Mélanges historiques/06/18

XVIII

BAIL DE 1783. — CONRAD GUGY, SES CONTINUATEURS. — MUNRO ET BELL, 1793. — DESCRIPTION DES FORGES, 1796, 1797. — TRAVAUX DE MUNRO ET BELL. — BAIL DE 1800. — PRIX DES ARTICLES. — BAIL DE 1806. — DESCRIPTION DES FORGES, 1808, 1779-1809.

De 1779 à 1783 il n’y a presque rien à dire des opérations des Forges dirigées par Dumas au nom de la compagnie Pélissier. Le pays était tranquille. La guerre de l’indépendance américaine se continuait et fut considérée comme finie en 1782.

Cette année 1782 et jusqu’à 1804, date de sa mort, je vois John Pullman aux Forges. C’était un homme de l’état de New-York. De 1775 à 1782, il avait tenu une école à Montréal.

Depuis 1770 à peu près il y avait aux Forges Philippe et Nathaniel Lloyd, ainsi que Thomas Lewis, arrivés ensemble du pays de Galles, et qui ont continué d’être employés dans les Forges. Thomas Lewis épousa en 1771 Josette Delorme, née aux Forges, et en eut John-Samuel, qui fut maître-mouleur, puis marchand, et Josette et Nathaniel qui vécurent aux Forges. Ces familles sont devenues tout à fait canadiennes et françaises de langue. John-Samuel Lewis épousa Thérèse Sulte en 1797.

À l’approche de l’expiration (1783) du bail des Forges le gouverneur général voulait avoir de Londres les renseignements nécessaires pour guider sa conduite. On lui répondit le 12 décembre 1782 de conserver intactes les terres des Forges et de louer de nouveau pour seize ans l’exploitation des mines de fer. Il n’est pas fait mention du privilège c’est-à-dire du monopole que ce bail pouvait couvrir. Le bail de 1767 n’en dit rien non plus, parce que, en prenant possession du Canada, les autorités britanniques mettaient fin à ce régime. Toute personne ou compagnie pouvait créer, exploiter des fonderies, forges et laminoirs selon le besoin du commerce, à ses risques et avantages.

Le 3 février 1783 le bail des Forges fut accordé pour seize ans, au prix de dix-huit louis quinze shillings sterling par année, à Conrad Gugy, que les Trifluviens et les gens des Forges connaissaient depuis près de vingt ans. C’était un Suisse de langue française, mais né à la Haye, en Hollande, fils aîné d’un officier militaire employé dans le service hollandais. Huguenot de religion, il avait obtenu une lieutenance au 60e régiment (appelé colonial) de l’armée britannique partant sous les ordres de Wolfe, en 1759, pour la guerre du Canada. De plus, il avait fait des études d’ingénieur.

Haldimand, succédant à Burton aux Trois-Rivières, le 1er janvier 1764, avait fait de Gugy son secrétaire et un juge-avocat en place de Bruyère. Haldimand et Bruyère étaient des Suisses de langue française. Dès le 15 mai 1764 Gugy ayant vendu sa commission de lieutenant acheta bientôt de Louis Boucher de Grandpré la partie de la seigneurie d’Yamachiche appelée Grosbois, puis l’autre morceau qui portait le nom de Grandpré.

Le 17 août 1775, à la formation du Conseil législatif, Gugy devint l’un de ses membres. Il demeurait alors à Yamachiche où les Américains pillèrent sa maison en 1776, lors de leur retraite. Le 4 juin de cette dernière année, il était caché aux Forges tandis que les Américains occupaient les Trois-Rivières et les environs[1].

Vers 1778 les autorités l’employèrent pour placer en Canada les Loyalistes fuyant la révolution américaine. Il tenta même d’en établir un certain nombre à Yamachiche mais le milieu ne convenait nullement à ces classes de personnes et la colonie ne dura pas longtemps.

