Lyndamine ou l’Optimisme des pays chauds/Préliminaires

Giovane Della Rosa (J. Gay) (p. 3-7).

LYNDAMINE

OU
L’OPTIMISME DES PAYS CHAUDS


Cul de lampe de fin de paragraphe
Cul de lampe de fin de paragraphe


PRÉLIMINAIRES

Honni soit qui mal y pense. C’est l’optimisme que je veux établir. Les savants sont plus instruits que moi des principes du philosophe allemand[1] qu’ils en regardent comme le père. Ce n’est pas de cet optimisme que j’entretiendrai mon voluptueux lecteur. L’on s’est encore récrié contre l’optimisme d’un moderne[2], qui, sous le nom de Candide, en a parcouru toutes les branches ; et la raison que l’on nous en a donnée, c’est qu’une vieille fille, œuvre sublime d’un outil papal, s’y plaint qu’elle n’a qu’une fesse, et que je ne sais quelle Paquette y lève ses jupes au premier venant et confond le seigneur avec le malotru. Que le frère Giroflée caresse cette grivoise et gagne le gros lot, j’y consens ; mais j’assure le public que, n’ayant jamais eu la vérole, je ne l’ai donnée à aucun de nos élégants messieurs, encore moins aux greluchons que je n’ai pu souffrir, et que mon optimisme n’est point du tout celui du bon Candide ; ce n’est pas même celui des honnêtes gens ajouté au premier et ennuyeux à la mort ; est-ce donc l’optimisme des Pays-Bas hollandais, autrichiens !..... etc. ? Vous n’y êtes point. Les pays chauds que je chante sont ceux de la belle nature, et mon optimisme est le plus désiré de mes chers lecteurs.

J’entends déjà la voix glapissante d’une foule d’animaux qui piailleront contre moi, parce que je ne suis pas Paquette. Leurs clameurs ne m’étonnent pas : qu’ils ferment mon livre dès à présent et qu’ils demandent à Dieu pardon de leur curiosité. Je commence par quelques réflexions intéressantes et qui me regardent personnellement.

Le curieux public de la ville que j’habite se mêle beaucoup de mon histoire, parce que j’ai de la célébrité, et ne s’occupe guère de ses propres affaires, parce qu’il n’a pas le sens commun. Or, ce public demande souvent qui je suis, quels sont mes parents, à quels titres j’ai prétendu captiver le plus aimable adorateur.

Remarquez qu’il faut être femme pour faire cette dernière question, parce qu’il n’y a que des femmes à prétention qui jalousent la supériorité de celles que l’on ose leur préférer. Je réponds en deux mots avant d’entamer mon édifiante histoire.

Qui suis-je ? Si cette question tombe sur mon origine, j’y répondrai tout à l’heure. Si l’on dispute sur mon sexe, oh ! parbleu ! l’on voit d’abord que je porte des jupes, que mon teint est assez frais, que mon menton est ras…, etc. Je n’en dirai pas davantage pour le présent. Me juge d’avance qui voudra, j’y souscris ; mais que l’on se souvienne surtout que je suis fille, c’est-à-dire que je tiens au sexe féminin par la blancheur de ma peau, par la finesse et le contour de mes traits, par l’élasticité d’une belle gorge, par… J’en ai dit plus que je ne voulais.

L’on demande encore si j’ai des parents. Que cela vous fait-il ? J’existe sans ma participation, cela est clair. Mon père avait en propriété le fameux générateur de l’espèce ; ma très honorée mère a reçu la visite de ce dieu qui vivifie toute la nature, et je respire. Qu’exigez-vous de plus ? Que je compte des quartiers ? Je date d’Adam et de la bouillante Ève ; ma généalogie est bien prouvée, et tel qui demande à qui j’appartiens ne réussira jamais à démontrer une descendance plus assurée. Laissons l’orgueil rêver et calculer des titres en parchemin dont les rats se jouent et se nourrissent.

Pour terminer toutes ces impertinentes questions, je n’ai qu’un mot à dire. Mes graves messieurs, mes belles dames, apprenez que maman penchait vers l’optimisme et souhaitait de goûter le vrai bonheur. Le dieu de la nature, pour combler ses vœux, lui a confié un germe sacré ; elle a sérieusement présidé à sa végétation pour en donner le saint exemple à mille femmes qui l’arrêtent. Me voilà faite, j’en rends grâce à Dieu, sans m’enorgueillir.

L’on veut enfin que je montre les titres qui m’ont enchaînée à mon délicieux chanoine. Savez-vous bien, mesdames, que j’ai été jolie, et que mon visage, moins plâtré que le vôtre, n’est point encore si déchiré ? Savez-vous que j’ai un corps de cinq pieds six pouces de hauteur, et des mieux proportionnés ? Savez-vous que j’ai des tétons appétissants encore et qui n’ont besoin d’aucun de vos ressorts factices pour se soutenir ? Savez-vous que le temple sacré dont je respecte le dépôt brûle encore d’un feu qui eût honoré votre jeunesse et que nos élégants aiment mille fois mieux que les pompons, la poudre fauve ou rouge et tout l’attirail étranger que vous prêtez à la vraie volupté qui n’en demande pas.

Je crois avoir répondu à toutes les questions que tant de fois l’on a faites sur mon compte. J’aurais pu en faire autant sur le compte de tant de pucelles qui se font payer cent fois leur pucelage. Je n’ai pas leur secret ; je n’ai que celui d’être sincère, d’avouer mes torts et de défendre mes principes. Mon histoire justifiera ce que j’ose avancer. Je n’en retarde le détail que pour donner un avis important.

AVIS AUX JEUNES GENS



Ma pauvre espèce a des besoins divers, je le sais. Dans la foule de ses individus, plusieurs, cependant, n’en ont aucuns, de ceux, du moins, dont je veux parler. Les jeunes mâles et les jeunes filles qu’un heureux tempérament ne porte pas aux fureurs de la volupté, auraient grand tort d’en allumer le feu ; ils doivent plutôt le redouter. Qu’ils chantent leur bonheur et qu’ils ferment les yeux sur les plaisirs des jeunes amants, qu’un sang de feu entraîne aux fougues de l’amour, traité d’insensé par les sols et protégé par la nature pour le bien de l’espèce.


  1. Leibnitz, homme célèbre.
  2. Candide, de Voltaire.