Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 106-121).

CHAPITRE XII


le séminaire sauvage. — deux interprètes célèbres. — olivier le tardif et jean nicolet contribuent à cette œuvre chrétienne. — services qu’ils ont rendus à la colonie. — mort héroïque de nicolet.


Les succès remportés par Mme Hébert dans l’éducation des enfants sauvages furent un encouragement pour les missionnaires qui rencontraient des difficultés de diverses natures dans leur œuvre d’apostolat.

Les sauvages de Québec et des environs parvenaient à se faire entendre et même à comprendre la langue française ; mais pour ceux qui vivaient au loin et qu’il fallait évangéliser pourtant il devenait nécessaire d’avoir recours aux interprètes.

Pour remplir cette mission, on choisissait des jeunes gens honnêtes et d’une piété exemplaire. Ces interprètes étaient envoyés au milieu des sauvages ; ils en apprenaient la langue. Toujours en contact avec eux, vivant de leur vie vagabonde, partageant leurs courses et leurs fatigues, les interprètes, en peu de temps, devenaient maîtres des langues sauvages et ils pouvaient être d’un secours précieux pour les missionnaires.

Parmi les plus remarquables de cette époque sont Le Tardif et Jean Nicolet qui furent alliés à la famille Couillard. Nous devons les faire connaître ici, car ils ont contribué à la fondation du premier séminaire sauvage inauguré à Québec par Mme Hébert.

Olivier Le Tardif, appelé par les Relations, M. Olivier, naquit à Honfleur. Tout jeune encore, il accompagna à Québec, M. de Champlain dont il s’attira la confiance et l’amitié.

En l’année 1623, on l’envoya chez les Montagnais et les Hurons.

De 1626 à 1629, il vécut à Québec où il fut tour à tour interprète et commis de la Compagnie des Marchands. C’est lui qui remit les clefs du magasin entre les mains des Kertk lors de la prise de Québec, en 1629.

Le 3 novembre 1637, il épousa Louise, fille de Guillaume Couillard et de Marie-Guillemette Hébert.

À quelque temps de là, il voulut être le parrain de deux sauvages et d’une autre jeune fille indienne qu’il eut le bonheur de baptiser lui-même en l’absence des missionnaires.

Pour donner l’exemple de la charité, il confia à Mme Hébert une petite fille des bois et il payait lui-même sa pension ; elle s’appelait Marie-Olivier-Silvestre Manitouabewich ; elle se maria dans la suite à Martin Provost.

Mme Hébert, toujours dévouée, accepta la tâche que les missionnaires voulurent lui confier. Elle se chargea volontiers de les nourrir, de les vêtir et de leur inculquer les premiers éléments de la propreté, ce qui était inconnu chez les sauvages.

« Grâce au concours de M. de Montmagny et au zèle de M. Nicolet, dit la Relation, on parvint à faire consentir quelques Hurons venus à Québec pour la retraite, à y laisser six enfants… ce qui me semble un coup de Dieu.

» Ces petites filles, nourries et habillées à la façon des chrétiennes, sont mariées à quelques Français ou à quelques sauvages convertis. Tout consistera à les nourrir et à les doter, ce qui, je crois, ne leur manquera pas : Dieu est trop bon et trop puissant. Ces enfants sont nourris chez la veuve Hébert, dont l’époux (en secondes noces), le sieur Hubou, en a une à lui, qu’il nourrit et entretient.

» Le sieur Olivier Le Tardif, dans la même maison, en entretient une autre que les sauvages lui ont donnée ; il paye sa pension comme nous faisons pour les autres qui sont au logis. »

À ces petites filles d’autres se joignirent bientôt. Il fallut songer plus tard à trouver un local plus convenable pour les y rassembler. La chapelle des Jésuites fut adaptée à cette fin ; et les protégées de M. Hébert s’y rendaient pour recevoir les leçons du Père Le Jeune.

