imprimerie de la Vérité (Ip. 173-175).

LA VENTE DES SPIRITUEUX


17 décembre 1881.


Le 7 du courant, la cour d’appel, à l’unanimité des juges, a confirmé le jugement de M. E. A. Déry, recorder de Québec, concernant la fermeture des auberges et buvettes le dimanche et depuis minuit jusqu’à 5 heures du matin, chaque jour de la semaine. On avait attaqué ce jugement, prétendant que le règlement municipal, qui ordonne la fermeture des débits de spiritueux à certaines heures était ultra vires, inconstitutionnel et constituait un empiètement sur les prérogatives du parlement fédéral, qui seul a le droit de voter des lois touchant le commerce. M. Déry, si nous avons bonne mémoire, affirmait que la fermeture des auberges le dimanche et à certaines heures de la nuit, n’était pas une question de commerce, mais une question de police, et partant était entièrement du ressort des autorités municipales et provinciales. Nous sommes bien aise de voir que la cour d’appel a confirmé la manière de voir de M. Déry. D’abord, parce que ce jugement permettra à ce digne magistrat de continuer la croisade qu’il avait si bien commencée en faveur des bonnes mœurs et qu’il avait dû interrompre en attendant l’arrêt du plus haut tribunal de la province. Ce jugement nous réjouit aussi parce que c’est un rude coup porté à ceux qui cherchent sans cesse à restreindre les pouvoirs de nos institutions locales, à rendre notre autonomie illusoire et à tout remettre entre les mains des autorités fédérales. Cette tendance à la centralisation est dangereuse au suprême degré, et les véritables patriotes doivent la combattre avec énergie et persévérance.

On se plaît à répéter qu’il est impossible de rendre les hommes sobres par acte du parlement. C’est l’épigramme favorite des adversaires de la cause de la tempérance, mais pour ceux qui réfléchissent cette épigramme n’a pas de force. On pourrait employer cet argument contre toutes les lois pénales. Par exemple, il est impossible, par acte du parlement, de rendre tous les hommes honnêtes en temps d’élection, de les empêcher de vendre leurs votes ; cependant, faut-il dire, pour cela, que les lois contre la corruption sont inutiles ? Évidemment non.

On dit aussi que prendre un verre d’eau de vie n’est pas péché. Sans doute, mais l’ivrognerie est un très grand péché ; c’est un péché contre Dieu, c’est un péché contre la famille, contre la société, et contre l’individu lui-même. Il est donc du devoir de l’État de travailler de toutes ses forces à faire disparaître l’ivrognerie, de la combattre par tous les moyens légitimes. L’un des moyens les plus efficaces de combattre ce grand mal, c’est de restreindre, autant que possible, la vente des spiritueux au verre. Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il faille interdire complètement et d’une manière absolue la fabrication des spiritueux, car les spiritueux, comme tout ce qui est créé, comme les poisons mêmes, sont bons en soi ; ce qui est mauvais, ce qu’il faut combattre, c’est l’abus que les hommes en font.

Jamais on ne pourra nous convaincre que les débits de spiritueux appelés buvettes sont nécessaires au bonheur d’un peuple. Nous voudrions les voir tous fermés, et nous approuverions sans réserve une loi qui défendrait la vente des liqueurs enivrantes au verre.

Nous espérons donc que la partie saine de la population de Québec appuiera fortement M. Déry dans sa tentative de restreindre, autant que la loi le lui permet, le funeste trafic des spiritueux, et nous formons des vœux pour que les amis de la tempérance fassent voter des lois et des règlements plus sévères encore.