Lyndamine ou l’Optimisme des pays chauds/1

Giovane Della Rosa (J. Gay) (p. 9-29).
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CHAPITRE PREMIER

ENFANCE DE LYNDAMINE


Le germe qui m’a formée fut élaboré dans le sein d’un mâle vigoureux, et porté dans les flancs d’une femme bouillante qui m’a donné la plus forte végétation. Enfin, j’existe, et je bénis mon existence. C’est dans le centre d’une ville féconde en nymphes bienfaitrices de l’humanité que j’ai vu le jour. Il fallait bien que mon tempérament participât de la vigueur de mon père et de la chaleur de ma chère mère. Dès l’âge de dix ans, je donnais déjà des preuves de puberté ; je ne veux pas dire que dès cet âge je faisais des libations à la lune, car je ne m’en souviens pas ; mais un feu dévorant me faisait déjà porter la main vers le centre de ce portique auguste dont nos messieurs sont si jaloux et dont j’ignorais le savant usage.

Une femme qui a pompé le jus de la vie est plus qu’une autre en garde pour ses enfants. On dirait que le vice veuille prêcher la vertu. Ma très honorée mère, assez satisfaite de la charmante épreuve qu’elle avait faite du plaisir, craignit que je ne fusse tentée de l’imiter. Un beau jour, sous le prétexte de me guérir un petit bouton que j’avais à la cuisse et dont je me plaignais, elle s’aperçut que déjà mon trésor s’ombrageait, et que je ne sais quelle pièce où réside le sentiment des femmes, prenait de la longueur, de la couleur, de la raideur.

— Oh ! oh ! dit-elle en s’écriant sans y penser, cette petite fille est déjà en chaleur ; il faut, ma foi, la mettre sous clef, sans cela sa cloison sera bientôt forcée. Eh ! que de mal sur la terre !

Je n’entendais rien à cette exclamation ; aussi ne m’affecta-t-elle pas ; mais quelques mois après, ma mère m’annonça que je lui devais les plus grandes actions de grâces, qu’elle s’épuisait pour mon éducation, et qu’elle me recommandait d’être sage jusqu’à la mort. Elle finissait à peine ces mots, qu’une bégueule en béguin et portant croix d’argent, entre, salue ma mère en tendant le cul, lui demande sa fille, et m’invite à la suivre.

— Mignonne, me dit ma chère mère, ton trousseau est d’avance chez les Dames Visitandines ; cette sœur va te conduire au port du salut. Si je suis contente de toi, je ne tarderai pas à te rappeler. Apprends dans le couvent à être honnête fille et bonne chrétienne. Si tu te laissais coiffer du même béguin, je m’en consolerais, et tu serais au mieux.

J’étais assez enfant pour ne faire aucune réflexion. J’obéis en pleurant et en embrassant ma tendre mère, qui fondait en larmes. La tourière, qui faisait l’Agnès, nous consola toutes les deux. La cruelle séparation se fit.

J’entre dans le couvent. Qu’y vois-je ? Quatre ou cinq vieilles sempiternelles qui se soutiennent à peine, qui me parlent du nez, et m’envoient, en parlant, l’odeur infecte de leur estomac putride. Je m’avise, moi, de leur faire une révérence si profonde (cela me paraissait du cérémonial), que je tombai le derrière par terre, et que je manquai de faire la pirouette. Les révérendes mères, dont les yeux étaient modestement baissés, entrevirent des charmes qu’elles eussent désirés. Leur tête se renverse, l’une s’enfuit, l’autre gémit, une troisième dit tout bas :

— Cette vilaine a montré son cul !

La prieure pince les lèvres, ordonne le silence et me dit gravement :

— Vous venez, ma fille, de faire une révérence indécente ; l’on vous apprendra, par la suite, comment une fille modeste doit saluer. Sœur Cunégonde, conduisez cette enfant au pensionnat.

La sœur Cunégonde, qui, comme les autres, avait vu mon auguste derrière et son faubourg, ne leva point les épaules et ne fut pas assez sotte pour soupirer. J’en conclus, tout enfant que j’étais, qu’elle avait un peu plus de bon sens que les douairières. Quoi qu’il en soit, je traverse avec elle plusieurs corridors et dortoirs. J’arrive enfin à l’appartement des pensionnaires, où la mère maîtresse me reçut à la tête de son troupeau.

