Notice au Lysis de Platon
Les Belles Lettres (Œuvres complètes de Platon, tome IIp. 125-129).



NOTICE



Le Lysis ressemble au Charmide par sa forme narrative et non simplement dramatique : Socrate est censé raconter son entretien à un ami, qui n’est pas nommé. Nous avons vu que cette forme de dialogue semble appartenir à la première période de la carrière de Platon.

Comme dans le Charmide aussi, le lieu de la scène est une palestre, fréquentée par une nombreuse jeunesse : les éphèbes et les enfants s’y pressent en foule. Ordinairement, ces deux classes sont séparées ; mais c’est le jour de la fête d’Hermès, patron des gymnases, et ce jour-là elles ont la liberté de se réunir ; de sorte que nous voyons à la fois, dans le Lysis, des éphèbes comme Hippothalès et des enfants encore conduits par leurs pédagogues, comme Lysis et Ménexène.

Par la vivacité gracieuse des tableaux, par l’harmonie de la composition, le Lysis rappelle également le Charmide, et la convenance entre le sujet de la discussion et les personnages n’y est pas moins étroite : le sujet de l’entretien, en effet, est la nature de l’amitié, dont Lysis et Ménexène, enfants tous deux, présentent une agréable image.

Ici enfin, comme dans le Charmide, la discussion n’aboutit à aucune conclusion ferme et semble purement négative. Mais en réalité, et plus encore que dans le Charmide, elle laisse pressentir des théories nettement platoniciennes.

Revenons sur ces différents points.



I

LES PERSONNAGES


Les interlocuteurs de Socrate sont au nombre de quatre : Lysis, Ménexène, Hippothalès et Ctésippe. Tous sont des personnages réels, mentionnés à diverses reprises par Platon, et appartenant à de grandes familles athéniennes ; mais aucun d’eux n’a joué de rôle historique marquant, de sorte que nous en sommes réduits, sur leur compte, aux indications données par Platon lui-même, ou peu s’en faut.

Lysis est fils de Démocratès, du dème d’Aixonée. Sa famille est célèbre par ses richesses, ses chevaux, ses victoires aux grands jeux de la Grèce (Lysis, 205 c). Lui-même est au premier rang des enfants par sa beauté. Son âge n’est pas indiqué avec précision, mais nous voyons qu’il est déjà assez habile à jouer de la lyre (209 c) : il peut donc avoir au moins une douzaine d’années. D’autre part, sa discussion avec Socrate prouve qu’il a déjà lu nombre de poètes. On ne saurait cependant lui attribuer un âge beaucoup plus avancé, à en juger par sa timidité et sa modestie, et par la manière dont sa mère, dit-il, lui donnerait sur les doigts, s’il s’avisait de toucher à ses fuseaux.

Ménexène, fils de Démophon, est à peu près du même âge, et il est le grand ami de Lysis. À la question de Socrate qui lui demande lequel des deux est le plus âgé, il répond évasivement : « Nous en disputons » (207 c). Il semble cependant l’aîné de Lysis. Ménexène est nommé dans le Phédon (59 b) et il a donné, comme on sait, son nom à un dialogue de Platon. Ses ancêtres ne sont pas moins illustres que ceux de son ami Lysis (Ménexène, 234 a). L’amitié des deux enfants est d’une délicatesse naïve et charmante.

Hippothalès, fils d’Hiéronymos, est aussi un admirateur de Lysis, mais avec moins de naïveté que Ménexène. Il est plus âgé ; il a de quinze à dix-huit ans ; il compose des écrits en vers et en prose en l’honneur de celui qu’il aime. Diogène Laërce le cite parmi les disciples de Platon (III, 46) : c’est tout ce que nous savons de lui.

Ctésippe, enfin, du dème de Péanée, est un disciple de Socrate plusieurs fois nommé par Platon. Il était cousin de Ménexène (206 b). Dans le Lysis, il n’a qu’un rôle secondaire : il accompagne Socrate au gymnase, le met en relations avec les jeunes gens, et trace le portrait d’Hippothalès.



