Mécanique analytique/Notes du volume 1/Note 8

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIp. 492-497).

NOTE VIII.

Sur les oscillations infiniment petites d’un système de corps ;
par M. G. Darboux.


Au début de la Section sixième (p. 369), Lagrange étudie d’une manière approfondie les oscillations très petites qu’exécutent les différents corps d’un système lorsqu’on les écarte très peu de leur position d’équilibre. L’emploi des admirables résultats que lui doit la Mécanique analytique permettait seul d’aborder avec succès cette question, une des plus importantes et des plus générales qui se présentent dans la théorie du mouvement. Quelques-uns des résultats que Lagrange énonce ne sont pas suffisamment établis. La solution du problème dépend de la résolution d’une équation algébrique que Lagrange apprend à former ; cette équation n’a jamais de racines imaginaires, mais, contrairement aux affirmations de l’illustre géomètre, elle peut très bien avoir des racines égales. C’est ce que nous mettrons en évidence en suivant une méthode de réduction des formes quadratiques qui est due à M. Kronecker.

Considérons deux formes quadratiques homogènes

(1)

qui dépendent de variables La formule

désigne une constante qui peut prendre toutes les valeurs possibles, définira ce que nous appellerons, avec M. Kronecker, un faisceau de formes quadratiques. L’équation algébrique

(2)
détermine, comme on sait, les valeurs de pour lesquelles la forme quadratique se réduit à une somme composée de moins de carrés cette équation ne sera jamais vérifiée identiquement si la forme par exemple, a son déterminant différent de zéro.

Cela posé, nous commenceronspar établir le lemme suivant :

Appelons, suivant l’usage, forme définie toute fonction quadratique de variables qui est réductible à une somme de carrés tous de même signe, et qui, par suite, ne peut s’annuler que si l’on attribue des valeurs nulles à toutes les variables dont elle dépend. Nous allons montrer que, si l’équation a une seule racine imaginaire, il est impossible que la forme quadratique ou toute autre forme du faisceau, soit une forme définie.

Soit, en effet, cette racine imaginaire de l’équation (2) ; la forme quadratique

sera une somme composée de moins de carrés. On pourra donc écrire

(3)

désignant des fonctions linéaires réelles des variables Si l’on égale les parties réelles et les parties imaginaires dans les deux membres, on aura

et, par conséquent,

On peut, évidemment, donner à cette équation la forme suivante

les, constantes étant toutes réelles. La fonction s’annulera donc si l’on pose, pour toutes les valeurs de l’indice

(4)

Les équations ainsi obtenues sont en nombre inférieur à elles sont linéaires par rapport aux variables et, de plus, tous leurs coefficients sont réels. Il sera donc possible d’y satisfaire par des valeurs réelles de qui ne soient pas toutes nulles. Par suite, la forme s’annulant par des valeurs réelles des variables indépendantes qui ne sont pas toutes nulles, ne pourra être une forme définie, quelle que soit d’ailleurs la valeur attribuée à

Si l’on veut démontrer ce résultat pour la forme seulement, on pourra répéter le raisonnement précédent en substituant au système (4) les équations suivantes :

On conclut immédiatement de la proposition précédente que, si un faisceau de formes quadratiques contient une seule forme définie, l’équation en relative à ce faisceau a nécessairement toutes ses racines réelles.

C’est ce qui aura lieu, en particulier, si, comme nous le supposerons dans la suite, est une forme définie.

D’après cela, soit une racine, nécessairement réelle, de l’équation (2). La fonction quadratique pourra être ramenée à la forme

(5)

désignant des fonctions linéairement indépendantes de et étant au plus égal à

On peut adopter comme nouvelles variables indépendantes et les substituer à un nombre égal des variables primitives. Si, par exemple, on peut déduire des formules qui expriment les valeurs de on choisira comme nouvelles variables indépendantes

On aura alors

(6)

désignant la partie qui contient les seules variables celle qui contient les produits des variables par les variables et celle qui ne renferme que les variables Pour réduire encore l’expression de nous nous appuierons sur la remarque suivante.

Étant donnée une forme définie de variables si l’on annule un certain nombre des variables, par exemple, il reste une forme définie des variables

En effet, si cette forme n’était pas définie, elle s’annulerait pour des valeurs des variables qui ne seraient pas toutes nulles ; et l’un de ces systèmes de valeurs, combiné avec les valeurs nulles des variables suivantes annulerait la forme primitive, qui, contrairement à l’hypothèse, ne serait pas définie.

Il résulte de la remarque précédente que, dans l’expression (6) de les parties et sont des formes définies par rapport aux variables dont elles dépendent. On pourra donc réduire à une somme de carrés

tous de même signe, positifs par exemple si la forme est positive, où les désignent des fonctions indépendantes de que nous substituerons à ces dernières variables.

Alors la partie prendra la forme

étant des fonctions linéaires de et pourra s’écrire

Si nous introduisons enfin les nouvelles variables

nous obtiendrons cette expression définitive de

(7)

et, d’après une remarque déjà faite, sera encore une forme définie des variables dont elle dépend.

L’équation (5) nous permet de calculer et nous donne

(8)

désignant, pour abréger, la fonction quadratique

qui dépend exclusivement des variables

Toutes les hypothèses faites au début s’appliquent maintenant aux deux formes et qui sont analogues à et à mais qui dépendent d’un moins grand nombre de variables. On pourra donc appliquer de nouveau à ces deux formes la méthode que nous avons suivie, et continuer de la même manière jusqu’à ce que l’on ait épuisé toutes les variables. Le résultat final est évidemment le suivant :

On peut toujours expriner les deux formes quadratiques et de la manière suivante

les quantités étant des fonctions linéaires, réelles et indépendantes des variables primitives, et les constantes étant les racines nécessairement réelles, mais égales ou inégales, de l’équation (2).

La proposition précédente joue un rôle capital dans un grand nombre d’applications. Considérons, en particulier, le problème des oscillations infiniment petites ; la méthode suivie par Lagrange revient à exprimer toutes les variables dont dépend la position du système en fonction de variables nouvelles

qui seront indépendantes et qui seront toutes nulles dans la position d’équilibre. D’après cela, si l’on suppose que tous les corps soient très voisins de leur position d’équilibre et que les vitesses imprimées à ces corps soient aussi infiniment petites, toutes les variables précédentes seront très petites, et il en sera de même de leurs dérivées

Calculons la demi-force vive et la fonction des forces en les réduisant à leurs termes de moindre dimension. On aura

désignant une forme quadratique des dérivées qui, par sa nature, sera une forme définie.

Quant à la fonction des forces, si l’on désigne par sa valeur dans la position d’équilibre, on aura

désignant une forme quadratique des variables

Appliquons la méthode de M. Kronecker aux deux fonctions

nous pourrons, par une même substitution linéaire à coefficients constants, les réduire aux formes simples

Les quantités seront les racines de l’équation en relatives au faisceau elles seront toutes positives si la fonction des forces est un minimum dans la position d’équilibre.

Les variables et se transformant de la même manière quand on applique une substitution linéaire, on aura nécessairement

et, par suite, les équations de Lagrange (p. 374) deviendront ici

Les quantités qui sont toujours réelles, pourront cependant devenir égales, comme nous l’avons établi plus haut. Néanmoins, le résultat essentiel indiqué par Lagrange subsistera encore si la fonction des forces est un minimum dans la position d’équilibre, les constantes ai seront toutes positives, et les intégrales des équations différentielles précédentes ne contiendront jamais le temps en dehors des signes sinus ou cosinus.

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