Je vais dire tout de suite ce qui me frappa : ce sera autant de dit pour la suite de mon histoire.


Cul de lampe de fin de paragraphe
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ARTICLE PREMIER

Modèle du pensionnat des nonnes


La mère maîtresse, bien différente de ces grogneuses qui m’avaient reçue au tour, me parut aimable : elle m’embrassa très affectueusement, m’appela sa fille, sa petite amie, et m’ajouta que, si je lui donnais autant de consolation que toute cette jeunesse qui était présente et avec laquelle j’allais vivre, j’aurais lieu de bénir mon sort et d’en souhaiter la durée.

Tandis que cette bonne mère faisait son sermon, qui me plut parce qu’il me parut court et raisonnable, mes yeux enfilèrent ceux d’une pensionnaire dont la figure m’intéressa. L’on sait que notre sort dépend souvent des premières impressions. Ce sont celles de la nature, et je les respecte : l’expérience justifie mon opinion, en attendant que de graves sorbonistes en décident, j’y tiens et j’ajoute que mon petit cœur me parla pour cette camarade, et que son cœur lui dit que je serais sa fidèle amie. Nous ne tardâmes pas à nous rapprocher, et à cette époque j’appris à défendre l’optimisme des pays chauds.

Nos premières conversations et nos premiers plaisirs furent sur le ton du pensionnat. Toutes les jeunes demoiselles se voyaient, se parlaient, jouaient ensemble, tandis que le caractère faisait son choix. Insensiblement, Émilie jouait et parlait plus volontiers avec moi ; je parlais et je jouais plus volontiers avec Émilie ; ainsi le cœur se déclare ; cette marche est encore dans la nature. Sans presque nous en apercevoir, nous parvînmes si solidement à nous connaître et à nous aimer que nous eûmes le secret de nous faire loger seules et dans une chambre à deux lits. Il en coûta d’abord quelques petites intrigues ; le lecteur s’en doute bien ; mais de quels projets ne vient-on pas à bout lorsque l’on est deux et d’accord et qu’il ne s’agit que d’être protégée par une fille dont l’âme tendre se rend à des caresses qu’on lui prodigue et à des soumissions qui préviennent ses ordres ? Émilie et moi nous tâchions de concert, par nos complaisances, de mériter cette préférence de la mère-maîtresse, et elle l’accorda. Il s’en fallait de beaucoup qu’elle devinât l’usage que nous devions faire de notre solitude, et l’espèce de plaisir que la nature et le besoin nous préparaient.

Dès le premier soir qu’Émilie put en liberté s’expliquer avec moi :

— Chère Lyndamine, me dit-elle, si tu n’es pas telle que je l’augure, je suis bien trompée ; nous sommes tête à tête ; parle. Ce n’est pas seulement l’âge, c’est encore, je crois, le tempérament qui nous réunit. N’es-tu pas enragée d’être fille ?

À ce propos, que je commençais pourtant à comprendre, je répondis que je ne l’entendais pas.

— Tu ne m’entends pas ? riposte-t-elle en feu, tes yeux te démentent. Sois sincère, tu m’entends, et tu brûles en faveur de l’optimisme. Tarie encore une fois, ou pour la vie nous nous brouillerons.

— Je serai vraie, dis-je ; belle Émilie, je ne sais ce que c’est que votre optimisme ; mais je sais que quelquefois je tressaille de joie. Si la source de l’optimisme est sous mes jupes, alors…

— Arrête ! s’écrie mon amie, tu vaux de l’or, et je ne me suis pas trompée : ta chaleur me l’annonçait. J’ai plus de leçons que toi ; tu seras donc mon écolière, et je me ferai un devoir de te transmettre toute ma science. Pour ce soir, tu n’en auras pas davantage. Couchons-nous et dors sans rêver. Demain je vole à ton lit une heure avant celle du réveil ; là, je te donnerai le plan de mes instructions, et la première réponse qu’une fille bien née doit faire à l’amour.