Le bail commençait à courir du 9 juin 1783 aux mêmes conditions que celui de 1767[2]. Allsop, qui avait été de la compagnie Pélissier et formait partie du conseil du gouverneur, s’opposa à ce bail en faveur de Gugy parce que le public n’était pas invité à faire des offres. Il y a apparence que les choses marchaient bien aux Forges lorsque Gugy mourut subitement le 10 avril 1786[3]. Barthélemy, son frère cadet, était alors officier dans les Suisses de Louis XVI, régiment de Sonnenberg, et ne semble pas avoir connu ce qui se passait en Canada, mais en 1792, lui et ses hommes, refusant de servir sous l’Assemblée Nationale, il quitta la France et vint à Québec, où il recueillit l’héritage d’Yamachiche, sans s’occuper du bail des Forges, du moins selon que j’ai pu en juger.

La mort de Gugy n’avait pas annulé le contrat. En 1787, Alexandre Davidson et John Lee furent acceptés à le continuer, mais cette fois à raison de deux mille trois cents louis courant. En juin 1793, Davidson passa sa part (et peut-être celle de Lee) à son frère George Davidson, à David Munro et à Mathew Bell, au prix de quinze cents louis courant. Il n’est pas exact de dire que Bell entra dans les Forges en 1789, mais à cette date il était l’associé des Davidson dans le commerce de Québec et l’erreur vient de là. Bell était né en juillet 1769 à Berwick, sur la Tweed, frontière de l’Écosse. Il arriva à l’âge de quinze ans dans la colonie. En 1789 il entrait en société avec Davidson et Lee, marchands de Québec. Dans la Gazette de Québec du 4 mars 1794 on mentionne la société Munro et Bell.

Cette année 1794 lord Dorchester (Guy Carleton) se proposait de concéder les Forges à Hugh Finlay[4] mais il se contenta de le nommer auditeur des comptes en 1795.

À l’arrivée du gouverneur Prescott en 1796 la compagnie des forges de Batiscan demanda le bail des forges Saint-Maurice qui, paraît-il, était de quatorze cents louis sterling. Munro et Bell, qui en étaient possesseurs, offrirent cinq cent cinquante louis avec promesse de quinze cents louis d’amélioration. Batiscan parla aussitôt de payer huit cents louis sans amélioration. Bell et Munro allèrent jusqu’à huit cent cinquante louis et l’emportèrent pour cinq années. Tout ceci montre que l’on ne s’en tenait pas au prix du bail de 1783.

Le duc de La Rochefoucauld qui était alors dans le Haut-Canada et recueillait des renseignements du gouverneur Simcoe, s’exprime ainsi : « Une fabrique de fer aux Trois-Rivières et une distillerie près Québec, sont les seules manufactures du Canada ; encore sont-elles sur une très petite échelle. La manufacture de fer ne suffit pas pour fournir même le Bas-Canada. Elle appartient à des négociants de Québec et de Montréal qui n’y employent pas les machines usitées en Angleterre pour un tel travail. La mine se trouve dans les rivières voisines, et en grain sur la surface de la terre et assez riche ; elle est connue sous le nom de mine de Saint-Maurice. Une vingtaine d’ouvriers, tous Canadiens, y sont occupés ; ils forgent (coulent) le fer en saumons et en ustensiles de différentes espèces, outils, marmites, etc… Ils gagnent trois quarts de piastre par jour et ne sont pas nourris ». Ailleurs il nous dit qu’on a découvert « dernièrement une mine de fer abondante près le creek de Chipawa, Haut-Canada. Une compagnie se propose de l’exploiter et veut construire auprès de la chute une usine nécessaire à son travail, mais il faut la permission du gouverneur, car la mère-patrie veut fournir toutes ses colonies de ses propres manufactures. Elle n’est pas corrigée encore de ce monopole qui déjà lui a coûté l’Amérique. On se flatte pourtant que la permission pourra être accordée. »

Les forges de Batiscan étaient pour celles de Saint-Maurice et les fabriques d’Angleterre des rivales sérieuses, pourtant on les laissait tranquilles. La prétendue compagnie de Chipawa c’était la famille Allen, du Vermont, des révolutionnaires dangereux qui s’étaient insinués dans la confiance du gouverneur Simcoe, un homme assez naïf, mais que lord Dorchester contrôlait haut la main. La Rochefoucauld, révolutionnaire lui-même, nous cache la vérité. Dorchester suivait les Allen de l’œil. Il eut bientôt fait de mettre un terme aux concessions de terre que Simcoe voulait accorder à ces « brouillons » qui se vantaient d’annexer certains territoires au Canada, n’osant pas dire qu’ils voulaient annexer le Canada au Vermont.