Voici la description de ce séminaire. L’hiver était la saison choisie pour instruire les enfants tant français que sauvages. Tous montraient le plus grand empressement pour assister à la classe malgré l’inclémence de la température. Quelques-uns, à moitié vêtus, devaient parcourir plus d’un quart de lieue pour s’y rendre.

À la chapelle, le Père faisait placer les garçons d’un côté et les filles de l’autre, ayant soin que les petites filles sauvages fussent auprès des petites françaises et les petits sauvages auprès des français : « afin d’apprendre plus facilement aux petits barbares à joindre les mains, à se mettre à genoux, à faire le signe de la croix et la révérence, en voyant faire ces actions aux petits français et aux petites françaises. »

Les classes s’ouvraient par le signe de la croix, la récitation de l’Oraison Dominicale, qui était suivie du Symbole des Apôtres, dont le Père chantait quelques strophes en langues sauvages. Il donnait ensuite des explications sur le catéchisme ; de temps en temps les enfants subissaient des examens en public et quelquefois ils répondaient si bien qu’ils étonnaient ceux qui les entendaient.

C’est à cette première école que les enfants de Guillaume Couillard, d’Abraham Martin, de Pierre Desportes, apprirent le catéchisme et les lettres françaises.

En 1636, Olivier Le Tardif fut le parrain d’un enfant sauvage ; Mme Hébert en fut la marraine. Ce baptême fut administré dans des circonstances si extraordinaires que nous croyons devoir les raconter ici.

Aux environs de Québec, un sauvage appelé Prince par les Français vivait avec sa famille. Il avait suivi durant quelque temps les classes de catéchisme, mais, à l’époque dont nous parlons, il n’était pas encore baptisé. Un de ses enfants vint à tomber malade un jour et Prince s’empressa d’aller chercher un missionnaire pour lui faire administrer le sacrement de baptême. Arrivé à la maison, la mère de l’enfant, qui était païenne, ne voulut pas entendre parler qu’on baptisât son fils. Elle s’imaginait qu’il mourrait aussitôt après.

Le missionnaire commença alors à vouloir faire comprendre à cette femme que le baptême est la porte de l’Église et du Ciel ; que si l’enfant mourait après avoir été baptisé, il s’en irait dans un séjour de bonheur… Mais cette femme ne voulut rien entendre, pas même les supplications de son mari qui voulait faire baptiser son fils.

Pendant ces pourparlers l’état du petit malade s’aggravait, et, comme il était sur le point d’agoniser, la mère toute en larmes dit au missionnaire : « Si tu peux le guérir, baptise-le ; mais si tu ne le peux pas, ne le touche pas ! »

Prince, déjà ébranlé par les beautés de la religion chrétienne, suppliait le missionnaire de baptiser son enfant ; et il s’écria : « Je crois que Celui qui a tout fait peut le guérir ! »

Une si grande foi toucha le missionnaire qui demanda à la mère si elle consentirait à le confier aux Jésuites au cas où il guérirait ?

Sur sa réponse affirmative, le missionnaire se mit à réciter les prières du Rituel romain. À peine le baptême était-il terminé, l’enfant se trouva guéri. Les témoins du prodige n’en pouvaient croire leurs yeux.

Plein de joie, le Père demanda aux parents s’ils ne seraient pas heureux qu’on lui appliquât toutes les cérémonies à l’église de Québec ?

Fais-lui, répondit Prince, tout ce que tu fais aux enfants des Français. »

« On lui assigne un jour, continue la Relation, et on lui dit de choisir un Français et une Française qui en seront le parrain et la marraine. Ce pauvre sauvage était en doute si les Français lui feraient une telle faveur. Mais on l’assura qu’ils en seraient bien aises, et le sieur Olivier, commis et interprète et Mme Hébert, exercèrent volontiers cet acte de charité. »

La cérémonie eut lieu le dimanche. Le père de l’enfant racontait à qui voulait l’entendre le miracle dont il avait été témoin. À la porte de l’église on lui demanda s’il consentait à confier son enfant aux Pères pour le faire instruire. Prince y consentit. Aussitôt la cloche de l’église fut mise en branle ; une Française présenta l’enfant ; et son parrain et sa marraine le nommèrent François Olivier. « On lui applique les saintes huiles et les autres cérémonies à la grande satisfaction de tous nos Français, et à la grande joie du père et de la mère dont le contentement se manifeste sur leur figure. »

La naïveté des sauvages et leur ignorance fort excusable procuraient aux interprètes l’occasion de les instruire.