Je ne dormis guère et je rêvai beaucoup. Mon imagination s’enflamma : tout mon sang se porta vers le secret asile de l’amour, et j’étais étonnée des tressaillements, des postures, des vœux de toute la machine qui soupirait, et qui soupirait en vain. De temps en temps un froid cruel me saisissait ; j’étais anéantie. Nonchalamment je m’étendais dans mon lit ; je voulais dormir, et je pestais contre l’insomnie ; puis tout à coup, et plus éveillée que jamais, la fougue du sang m’étouffait. J’étendais les bras, j’embrassais un fantôme ; je le pressais sur mon sein, j’écartais les jambes ; je ne sais quoi me manquait pour me satisfaire.

— Dieux ! m’écriais-je, suis-je folle ? rêvai-je ? en mourrai-je ? Je nage dans une mer de délices. D’où vient qu’Émilie ne vient pas ?

Émilie n’avait guère plus dormi que moi ; elle n’avait perdu aucun de mes propos, et j’en avais à peine fini les derniers mots qu’elle se glissa dans mon lit.

— Me voici, dit cette aimable fille ; la pauvre Lyndamine souffre, et je veux la plonger dans l’extase.

Dans le même instant je sens une main qui me tâtonne entre les cuisses.

— À moi ! m’écriai-je avec vivacité.

— Veux-tu te taire ! me dit-elle d’un ton à me fermer la bouche ; je cherche ton petit bijou, et je veux m’assurer de ses grâces. Eh ! tu vas mettre en rumeur tout le pensionnat. Ce n’est pas le moyen de nous entendre.

J’eus bientôt la bouche close. Émilie, avec sa main délicate, parcourut tout ce qu’on appelle les charmes d’une fille, et promena ma main droite sur ses attraits correspondants.

— Sens donc, dit-elle ensuite, que je suis aussi bien fendue que tu l’es ; bientôt je toiserai tes jolis pays chauds et je te donne le même empire sur les miens ; mais ne fais pas la sotte. L’heure du lever approche, et nous devons profiter du temps. Je ne te dis plus qu’un mot : connais-tu tes parents ? Après ta réponse, je te donnerai des nouvelles de mon existence.

Je satisfis sa curiosité dans les mêmes termes que j’ai contenté celle de mes critiques lecteurs ; je n’en savais pas plus long.

— Ma foi, dit-elle, je suis donc plus sûre que toi de ma respectable généalogie ; elle ne se perd pas, je l’avoue, dans la nuit des siècles ; mais je sais positivement qu’un dévot directeur de pucelles, et qui les visitait pour les humilier, fut un jour inspiré par le Saint-Esprit d’éteindre les feux profanes d’une jolie femme de chambre de ***. Il en vint à son honneur avant de lui en donner l’absolution ; et, dans la crainte d’un rat, il eut la complaisance de répéter l’opération jusqu’à quatre fois. Tu vois, belle Lyndamine, par ce récit, que ma chère mère était au mieux, et que mon fervent père prêchait volontiers l’optimisme, même en écrivant. Je suis assez contente de la portion d’amour qu’ils m’ont transmise ; et, si la dose me manque, je sais encore où je dois emprunter du feu. Si nous vivons ensemble assez de temps, je te donnerai tous mes secrets ; maintenant nous sommes pressées. Donne ta main, que je la baise. Prends… la cloche sonne ; dépêchons-nous.

Émilie vole à ses jupes ; je prends les miennes ; nous fûmes aussitôt prêtes que les autres pensionnaires.

Pendant une semaine entière, nos nuits se passèrent aussi rigoureusement que celle-ci. À l’imitation de monsieur l’abbé, nos mains eurent les premières leçons de nos appas réciproques. Pour ma mémoire, elle n’hérita que de quelques mots qui me firent rougir pendant une minute pour m’amuser pendant vingt ans. Advint enfin la nuit célèbre qui devait consacrer nos essais, me donner le plan du plaisir, dont elle avait nourri mon espoir, et la précieuse image de l’optimisme le plus démontré.

Vers minuit, elle se lève, allume une chandelle, ouvre mes rideaux.

— Or sus ! Lyndamine, dit-elle en me frappant rudement sur les épaules, profitons du temps, ma belle, nous dormirons demain.

