Louÿs – Poésies/Premiers vers 9

Slatkine reprints (p. 29-30).

LE LIT



Ô couche ! sois bénie, où les femmes écloses,
Blanches, donnent le jour aux petits enfants roses,
Et dédoublent leur vie, heureuses de créer,

Puis se font apporter l’enfant, pleines d’alarmes,
Et comprenant qu’il vit, puisqu’on l’entend crier,
Sanglotent de bonheur en riant dans leurs larmes.

Ô couche, sois bénie où nous veillons, le soir,
Où nous sentons monter des parfums d’encensoir
De l’avenir lointain, lumineux comme un rêve,

Qui nous veut, qui nous dit : Plus haut ! Toujours plus haut !
Et sur lui je ne sais quelle aurore se lève,
Qui nous fait trembler d’aise et crier en sursaut.


Ô couche ! ô couche ! sois bénie, où la Nature
Nous impose la loi de toute créature
Et nous livre la femme aimée, entre tes draps ;

Où, frissonnant ainsi qu’un roseau sur les berges,
Nous voyons dans l’étreinte auguste de leurs bras
Le nimbe de la mère éclore au front des vierges.

Et quand, vieillards chargés de maux et pleins de jours,
Las d’être, las d’aimer, las de penser toujours,
La Nature nous pousse à la Nuit infinie,

Quand nous aspirons vers le calme apaisement
Du silence éternel…, ô couche, sois bénie,
Où le froid du Néant nous endort doucement !

Où le froid du Néant nous 9 Décembre 1889.