L’auteur de la Relation de 1637 nous en donne une preuve bien frappante. « Les sauvages, dit-il, m’envoyèrent chercher pour assister à la mort du petit Ignace qui agonisait. Comme nous venions de nous retirer après avoir récité quelques prières, pour parler aux sauvages, le petit mourut. Une pauvre femme voyant cela dit au sieur Olivier que j’aurais dû me trouver à sa mort afin de bien diriger cette âme vers le ciel à l’aide de mes prières. Peut-être, ajoutait cette femme sauvage, cette pauvre âme s’égarera-t-elle de son chemin faute d’avoir être bien dirigée ? »

« Le sieur Olivier, écrit le même Père, me raconta une autre simplicité : Un sauvage qui l’avait accompagné avec quelques autres français dans une chapelle pour remercier Dieu de les avoir sauvés du danger de se noyer dans un naufrage, le sieur Olivier lui demanda après l’accident quelles pensées il avait eues lorsqu’il se débattait au milieu des eaux ? — Je me souvenais, et j’ai ouï dire, que les Français vont en un lieu plein de plaisirs après leur mort. C’est pourquoi, je disais : voilà qui va bien que je meure avec eux, car je ne les quitterai pas, j’en prendrai bien garde, et je prendrai le même chemin qu’eux après ma mort. »

Le passage suivant nous montre la bonté d’Olivier Le Tardif. Depuis plusieurs mois le Père Le Jeune travaillait à la conversion d’un capitaine sauvage. Pour une raison ou pour une autre il retardait l’époque de son baptême. Un jour qu’il était dans la maison des Pères, il demanda une faveur qu’on ne put lui accorder. Le pauvre sauvage rentra alors en fureur et remit au Père son chapelet et son Agnus Dei.

De retour dans sa cabane, il fut pris d’une si grande tristesse qu’il alla trouver Le Tardif pour qu’il lui obtînt son pardon. « M. Olivier nous le ramena, écrit l’auteur de la Relation, et il prit de bonnes résolutions pour l’avenir, ce qui ne l’empêcha pas de se mettre en colère contre M. Olivier et il ne savait plus comment rentrer en grâce avec lui.

« Enfin, le vendredi saint il le va aborder et lui parle de cette sorte : — Réponds-moi, je te prie, sais-tu bien l’Oraison que le Fils de Dieu a faite et qu’on m’a enseignée ? — Je la sais bien, dit le sieur Olivier. — Ne la dis-tu pas quelquefois ? — Je la dis tous les jours. — Ces mots ne sont-ils pas dans cette Oraison : — Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ?

« Le sieur Olivier voyant bien ce qu’il voulait dire, l’embrasse et lui dit que de bon cœur il lui pardonnait la faute qu’il avait commise à son endroit.

« Au sortir de là, il me vint trouver tout rempli de joie de s’être réconcilié donnant mille louanges à celui qui lui avait accordé son pardon. »

Le 9 janvier 1640, Louise Couillard, épouse d’Olivier Le Tardif, fut la marraine d’une femme sauvage, âgée d’environ 63 ans ; le Père Claude Pijart, Jésuite, fit le baptême. Cette femme s’appelait Pinienakechke.

Le 10 mai 1640, Mme Le Tardif voulut être encore une fois marraine d’une fille sauvage qu’elle nomma Louise ; le parrain fut Pierre de Launay, commis et interprète. Sept jours plus tard elle rendit le même service à une autre fille des bois ; le parrain fut Jean Bourdon.