Au même instant, elle jette hors du lit les couvertures et les draps. Je me lève à ses ordres, je la prie de commander l’exercice. Avais-je aucun titre pour contester à ma maîtresse tous ses droits ?

— Ouvre les yeux, dit-elle, et fais exactement ce que je vais faire.

Elle quitte sa chemise, je quitte aussi la mienne ; elle s’approche les bras étendus, j’en fais autant ; elle m’embrasse d’abord et laisse tomber une de ses mains sur mes fesses et l’autre sur mon ventre ; ma main droite est aussitôt entre ses cuisses et ma gauche à son derrière : elle saisit à tâtons l’embouchure du sanctuaire de l’amour ; je parviens à mettre un doigt sur le limbe de son charmant portique ; elle essaie d’entr’ouvrir le canal ; je fais la même tentative ; un premier chatouillement nous fait faire le même mouvement de derrière en avant ; et peu s’en fallut qu’en voulant rire les pièces fussent ensanglantées.

Émilie, bien instruite, se retira la première.

— Eh bien ! s’écrie-t-elle comme une folle, que dis-tu de mon doigt, cela fait-il du bien ?

— Émilie, répondis-je, j’ai manqué de me pâmer : d’où vient cela ?

— Oh ! d’où vient cela ? ajoute-t-elle, laisse-moi faire, ma mignonne ; ce n’est pas mon doigt qu’il faut mettre là ; je t’y promets un instrument qui te donnera plus de plaisir mille fois, et pourtant il ne fera pas la moitié de la besogne.

La nuit suivante elle tint parole ; il fallut, à ordre, se mettre à cul nu ; elle s’assied ensuite sur une chaise fort basse, et m’ordonne d’approcher ; ma pauvre petite bouche était sous ses yeux ; elle les ouvre fort grands, se donne encore de la lumière en approchant la chandelle, et travaille à porter à droite et à gauche le faible duvet qui la gênait.

— Que cherchez-vous donc ? lui dis-je. Vous m’impatientez.

— Ma foi, répond-elle, je croyais que Lyndamine était mieux pourvue ; tu seras toujours une sotte fille. Vois cela, morbleu ?

Elle fait, en même temps, sortir d’un ample taillis un bout de chair plus gros de beaucoup et plus long que son doigt.

— Allons, ventre en l’air ! que je te donne une forte leçon.

J’obéis ; elle s’étend sur moi, plante ce bout saillant dans la jolie bouche qui ne s’ouvrait pas assez pour la satisfaire. Vingt coups de cul réciproques plongèrent enfin l’outil et me donnèrent un plaisir si voluptueux que je m’écriai :

— Ah ! je suis au mieux !

Et je perdis connaissance.

Émilie, triomphante, profita de mon extase pour se séparer et pour s’habiller. Je n’eusse pas eu le temps de me rendre au premier exercice des pensionnaires si cette fille attentive ne m’eût tirée de ma délicieuse indolence pour me presser de prendre une robe.

Ainsi, de nuit en nuit, j’acquérais des lumières autant qu’Émilie me donnait de plaisir ; mais elle ne développait sa science que par progression. Sans cesse elle me vantait les prouesses et me peignait faiblement la figure et la vigueur d’un dieu dont elle me faisait souhaiter les grâces. Je ne pouvais envisager un homme sans soupirer. Le confesseur, l’aumônier, le maître de danse, en un mot, quiconque portait une culotte enflammait mes désirs. J’eusse dans ma fureur sauté sur le premier mâle pour saisir le vainqueur dont j’ambitionnais les coups. Je balbutiais, et la prudente Émilie attendait le favorable instant qui devait éteindre mes feux et renouveler ses plaisirs. Elle disposait cette scène sans m’en rien communiquer et se contentait de tâter avec moi de la petite oie (ce sont ses termes). Ce mets me plaisait assez ; mais je voulais m’enivrer, et j’ignorais le pouvoir de la divine liqueur.

