Traduction par Isabelle de Montolieu.
chez Arthus Bertrand (tome 2p. 152-176).

CHAPITRE XVI.

Sans nous arrêter davantage sur les premiers instans du désespoir de cette famille en perdant un époux et un père chéri, malgré ses erreurs, nous passerons aux conséquences immédiates de sa mort.

Lors de la vente du tableau au général Villars, l’imprimeur avait reçu huit guinées qui réduisirent ce qu’on lui devait à douze. On a vu que Lewis, qui tenait à laisser le moins de dettes possibles, voulait employer à les payer les seize pièces qu’il avait reçues du second tableau. Mais il ne restait plus rien à Agnès, et la maladie de son mari pouvait encore être longue. Elle se contenta donc d’envoyer encore cinq guinées à compte à l’imprimeur, comme au plus pauvre et au plus pressé de ses créanciers, et garda prudemment le reste pour ses besoins du moment. Le malade expira le même soir ; et dans son malheur Agnès se trouvait heureuse de pouvoir, avec ce qu’elle avait gardé, faire ensevelir son mari honorablement, et satisfaire d’abord le médecin et l’apothicaire. Aucun de ses autres créanciers n’avait le moindre doute qu’elle n’eût le pouvoir et l’intention de s’acquitter ; aucun n’était pressé. L’imprimeur était le seul qui aurait pu l’inquiéter ; mais elle ne lui devait plus que sept guinées ; et il venait de recevoir un à compte. Elle était donc tranquille à cet égard, au moins pour le moment, et bien résolue à surmonter sa douleur et à travailler de toutes ses forces, avec son Ludovico, pour payer tout ce qu’elle pouvait devoir.

Malheureusement le lendemain de la mort de M. Lewis, l’imprimeur rencontra, par hasard, Sinister qui l’aborda et lui apprit cet évènement : J’espère, ajouta-t-il, que vous vous êtes fait payer de tout ce qu’il vous devait. — Pas encore tout à fait, répondit cet homme ; mais je n’en suis pas en peine. La femme et le fils me paraissent de très-honnètes gens dont je mai rien à craindre. — Et moi je vous dis que vous êtes fou, répliqua le méchant Sinister, qui saisit cette occasion de se venger de Ludovico. Vous en serez pour votre peine : je vous en réponds, moi qui connais cette famille mieux que vous. Le père était un dissipateur, un paresseux, qui aimait mieux faire bonne chère et boire de bon vin que de payer ses dettes. La mère, de qui vous avez si bonne option, est, il est vrai, une bonne créature, mais à demi-imbécile, qui ne sait faire autre chose que de coudre et gâter ses enfans, et qui donne à son fils le peu qu’elle gagne pour s’acheter des gourmandises. Celui-ci est un rusé petit drôle, qui ne se laissera manquer de rien tant que les autres auront quelque chose. Il ma repris deux tableaux de son père, qu auraient largement payé ce qu’on vous doit. Je voulais dans ce but, les payer argent comptant plus qu’ils ne valaient ; mais il n’avait garde de les donner, il aurait fallu en rendre compte à son père. À présent, si vous n’y mettez ordre, vous ne verrez jamais un sou de votre dette. Je vous le dis : un bon averti en vaut deux. Aujourd’hui ou jamais.

— Comment ! Que voulez-vous dire ? demande l’imprimeur effrayé.

— Qu’il est temps encore de vous faire payer. Une fois le père mort et enterré, vous n’avez plus de recours sur la veuve et les enfans mineurs ; mais tant que le corps du defunt est là, il répond pour la dette. Menacez de vous en saisir, et vous verrez que votre argent se trouvera. Faites-vous donner les tableaux en question, c’est de l’argent comptant. Je suis honnête : moi, je les payerai ce que j’en ai offert. Combien vous doit-il encore ? — Sept guinées, répondit l’imprimeur.

— Eh bien ! mon cher ami, c’est ce que j’en ai offert ; précisement cela ; et vous seriez payé si ce petit coquin avait voulu. Point de ménagement avec lui, ou vous êtes perdu. L’imprimeur lui promit de suivre son avis ce jour même ; et Sinister en fut bien joyeux. Il serait vengé, et il aurait les tableaux pour la moitié de ce que Ludovico en avait refusé. L’imprimeur, content d’être payé, n’en demanderait pas davantage. Si par malheur, lui dit-il, ils étaient déjà vendus et l’argent dépensé, saisissez tous les tableaux commencés. Pour vous obliger, j’acheterai tout cela.