Isaac Weld, qui était aux Trois-Rivières en 1797, écrit : « La mine de fer qui est dans le voisinage et qu’on supposait devoir être la source de sa prospérité est presque épuisée[5] et il ne paraît pas que ses productions aient jamais été assez considérables pour tenir plus d’une seule forge constamment en activité pour alimenter, par intervalle seulement, une très petite fonderie ». Il ajoute : « On ne rencontre, depuis l’embouchure du Saint-Maurice jusqu’aux Forges, que quelques habitations. Tout ce qui est au-delà n’est connu que des Sauvages ». Parlant du bail des Forges d’après ce qu’on lui en a dit, il note que ce contrat doit expirer en 1800 « et on aura de la difficulté à trouver quelqu’un pour louer cette usine vu que le minerai s’épuise. Les poêles sont le principal article de Saint-Maurice, mais on leur préfère les poêles d’Angleterre ». Après avoir dit que la principale industrie de Sorel est la construction des navires, il remarque que les ferrures et toute la partie en fer est importée, mais que le gréement est fait à Québec. Ceci ne s’accorde pas avec Lambert que nous verrons plus loin.

J’ai toujours entendu dire aux Forges, dans ma jeunesse, que Bell avait fait des efforts pour établir la renommée de sa fabrique et y était parvenu. Il remporta des prix en Angleterre. Ses poêles épais et fondus au vent froid étaient excellents.

Sous Bell et Munro, outre la grande baie de Yamachiche et de la Pointe-du-Lac, on tira, pendant quelques années, de la mine de Nicolet, où il y en avait un bon et solide, compacte dépôt, tout en face du collège. Les vieux mineurs en ont gardé la tradition. C’était une couche de cinq pieds de mine nette — rare avantage que la mine nette car elle ne nécessite pas de lavage.

En 1797, le lieutenant de milice Zacharie Macaulay exerçait la compagnie des Forges. Il était au Canada depuis 1760 et il vécut longtemps aux Forges.

En 1798, le bail des Forges qui devait expirer l’année suivante fut prolongé jusqu’à 1800. C’est alors, je crois, que Mathew Bell prit directement la conduite des affaires. Le 17 février 1798, George Davidson, David Munro et Mathew Bell représentent au gouvernement qu’ils sont en possession du bail qui se terminera le 10 juin 1799 et qu’ils ont fait de grandes améliorations dans l’établissement. Ils demandent la continuation ou le remboursement de leurs dépenses. Dans un rapport du 13 avril suivant soumis au Conseil du gouverneur Prescott il est proposé de faire un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans, mais ce projet resta sur le papier, comme aussi la vente du contrat aux enchères publiques. On se contenta de laisser courir le bail jusqu’à 1800 et alors Robert Shore Milnes, administrateur de la province, l’étendit de nouveau jusqu’au 31 mars 1801. Il y a un acte de Conseil exécutif du 1er mai 1799 disant que les Forges sont d’une grande importance et devront produire plus tard un fort revenu. En même temps, on recommande que le contrat se prolonge jusqu’au 1er avril 1810.

La compagnie de Batiscan offrit de prendre l’affaire pour deux années à raison de cinq cents louis par an, mais Davidson se déclara prêt à payer ce même prix pour cinq ans. Munro et Bell allèrent jusqu’à cinq cent cinquante louis disant que les cinq années révolues ils rendraient la place en bon ordre avec quinze cents louis d’amélioration. L’offre du parti opposé s’élève alors à six cents louis, puis a huit cents, mais Munro et Bell vont jusqu’à huit cent cinquante et l’emportent pour cinq ans à dater du 1er avril 1801. En mai 1805 le Conseil constate que Munro et Bell ayant toujours bien payé on est satisfait d’eux.

Joseph Bouchette, parlant du renouvellement du bail en question, dit qu’on ajouta des terres au domaine des Forges afin d’employer le bois à la fonderie. Il y avait de deux cent cinquante à trois cents hommes à l’ouvrage. Les maîtres et contremaîtres étaient des Écossais et des Anglais ; les ouvriers, des Canadiens. Il dit de plus qu’on ouvrit des carrières de pierre à chaux, de bonnes pierres grises et de quelques autres espèces de pierre à bâtir, sur les bords du Saint-Maurice, près des chutes des Grès et de la Gabelle, un peu au-dessous de celle-ci. Voilà, je pense, l’origine de la pierre qui a servi à la construction de plusieurs édifices aux Trois-Rivières, de 1800 à 1830.

