Louÿs – Poésies/Premiers vers 10

Slatkine reprints (p. 31-32).

ENTRE L’ÂME ET LE MONDE



La destinée humaine ! — quelle angoisse tombe,
Au fond de notre cœur, de ces mots désolés.
Dès le sein maternel jusqu’au sein de la tombe
Nous chasse le temps sombre aux yeux toujours voilés.

Force aveugle au pouvoir d’une force inconnue,
Sans répondre à ma plainte il s’écoule sans bruit ;
Il passe, indifférent à ma voix continue,
Et toujours plus avant me pousse dans la nuit.

Et je sens vivre en moi des légions fécondes
Qui travaillent dans l’ombre, avec d’obscurs moyens,
Le mystère ignoré de leurs tâches profondes
Dont ma faible raison ne saura jamais rien.


Chassé hors de moi-même, assailli par le doute,
Voyageur égaré, sans but et sans foyer,
Je suis pris de vertige au milieu de la route,
Je glisse à chaque pas, je me sens tournoyer

Entre un gouffre insondable et des roches dressées
Entre l’Âme et le Monde, — et j’avance en tremblant,
Éperdu, sur le pont frêle de mes pensées,
Tant qu’il plaira de battre à mon cœur pantelant.

Tant qu’il plaira de battre à(Imité de Lenau.)
Tant qu’il plaira de battre à mon 1889.