Bergheyck, et à force de s’en informer et de l’éclairer il reconnut qu’il n’y avoit point d’homme plus capable, plus fidèle, plus désintéressé. Sa conduite avec nos généraux, nos officiers, nos intendants confirma si pleinement le témoignage que Boufflers ne cessa d’en rendre, que Chamillart, n’osant plus attaquer son autorité, entra enfin en concert avec lui de toutes choses, et s’en trouva si excellemment bien qu’il lui donna toute sa confiance, et devint pour toujours son ami particulier. On confia donc à Bergheyck le projet résolu d’Écosse, et on lui proposa celui des Pays-Bas ; il ne le jugea pas impossible. L’embarras étoit que les Espagnols étoient les moins forts dans toutes les places. Mais Bergheyck, après y avoir bien pensé, crut pouvoir pratiquer si bien les principaux des villes que tout réussiroit sans peine dans ce premier étonnement de l’entreprise d’Écosse, avec l’appui de la combustion de l’Angleterre, de nos armées en Flandre, et en même temps de quelque expédition sur le Rhin, pour tenir partout les ennemis en incertitude et en haleine.

Avant de congédier Bergheyck, il fallut examiner, dans la supposition du succès, les mouvements à faire faire aux armées de Flandre, selon les divers cas et les diverses ouvertures qui se pourroient présenter. Pour cela il fallut raisonner avec celui qui les devoit commander. C’étoit le duc de Vendôme, que le goût du roi mettoit volontiers dans ce secret. Lui et Bergheyck en raisonnèrent devant le roi, Chamillart présent. Parcourant les différentes choses qui se pourroient exécuter, selon que la facilité s’en présenteroit par un côté ou par un autre-, il fut question de Maestricht. Vendôme, ne doutant de rien, expliquoit comment il prétendoit s’y prendre ; Bergheyck contestoit. Vendôme, indigné qu’un homme de plume osât disputer de mouvements de guerre et d’entreprises sur des places avec lui, s’échauffa ; l’autre, froid et respectueux, demeura ferme. À la fin ils comprirent que le cours de la Meuse formoit la dispute. Vendôme se moqua de Bergheyck comme d’un ignorant qui ne savoit pas la position des lieux. Bergheyck, toujours modeste, se rabattit à ne se point mêler des dispositions que Vendôme prétendoit faire, mais à maintenir qu’elles seroient inutiles, parce qu’il mettoit la Meuse entre lui et Maestricht. Vendôme plus échauffé soutint que c’étoit le contraire, que la Meuse ne couloit point là, mais d’un autre côté, et qu’elle n’étoit point entre lui et Maestricht de la manière qu’il proposoit de se mettre. De cette façon il pouvoit avoir raison ; de l’autre, à se placer comme il vouloit, l’entreprise étoit non seulement impossible, mais ne se pouvoit imaginer. Dans ce contraste de facilité ou d’impossibilité physique, le fait en décidoit. Vendôme eut beau répondre qu’il étoit sûr de ce qu’il avançoit, et crier en maître de l’art avec mépris de cet homme de plume qui vouloit savoir mieux que lui la situation des lieux, le roi, lassé d’une pure question de fait, prit des cartes. On chercha celle où étoit Maestricht, et elle prouva que Bergheyck avoit raison. Un autre que le roi eût senti à ce trait quel étoit ce général de son goût, de son cœur, de sa confiance ; un autre que Vendôme eût été confondu ; mais ce fut Bergheyck qui le demeura de cette scène, et qui ne cessa depuis de trembler de plus en plus de voir les armées en de telles mains, et l’aveuglement du roi pour elles. Il fut renvoyé très promptement en Flandre pour travailler au projet de révolte, et il le fit si utilement qu’on put compter bientôt après sur un solide succès, mais ce succès étoit si dépendant de celui d’Écosse, par lequel il falloit commencer avant que de remuer rien en Flandre que, le premier ayant avorté, ce ne fut que par la spéculation qu’on put juger de ce qui seroit résulté des intelligences et des pratiques de Bergheyck.