Ainsi qu’il l’avait promis, l’imprimeur, en se séparant de Sinister, alla d’abord au logement des Lewis. Il ne trouva dans la chambre, où il entra brusquement, que Ludovico et sa petite sœur. Le premier avait obtenu de sa mère qu’elle allât se reposer pendant quelques heures. À peine avait-il été seul, qu’il s’était hâté d’ôter de cette chambre tout ce qui avait appartenu à son père, et qui renouvelait à chaque instant la douleur d’Agnès. Il avait enfermé les esquisses, les pinceaux, la palette dans une boîte, et l’avait remise en dépôt chez le propriétaire de la maison ; puis il était revenu auprès de Constantine pour tâcher de la consoler. Quand l’imprimeur entra dans la chambre, frappé de n’y plus trouver d’établissement de peinture, il crut que Ludovico et sa mère avaient déjà disposé de tout ce que M. Lewis avait laissé, pour le soustraire aux créanciers ; et cette conduite lui parut indécente et malhonnête dans un tel moment. Cet homme n’était ni aussi avide, ni aussi vil que Sinister ; mais il était simple et violent ; et dans son premier mouvement de colère, il insista avec tant de grossièreté et d’insensibilité, pour être payé à l’instant même, que Ludovico ne pût s’empêcher de lui faire sentir assez vivement l’inconvenance et la dureté de faire une scène dans un pareil moment. Ce reproche excita encore plus la colère d’un homme déjà très-irrité. Je sais fort bien ce que je fais, dit-il, et pourquoi je prends ce moment. Je n’ai pas eu votre père vivant, mais je l’aurai mort, si je n’ai pas mon argent demain matin. Je vous laisse y penser. Il sortit, à la grande satisfaction de Ludovico qui tremblait que sa mère ne s’éveillât. Il ne comprefait rien du tout à la menace de l’imprimeur, n’ayant jamais entendu parler de cette loi singulière et barbare[1], mais il était choqué de la brutalité d’un homme capable d’ajouter ainsi à l’affliction de l’affligé ; et tremblant pour sa mère, il alla s’informer auprès de la maîtresse de la maison si l’on avait quelque droit légal sur elle. Il apprit avec une horreur inexprimable que cet homme avait répeté devant cette femme la menace de se saisir du corps de M. Lewis, et qu’il avait légalement le droit de l’exécuter.

De ce moment, le malheur du pauvre Ludovico devint intolérable. L’idée des restes de son vénéré père insultés, traités avec mépris, arrachés de chez eux, jetés peut-être à la voirie, lui fit une telle impression que son ame entière en fut bouleversée. À peine eut-il conjuré l’hôtesse de n’en rien dire à sa mère, que ses sens l’abandonnèrent, et qu’il tomba évanoui sur le plancher. Agnès ne dormait pas. Retirée dans sa chambre, elle écrivait à son père pour l’informer de sa perte ; et, pour la première fois, lui découvrant les circonstances de sa triste situation, elle lui, demandait de lui prêter dix pièces pour son deuil et celui de ses enfans, et pour les besoins du moment. Elle avait une pleine confiance que sa requête lui serait accordée, et que même si le bon pasteur n’avait pas cette somme à sa disposition, il l’aurait bien vite trouvée chez ses paroissiens. Elle fit ensuite les arrangemens nécessaires pour l’ensevelissement de son mari, et mit à part l’argent qu’il lui fallait pour le faire enterrer sans luxe, mais cependant aussi honorablement qu’il lui était possible. Elle croyait le devoir au nom de son mari et à son fils ; mais ce qui lui restait pouvait à peine suffire jusqu’à la réponse de son père. Elle était bien aise de s’occuper de ces tristes détails, pendant qu’elle était seule, pour ménager la sensibilité de ses enfans Mais à peine avait-elle fini que la servante de la maison vint l’avertir que son fils était très-mal ; et par la description qu’elle lui fit de son état, elle pouvait même douter de son existence.