Ô détracteurs des nonnes et de leurs impuissants directeurs, vous pensez déjà qu’Émilie, séduite par le confesseur de nos mères, l’a consolé de leur glace et m’a fait partager ses faibles plaisirs. Détrompez-vous. Je sais bien qu’un directeur de nonnes est sans cesse sur des charbons ardents. Toutes ces jeunes béguines, détaillent avec tant de naïveté leurs soupirs, leurs faiblesses, leurs douloureux essais, leur sommeil voluptueux, qu’un saint, je crois, serait chatouillé et s’offrirait charitablement à tempérer la chaleur qui les dévore ; ce n’est pas pourtant à l’un de ces cafards que je dois le premier trait de l’amour.

La vigilante Émilie ménagea l’entrée d’un aimable cavalier dont la jeunesse et la force étaient plus sûres que celles du bouillant directeur de la maison : il fut conséquemment préféré. Il me fit adorer le joli dieu que j’ignorais auparavant, et plus je le prie, plus il mérite mes vœux. Je dois à ses faveurs d’en faire connaître le charmant propriétaire.

Nelson n’était pas un de ces jeunes évaporés qui prétendent de plein droit faire main basse sur toutes les filles ; il avait toute la décence de la bonne compagnie, ne lâchait de propos galants que pour flatter une jolie femme sans la faire rougir. Nelson aimait le plaisir ; mais il savait respecter celle qui daignait lui accorder des faveurs. Tel est le jeune homme que connaissait Émilie et que l’adroite tourière, à l’appât de quelques écus, introduisit de son appartement dans la cour du pensionnat, et de là dans notre chambre, tandis que la jeunesse était au réfectoire.

Je dois encore ajouter que la sœur Jeannette, en dépit des écus qui la tentaient, ne se prêta à cette intrigue qu’avec parole que Nelson ne se présenterait qu’en habit de femme. Ce fut donc sous de très belles jupes que Nelson nous apporta l’idole que nous voulions adorer. Il faut voir quelle fut ma surprise lorsque je rentrai pour me coucher.

La coquine d’Émilie, qui s’était promis de me faire tomber aux pieds du dieu de l’amour, ne m’avait rien dit de ses manœuvres. Lorsque l’heure sonna pour nous retirer, elle feignit quelques besoins, et me laissa rentrer seule. Je lève mon loquet en chantant, et je me dispose à goûter le même plaisir qu’elle m’avait déjà procuré. Une voix douce et tendre semble sortir de la ruelle de mon lit et me demande grâce.

— Qui est là ? dis-je assez émue.

Un grand corps en cotillon, et la tête couverte d’une calèche si profonde que je ne pus en voir le visage, se montre, me fait une révérence gauche et un compliment gracieux. Je me disposais à répondre malgré ma surprise, lorsque mon Émilie parut.

— Ah ! sois le bienvenu, s’écrie-t-elle, j’étais inquiète, mon cher Nelson ; nous n’avons pas le temps de disserter. Je t’aime, tu le sais. Cette belle enfant t’aimera aussi, si tu le veux. Es-tu homme ? il faut ici de la vigueur.

— Un homme en jupes ! dis-je à Émilie.

— Tais-toi, répond-elle encore une fois ; c’est pour t’amuser que j’ai trouvé le secret de l’introduire. As-tu belle grâce de faire l’étonnée ? Laisse tes cottes, Nelson ; tu sais ce qu’il nous faut ; et ma chère Lyndamine va se parer de tous ses charmes pour te recevoir.

Émilie, en même temps, décroche mes jupes, les fait tomber et se dispose pour la même cérémonie. Je n’en savais pas encore le rituel. Je ne fus frappée que par quelques mouvements convulsifs qui de temps en temps, relevaient le devant de la chemise de Nelson ; et je n’osais en parler, lorsque Émilie m’adressa la parole :

— Lyndamine, dit-elle, je t’ai promis de te faire goûter du suc d’un instrument fait exprès pour enchanter une jolie fille. Nelson possède ce précieux bijou. Le voi-tu qui se redresse ? s’écrie-t-elle en relevant la chemise de son brave cavalier.

Je fus émerveillée à cet aspect. Du centre d’une perruque large et touffue sortait un dard enflammé qui…

— Prends-le vite, ajouta-t-elle, je vais le diriger.