On avoit caché dans le village de Montrouge, près Paris, des députés écossois, chargés des pouvoirs des principaux seigneurs du pays et d’une infinité d’autres signatures. Ils pressoient fortement l’expédition. Le roi en donna tous les ordres. On arma trente vaisseaux à Dunkerque et dans les ports voisins, en comptant les bâtiments de transport. Le chevalier de Forbin, qui s’étoit signalé, comme on l’a vu en son temps, dans la mer Adriatique, dans celle du Nord, et sur les côtes d’Angleterre et d’Écosse, fut choisi pour commander l’escadre destinée pour l’Écosse. On envoya quatre millions en Flandre pour le payement des troupes dont on fit avancer six mille hommes sur les côtes vers Dunkerque. Ce qui s’y passoit fut donné pour armements de particuliers, et le mouvement des troupes pour changements de garnisons. Le secret fut observé très entier jusqu’au bout ; mais le mal fut que tout fut très lent. La marine ne fut pas prête à temps ; ce qui dépendit de Chamillart encore plus tard.

Lui et Pontchartrain, de longue main aigris l’un contre l’autre, se rejetèrent mutuellement la faute avec beaucoup d’aigreur. La vérité est que tous deux y étoient, mais que Pontchartrain fut plus qu’accusé d’y avoir été par mauvaise volonté et l’autre par impuissance. On eut grand soin qu’il ne parût aucun mouvement à Saint-Germain. On couvrit le peu d’équipages qu’on tint prêts au roi d’Angleterre d’un voyage à Anet pour des parties de chasse. Il ne devoit être suivi, comme en effet il ne le fut, que du duc de Perth qui avoit été son gouverneur, de Scheldon qui avoit été son sous-gouverneur, des deux Hamilton, de Middleton, et de fort peu d’autres.

Perth étoit Écossois ; il avoit été longtemps chancelier d’Écosse, qui est la première dignité et la plus autorisée du pays, et qui est aussi militaire, toujours remplie par les premiers seigneurs. Ses gendres, ses neveux, ses plus proches y occupoient encore les premiers emplois, y avoient le principal crédit, et étoient tous dans le secret et les plus ardents promoteurs de l’entreprise. Le sous-gouverneur étoit un des plus beaux, des meilleurs et des plus étendus esprits de toute l’Angleterre, brave, pieux, sage, savant, excellent officier, et d’une fidélité à toute épreuve. Les Hamilton étoient frères de la comtesse de Grammont, des premiers seigneurs d’Écosse, braves et pleins d’esprit, fidèles. Ceux-là, par leur sœur, étoient fort mêlés dans la meilleure compagnie de notre cour ; ils étoient pauvres et avoient leur bon coin de singularité. Middleton étoit le seul secrétaire d’État, parce qu’il avoit coulé à fond le duc de Melford, frère du duc de Perth, qui étoit l’autre, qui n’en avoit plus que le nom depuis les exils où fort injustement, à ce que les Anglois de Saint-Germain prétendoient, Middleton l’avoit fait chasser. Il n’habitoit plus même Saint-Germain. La femme de Middleton étoit gouvernante de la princesse d’Angleterre, et avoit toute la confiance de la reine. C’étoit une grande femme, bien faite, maigre, à mine dévote et austère. Elle et son mari avoient de l’esprit et de l’intrigue comme deux démons ; et Middleton, par être de fort bonne compagnie, voyoit familièrement la meilleure de Versailles. Sa femme étoit catholique, lui protestant, tous deux de fort peu de chose, et les seuls de tout ce qui étoit à Saint-Germain qui touchassent tous leurs revenus d’Angleterre. Le feu roi Jacques, en mourant, l’avoit fort exhorté à se faire catholique. C’étoit un athée de profession et d’effet, s’il peut y en avoir, au moins un franc déiste ; il s’en cachoit même fort peu. Quelques mois après la mort de Jacques, il fut un matin trouver la reine, et comme éperdu lui conta que ce prince lui étoit apparu la nuit, lui déclara avec grande effusion de cœur qu’il devoit son salut à ses prières, et protesta qu’il étoit catholique. La reine fut assez crédule pour s’abandonner au transport de sa joie. Middleton fit une retraite qu’il termina par son abjuration, se mit dans la grande dévotion, et à fréquenter les sacrements. La con fiance de la reine en lui n’eut plus de bornes ; il gouverna tout à Saint-Germain. La Jarretière lui fut offerte qu’il refusa par modestie, mais pour tout cela ses revenus d’Angleterre ne lui étoient pas moins fidèlement remis. Plus d’une fois le projet d’Écosse, proposé d’abord à Saint-Germain, avoit été rejeté par lui, et méprisé par la reine qu’il gouvernoit. Quand il se vit pleinement ancré, il quitta peu à peu la dévotion, et peu à peu reprit son premier genre de vie sans que son crédit en reçût de diminution. Cette fois, comme les précédentes, il fut de tout le secret ; mais, comme notre cour y entroit avec efficace, il n’osa le contredire, mais il s’y rendit mollement. Tel fut le seul et véritable mentor que la reine donna au roi son fils pour l’expédition d’Écosse.