Nous n’essaierons pas de peindre l’excès de son émotion et de sa douleur ; tous les cœurs de mère la comprendront. Elle ne fut pas long-temps dans ce doute affreux. Ludovico commençait à reprendre ses sens quand sa mère arriva auprès de lui. Peu après il ouvrit les yeux, et se trouva dans les bras de cette tendre mère. L’angoisse cruelle d’Agnès était si bien empreinte sur ses traits, sa physionomie était si renversée que son fils en fut effrayé, et fit un effort presque surnaturel pour se lever et pour l’assurer qu’il se sentait beaucoup mieux. Il attribua sa faiblesse à ce que le chagrin l’avait empêché de prendre aucune nourriture (ce qui était vrai). Il accepta ce que sa mère lui présenta, prit sur lui de surmonter l’émotion qui l’oppressait ; et pendant le reste du jour il affecta un calme qui était bien loin de son esprit. El ne cessait de penser au moyen de trouver de l’argent pour satisfaire ce cruel imprimeur, avant le moment fatal qu’il avait fixé ; et dans un si court espace et une si triste circonstance, il n’en trouvait aucun. Quelquefois il se flattait qu’il était impossible qu’un être humain pût être aussi barbare, puis il retombait dans l’horrible crainte que ce ne fût trop vrai ; et il se figurait alors le désespoir de sa mère, si cette menace était exécutée. Chaque bruit qu’il entendait le faisait frissonner ; chaque son de voix, sous les fenêtres de la maison, l’alarmait ; et sa souffrance actuelle surpassait encore celle de la soirée précédente, en recevant le dernier soupir de son père. Que je tombe entre les mains de Dieu, plutôt que dans celles des hommes, disait le roi David dans une de ses grandes détresses : le pauvre Ludovico disait de même. La mort de son père était une épreuve cruelle que Dieu leur envoyait, et qu’il fallait supporter avec résignation ; mais celle dont on le menaçait était au-dessus de ses forces.

Hors d’état de dormir, il se leva de bonne heure. Il ne savait que faire pour prévenir ce malheur, et se promenait dans la chambre avec agitation. Le corps de son père était dans un cabinet à côté, qui s’ouvrait sur le palier. Il écoutait sans cesse s’il n’entendait aucun bruit : un profond silence régnait encore autour de lui. Quoique bien aise du repos de sa mère, il s’impatientait qu’elle fût levée. Il voulait, sans lui en dire le motif, obtenir d’elle de hâter la cérémonie de l’enterrement. C’était la seule chose qui se présentât à son esprit, lorsqu’il entendit des voix d’homme qui montaient l’escalier, et qui ouvrirent brusquement la porte du cabinet. Il sentit son sang s’arrêter dans ses veines, et craignit un instant de retomber dans le même état que la veille. Mais le souvenir du désespoir de sa mère le soutint, et lui donna du courage. Il avala rapidement un verre d’eau, et par un effort désespéré, il courut à la porte du cabinet où les hommes étaient entrés. Que faites-vous là, s’écria-t-il ? que voulez-vous ? que demandez-vous ? au nom de Dieu, sortez de ce cabinet ! — Nous venons faire changer de place à ce mort : voilà tout, répondit un des hommes d’un ton bourru ; Ôtez-vous du chemin.

Un délire au-dessus de l’expression s’empara de Ludovico. Sans savoir ce qu’il faisait, il vola dans la rue, jeta les yeux de tous côtés comme s’il appelait le ciel et la terre à son secours : et ce ne fut pas en vain.

Un homme d’une haute stature, âgé d’environ cinquante ans, et qu’on distinguait à son costume pour être un membre de la Société des Amis ou Quaker, marchait lentement dans la rue, les bras croisés sur son habit sans boutons. Ce fut le premier être humain que les yeux égarés de Ludovico rencontrèrent. Il courut à lui, saisit son bras pour l’arrêter ; et tombant à ses pieds dans une espèce d’agonie, il embrassa ses genoux en lui criant : Sauvez mon père ! au nom de Dieu, sauvez mon père !

Ton père est-il en danger, mon enfant ? est il malade ?