Vers 1800, Thomas Coffin paraît avoir été intéressé dans les forges de Batiscan. Mathew Bell et lui étaient députés du comté de Saint-Maurice. Mathew Bell, « marchand de Québec », avait épousé aux Trois-Rivières, le 17 septembre 1799, Anne, fille de James McKenzie, grand connétable des Trois-Rivières, qui était aussi marchand et mourut cinq semaines après ce mariage. Pendant plusieurs années, Bell commanda une compagnie de volontaires à cheval dans la ville de Québec. En 1799, il était trésorier de la société contre les incendies de cette même ville.

En 1804, David Munro et Michel Caron représentent le comté de Saint-Maurice. En 1805, Benjamin L’Écuyer arpente les terres des Forges.

D’après un supplément de la Gazette de Québec du 20 juin 1799, les fermiers des forges Saint-Maurice annoncent leurs marchandises à douze et demi par cent de rabais, savoir : poêles à 55, 75, 80, 85, 90, 100, 120 shellings ; autres poêles de 80 à 130 shellings ; plaques de cheminée, 25 shellings. On faisait des ouvrages unis pour les moulins, tels que roues, goujons, etc., aussi le fer en barres, chaudrons, marmites, tourtières, bassins, sacs, moulés, boîtes à roue, enclumes, chenets, pilons (mortiers).

Le 1er mai 1805, le Conseil exécutif mentionne la rareté du minerai et du bois sur les terrains des Forges et pense que les nouveaux concessionnaires (en 1806) devront payer aux anciens quatre cents louis ou toute autre somme à fixer par arbitrage. Munro et Bell continuent a raison de huit cent cinquante louis par année.

Les cinq ans expirés, Thomas Dunn était administrateur de la province, en l’absence de Milnes, et se trouvait dans un certain embarras à cause des Forges, ayant acheté pour ses fils des actions dans les fonderies de Batiscan qui voulaient avoir de plus les « vieilles forges » c’est-à-dire celles de Saint-Maurice. Le 10 juin 1806, il demande qu’on ajourne la vente du bail (expirant le lendemain ?). On tombe d’accord à laisser les Forges à Munro et Bell pour soixante louis par année, jusqu’au 1er octobre suivant.

Je vois une annonce portant que, le 11 juin 1806, Burns et Woolsey, encanteurs (commissaires priseurs) de Québec, vendront l’exploitation des Forges avec certains morceaux de terre adjacents, pour un bail de vingt ans, à courir du 1er avril 1807. C’est signé de Herman W. Ryland, secrétaire du gouverneur. La vente fut remise au 1er octobre 1806.

Allcock, juge en chef, recommandait de fixer la mise à prix à huit cent cinquante louis aux enchères. Arrive le 1er octobre, Thomas Dunn demande qu’on règle à soixante louis avec Munro et Bell pour une période de vingt ans, mais l’Exécutif fait entendre que Munro et Bell avaient probablement écarté par des manœuvres sourdes les autres compétiteurs et il annonce la vente des Forges aux enchères. Il faut croire qu’il ne se présenta pas de concurrents puisque le 1er octobre Munro et Bell remportèrent la palme au prix de soixante louis durant vingt et un ans, mais, si je comprends bien, sujet à rectification quant à la somme d’argent. La rectification resta en suspens jusqu’au 9 octobre 1810, Munro et Bell payant toujours soixante louis, et alors on porta la somme à cinq cents louis, du 1er octobre 1810 au 31 mars 1831 (dépêche de lord Castlereagh) selon les conditions qui furent publiées dans la Gazette de Québec.

La législature siégeant, en mars 1807, survint le décès de John Lee, l’un des deux représentants des Trois-Rivières depuis 1792. L’autre était alors le juge L.-C. Foucher. Mathew Bell se posa à la candidature, ainsi que Thomas Coffin, Pierre Vézina et Ézéchiel Hart ; ce dernier fut élu. Il s’en suivit beaucoup d’agitation politique[6].