L’affaire étoit au point qu’elle ne pouvoit plus être retardée ; le secret commençoit à transpirer. On avoit embarqué une prodigieuse quantité d’armes et d’habits pour les Écossois ; les mouvements de terre et de mer étoient nécessairement devenus trop visibles sur la côte. Chamillart fit nommer pour lieutenants généraux Gacé, frère de Matignon, et Vibraye : le premier bon et honnête homme, mais sans esprit, sans capacité, sans réputation quelconque à la guerre ; Vibraye, brave et fort débauché, c’étoit tout. M. de Chevreuse voulut que Lévi, son gendre, fût l’ancien des deux maréchaux de camp ; Ruffey, mort sous-gouverneur du roi, fut l’autre. Chamillart, intime des Matignon, saisit cette occasion pour faire Gacé maréchal de France. Le roi eut la complaisance pour son ministre de faire expédier par Torcy des patentes à Gacé d’ambassadeur extraordinaire auprès du roi d’Angleterre, et de trouver bon que Chamillart remît au roi d’Angleterre un paquet cacheté, qui contenoit les provisions de maréchal de France pour le même Gacé, à qui ce prince le devoit remettre lorsqu’il auroit mis pied à terre en Écosse.

Enfin, le mercredi 6 mars, le roi d’Angleterre partit de Saint-Germain. Tant de lenteurs ne permirent pas de douter qu’on ne fût enfin instruit en Angleterre. On comptoit que [les Anglais] n’auroient pas de quoi s’y opposer, parce que le chevalier Leake avoit emmené presque tout ce qui leur restoit de vaisseaux de guerre à l’escorte d’un grand convoi pour le Portugal. On fut surpris de voir arriver, le dimanche 11 mars, le chevalier de Fretteville à Versailles avec la nouvelle que Leake, repoussé par les vents contraires à Torbay (où on sut depuis qu’il s’étoit tenu caché), étoit venu bloquer Dunkerque, sur quoi on avoit débarqué nos troupes. Il apportoit une lettre du roi d’Angleterre, qui crioit fort contre ce débarquement, et qui vouloit tout forcer, et à quelque prix que ce fût, tenter de passer et de se rendre en Écosse. Il en fit tant de bruit à Dunkerque que le chevalier de Forbin ne put s’empêcher d’envoyer reconnoître cette flotte par les chevaliers de Tourouvre et de Nangis, sur le rapport desquels on espéra de pouvoir passer ; et tout de suite on fit rembarquer les troupes. Mais voici le contretemps, supposé que l’entreprise ne fût pas déjà échouée longtemps avant le départ de Saint-Germain. La princesse d’Angleterre avoit eu la rougeole ; elle commençoit à peine à entrer en convalescence lors du départ du roi son frère. On l’avoit empêché de la voir, de peur qu’il ne gagnât ce mal, sur le point de l’entreprise. Il se déclara à Dunkerque, à la fin de l’embarquement des troupes. Voilà un homme au désespoir, qui veut qu’on l’enveloppe dans des couvertures et qu’on le porte au vaisseau. Les médecins crièrent que c’étoit le tuer avec certitude ; il fallut demeurer. Deux des cinq députés écossois, cachés chez le bailli à Montrouge, avoient été renvoyés, il y avoit plus de quinze jours, pour annoncer en Écosse l’arrivée imminente de leur roi avec des armes et des troupes. Le mouvement que cela devoit produire donnoit encore plus d’impatience du départ. Enfin le roi d’Angleterre, à demi guéri et fort foible, se voulut déterminément embarquer le samedi 19 mars, malgré les médecins et la plupart de ses domestiques. Les vaisseaux ennemis s’étoient retirés ; à six heures du matin, ils mirent à la voile par un bon vent et par une brume qui les fit perdre de vue sur les sept heures.