Non ! non ! il est mort ! tout à fait mort ! On veut le prendre. Ah ! sauvez-le par pitié !

Le Quaker fut tout à coup frappé de l’idée que sans doute le père de ce pauvre enfant avait commis un suicide dont la justice prenait connaissance. Il s’informa si c’était cela ; et la douleur de Ludovico augmenta encore à cette supposition. Non, non, Monsieur ! s’écria-t-il. Dieu soit béni ! mon pére n’était pas capable d’une telle action ! Il était un bon chrétien. Pendant la maladie de langueur dont il est mort avant hier, il ne cessait de recommander son ame à son rédempteur. Je vois à présent que je ne ne suis pas aussi malheureux que j’aurais pû l’être ; mais combien je le suis encore !

Dis-moi donc, mon pauvre enfant, ce qui t’afflige si fort, et en quoi je puis t’aider !

Ludovico s’était relevé, et conduisit le Quaker à la porte par où les hommes devaient passer, pour qu’il pût les arrêter s’ils emportaient le corps. Il commença sa triste histoire. À peine eut-il fini, que les deux hommes descendirent sans rien porter. Le Quaker les interroge. Il se trouva que sur l’ordre de madame Lewis, ils venaient d’apporter le cercueil, qu’ils y avaient placé le défunt, et que Ludovico s’était alarmé sans raison. Cependant, d’après le témoignage de la maitresse de la maison, à qui le Quaker voulut parler aussi, il parut que du moins ce n’était pas sans sujet ; qu’il y avait vraiment à craindre que l’on ne se saisit du corps ; et que le jeune homme en avait été menacé la veille. Alors cet homme, ami des malheureux, bon et charitable, entra dans la chambre, s’assit, et se fit répéter par le pauvre jeune homme, tous les détail de la situation de sa famille. Sa contenance et sa physionomie étaient immobiles. On voyait qu’il avait l’habitude de renfermer en lui-même toutes ses sensations. Ses yeux étaient baissés, et ses mains croisées devant lui. Seulement il soupira quelquefois. Quand Ludovico eut fini son simple récit, le Quaker se leva et dit avec le même calme :

— Il faut que je te quitte, mon enfant, mais voilà mon adresse. Si ce que tu crains arrivait, ne te fais pas scrupule de m’envoyer chercher ; je serai bientôt là ; et voilà une guinée pour tes besoins du moment, qui me paraissent pressans. Je n’entends rien à ta profession ni à celle de ton père. Je ne peux donc décider de ce qui est à mes yeux vain et inutile. La secte des Quakers ou trembleurs, dont il se trouve beaucoup en Angleterre, méprise la peinture, et l’exclut de son culte et de ses habitations. Mais je connais un très-bon homme, nommé John Joung, qui ne trouve aucune peine trop grande pour secourir l’indigent. C’est un graveur ; il doit s’entendre en peinture. J’irai le prier de venir voir ta propriété, et je te prie de ne pas souffrir que d’autres que lui te dirigent là-dessus, ni par la force, ni par la cajolerie. Attends l’ami que je t’enverrai, et prends courage. Rappelle-toi que tu es affligé, mais non dans un état désespéré ni abandonné. À présent, mon enfant, ne me retiens plus, car j’ai un ami qui m’attend.

Allez, homme bienfaisant, dit Ludovico en laissant retomber la main de l’étranger, qu’il avait saisie et qu’il pressait contre son cœur ; et puissent les bénédictions d’un jeune infortuné que vous sauvez du désespoir, reposer sur vous !

Ces paroles ne furent pas entendues de celui à qui elles étaient adressées ; il était déja sorti, et malgré sa froideur apparente et son humilité religieuse, il était content du bien qu’il venait de faire à ce pauvre enfant, et de celui qu’il lui ferait encore.

Quelques momens après, madame Lewis sortit du cabinet où elle avait été faire un dernier adieu aux restes inanimés de son Alfred. Elle préparait leur frugal déjeûner, quand l’imprimeur et M. Sinister entrèrent ensemble. Le premier demanda brusquement son argent. Alors Sinister s’avança avec une douceur et une politesse affectées, et du ton le plus insinuant, il dit à la veuve qu’il lui serait facile de payer cette dette puisqu’il venait exprès pour la tirer de peine, lui offrir d’acheter tout de suite toutes les peintures que son mari avait laissées. Hélas ! répondit madame Lewis, mon cher Alfred avait beaucoup de morceaux commencés, et pas un de fini.