John Lambert, qui était aux Trois-Rivières en 1808, dit que les forges de Batiscan étaient sur le modèle de celles du Saint-Maurice, mais que les affaires sont en décadence et que deux associés se sont retirés récemment. « Les forges Saint-Maurice ont pour surintendant Zacharie Macaulay. J’y suis allé au mois d’août par une très grande chaleur, à cheval, à travers la forêt. Tous les gens des Forges ont des jardins.

« Le sable pour mouler est importé d’Angleterre en barils, au coût de neuf piastres chacun. C’est un sable particulier qu’on ne trouve nulle part en Canada. Trois cents hommes, quelques fois moins et plus, aussi de trente à quarante chevaux sont employés. On ne brûle que du charbon de bois pour fondre le minerai mais les forêts des alentours fournissent en abondance le sapin blanc et le pin nécessaire pour fabriquer ce produit considéré comme de beaucoup préférable au charbon de terre pour cette industrie. On découvre sans cesse de nouvelles veines de minerai et les habitants les vendent à très bas prix.

« Les marteaux, soufflets, des forges et de la fonderie sont mis en mouvement par la force hydraulique. Les ateliers de forge ne sont que du fer en barres et des socs de charrue. Il y a un surintendant et deux commis avec contremaître à la tête de chaque branche. Une fonderie avec grande fournaise coule les plaques de poêles, les chaudières à potasse, l’outillage de moulin, etc… J’ai vu modeler et couler des pièces avec beaucoup d’habileté. Les ouvriers sont payés selon la quantité de travail qu’ils exécutent. Les hommes se relèvent de six heures en six heures, car l’usine fonctionne jour et nuit. À la fonderie ceux qui n’alimentent pas le fourneau font des journées ordinaires. Ceux qui coulent et finissent les poêles sont occupés du soleil levant au soleil couchant, ce qui, chez ces Canadiens-français est la durée usuelle du travail journalier, année durante. On y gagne ce grand avantage de compenser en été la perte, de temps des nuits d’hiver.

« La main-d’œuvre est principalement canadienne. Quelques Anglais font des modèles et agissent comme contremaîtres ou experts ouvriers. Un grand nombre d’hommes font du charbon et le charroyent, creusent le sol pour avoir le minerai, ou conduisent les bateaux sur le Saint-Maurice jusqu’aux Trois-Rivières. Cette rivière n’est pas profonde pour les navires, on y emploie des chalands ; par endroits le courant est très fort.

« Le fer du Saint-Maurice a la renommée d’être égal, sinon supérieur, à ce que la Suède produit de mieux. Il est extrêmement malléable et ne prend guère la rouille. Les Canadiens le préfèrent à tous les autres fers. À ce propos j’ai un trait à rapporter. Les services des Forges, ceux d’à présent, au début de leur contrat, voulant activer la vente du fer en barres, achetèrent une quantité de cet article en Angleterre, mais de pauvre qualité et la revendirent aussi bon marché que le désiraient les habitants, mais ceux-ci n’en voulurent pas prendre une seconde fois, préférant payer plus cher et se procurer le fer du Saint-Maurice.

« Monsieur Graves, aux Trois-Rivières, reçoit les produits des Forges et les expédie par le fleuve à Montréal et à Québec, ou les vend aux gens du voisinage. On fabrique à peu près mille poêles par année. Les plus petits ou poêles simples coûtent aux acheteurs trois louis. Les grands vont jusqu’à six louis. Les poêles doubles avec fourneau au-dessus valent de dix à douze louis, selon leur mesurage. Les chaudières à potasse sont de vingt à vingt-cinq louis.

« Munro et Bell ont dépensé beaucoup d’argent à ramasser des masses de minerai et en améliorations dans l’outillage. À la fin de leur bail, en 1806, ils étaient prêts à le renouveler en payant douze cents louis par année plutôt que de le voir passer en d’autres mains. Ils ont le mérite de donner du développement à l’exploitation, ce qui est autant à l’avantage de la colonie que favorable à leur bourse. Il va sans dire que la somme de soixante louis par année est dérisoire. Jusqu’à 1806 ils payaient huit cent cinquante louis et actuellement, les progrès accomplis, devraient porter le bail plus haut qu’il y a deux ans.