Il y avoit à Saint-Germain un vieux milord Greffin ; fort borné, fort protestant, mais fort fidèle, que la passion de la chasse et sa bonté à voit attaché à M. le comte de Toulouse, à M. de La Rochefoucauld, et aux chasseurs de la cour qui tous l’aimoient. Il n’avoit rien su du tout que par le départ du roi d’Angleterre ; il fut sur-le-champ trouver la reine. Avec la liberté anglaise, il lui reprocha son peu de confiance en lui, malgré ses services et sa constante fidélité ; celle qu’elle témoignoit à d’autres qui, sans les nommer, ne le valoient en rien ; le peu de bonté qu’elle lui avoit montré en tous les temps, finit par l’assurer que son âge, sa religion, ni la douleur de se voir si maltraité, ne l’empêcheroient pas de suivre le roi, et de le servir jusqu’au dernier moment de sa vie, de manière à faire honte à la reine, et de ce pas vint à Versailles demander un cheval et cent louis à M. le comte de Toulouse ; et tout de suite piqua droit à Dunkerque, où il s’embarqua avec les autres.

On arrêta, en divers endroits de Dunkerque, onze hommes que le gouverneur d’Ostende y avoit envoyés pour être exactement informés de tout. Il y en avoit un douzième qui se cacha si, bien dans la ville qu’on ne le put trouver ; mais, lors de cette capture, le roi d’Angleterre étoit à la voile. Il essuya le soir même une furieuse tempête, après laquelle il mouilla derrière les bancs d’Ostende.