C’est égal, dit Sinister, je vous donnerai quelque chose des moindres esquisses ; voyons. Je prendrai tout ce que vous avez.

Impatiente de le renvoyer et de satisfaire l’imprimeur, Agnès entra dans la chambre pour chercher tous les ouvrages de son mari ; et surprise de ne plus les voir, elle demanda à son fils ce qu’ils étaient devenus. Chère mère, lui dit-il, je les ai cachés ce matin ; mais vous ne pouvez pas les vendre jusqu’à ce que. M. Joummg les ait vus et taxés. Quand il en aura fixé le prix, M. Sinister pourra les avoir s’il les veut, mais pas avant.

— M. Joung, dis-tu, mon enfant ! je ne connais personne qui se nomme ainsi.

M. Sinister n’en pouvait pas dire autant ; et ce qui était plus fâcheut pour lui, c’est que M. Joung le connaissait aussi. Décidé à ne pas se rencontrer avec lui, il prit bien vite la résolution de s’en aller et se retourna du côté de la porte, jetant un regard à l’imprimeur, pour lui faire entendre de répéter à la veuve de M. Lewis, l’outrage dont il avait menacé son fils. Ludovico voyant cette intention, parla le premier. Je sais ce que vous allez dire à ma mère, dit-il à imprimeur, dès que Sinister fut sorti : écoutez-moi auparavant. Nous voulons vous payer honnêtement tout ce que nous vous devons, si vous voulez prendre patience. Mais si vous exécutez l’horrible menace que vous m’avez faite, j’ai un protecteur qui viendra me défendre, et que j’irai chercher au moment même : voilà son nom. En disant cela Ludovico lui mit dans la main l’adresse du Quaker. David Gurney ! s’écria l’imprimeur ; c’est le propriétaire de la maison Où je demeure ; c’est aussi mon protecteur, mon sauveur ; il m’a préservé de la prison. Comment diable le connaissez-vous ? Allons, allons, Sinister n’a pas tort ; vous êtes un rusé petit garçon… Oui, c’est bien l’écriture de M. Gurney. Ah çà ! ne lui dites rien de notre affaire. J’ai voulu voir seulement si vous êtes un bon fils. Allons, je suis content de vous ; vous le serez de moi. Vous me paierez un jour. J’attendrai ; et pour vous prouver ma bonne volonté, je prendrai la moitié de ma dette en livres ; vous en avez de bien conditionnés. Je viendrai les examiner dans un autre moment ; je les taxerai en conscience, et j’espère bien aussi placer quelques exemplaires de celui que j’ai imprimé ; tout s’arrangera. Non, en vérité, je n’aime pas à être dur avec personne. M. Sinister sait bien ce que je lui dis hier. Ce dernier était déjà au bas de l’escalier ; et l’imprimeur allait le suivre ; mais le prudent Ludovico le retint en insistant pour qu’il prit tout de suite les livres qui lui convenaient, qu’il lui en donnât un reçu, et signât la promesse d’accorder du temps pour solder sa dette en fixant un terme. Il y consentit de bon cœur ; et l’on peut comprendre et la joie du jeune homme, d’être à l’abri de toute crainte, et l’étonnement d’Agnès qui ne pouvait comprendre comment son fils avait acquis deux protecteurs dont le nom seul tranquillisait leurs créanciers. Il lui expliqua tout ce qui s’était passé. Elle frémit, elle se réjouit, elle bénit le ciel et son Ludovico, et se hâta de lui servir un bon déjeûner dont il avait grand besoin, après tout ce qu’il avait souffert. Dès qu’il eut mangé, il se pencha sur le dossier de sa chaise, s’endormit profondément, et jouit de quelques heures de repos.


  1. Elle existe réellement en Angleterre. Un créancier a droit de se saisir du cadavre d’un débiteur insolvable, jusqu’à ce que ses héritiers aient payé ses dettes ; mais elle est absolument hors d’usage.