L’union d’Olivier Le Tardif et de Louise Couillard fut de courte durée. Après une maladie de quelques semaines cette fille de Guillaume Couillard mourut. Elle fut inhumée à Québec, le 23 novembre 1641. Olivier Le Tardif, après avoir épousé, en secondes noces, Barbe Aymart, fut inhumé au Château-Richer, le 28 janvier 1665. Il a laissé une nombreuse descendance.

Il est temps de faire connaître un autre interprète non moins célèbre : Jean Nicolet, né à Cherbourg, vers l’année 1598. Il était fils de Thomas Nicolet, messager ordinaire de Cherbourg, et de Marie de la Mer.

Jean Nicolet pouvait avoir vingt ans lorsqu’il arriva au Canada. Son frère, Gilles, prêtre séculier, arriva en 1635 ; Pierre, matelot, et Euphrasie-Madeleine arrivèrent vers le même temps.

Nicolet était plein de vie, entreprenant et religieux. Sa mémoire si excellente et son humeur toujours gaie firent « espérer quelque chose de bon de lui, » dit la Relation.

Deux ans après son arrivée, il fut envoyé chez les sauvages de l’Île aux Allumettes, loin de toute civilisation. Il passa deux années entières au milieu de ces barbares où il s’initia à leur genre de vie vagabonde. Dans un de ses voyages il fut sept ou huit jours sans manger, si ce n’est qu’un peu d’écorce de bois.

En 1622, à la tête de quatre cents Algonquins, il se rendit chez les Iroquois pour négocier la paix ; il réussit dans cette mission délicate. Quelque temps après on le retrouve chez les Nipissiriens où il demeura huit ou neuf ans. Durant son séjour avec ces barbares, il acquit une si grande autorité qu’il était regardé comme de la nation et qu’il avait le droit de parler dans leurs assemblées, car il maniait leur langue avec une étonnante facilité.

Après la prise de Québec par les Kertk, il demeura avec eux, mais au retour de M. de Champlain, il revint à Québec à l’emploi de la Compagnie des Cent-Associés. Il avait demandé son rappel : « inquiet, disent les Relations pour le salut de son âme. »

Champlain fut heureux de le voir ; et, comptant sur son expérience, il lui confia une mission longue et périlleuse : la découverte de la mer de l’Ouest. C’était une croyance répandue alors qu’en se dirigeant vers l’Ouest, on parviendrait à découvrir la mer de Chine.

Nicolet partit le 1 juillet 1634 avec le Père Brébœuf. En passant aux Trois-Rivières, il travailla à fortifier cette place. Puis il continua sa course et s’enfonça jusque sur le territoire des Illinois, il s’arrêta à trois jours de marche du fleuve Mississipi. Il revint à Québec par le même chemin ; et on l’envoya plus tard aux Trois-Rivières. Il s’acquitta de ses fonctions d’interprète : « avec une satisfaction grande des Français, desquels, dit la Relation, il était estimé et aimé. Il aidait beaucoup, autant que sa charge le permettait, à la conversion de ces peuples, qu’il savait manier et tourner avec une grande dextérité, qui a peine à trouver son pareil. »

Le 22 octobre 1637, Jean Nicolet célébra son mariage avec Marguerite, fille de Guillaume Couillard.

Le contrat fut passé en présence des témoins suivants : noble homme, François Derré de Gand, commis-général de la Compagnie, honorable homme Olivier Le Tardif, Nicolas Marsolet, Noël Juchereau, Pierre de La Porte, honorable homme Guillaume Couillard, Marie-Guillemette Hébert, Guillaume Hubou et Marie Rollet, sa femme, veuve, en premières noces de Louis Hébert.

Nicolet reçut, en même temps que Le Tardif, une concession de cent-soixante arpents de terre sur le coteau Sainte-Geneviève. Un ruisseau, appelé Belleborne, séparait cette propriété, et Nicolet porta dans la suite le nom de sieur de Belleborne.