Deux fois vingt-quatre heures après le départ de notre escadre, vingt-sept vaisseaux de guerre anglois parurent devant Dunkerque. Beaucoup de troupes anglaises marchèrent vers Ostende, et des Hollandaises vers la Brille pour se mettre en état de passer la mer. Rambure, lieutenant de vaisseau, qui commandoit une frégate, fut séparé de l’escadre par la tempête. Il fut obligé de relâcher aux côtes de Picardie, d’où, dès qu’il le put, il se remit après l’escadre qu’il crut déjà en Écosse. Il fit donc route sur Édimbourg, et ne trouva aucun vaisseau dans toute sa traversée. Comme il approchoit de l’embouchure de la rivière, il vit la mer couverte de barques et de petits bâtiments qu’il ne crut pas pouvoir éviter, et dont il aima mieux s’approcher de bonne grâce. Les patrons lui dirent que leur roi devoit être arrivé ; qu’ils n’eh avoient point de nouvelles ; qu’il étoit attendu avec impatience ; que ce grand nombre de bâtiments venoit au-devant de lui et à sa découverte ; qu’ils lui amenoient des pilotes pour le faire entrer dans la rivière et le conduire à Édimbourg, où tout étoit dans l’espérance et la joie. Rambure, également surpris que l’escadre qui portoit le roi d’Angleterre n’eût point encore paru, et de la publicité de son arrivée prochaine, remonta vers Édimbourg toujours de plus en plus environné de barques qui lui tenoient le même langage. Un gentilhomme du pays passa d’un de ces bâtiments sur la frégate. Il lui apprit la signature des seigneurs principaux qu’il lui nomma ; que ces seigneurs étoient assurés de plus de vingt mille hommes du pays prêts à prendre les armes, et de toute la ville qui n’attendoit que son arrivée pour le proclamer. Rambure se mit ensuite à descendre la rivière pour chercher à rejoindre [l’escadre], dont il étoit d’autant plus en peine que ce qu’il venoit de voir et d’apprendre étoit plus satisfaisant. Approchant de l’embouchure, il entendit un grand bruit de canon à la mer, et, peu après, il aperçut beaucoup de vaisseaux de guerre. Approchant de plus en plus, et, sortant de la rivière, il distingua l’escadre de Forbin poursuivie par vingt-six gros navires de guerre, et de quantité d’autres bâtiments, dont il perdit bientôt de vue tant notre escadre que de l’avant-garde des ennemis. Il continua de hâter sa route pour joindre, mais il ne put arriver que tout n’eût dépassé l’embouchure. Alors, après avoir évité les plus reculés de l’arrière-garde anglaise, il remarqua que leur flotte donnoit une rude chasse au roi d’Angleterre, qui longeoit cependant la côte parmi le feu du canon et souvent de la mousqueterie. Rambure essaya longtemps de profiter de la légèreté de sa frégate pour gagner la tête, mais toujours coupé par des vaisseaux ennemis et toujours en danger d’être pris, il prit le parti de revenir à Dunkerque, d’où il fut aussitôt dépêché à la cour pour y porter ces tristes et inquiétantes nouvelles. Elles furent suivies, cinq ou six jours après ; du retour du roi d’Angleterre, qui rentra le 7 avril à Dunkerque avec peu de ses vaisseaux, fort maltraités.

Ce prince, après la tempête qu’il essuya d’abord, ayant repris sa route avec son escadre rassemblée, se perdit de son chemin deux fois vingt-quatre heures, ce qui, sans la violence des vents qui étoit cessée, n’est pas aisé à comprendre dans la traversée de la hauteur des bancs d’Ostende, où ils s’étoient jetés pendant la tempête, à la rivière d’Édimbourg. Cette méprise donna le temps aux Anglois de les joindre, sur quoi le roi d’Angleterre tint conseil sans y appeler personne des autres vaisseaux. On perdit beaucoup de temps et fort précieux en délibérations. Middleton, qui avoit seul toute la confiance, y prévalut. Ils perdirent le temps d’entrer dans la rivière. Les Anglois étoient si proches qu’il n’y avoit pas moyen de prendre le tour pour entrer, et d’éviter le combat, ou en entrant, ou dans la rivière même, tout au plus d’être suivis d’assez près pour être brûlés au débarquement. On résolut donc de dépasser la rivière d’Édimbourg, de longer la côte, et de gagner le port d’Inverness à quinze ou vingt lieues plus loin. Mais Middleton cria si haut que le roi d’Angleterre n’étoit attendu qu’à Édimbourg, et qu’ils ne trouveroient aucune disposition ailleurs, et le chevalier de Forbin le seconda si puissamment, et d’une manière si équivoque que, malgré le duc de Perth, malgré les deux Hamilton, malgré tous les officiers principaux du vaisseau, et sans y en appeler des autres navires, il fut décidé qu’on reprendroit la route de France. Ils ne longèrent donc presque point la côte, et revirèrent.

