Mécanique analytique/Notes du volume 1/Note 7

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIp. 484-491).
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Note du tome I

NOTE VII.

Sur un théorème de Poisson.


Poisson a fait connaître, dans l’un de ses Mémoires, un théorème très général sur lequel il avait fondé une manière nouvelle de présenter la théorie de la variation des constantes arbitraires. Quoique ce théorème semblât extrêmement remarquable en lui-même, Poisson se contenta de l’appliquer au but spécial qu’il se proposait, sans indiquer même qu’il fût possible d’en faire un autre usage. Plus de trente années après, au moment même de la mort de Poisson, l’attention des géomètres fut appelée de nouveau sur ce point par l’illustre Jacobi, qui signala le théorème de Poisson comme un résultat prodigieux, et le plus important à ses yeux de toute la science du mouvement. Jacobi n’ajoutait d’ailleurs aucun développement à cette assertion, sur laquelle ses œuvres posthumes nous donneront peut-être quelques détails. Le but de cette Note est de faire connaître le théorème de Poisson et d’indiquer le parti que l’on peut en tirer pour l’intégration des équations différentielles de la Mécanique.

I.

Considérons un problème quelconque de Mécanique auquel s’applique la transformation de M. Hamilton exposée dans la Note précédente. Soient

(1)

les équations différentielles de ce problème. Si l’on suppose connues deux intégrales de ce système d’équations, contenant chacune une constante arbitraire et résolues par rapport à ces constantes,

(2)
(3)

le théorème de Poisson consiste en ce que l’expression

(4)

qu’il désigne par conserve une valeur constante pendant la durée du mouvement ; en sorte que, si l’équation

n’est pas une identité, elle sera une intégrale du système d’équations différentielles proposé.

Pour démontrer cette proposition, nous allons former la dérivée de l’expression et vérifier qu’elle est nulle ; on a

(5)

Or, et étant des intégrales du système (1), et sont nuls identiquement lorsque l’on a égard à ces équations, et l’on a

si l’on différentie ces deux équations par rapport à et à désignant un indice quelconque, on aura

(6)
(7)

et deux autres équations qui ne différeraient de celles-là que par le changement de en

On a d’ailleurs

en vertu de ces relations, les équations (6) et (7) peuvent s’écrire

(8)
(9)

et l’on aurait de même

(10)
(11)

Si l’on déduit des équations (8), (9), (10), (11) les valeurs de pour toutes les valeurs de l’indice et qu’on les reporte dans l’équation (5) que nous voulons démontrer, on obtiendra une identité, comme on s’en assure bien simplement en remarquant qu’après cette substitution tous les termes du second membre contiennent en facteur une seconde dérivée de la fonction en réunissant les termes qui correspondent à la même dérivée, on verra qu’ils sont au nombre de quatre et se détruisent deux. On en conclut

et, par suite,

ce qui est précisémentle théorème de Poisson.

Si est une fonction des variables que l’on ne puisse pas considérer comme fonction de et de cette équation sera une troisième intégrale que l’on pourra combiner avec les deux intégrales et de manière à former une nouvelle expression constante qui, dans certains cas, pourra être une quatrième intégrale, et ainsi de suite. Malheureusement, les cas dans lesquels ce procédé ne conduit pas à des intégrales nouvelles sont excessivement nombreux. Nous allons donner quelques détails sur cette question importante.

II.

Soient

les intégrales d’un problème de Mécanique représentant des fonctions des inconnues et de la lettre qui conservent la même valeur pendant toute la durée du mouvement. Une fonction arbitraire de partagera évidemment la même propriété, et nous pourrons regarder

comme étant aussi une intégrale des équations différentielles du mouvement.

Si nous considérons une seconde intégrale

et désignant deux fonctions arbitraires, on vérifiera bien facilement, par les seules règles de la différentiation, qu’en combinant les deux intégrales et comme il a été dit dans le paragraphe précédent, on obtiendra identiquement

Cette formule fournit le résultat de la combinaison de deux intégrales et en fonction des résultats obtenus par la combinaison des intégrales dont et dépendent ; elle nous sera fort utile.

III.

Lorsque l’on connaît deux intégrales, que nous désignerons, pour abréger, par le nom des constantes et qui y figurent, il peut arriver, de deux manières différentes, que le résultat de leur combinaison ne fournisse pas une intégrale nouvelle. Cela aura lieu, en effet, si l’expression est identiquement constante, et si, sans être identiquement constante, elle est fonction de et de de manière à pouvoir résulter de la combinaison de ces deux intégrales. Il est important d’examiner ces deux cas et de reconnaître s’ils doivent fréquemment se présenter. Nous démontrerons d’abord un théorème qui permet de les rattacher l’un à l’autre.

Si

sont deux intégrales d’un même problème, telles que soit une fonction de et de il existe toujours une fonction de et de qui, égalée à une constante fournira une intégrale telle que soit identiquement l’unité.

