Mécanique analytique/Partie 2/Section 2

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIp. 263-272).
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Deuxième partie


SECTION DEUXIÈME.

FORMULE GÉNÉRALE DE LA DYNAMIQUE POUR LE MOUVEMENT D’UN SYSTÈME DE CORPS ANIMÉS PAR DES FORCES QUELCONQUES.


1. Lorsque les forces qui agissent sur un système de corps sont disposées conformément aux lois exposées dans la première Partie de ce Traité, ces forces se détruisent mutuellement et le système demeure en équilibre. Mais, quand l’équilibre n’a pas lieu, les corps doivent nécessairement se mouvoir, en obéissant en tout ou en partie à l’action des forces qui les sollicitent. La détermination des mouvements produits par des forces données est l’objet de cette seconde Partie.

Nous y considérerons principalement les forces accélératrices et retardatrices dont l’action est continue, comme celle de la gravité, et qui tendent à imprimer à chaque instant une vitesse infiniment petite et égale à toutes les particules de matière.

Quand ces forces agissent librement et uniformément, elles produisent nécessairement des vitesses qui augmentent comme le temps ; et l’on peut regarder les vitesses ainsi engendrées dans un temps donné comme les effets les plus simples de ces sortes de forces et, par conséquent, comme les plus propres à leur servir de mesure. Il faut, dans la Mécanique, prendre les effets simples des forces pour connus, et l’art de cette science consiste uniquement à en déduire les effets composés qui doivent résulter de l’action combinée et modifiée des mêmes forces.


2. Nous supposerons donc que l’on connaisse, pour chaque force accélératrice, la vitesse qu’elle est capable d’imprimer à un mobile en agissant toujours de la même manière, pendant un certain temps que nous prendrons pour l’unité des temps, et nous mesurerons la force accélératrice par cette même vitesse, qui doit s’estimer par l’espace que le mobile parcourrait dans le même temps si elle était continuée uniformément or on sait, par les théorèmes de Galilée, que cet espace est toujours double de celui que le corps a parcouru réellement par l’action constante de la force accélératrice.

On peut d’ailleurs prendre une force accélératrice connue pour l’unité et y rapporter toutes les autres. Alors il faudra prendre pour l’unité des espaces le double de l’espace que la même force continuée également ferait parcourir dans le temps qu’on veut prendre pour l’unité des temps, et la vitesse acquise dans ce temps par l’action continue de la même force sera l’unité des vitesses. De cette manière, les forces, les espaces, les temps et les vitesses ne seront que de simples rapports, des quantités mathématiques ordinaires.

Par exemple, si l’on prend la gravité sous la latitude de Paris pour l’unité des forces accélératrices, et que l’on compte le temps par secondes, on devra prendre alors pieds de Paris pour l’unité des espaces parcourus, parce que pieds est la hauteur d’où un corps abandonné à lui-même tombe dans une seconde sous cette latitude et l’unité des vitesses sera celle qu’un corps pesant acquiert en tombant de cette hauteur.

3. Ces notions préliminaires supposées, considérons un système de corps, disposés les uns par rapport aux autres comme on voudra et animés par des forces accélératrices quelconques.

Soit la masse de l’un quelconque de ces corps, regardé comme un point ; rapportons, pour la plus grande simplicité, à trois coordonnées rectangles la position absolue du même corps au bout d’un temps quelconque Ces coordonnées sont supposées toujours parallèles à trois axes fixes dans l’espace, et qui se coupent perpendiculairement dans un point nommé l’origine des coordonnées ; elles expriment, par conséquent, les distances rectilignes du corps à trois plans passant par les mêmes axes.

Ainsi, à cause de la perpendicularité de ces plans, les coordonnées représentent les espaces par lesquels le corps en mouvement s’éloigne des mêmes plans ; par conséquent,

représenteront les vitesses que ce corps a dans un instant quelconque pour s’éloigner de chacun de ces plans-là et se mouvoir suivant le prolongement des coordonnées et ces vitesses, si le corps était ensuite abandonné à lui-même, demeureraient constantes dans les instants suivants, par les principes fondamentaux de la théorie du mouvement.