Dans ce mouvement, la flotte ennemie, forçant de voiles, joignit, par son avant-garde, l’arrière-garde de l’escadre, avec qui elle engagea un combat fort opiniâtre. Le chevalier de Tourouvre s’y distingua beaucoup et, avec son vaisseau couvrit toujours celui du roi d’Angleterre, du salut duquel il fut uniquement cause. Les Anglois prirent deux vaisseaux de guerre et quelques bâtiments. Sur l’un de ces deux vaisseaux étoient le marquis de Lévi, le lord Greffin et les deux fils de Middleton, qui, tous, après divers mauvais traitements, furent conduits à Londres. Greffin, condamné promptement à mort, insulta ses juges, demeura ferme à ne répondre jamais un mot qui pût intéresser personne, méprisa la mort, et fit tant de honte à ses juges qu’ils suspendirent l’exécution. La reine lui envoya un répit, puis un autre, sans que jamais il en demandât, et finalement il demeura libre dans Londres sur sa parole. Il eut toujours de nouveaux répits, et bien reçu partout, vécut là comme dans sa patrie ; averti enfin que [les répits] ne cesseroient point, il y vécut ainsi plusieurs années, déjà fort vieux, et il y mourut de sa mort naturelle. Les deux fils de Middleton ne furent ni arrêtés, ni poursuivis, mais partout fort accueillis. M. de Lévi fut envoyé à Nottingham tenir compagnie au maréchal de Tallard et aux autres prisonniers ; le reste de ceux de ce vaisseau fut renvoyé en France sur leur parole. Le parti pris de revirer de bord sur Dunkerque, dans le vaisseau du roi d’Angleterre, ce prince ouvrit le paquet que Chamillart lui avoit remis cacheté. Il en savoit le contenu, et très apparemment Gacé aussi. Il lui remit sa patente et le déclara maréchal de France. Il étoit difficile de l’être à meilleur marché. Il prit sur-le-champ le nom de maréchal de Matignon, en mémoire de son bisaïeul qui a fait l’honneur de leur maison. Lévi fut en même temps déclaré lieutenant général ; c’étoit pour cela que son beau-père l’avoit fait embarquer.

Ce fut la première fois que le roi d’Angleterre prit, pour être incognito, le nom de chevalier de Saint-Georges, et que ses ennemis lui donnèrent celui de Prétendant, qui lui sont enfin demeurés tous deux. Il montra beaucoup de volonté et de fermeté, qu’il gâta par une docilité qui fut le fruit d’une mauvaise éducation, austère et resserrée, que la dévotion mal entendue en partie, en partie le désir de le maintenir dans la crainte et la dépendance, lui fit donner par la reine, sa mère, qui voulut toujours dominer avec toute sa Sainteté. Il écrivit de Dunkerque pour demeurer en quelque ville voisine, en attendant l’ouverture de la campagne qu’il demanda à faire en Flandre. Cette dernière partie fut accordée, mais on le fit revenir à Saint-Germain. Hough le précéda avec les journaux du voyage et celui de Forbin, à qui le roi donna mille écus de pension et dix mille de gratification, que lui valut Pontchartrain qu’il avoit si bien servi à sa mode. Hough avoit été fait pair d’Irlande avant partir.