« Presque tout le fer qui entre dans la construction des navires en Canada vient du Saint-Maurice et cela date de vingt ans. On compte cinq constructeurs : un à Montréal, quatre à Québec. De six à huit navires sortent annuellement de ces chantiers. L’ouvrage se poursuit en toute saison, ce qui fait une circulation de vingt mille louis par douze mois.

André Robichon, né aux Forges vers 1793, m’a dit en 1860 que l’église en bois servait vers 1800 de hangar pour les voitures et que la sacristie, en gros murs de pierre, de 20 x 20 pieds était encore solide.

Il faut mentionner ici la « grande vie » que menait Bell, tant à Québec qu’aux Trois-Rivières et aux Forges. Dîners, piques-niques, bals, promenades, grandes chasses, concerts, tel était le roulement. Les invités venaient de toutes parts de la province, et pas les moindres familles, cela s’entend. Le souvenir en était vivace quand j’étais jeune ; la tradition locale le conserve. Rien d’étonnant que ce personnage fastueux n’ait pas accumulé de la fortune, mais il a fait vivre à l’aise un grand nombre de personnes et en a amusé des milliers.

En 1806, Robert Fulton avait fait naviguer sur l’Hudson un bateau à vapeur, le Clermont, et John Molson, de Montréal, ne tarda pas à construire l’Accommodation pour servir sur le Saint-Laurent entre Montréal et Québec. Il se rendit en Écosse, y fit faire les machines de son navire et les apporta aux Trois-Rivières. Les ouvriers des Forges fabriquèrent certaines pièces de leur métier et tout fut mis en place pour l’été de 1809 où ce « prodigieux pyroscaphe », comme on disait, commença ses allées et venues sur le fleuve contre vents et marées[7].

Dans les documents de la session de 1809 on lit le reçu de la somme de soixante louis payée par Munro et Bell pour une année de loyer des forges Saint-Maurice expirée le 1er octobre. Le Canadien dit, en novembre 1809, que Bell a voté avec le gouvernement sur la question des juges et sur celle de la liste civile « pour les soixante louis des Forges ».[8].


  1. Gugy put donc tirer parti de sa cachette en étudiant le commerce des Forges, ce qui le décida à les acheter (à ferme).
  2. Victoria, VIII, appendice O ; Archives canadiennes, 1892, pages 275-280.
  3. D’une syncope de cœur survenue à la suite d’une condamnation formulée par un jury dont il était lui-même l’auteur. Il fut inhumé à Montréal le 12 avril. (L’Écho de l’Ouest, 29 nov. 1912).
  4. Archives canadiennes, 1891, pages 87-110.
  5. Le mot est exagéré. Texte français, p. 59 (II).
  6. Voir Pages d’histoire du Canada, par B. Sulte p. 401-432.
  7. J.-C. Taché a dit que son père, Charles, fut commis ou associé aux forges Saint-Maurice et de Batiscan vers cette époque et que son nom figure sur les plaques de certains poêles, ce qui nous surprend énormément. Un associé, encore moins un employé, ne pouvait pas faire graver son nom sur les fers ; une marque de commerce représente la compagnie et non les particuliers. Quand il allait à Batiscan, ajoute J.-C. Taché, il logeait chez Marchildon, père de celui qui fut député. Charles Taché a quitté les Forges à la guerre de 1812, prit du service dans l’un des bataillons de Québec et fit les campagnes de 1812-15
  8. Ce chapitre s’arrête à la guerre américaine de 1812-14, mais nous n’avons pu rien découvrir sur les opérations des Forges durant cette époque mouvementée. Cependant, il est aisé de croire que les Forges durent fonctionner avec entrain pour fabriquer le matériel de guerre nécessaire : canons, mortiers, pioches, etc.

    Plusieurs ouvriers des Forges s’enrôlèrent dans la compagnie du capitaine Zacharie Macaulay ; Louis Voligny fut enseigne dans le second bataillon des Trois-Rivières en 1813. En 1875, lorsque le parlement fédéral vota des gratifications aux volontaires qui avaient servi en 1812-14, deux survivants obtinrent chacun $20.00 : J.-B. Boisvert, 80 ans, et J.-B. Landry, 81 ans, soldats dans la division du colonel Duchesnay. Boisvert était aux Forges en 1842 et il y demeura jusqu’à sa mort. Landry y était dès 1810, s’en alla en 1812, et y retourna vers 1860.