Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 98-105).

CHAPITRE XI


zèle de la famille de louis hébert pour la conversion des sauvages. — les premiers baptêmes à québec. — un mot des enfants de guillaume couillard et de marie-guillemette hébert.


Dès son arrivée dans la Nouvelle-France, Louis Hébert montra un zèle admirable pour procurer aux indigènes la grâce du baptême. Les lignes élogieuses que lui a consacrées le Frère Sagard l’attestent assez ; et les conseils qu’il adressa à ses enfants sur son lit de mort, nous font voir les sentiments chrétiens qui faisaient battre le cœur de ce vaillant pionnier. Ces recommandations dictées par la charité, portèrent d’heureux fruits dans le cœur si bien disposé de ses enfants. Tous furent fidèles aux promesses qu’ils avaient faites au patriarche mourant.

Les Relations des Jésuites, qui nous racontent les commencements bien humbles de la colonie, nous montrent que la première famille canadienne eut un zèle sans bornes pour instruire les enfants de nos grands bois, des vérités de la foi. Son œuvre si sublime n’est pas assez mise en lumière ; nous devons la mieux faire connaître afin qu’elle serve d’exemple à la génération présente.

En l’année 1627, nous trouvons tous les membres de la famille assistant au baptême d’un petit sauvage qui avait été sous les soins de Mme Hébert. Le Frère Sagard nous apprend que depuis longtemps il était tourmenté par le démon. Ses crises étaient affreuses. Mme Hébert et les Récollets l’avaient préparé pour lui faire recevoir le saint baptême. Au sortir d’une attaque plus forte que les précédentes, les Pères résolurent de le baptiser. La cérémonie donna lieu à une solennité extraordinaire.

Le Père Lallemand, Jésuite, célébra la Sainte Messe durant laquelle le Père Joseph Le Caron, Récollet, donna le sermon. Après la messe, le néophyte, tout de blanc habillé, se présenta à la porte de l’église. En présence de tout le monde, il répondit avec assurance aux questions exigées par le Rituel Romain. Comme il persévérait dans la résolution de recevoir le baptême, il fut introduit dans l’église, et le Père le baptisa. M. de Champlain fut parrain, Mme Hébert fut toute heureuse d’en être la marraine. La plupart des Français tinrent à honneur d’assister à cette cérémonie. Lorsque le Te Deum fut entonné, les canons du fort annoncèrent aux deux rives du Saint-Laurent que l’Église comptait dans son sein un enfant de plus.

Après la cérémonie, les Pères, le chef sauvage et le nouveau baptisé prirent le dîner avec M. de Champlain au fort. Le capitaine Montagnais et les autres sauvages se rendirent à la maison de Mme Hébert. Elle avait préparé pour le festin cinquante-six outardes, trente canards, vingt sarcelles, des viandes en quantité, deux barils de pois, un baril de galettes, quinze à vingt livres de pruneaux, et du blé d’Inde. Guillaume Couillard et Pierre Magnan, qui fut plus tard tué par les Iroquois, firent les honneurs du repas. Sur le soir les sauvages se retirèrent dans leurs cabanes, contents de leur journée et emportant avec eux les restes de ce colossal festin.

Au mois de mai de la même année, Mme Hébert voulut encore être la marraine d’un autre sauvage de dix-huit à vingt ans. Le baptême eut lieu le jour de la Pentecôte. Au nouveau baptisé on donna le nom de Louis. M. de Champlain fut le parrain. Comme pour le précédent baptême, il y eut des salves d’artillerie, festin, et le nouveau chrétien prit le dîner en compagnie de son charitable parrain.

Pendant la longue absence des Français qui dura de 1629 à 1632, Mme Hébert et sa famille eurent plusieurs fois l’occasion d’exercer leur charité envers les sauvages. En dépit des mauvais traitements auxquels ils étaient exposés, ils venaient de temps en temps dans la maison toujours hospitalière de Mme Hébert et ils recevaient des leçons de catéchisme et des secours dont ils avaient besoin.

Le Père Le Jeune, dans la Relation de 1632, raconte ainsi le second baptême administré à Québec, après le retour des Français : « Le second sauvage baptisé, écrit-il, a été notre Manitougatche, autrement appelé La Nasse. Il s’était habitué près de nous avant la prise de Québec ; il commençait à défricher et à cultiver la terre, mais les mauvais traitements qu’il reçut de la part des Anglais l’avaient éloigné. Cependant, il revenait voir Mme Hébert qui restait ici avec toute sa famille et lui témoignait son désir de nous voir revenir. Aussitôt qu’il nous vit arriver il vint et fixa sa cabane tout près de notre maison. »

La Nasse fut toujours l’ami des Français. En 1629, il annonça à Québec l’arrivée des Anglais à Tadoussac.

Le troisième baptême fut administré en 1632. La Relation le mentionne ainsi : « Demain, écrit le Père, je dois baptiser un petit enfant Iroquois qu’on doit porter en France pour ne jamais plus retourner en ce pays-ci. On l’a donné à un Français, qui en a fait présent à M. de La Ralde ». Mme Couillard, fille de Mme Hébert, fut sa marraine et Émery de Caën, son parrain. Comme il fut baptisé le jour de la fête de saint Louis, on lui donna le nom de Louis.

« Ce pauvre petit, écrit le Père, n’a que quatre ans ; il pleurait avant le baptême, je ne pouvais le tenir. Si tôt que j’eus commencé les cérémonies, il ne dit plus un mot ; il me regardait attentivement et faisait tout ce que je lui disais de faire. Je crois qu’il fut Iroquois ; mais j’ai appris qu’il est de la nation du feu. Son père et sa mère furent pris et brûlés par les Algonquins, qui le donnèrent aux Anglais ; ceux-ci le donnèrent aux Français. »

La sympathie de Mme Hébert ne se limitait pas aux pauvres sauvages, mais elle s’étendait encore à d’autres déshérités de la terre.