Nicolet, après son mariage, demeura aux Trois Rivières. En 1642, durant l’été, il fut mandé à Québec pour remplacer son beau-frère Olivier Le Tardif, au magasin. Durant son séjour à Québec, un soir d’orage, on vint l’avertir que des Algonquins des environs des Trois-Rivières avaient capturé un sauvage de la Nouvelle-Angleterre, et qu’ils venaient de le condamner à mort, en le tourmentant de la manière la plus cruelle.

Les Français et les missionnaires, par leurs tentatives pour le délivrer n’avaient fait qu’augmenter la colère des barbares. On pensa alors à aller chercher Nicolet qui exerçait une grande autorité sur la tribu.

Malgré la longueur du voyage et les périls auxquels il s’exposait, Nicolet n’hésita pas un seul instant. Un malheureux était aux prises avec la mort la plus cruelle… qui sait, peut-être une âme à sauver ? Cette pensée stimula son dévouement et il partit avec ses compagnons. Mais, ce brave, ce héros, ne devait plus revoir les siens ici-bas. Voici comment la Relation raconte cette mort glorieuse : « M. Olivier, commis-général, étant venu l’an passé en France, le sieur Nicolet descendit en sa place, avec une joie et consolation sensible de se voir dans la paix et la dévotion de Québec ; mais il n’en jouit pas longtemps, car un mois ou deux après son arrivée, faisant un voyage aux Trois-Rivières pour la délivrance d’un prisonnier sauvage, son zèle lui coûta la vie, qu’il perdit dans le naufrage. Il s’embarqua à Québec, sur les sept heures du soir, dans la chaloupe de M. de Sévigny, qui tirait sur les Trois-Rivières. Ils n’étaient pas encore arrivés à Sillery, qu’un coup de vent du Nord-Est, qui avait excité une terrible tempête sur la grande rivière, remplit la chaloupe et la coula à fond, après lui avoir fait faire deux ou trois tours dans l’eau.

« Ceux qui étaient dedans n’allèrent pas incontinent au fond ; ils s’attachèrent quelque temps à la chaloupe, M. Nicolet eut le loisir de dire à M. de Sévigny : « Monsieur, sauvez-vous, vous savez nager, moi je ne le sais pas, pour moi, je m’en vais à Dieu, je vous recommande ma femme et ma fille. » — Les vagues les arrachèrent tous les uns après les autres de la chaloupe qui flottait renversée sur une roche. M. de Sévigny, seul, se jeta à l’eau et nagea parmi les flots des vagues, qui ressemblaient à de petites montagnes. La chaloupe n’était pas loin du rivage, mais il était nuit toute noire, et il faisait un grand froid âpre, qui avait glacé les bords de la rivière. Le sieur de Sévigny, sentant les forces et le cœur lui manquer, fit un vœu à Dieu, et peu après, frappant du pied, il sentit la terre. Se tirant hors de l’eau, il s’en vint à notre maison à Sillery, à demi-mort. Il demeura assez longtemps sans pouvoir parler, puis enfin, il nous raconta le funeste accident, que outre la mort de M. Nicolet, dommageable à tout le pays, il avait perdu trois de ses meilleurs hommes, et une grande partie de ses provisions… Les sauvages de Sillery, au bruit du naufrage de M. Nicolet, coururent sur le lieu, et ne le voyant pas paraître en témoignèrent des regrets indicibles. Ce n’était pas la première fois, que cet homme s’était exposé aux dangers de la mort pour le bien et le salut des sauvages. Il l’a fait fort souvent et nous a laissé des exemples qui sont au-dessus de l’état d’un homme marié, et qui tiennent de la vie apostolique, et laissent une envie au plus fervent religieux de l’imiter[1]. »