La vive femelle le saisit aux fesses et je m’empare de l’aiguille. Oh ! ce n’est pas sans raison que l’on dit que la main d’une femme est une espèce de gril qui fait revenir les chairs. À peine eus-je en main cette jolie pièce, que recouvrait encore son ample bosquet, qu’elle devint longue, grosse, raide, bourgeonnée, magnifique. C’était une lance menaçante qui me fit tressaillir.

— Hé ! mais… peste de la sotte ! s’écrie Émilie en colère.

Elle s’élance sur moi, par derrière, m’entraîne sur le bord du lit, enlace mes jambes dans les siennes et marque le but à Nelson.

— Dépêche, lui dit-elle, enfile bien droit ce pertuis, pour forcer la barrière.

— Qu’as-tu dit ? m’écriai-je.

— Des termes de l’art, répond-elle ; nous te les apprendrons. Nelson, fourrage-moi cette enfant, de manière à l’en faire souvenir. Je ferai rebondir ses fesses en te les renvoyant ; je suis disposée pour cela.

Nelson, outil braqué, se présente à l’embouchure, et me force de le diriger. J’eus bien de la peine à le rabaisser. Enfin le Dieu fit son entrée. Vénus eut mille libations, et je prouvai mon sacrifice par le sang qui coula jusque sur les cuisses d’Émilie. Il serait inutile de parler de mon extase, on la soupçonne ; mais j’avoue que Nelson me parut un dieu, parce que je crus qu’un dieu seul pouvait procurer à une faible créature un tel ravissement.

Nelson ne se retirait qu’à regret, parce que le dieu voulait remporter une nouvelle victoire. Émilie s’y opposa.

— Sais-tu, Nelson, que je jeûne tandis que tu donnes un bon souper à Lyndamine ? Je lui ai consacré le premier plat ; mais je me réserve le second service.

Cet ordre me sépara de Nelson, qui me permit de parcourir tous les contours de la flèche que j’avais eu tant de plaisir de loger.

Je me doutais bien qu’un mâle devait différer d’une femelle ; mes besoins me l’annonçaient. Quelle fille, si jamais elle n’a vu le sceptre de l’amour, se peindrait cette machine superbe, audacieuse, menaçante, et qui tout à coup redevient humble, solitaire, et retombe sur ce sac délicieux qui renferme toute l’espèce humaine ?

Émilie, à ma vue, reçut en conquérant le dieu qui m’avait honorée de sa visite, et fit promettre à Nelson qu’il aurait soin de ses deux pupilles. Nelson, instruit que ses largesses ouvriraient toutes les portes du couvent, nous assura qu’il reviendrait dès qu’il aurait réparé la dépense qu’il venait de faire en notre faveur ; et, pendant trois mois, nous renouvelâmes ensemble les jeux de Cythère, et nous célébrâmes toutes les fêtes de Priape. Vingt expériences me démontrèrent que tout allait au mieux pour moi.

Hélas !


Cul de lampe de fin de paragraphe
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ARTICLE SECOND

Expulsion tragique du couvent


Le temps de la douleur suit de trop près la saison du plaisir. La tourière Jeannette, assez honnêtement payée, voulut essayer aussi de notre optimisme. Nelson l’enfila et se crut dans un gouffre.

— Jeannette, lui dit-il, ton carquois est trop grand pour mon dard ; va te faire exploiter par ton confesseur ; tu seras encore assez outillée pour lui ; mais tu vois bien que ton fourreau est trop large ; un glaive à ressorts ne tient à sa gaine qu’autant que la gaine lui donne de délicieuses entraves.

Nous apprîmes trop tard que le directeur des nonnes s’essayait avec elles et distribuait ses grâces, par semaine, à vingt-six des révérendes mères qui avaient le plus de ferveur ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : un malheur irréparable nous menaçait au dehors, tandis que les brusqueries de Nelson nous valurent d’être expulsées du pensionnat.

Une tourière, malgré ses torts, est presque toujours écoutée. Nous eûmes beau tâcher d’effacer les traits qu’elle avait donnés sur notre compte, nous eûmes beau dire hardiment à la révérende prieure qu’elle nous rendrait justice, si, à la tête de son sanhédrin, elle faisait visiter le mignon de Jeannette. C’eût été donner lieu à de scandaleuses révélations, où la prieure n’entrait guère que pour un quatre dix-huitième, et nous fûmes chassées sans que nos parents eussent été prévenus du congé honteux que l’on nous donnait.