II

LA COMPOSITION


Le dialogue s’ouvre par un préambule, destiné, comme d’habitude, à marquer le lieu de la scène, à présenter les personnages et à introduire le sujet de la discussion. Tout en se dirigeant vers la palestre avec Hippothalès, Socrate découvre l’amour de celui-ci pour Lysis, et comme Ctésippe se moque à ce propos des poèmes et de la prose d’Hippothalès, Socrate déclare qu’il lui enseignera la vraie manière de parler à un ami : l’accabler de vains compliments, est une sottise. On entre. La fête d’Hermès vient de se terminer et les enfants jouent aux osselets ou se dispersent. À l’entrée de Socrate, Lysis, Ménexène, d’autres encore se rapprochent peu à peu et l’entretien s’engage.

Socrate demande à Lysis s’il est bien certain que ses parents l’aiment fort. Sur la réponse affirmative de Lysis, Socrate lui fait remarquer le caractère de cette affection des parents, qui ne lui laissent aucune liberté sur une foule de choses, et il l’amène à trouver la raison de cette conduite dans son ignorance de ces choses. L’amitié ne peut reposer, pour être complète, que sur la confiance inspirée par le savoir utile et efficace de l’ami.

À ce moment, Ménexène, qui s’était absenté pour une cérémonie religieuse, revient, et c’est avec lui que Socrate continue la discussion : qui est l’ami, celui qui aime ou celui qui est aimé ? La solution n’apparaissant pas, Socrate pose la question autrement et examine avec Lysis, qui a manifesté vivement l’intérêt qu’il prend au débat, les causes attribuées par les poètes, « ces pères de toute science », à la naissance de l’amitié.

Les uns font naître l’amitié de la ressemblance, les autres de la contrariété. On reconnaît là les théories des Empédocle, des Héraclite, et certaines sentences proverbiales d’Hésiode. Une dialectique subtile montre que les deux explications sont également insuffisantes, soit qu’il s’agisse de deux êtres absolument bons, ou absolument mauvais, ou l’un bon et l’autre mauvais.

Reste donc une seule solution possible : c’est qu’il y ait une certaine convenance ou parenté entre deux êtres dont l’un serait bon et l’autre ni tout à fait bon ni tout à fait mauvais. Encore faut-il que cette convenance n’aille pas jusqu’à une ressemblance complète. Mais est-ce possible ?

La discussion s’arrête sur ce doute. Au moment où Socrate médite de la reprendre, elle est brusquement interrompue par l’arrivée plaisante des pédagogues, esclaves à demi-barbares et un peu avinés, qui réclament les enfants. Avec eux, inutile de résister : il faut céder et lever la séance.



III

LA SIGNIFICATION PHILOSOPHIQUE


Malgré cette conclusion d’apparence négative, la vraie pensée de Platon n’est pas douteuse.

Pour que la « convenance » nécessaire à l’amitié ne soit pas une « ressemblance » complète, pour qu’il y ait, en d’autres termes, analogie et non identité, il faut qu’il existe à la fois de l’absolu et du relatif. La ressemblance complète n’existe qu’entre deux absolus, soit en bien, soit en mal, et ni l’un ni l’autre de ces deux couples, en vertu de la discussion précédente, ne sont capables d’amitié. Il reste donc que le bien, soit absolu, soit relatif, éveille l’amitié d’un être bon, mais non absolument bon, capable par conséquent de sentir ce qui lui manque et de le désirer. On reconnaît là le fond même de la théorie platonicienne des Idées et du Bien, telle qu’elle est exposée dans le Banquet et dans la République. La forme négative de la conclusion, bien loin de trahir quelque incertitude dans la pensée de Platon, prouve que ses lecteurs étaient assez informés de sa doctrine pour ne pas risquer de s’y tromper. Il ne faut donc pas placer la date du Lysis trop tôt dans la vie de Platon. D’autre part, la forme narrative du dialogue oblige, ainsi que nous l’avons vu pour le Charmide, à ne pas le placer trop tard. Disons donc, sans chercher une précision impossible, qu’il appartient très vraisemblablement à une période voisine de celle des grands dialogues antérieurs au Théétète.



IV

LE TEXTE


Mêmes sources que pour le Charmide.