« Telle fut, dit l’abbé Gosselin, la fin tragique et vraiment héroïque de Nicolet : couronnement glorieux, on peut le dire, d’une vie toute de dévouement et de sacrifices pour le bien de sa patrie et de la religion[2]. »

Quelques jours après cet accident, le sauvage pour lequel Nicolet s’était dévoué, fut sauvé par des Français et les missionnaires des Trois-Rivières. Il montra plus tard sa reconnaissance pour ce bienfait qu’il avait reçu en engageant ses compatriotes à envoyer une députation chez les Iroquois afin de délivrer le Père Jogues : « Si cette démarche ne réussit point, elle prouve, dit l’abbé Ferland, que la reconnaissance n’était pas étrangère à tous les cœurs sauvages[3]. »

L’inventaire des biens de Jean Nicolet fut passé aux Trois-Rivières, par André Crosnel, caporal. Le 7 novembre 1642, Joseph de Rhéaume fit la criée publique. Cette vente, annoncée au prône de la grand’-messe, fut faite en présence de Pierre Nicolet, Jacques Hébert, Jean Godefroy… Pierre Nicolet acheta un tableau de Notre-Dame, avec son cadre et un coffre. Il paya le tout 6 livres et 15 sols. Marguerite Couillard, veuve de Jean Nicolet, acheta un lit de plumes qu’elle paya six vingts livres[4].


Nicolet, en mourant, laissait, outre sa jeune veuve, Marguerite Couillard, qui épousa le 12 novembre 1646 Nicolas Macard, une fille appelée Marguerite. Cette dernière fut baptisée le 1 avril 1642. On lui donna pour tuteur Pierre Nicolet, son oncle, que l’on voit dans la colonie en qualité de matelot. Ce dernier, exerça cette fonction pendant trois ans, puis le 1 novembre 1646, sur le point de retourner en France, il fit réunir un conseil de famille afin de choisir un tuteur qui devait veiller sur la jeune orpheline. À cette assemblée de parents, Olivier Le Tardif, commis et interprète de la compagnie des Cent-Associés, fut choisi pour le remplacer[5]. Parmi ceux qui assistèrent à cette assemblée, on remarque Charles Huault, Chevalier, sieur de Montmagny, gouverneur du Canada, Messire Gilles Nicolet, prêtre, frère de feu Jean Nicolet, Guillaume Couillard, Marguerite Couillard, Olivier Le Tardif, Guillaume Hubou, Nicolas Macard, Jean Guyon.

Le 22 mars 1652, Olivier Le Tardif vendit à Jean de Lauzon, sénéchal du pays, le domaine qu’il avait obtenu de la compagnie des Cent-Associés[6], avec celui de sa pupille, Marguerite Nicolet. Le contrat de vente fut exécuté par Rolland Godet.

Le lendemain, Olivier Le Tardif, seigneur en partie de Beaupré, comme tuteur de Marguerite Nicolet, faisait une convention avec Nicolas Macard. Il autorisait ce dernier à nourrir la fille de Nicolet, moyennant la somme de 1770 livres 18 sols, qui provenait de la succession de son père.

Olivier Le Tardif conserva la tutelle de Marguerite Nicolet jusqu’en l’année 1656, époque où elle épousa Jean-Baptiste Le Gardeur de Repentigny. Par ce mariage, elle transmit le sang des Couillard et des Nicolet à l’une des plus remarquables familles de la Nouvelle-France.




  1. Relation de 1642.
  2. L’abbé Gosselin, Jean Nicolet, page 266.
  3. L’abbé Ferland, Histoire du Canada, 1er vol., page 277.
  4. Greffe de Bancheron, Archives du Séminaire de Québec.
  5. Audouard, Archives du Séminaire de Québec.
  6. Le Tardif et Nicolet avaient obtenu ce domaine de 160 arpents, de la compagnie des Cent-Associés, le 5 avril 1639, à la charge de payer un denier de cens par chacun des dits arpents et par chacun an. Bulletin des Recherches Historiques, janvier 1907, 10 vol.