En 1632, outre les petits sauvages dont nous venons de parler, se trouvait dans sa maison un petit nègre auquel elle enseignait les vérités de la foi. C’est encore la Relation de 1632, qui rapporte ce fait.

« Je suis devenu régent, écrit le Père Le Jeune, j’avais l’autre jour à mes côtés un petit nègre et un petit sauvage auxquels j’apprenais l’alphabet. Ce petit nègre a été laissé à cette famille de Français qui est ici. Nous l’avons pris pour l’instruire ; mais il n’entend pas bien la langue.

» Un jour, sa maîtresse (Mme Hébert) lui demanda s’il voulait être baptisé, ajoutant que, s’il le voulait, il deviendrait comme nous. Il répondit qu’il le voulait bien ; mais, ajouta-t-il, ne m’écorchera-t-on pas en me baptisant ?

» Comme il vit que l’on se riait de sa demande, il repartit : « Vous dites que par le baptême je serai comme vous, je suis noir et vous êtes blancs, il faudra donc m’ôter la peau pour que je devienne comme vous. »

» Là-dessus on se mit à rire, et lui, voyant qu’il s’était trompé, se mit à rire comme nous. Quand je lui dis de reprendre sa couverture, et de s’en retourner chez son maître jusqu’à ce qu’il entendît bien la langue, il se mit à pleurer ; il ne voulut jamais reprendre sa couverture. Sa maîtresse lui ayant demandé pourquoi il ne l’avait pas reprise, il répondit : Viens ! Baptisé, toi ; et moy point baptisé, moy point baptisé, point retourné, point couverture. Il voulait dire que nous lui avions promis le baptême, et qu’il ne voulait point retourner dans son pays sans l’avoir reçu ; ce sera dans quelque temps s’il plaît à Dieu. »

Les désirs du cher néophyte furent bientôt réalisés. Le 14 mai 1633, la cérémonie eut lieu avec grande solennité. « Je baptisai, ce jour, écrit le Père Le Jeune, le petit nègre dont je fis mention l’an passé. Quelques Anglais l’avaient amené de l’Île de Madagascar, puis le donnèrent aux Kertk. Un de ceux-ci le vendit cinquante écus à un nommé le Bailly, qui en a fait présent à cette honneste famille qui est icy.

» Cet enfant est si content que rien plus ; il m’a encore bien récréé en l’instruisant. Un jour, voulant reconnaître si les habitants de son pays étaient mahométans ou païens, je lui demandai s’il n’y avait point de maison où l’on priait Dieu ; c’est-à-dire, s’il n’y avait point de mosquée ?

» Il y a, dit-il, des mosquées en notre pays. — Sont-elles grandes, lui dis-je ? Elles sont, dit-il, comme celles de ce pays-ci. — Mais, lui dis-je, il n’y en a point en France, ni en Canada ! — J’en ai vu, dit-il, entre les mains des Français et des Anglais, qui en ont emporté dans notre pays et maintenant on s’en sert pour tirer. »

« Je reconnus qu’il voulait dire mousquet et non mosquée. Je souris, et lui aussi ; il est grandement naïf et fort attentif à la messe et au sermon.

» C’est le quatrième enfant que je baptise, car Dieu ayant donné à Mme Couillard un petit enfant, je lui ai administré ce sacrement, ce que j’avais déjà fait à deux petits sauvages. »

Guillaume Couillard eut une belle famille de dix enfants. Voici leurs noms et la date de leur baptême.

Louise Couillard fut baptisée, le 30 janvier 1625 ; elle eut pour parrain le sieur Émery de Caēn ; pour marraine, Mme Hébert ; le Père Le Caron fit la cérémonie.

Marguerite, baptisée le 10 août 1626, fut tenue sur les fonts baptismaux par M. de Champlain, et Marguerite Langlois, épouse du Sieur Abraham Martin. Le Père Charles Lallemand fit ce baptême.

Louis fut baptisé par le Père Joseph Le Caron, le 18 mai 1629. Son parrain fut Guillaume Hubou et sa marraine Marie-Françoise Langlois, épouse de Pierre Desportes.

Élisabeth, née le 9 février 1631.

Marie, baptisée le 28 février 1633 ; son parrain fut Guillaume Duplessis-Bochart ; sa marraine, Marguerite Langlois.

Guillaume, baptisé le 16 janvier 1635, eut pour parrain le Sieur Robert Giffard, seigneur de Beauport, médecin ; pour marraine Hélène Desportes.

Madeleine, baptisée le 9 août 1639, fut tenue sur les fonts baptismaux par noble Pierre Le Gardeur de Repentigny et par Dame Marie-Madeleine de Chauvigny de la Peltrie, fondatrice des Dames Ursulines, de Québec.

Nicolas fut baptisé le 6 avril 1641, Nicolas Marsolet, sieur Saint-Aignan, fut son parrain ; Jacqueline Potel, épouse du sieur Jean Bourdon, Procureur-général et Ingénieur-en-chef, sa marraine.

Charles, né le 10 mai 1647, eut pour parrain Messire Charles Huault, sieur de Montmagny, chevalier, gouverneur de la Nouvelle-France ; pour marraine, Delle Marie-Madeleine Le Gardeur de Repentigny.

Gertrude fut baptisée le 21 septembre 1648.

Les enfants de Guillaume Couillard s’allièrent aux meilleures familles de la Nouvelle-France.