On en effet, d’après la formule du paragraphe précédent,

si donc est, comme on l’a supposé, fonction de et de on pourra toujours déterminer par la condition

et faire en sorte que soit égal à l’unité.

IV.

Après avoir montré que les deux cas dans lesquels le théorème de Poisson donne des résultats illusoires sont liés intimementl’un à l’autre, nous allons nous borner à étudier les intégrales qui, combinées avec une intégrale donnée, donnent à l’expression de Poisson une valeur identiquement constante.

Nous démontrerons le théorème suivant :

Quelle que soit une intégrale donnée on peut toujours compléter la solution du problème en lui adjoignant d’autres intégrales qui, combinées avec donnent à l’équation de Poisson une forme identique, de telle sorte que l’on ait

Nous commencerons par remarquer que, quelle que soit l’intégrale il est impossible qu’il n’en existe pas moins une autre telle que soit différent de zéro. Si, en effet, il en était autrement, l’équation

dans laquelle la fonction est regardée comme inconnue, admettrait toutes les solutions de l’équation

qui exprime que est une intégrale. Or, ces deux équations étant linéaires et contenant le même nombre de variables indépendantes, ne peuvent avoir la même intégrale générale sans être identiques, ce qui exige, évidemment, que ex soit une fonction de c’est-à-dire que l’intégrale donnée soit celle des forces vives. Mais, dans ce cas-là même, il existe une intégrale qui, combinée avec, donne pour résultat l’unité ; c’est celle dont la constante est ajoutée au temps. Notre assertion est donc démontrée dans tous les cas.

Nous montrerons, en second lieu, qu’à une intégrale donnée il en correspond toujours au moins une autre telle que

Soit, en effet, une intégrale, telle que soit différent de zéro. Posons

et arrêtons-nous lorsque l’une des intégrales sera identiquement constante ou fonction des précédentes. Il est impossible que l’un de ces cas ne finisse pas par se présenter, car le nombre des intégrales distinctes est nécessairement limité. Supposons, par exemple, que l’on ait

la fonction pouvant se réduire à une simple constante. Soit une nouvelle intégrale que je nomme on aura

et, en posant on obtiendra une équation différentielle de laquelle on déduira

Nous pouvons actuellement donner la démonstration du théorème qui fait l’objet de ce paragraphe.

Une intégrale étant donnée, on peut toujours compléter la solution du problème par des intégrales telles que

L’existence de l’intégrale telle que a été démontrée plus haut. Il reste donc à prouver qu’il existe intégrales distinctes de et de qui, combinées avec donnent à l’équation de Poisson la forme Nommons, en effet, le nombre des intégrales qui remplissent cette condition, et désignons-les par Si est moindre que il existera des intégrales indépendantes de celles-là, ainsi que de et de Soit une de ces intégrales, posons

sera, par hypothèse, différent de zéro. Il le sera également de l’unité, car on aurait sans cela

et serait alors, d’après ce que nous avons supposé, fonction de en sorte que ne serait pas une intégrale nouvelle.

Posons

et ainsi de suite, jusqu’à ce que nous arrivions à une intégrale identiquement constante ou fonction des précédentes. Soit

cette intégrale, et posons

nous aurons

et, en égalant à zéro, on obtiendra évidemment une équation en, dont l’intégrale fournira des solutions fonctions de et distinctes de car, sans cela, il existerait, contrairement à ce que l’on a supposé, une relation entre les intégrales obtenues avant

Nous avions donc fait une hypothèse impossible en limitant à le nombre des intégrales qui, combinées avec donnent un résultat identiquement nul, et il est impossible que soit différent de

Le théorème énoncé est, par conséquent, démontré.

V.

D’après ce qui précède, une intégrale étant donnée, on peut compléter la solution du problème par des intégrales qui, combinées avec donnent toutes à la formule de Poisson une formule identique. Il ne faut pas croire cependant que toutes les intégrales du problème soient pour cela dans le même cas.

Considérons, en effet, l’intégrale la plus générale

on aura, d’après la formule du paragraphe II,

et, par conséquent, l’expression ne sera identiquement constante que si est constant lui-même ; mais on voit que toutes les intégrales, en nombreinfini, qui résultent de la combinaison de donneront un résultat identiquement nul, si on les combine avec Celles-là seules, qui contiennent peuvent conduire à des résultats non identiques. Les deux intégrales et se trouvent, d’après cela, liées l’une à l’autre d’une manière toute spéciale, et je proposerai de les désigner sous le nom d’intégrales conjuguées. Les propriétés de ces intégrales conjuguées formeraient une étude intéressante, dont les développements ne doivent pas trouver place ici. Pour l’application que l’on peut faire du théorème de Poisson à l’intégration des équations différentielles de la Mécanique, je renverrai à un Mémoire publié dans le tome XVII du Journal de M. Liouville, page 393.

(Note de M. J. Bertrand.)

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