Mais, par la liaison des corps et par l’action des forces accélératrices qui les sollicitent, ces vitesses prennent, pendant l’instant les accroissements

qu’il s’agit de déterminer. On peut regarder ces accroissementscomme de nouvelles vitesses imprimées à chaque corps, et, en les divisant par on aura la mesure des forces accélératrices employées immédiatement à les produire ; car, quelque variable que puisse être l’action d’une force, on peut toujours, par la nature du Calcul différentiel, la regarder comme constante pendant un temps infiniment petit, et la vitesse engendrée par cette force est alors proportionnelle à la force multipliée par le temps ; par conséquent, la force elle-même sera exprimée par la vitesse divisée par le temps.

En prenant l’élément du temps pour constant, les forces accélératrices dont il s’agit seront exprimées par

et, en multipliant ces forces par la masse du corps sur lequel elles agissent, on aura

pour les forces employées immédiatement à mouvoir le corps pendant le temps parallèlement aux axes des coordonnées On regardera donc chaque corps du système comme poussé par de pareilles forces ; par conséquent, toutes ces forces devront être équivalentes à celles dont on suppose que le système est sollicité, et dont l’action est modifiée par la nature même du système ; et il faudra que la somme de leurs moments soit toujours égale à la somme des moments de celles-ci, par le théorème donné dans la première Partie (sect. II, art. 15).

4. Nous emploierons dans la suite la caractéristique ordinaire pour représenter les différentielles relatives au temps, et nous dénoterons les variations qui exprimentles vitesses virtuelles par la caractéristique comme nous l’avons déjà fait dans quelques problèmes de la première Partie.

Ainsi l’on aura

pour les moments des forces

qui agissent suivant les coordonnées et tendent à les augmenter la somme de leurs moments pourra donc être représentée par la formule

S

en supposant que le signe d’intégration S s’étende à tous les corps du système.

5. Soient maintenant les forces accélératrices données, qui sollicitent chaque corps du système vers les centres auxquels ces forces sont supposées tendre ; et soient les distances rectilignes de chacun de ces corps aux mêmes centres. Les différentielles représenteront les variations des lignes provenantes des variations des coordonnées du corps mais, comme les forces sont censées tendre à diminuer ces lignes, leurs vitesses virtuelles doivent être représentées par (Part. I, sect. II, art. 3) ; donc les moments des forces seront exprimés par et la somme des moments de toutes ces forces sera représentée par

S

Égalant donc cette somme à celle de l’article précédent, on aura

SS

et transposant le second membre,

SS

C’est la formule générale de la Dynamique pour le mouvement d’un système quelconque de corps.

6. Il est visible que cette formules ne diffère de la formule générale de la Statique, donnée dans la première Partie (sect. II), que par les termes dus aux forces qui produisent l’accélération du corps suivant les prolongements des trois coordonnées En effet, nous avons vu dans la Section précédente (art. 11) que ces forces, étant prises en sens contraire, c’est-à-dire étant regardées comme tendantes à diminuer les lignes doivent faire équilibre aux forces actuelles qui sont supposées agir pour diminuer les lignes de sorte qu’il n’y a qu’à ajouter aux moments de ces dernières forces ceux des forces pour chacun des corps pour passer tout d’un coup des conditions de l’équilibre aux propriétés du mouvement (Part. I, sect. II, art. 4).


7. Les mêmes règles que nous avons données dans la première Partie (sect. II), pour le développement de la formule générale de la Statique, s’appliqueront donc aussi à la formule générale de la Dynamique.

Il faudra seulement ohserver :

1o Que les différences que nous avions marquées par la caractéristique ordinaire pour représenter les variations, seront toujours marquées dorénavant par la caractéristique

2o Que la caractéristique sera toujours relative au temps ainsi que la caractéristique correspondante pour les intégrations, excepté dans les différences partielles, où il est indifférent quelle caractéristique on y emploie ;

3o Que, pour représenter les éléments d’une courbe ou d’une surface, ou, en général, d’un système composé d’une infinité de particules, on emploiera la caractéristique qui répond à la caractéristique intégrale S. Ainsi, lorsqu’on voudra étendre au mouvement les formules que nous avons données pour l’équilibre, dans la première Partie (sect. V, Chap. III et IV), il faudra changer partout la caractéristique en pour avoir l’expression de la somme des moments de toutes les forces.

8. Lorsque le mouvement se fait dans un milieu résistant, on peut regarder la résistance du milieu comme une force qui agit en sens contraire de la direction du corps et qui peut, par conséquent, être supposée tendante à un point de la tangente.