Nous voilà donc dans la rue. Qu’allons-nous devenir ?

— Je vais, dit Émilie, retrouver le saint prêtre qui payait ma pension et que je crois mon père. Suis-moi, nous en serons bien reçues.

Le saint prêtre, qui baisait toutes ses dévotes, venait de prendre le large pour se soustraire à une prison éternelle. Je tremblai alors pour moi-même, et je demandai des nouvelles de ma bonne mère. Lorsque je prononçai son nom, l’on m’écrasa d’opprobre, en criant que la putain était morte sur un fumier depuis deux jours. Émilie et moi nous fûmes inconsolables pendant un quart d’heure, et dans le quart d’heure d’après, nous fîmes nos petits arrangements.

— Écoute, Lyndamine, me dit-elle, toutes les femmes ne meurent pas sur un fumier, et une foule de jolies filles font une fortune brillante ; il faut la tenter. Nous sommes sans pain ; mais avec un minois passable, de gros tétons et un pertuis bouillant, une fille passe partout. Tenons toujours au tout est bien. D’ici à la ville de Frouilloule, il n’y a que deux lieues : acheminons-nous vers cet endroit, Qui sait ce que la Providence réserve à nos besoins ?

Je souscrivis parce que j’avais faim et que nous étions sans ressources. Nous nous mettons en route, marchons avec force et franchissons tous les mauvais pas. Cette action nous donna de la couleur, et nous parvînmes au premier gîte où l’on voulut nous héberger : il n’était pas brillant.

Le même soir étaient arrivés dans une auberge voisine un monsieur et une dame, qui se promenaient en attendant leur souper : ils nous aperçurent, et notre misère les toucha. Leur charité nous appela à leur table, qui était commune. Le monsieur, négociant expérimenté, fut galant au delà de toute expression ; mais, las des charmes de la dame ou merveilleusement épris des grâces d’Émilie, qu’il avait placée à ses côtés, il prodigua toutes les phrases capables d’intéresser la fille la plus froide, sans pourtant manquer aux égards qu’il devait décemment à sa dame de compagnie. Je fus la seule presque dédaignée ; et je me serais dépitée, si cette bonne dame, en me serrant la cuisse sous la table, ne m’eût fait comprendre que je ne gagnerais rien à paraître jalouse, et qu’elle aurait soin de moi.

J’entendis tout, et je ne me plaignis pas. Après le souper et quelques pourparlers du négociant avec Émilie, elle vint m’embrasser en pleurant.

— Ma chère Lyndamine, me dit-elle, il faut suivre le vent. Ce brave homme me propose d’aller faire un tour de promenade et de coucher avec lui : il me jure de me faire un sort honnête, s’il me trouve digne de ses bienfaits. Il ne me paraît pas des plus vigoureux, et tu connais la force de mon fourreau. Je veux le faire suer cette nuit et je réponds qu’il sera plus que satisfait. Avant de nous séparer, grave dans ta mémoire que la dague d’un homme s’appelle un vit et que ton fourreau est un très beau con ; ces noms célèbres te seront utiles ; je ne regrette que de ne pouvoir t’apprendre les mots nerveux du métier que nous allons faire ; mais je regretterais encore plus si tu te chagrinais de me voir dans la route des richesses et du plaisir.

— Non, belle Émilie, lui dis-je, ta façon de penser, tes traits, tes charmes, te méritent des adorateurs, et je suis enchantée de voir à tes pieds un millionnaire qui te rendra la vie. Veuille la dame qui se charge de me protéger me servir de mère et donner le bien-être à mon espoir. Quoi qu’il en soit, je ne jalouse pas ton bonheur, parce que tu le mérites. Fais au moins des vœux pour que ton amie soit aussi heureuse qu’elle te désire de félicité.

Nous n’eûmes pas le temps de nous entretenir davantage. Émilie fut appelée pour aller jouir de la promenade, et bientôt je la vis avec son nouvel amant prendre délicieusement le frais au pied d’un myrte.

Je reviens aux propos de ma dame, et à mon histoire.


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