Louÿs — Littérature, Livres anciens, Inscriptions et belles lettres/Notes littéraires 3.

Slatkine reprints (p. 177-178).

DEUX CURIEUSES ABERRATIONS


I

Châteaubriand était un homme très bien ; presque trop bien, si cela peut se dire.

En 1830, il n’avait pour vivre que sa pension de 12.000 francs. Une pension est une dette nationale. Châteaubriand n’a pas voulu la recevoir de Louis-Philippe, et sans aucun espoir de revoir sa dynastie préférée (… « les Bourbons qui s’exilent de France pour la troisième et dernière fois, écrivait-il) il s’est jeté en pleine misère, à 62 ans, n’ayant d’autre fortune que sa garde-robe d’uniformes diplomatiques, qu’il a vendue 700 francs à un juif.

C’est très beau. C’est d’autant plus beau que la pension n’est pas un traitement et qu’elle est due même aux adversaires irréconciliables du pouvoir.


Et le même homme, qui devait écrire : j’avais quatre sœurs « d’une grande beauté », le même homme publie un roman autobiographique sur lequel il ne veut pas que nous nous trompions. Il l’intitule René ; René est son prénom.

Et il l’écrit pour nous apprendre que sa sœur a été physiquement amoureuse de lui, et que si elle n’a pas réussi c’est qu’il n’a pas voulu comprendre.

Inexpiable livre ! Je n’en connais pas qui soit moralement pire. — Publier un roman sur l’inceste d’une sœur, je ne condamne pas cela, mais chuchoter au lecteur : « Et vous savez, c’est la mienne ! » c’est digne du dernier des misérables.

Or, ce « dernier des misérables » et cet homme « trop bien » n’ont fait qu’un.


II

Mais pourquoi sourions-nous, et pourquoi Albert Sorel riait-il au point d’écrire mille vers de parodie, quand Victor Hugo prend les rois pour des brigands ?

Le raisonnement de Hugo est parfaitement juste. Vois le parallèle.

Et sans hésitation, j’aime mieux le brigand. Sa thèse ne peut léser qu’une famille ou quinze ; mais celle de l’empereur est dangereuse pour tout un peuple.

Nous rions parce que Louis-Philippe a été notre dernier roi, et que cette théorie n’était guère la sienne. Enfin Hugo ne l’a pas inventée, puisque, plus de 25 ans après sa mort, le premier souverain du monde la reprend pour son compte.

Mais quelle excuse pour le régicide !