Louÿs – Poëtique, suivie de Théâtre, Projets et fragments ; Suite à Poëtique/Suite à Poëtique 5

Slatkine reprints (p. XXVIII-ms).

HUGO


(Transcription du manuscrit autographe présent dans le fac-similé)

Il imagine les Pyrénées antiques : un mur de marbre — Pluie.


une vasque s’ébauche et sous cette rosée
une vasque s’ébauche et la pierre est creusée.


Puis, avec le beau procédé de la répétion, de goutte d’eau en goutte d’eau, en deux pages qui sont les plus extraordinaires du poëme, mais dont on ne peut rien citer parce que tout se tient, il élargit cette vasque et en fait Gavarnie.


Un théâtre ou Stambun cirque, un hippodrome,
Un théâtre ou Stamboul, Tyr, Memphis, Londres, Rome
Avec leurs millions d’hommes pourraient s’asseoir
Où Paris flotterait comme un essaim du soir…


Ce cirque, il le décrit comme il le rêve : cent fois plus grand que nature. Il en fait un Piranèse orné par Gustave Moreau, quelque chose de pharamineux. Désormais il l’a construit, il le voit. Que va-t-il en faire ?

Dans un pareil cirque on ne peut introduire ni un homme ni une bête. Aucun être vivant n’est à la taille de cela, ni aucun être fabuleux, ou alors il faudrait le faire grandir sous les yeux du lecteur (comme Pan à la fin du Satyre) : effet qui vient de bâtir le cirque lui-même.

Alors il y fait entrer brusquement :

1° Ce que nous connaissons de plus formidable : l’Orage.


Et malheur au nuage errant qui se hasarde…
Sitôt qu’il y pénètre il ne peut plus sortir.
Il a beau reculer, trembler, se repentir,
Le tourbillon le tient. C’est fini. Le nuage
Lutte et bat le courant comme un homme qui rage ;
Il roule. Il est saisi ! Vois, entends le gronder.
Il fait de vains efforts, il cherche à s’évader ;
On dirait que le gouffre implacable le raille,
Il monte ; il redescend le long de la muraille,
Fauve, il quête une issue, un soupirail, un trou,
Étreint par la rafale, égaré, fuyant, fou,
Il vomit ses grêlons, crache sa pluie et crible
D’aveugles coups d’éclair l’escarpement… etc. etc.
.........................
...........et le pâtre éveillé,
Pâle, écoute parmi les sapins centenaires
Rugir toute la nuit cette fosse aux tonnerres.


2° (car ce n’est pas assez) il fait descendre là-dedans


Pour s’entre-dévorer, les bêtes des étoiles
.........................
...........Le Taureau, monstre ailé,
L’effrayant Capricorne aux nuages mêlés,
Le Lion flamboyant, tout semé d’yeux funèbres,
Baîllant de la lumière et mâchant des ténèbres,
Le Scorpion tenant dans ses pattes le soir,
Et se ruant sur tous, le Sagittaire noir
Ce chasseur au carquois rempli de météores
Dont par moments on voit, ainsi que des aurores
Qui passent et s’en vont et qu’un sillon d’or suit,
Les flèches d’astres luire, et tomber dans la nuit


Eh bien tu me dis : « On ne fais pas du grand avec du démesuré » et tu as bien l’air d’avoir raison, çà ne m’étonne pas de toi. Mais tout de même Hugo y est arrivé. Et c’est le seul homme depuis ses maîtres de la Bible, qui ai pu bâtir une vision avec des images de cent tonnes. Quand il n’aurait que l’honneur de l’avoir entrepris… N’est-ce pas ?