Le roi d’Angleterre arriva à Saint-Germain le vendredi 20 avril, et vint avec la reine le dimanche suivant à Marly, où le roi était. Je fus curieux de l’entrevue. Il faisoit fort beau. Le roi, suivi de tout le monde, sortit au-devant. Comme il alloit descendre les degrés de la terrasse, et que nous voyions la cour de Saint-Germain au bout de cette allée de la Perspective, qui s’avançoit lentement, Middleton seul s’approcha du roi d’un air fort remarquable, et lui embrassa la cuisse. Le roi le reçut gracieusement, lui parla à trois ou quatre reprises, le regardant à chaque fois fixement, à en embarrasser un autre, puis s’avança dans l’allée. En approchant les uns des autres, ils se saluèrent, puis les deux rois se détachèrent en même temps, chacun, de sa cour, doublèrent un peu le pas assez également l’un et l’autre, et avec la même égalité s’embrassèrent étroitement plusieurs fois. La douleur étoit peinte sur les visages de tous ces pauvres gens. Le duc de Perth fit après sa révérence au roi, qui le reçut honnêtement, mais seulement comme un grand seigneur. On s’avança après vers le château avec quelques mots indifférents qui mouroient sur les lèvres. La reine avec les deux rois, entrèrent chez Mme de Maintenon, la princesse demeura dans, le salon avec Mme la duchesse de Bourgogne et toute la cour. M. le prince de Conti, saisi de sa curiosité naturelle, s’empara de Middleton ; le duc de Perth prit le duc de Beauvilliers et Torcy. Le peu d’autres Anglois, plus accueillis que d’ordinaire pour les faire causer, se dispersèrent parmi les courtisans, qui ne tirèrent rien de leur réserve qu’une ignorance affectée qui disoit beaucoup, et des plaintes générales du sort et des contretemps. Les deux rois furent longtemps tête à tête, pendant que Mme de Maintenon entretenoit la reine. Ils sortirent au bout d’une heure ; une courte et triste promenade suivit, qui termina la visite.

Middleton fut violemment soupçonné d’avoir bien averti lés Anglois. Ils ne firent pas, semblant de se douter de rien, mais ils prirent sans bruit toutes leurs précautions, cachèrent leurs forces navales, firent semblant d’en envoyer la plus grande partie escorter un convoi en Portugal, tinrent prêtes le peu de troupes qu’ils avoient en Angleterre, qu’ils firent approcher de l’Écosse où ils envoyèrent des gens affidés en attendant mieux ; et la reine, sous divers prétextes de confiance et d’amitié, retint à Londres le duc d’Hamilton, le plus accrédité seigneur d’Écosse, sur le point, d’y retourner, et qui étoit l’âme et le chef de toute cette affaire. Elle n’eh donna part à son parlement que lorsqu’elle fut devenue publique ; et après qu’elle fut avortée, elle ne voulut rechercher personne, et elle évita sagement de jeter l’Écosse dans le désespoir. Toute cette conduite augmenta fort son autorité chez elle, lui attacha les cœurs, et ôta toute envie de remuer davantage par n’avoir plus d’espérance de succès. Ainsi avorta un projet si bien et si secrètement conduit jusqu’à l’exécution, qui fut pitoyable, et avec ce projet celui de la révolte des Pays-Bas, auquel il ne fut plus permis de penser.

Les alliés firent sonner bien haut cette tentative d’une puissance qu’on avoit lieu de croire aux abois, qui ne le dissimuloit pas même pour les mieux tromper, et qui, ne cessant de faire des démarches humiliantes pour obtenir la paix, par des émissaires obscurs qu’elle envoyoit de tous côtés avec des propositions spécieuses, ne songeoit à rien moins qu’à envahir la Grande-Bretagne, et par contrecoup à pousser ses conquêtes partout. L’effet en fut grand pour resserrer et irriter de plus en plus cette formidable alliance. Heinsius, pensionnaire de Hollande, le plus accrédité qu’aucun autre dans cette grande place ne l’avoit été dans sa république, avoit hérité de tout l’esprit, de toutes les vues et de toute la haine du prince d’Orange. On verra ailleurs que le prince Eugène, Marlborough et lui n’étoient qu’un, et que ce formidable triumvirat menoit tout. Les deux généraux étoient déjà en conférence avec le Pensionnaire à la Haye. Le prince Eugène avoit refusé d’aller en Espagne, ce que l’archiduc ne lui pardonna jamais, et l’accusa toujours d’avoir empêché la cour de Vienne de le secourir autant et aussi à temps qu’il auroit fallu pour assurer ses succès. Staremberg alla commander, l’armée d’Espagne. J’ai voulu raconter de suite toute cette expédition manquée d’Écosse ; retournons maintenant un peu en arrière.