N’en doute plus, Cloris, ton frère n’est point mort 312 ;
Mais ayant su de lui son déplorable sort,
Je voulois éprouver par cette triste feinte
Si celle qu’il adore, aucunement atteinte 313,
Deviendroit plus sensible aux traits de la pitié
Qu’aux sincères ardeurs d’une sainte amitié.
Maintenant que je vois qu’il faut qu’on nous abuse.
Afin que nous puissions découvrir cette ruse,
Et que Tircis en soit de tout point éclairci.
Sois sûre que dans peu je te le rends ici.
Ma parole sera d’un prompt effet suivie :
Tu reverras bientôt ce frère plein de vie ;
C’est assez que je passe une fois pour trompeur.
Si bien qu’au lieu du mal nous n’aurons que la peur ?
Le cœur me le disoit : je sentois que mes larmes
Refusoient de couler pour de fausses alarmes,
Dont les plus dangereux et plus rudes assauts 314
Avoient beaucoup de peine à m’émouvoir à faux ;
Et je n’étudiai cette douleur menteuse
Qu’à cause qu’en effet j’étois un peu honteuse 315
Qu’une autre en témoignât plus de ressentiment 316.
Après tout, entre nous, confesse franchement 317
Qu’une fille en ces lieux, qui perd un frère unique,
Jusques au désespoir fort rarement se pique :
Ce beau nom d’héritière a de telles douceurs,
Qu’il devient souverain à consoler des sœurs.
Adieu, railleur, adieu : son intérêt me presse
D’aller rendre d’un mot la vie à sa maîtresse 318 ;
Autrement je saurois t’apprendre à discourir.
Et moi, de ces frayeurs de nouveau te guérir.
Scène IX
|
◄ | Acte IV, scène X
|
► | Acte V
|
312. Var. N’en doute aucunement, ton frère n’est point mort, (1633-57)
313. Var. Si ce cœur, recevant quelque légère atteinte. (1633)
314. Var. Dont les plus furieux et plus rudes assauts
Avoient bien de la peine à m’émouvoir à faux. (1633-57)
315. Var. Qu’à cause que j’étois parfaitement honteuse. (1633-57)
316. Var. Qu’un autre an en témoignât plus de ressentiment. (1633-60)
317. Var. Mais avec tout cela confesse franchement. (1633-57)
318. Var. D’aller vite d’un mot ranimer sa maîtresse ;
Autrement je saurois te rendre ton paquet.
lis. Et moi pareillement rabattre ton caquet, (1633-57)
an. Il y a plus loin un semblable emploi du masculin dans le vers 1387 de Clitandre. Voyez le Lexique ; voyez aussi la première variante de la p. 241 et la huitième de la p. 365.