Supposons que la résistance soit pour avoir son moment il n’y a qu’à considérer qu’on a, en général,

étant les coordonnées du centre de la force donc

Prenons le centre de la force dans la tangente de la courbe décrite par le corps et très près de lui ; on fera, pour cela,

ce qui donnera, en prenant pour l’élément de la courbe,

et, par conséquent,

Si le milieu résistant était en mouvement, il faudrait composer ce mouvement avec celui du corps pour avoir la direction de la force de résistance. Nommons les petits espaces que le milieu parcourt parallèlement aux axes des coordonnées pendant que le corps décrit l’espace il n’y aura qu’à retrancher ces quantités de pour avoir les mouvements relatifs ; et, comme

si l’on fait

on aura, dans ce cas,

À l’égard de la résistance elle est ordinairement une fonction de la vitesse mais, dans le cas où le milieu est en mouvement, elle sera fonction de la vitesse relative

De cette manière, on pourra appliquer nos formules générales aux mouvements qui se font dans des milieux résistants, sans avoir besoin d’aucune considération particulière à ces sortes de mouvements.

9. Il est important de remarquer que l’expression

par laquelle la formule générale de la Dynamique diffère de celle de la Statique (art. 5), est indépendante de la position des axes des coordonnées

Car, supposons qu’à la place de ces coordonnées on substitue d’autres coordonnées rectangles qui aient la même origine, mais qui se rapportent à d’autres axes. Par les formules de la transformation des coordonnées, données dans la première Partie (sect. III, art. 10), on a

Différentions ces expressions de en y regardant tous les coefficients comme constants et les nouvelles coordonnées comme seules variables, on aura

On aura de même

Substituant ces valeurs et ayant égard aux équations de condition données dans l’article cité, entre les coefficients on aura

Si l’on fait les mêmes substitutions dans l’expression des distances rectilignes entre les différents corps du système, représentées par il est facile de voir que les quantités disparaîtront également et que les transformées conserveront la même forme. En effet, on a

étant les coordonnées d’un corps et celles d’un autre corps rapportées aux mêmes axes. Par le changement des axes, les premières deviennent et, si l’on désigne par ce que les dernières deviennent, on aura aussi

Substituant et ayant égard aux mêmes équations de condition, on aura

et ainsi des quantités analogues

10. Il s’ensuit de là que, si le système n’est animé que par des forces intérieures proportionnelles à des fonctions quelconques des distances entre les corps, et que les conditions du système ne dépendent que de la disposition mutuelle des corps, de manière que les équations de condition ne soient qu’entre les différentes lignes la formule générale de la Dynamique (art. 5) sera la même pour les coordonnées transformées que pour les coordonnées primitives Donc, après avoir trouvé, par l’intégration des différentes équations déduites de cette formule, les valeurs des coordonnées de chaque corps exprimées en temps, si l’on prend ces valeurs pour on aura, pour les coordonnées ces valeurs plus générales

dans lesquelles les neuf coefficients renferment trois quantités indéterminées, puisqu’il n’y a entre elles que six équations de condition.

Si les valeurs de renferment toutes les constantes arbitraires nécessaires pour compléter les différentes intégrales, les trois indéterminées dont il s’agit se fondront dans ces mêmes constantes arbitraires ; mais elles pourront suppléer celles qui manqueraient, et dont le défaut rendrait la solution incomplète. Ainsi, au moyen de ces trois nouvelles arbitraires qu’on peut introduire à la fin du calcul, on sera libre de supposer nulles ou égales à des quantités déterminées autant d’autres constantes arbitraires, ce qui servira souvent à faciliter et simplifier le calcul.

11. Quoiqu’on puisse toujours calculer les effets de l’impulsion et de la percussion comme ceux des forces accélératrices, cependant, lorsqu’on ne demande que la vitesse totale imprimée, on peut se dispenser de considérer ses accroissements successifs ; et l’on peut, tout de suite, regarder les forces d’impulsion comme équivalentes aux mouvements imprimés.

Soient donc les forces d’impulsion appliquées à un corps quelconque du système, suivant les lignes supposons que la vitesse imprimée à ce corps soit décomposée en trois vitesses représentées par suivant les directions des axes des coordonnées on aura, comme dans l’article 5, en changeant les forces accélératrices dans les vitesses l’équation générale

SS

Cette équation donnera autant d’équations particulières qu’il y restera de variations indépendantes après avoir réduit toutes les variations marquées par au plus petit nombre possible, d’après les conditions du système.


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