Lois des Francs contenant la Loi salique et la Loi ripuaire/Préface


Traduction par Jean-François Aymé Peyré.
Texte établi par Dutillet ; François-André Isambert (préface), Firmin Didot (p. v-xvi).

Préface de M. Isambert.

En publiant la Collection des anciennes lois françaises[1],[2], nous avons exprimé le regret de ne pouvoir donner le texte de la loi Salique et de la loi Ripuaire, de la loi des Bourguignons et de la loi des Visigoths, lois nationales qui ont régi les diverses parties de la France pendant longues années, et qui, au moment de l’anarchie féodale, sont venues se fondre dans les coutumes des grandes provinces.

Mais on sent combien l’insertion de ces textes eût augmenté le nombre des volumes, que le libraire-éditeur a réduits, au point de nous obliger à sacrifier même le texte des lois plus récentes, dont la nationalité ne peut être contestée par personne, et nous a obligé de nous renfermer dans les bornes étroites d’une collection abrégée.

Nous avons donc vu avec une vive satisfaction, un savant modeste et consciencieux, publier dans le même format, non-seulement le texte des lois Salique et Ripuaire, mais une traduction fidèle, ainsi que des notes, et une excellente table des matières. Ce savant mérite d’autant plus d’encouragements que ces travaux sont peu encouragés en France, et que de leur nature ils ne s’adressent qu’à un petit nombre d’hommes studieux, d’un esprit assez élevé, pour ne rien trouver d’indifférent dans la marche et les progrès de la législation.

Nous faisons les vœux les plus ardents pour que le nouvel éditeur de nos premières lois nationales poursuive son entreprise, et publie, dans la même forme, la loi Gombette, et les actes publics du gouvernement des Bourguignons qui s’y rattachent, ainsi que les lois des Goths qui ont occupé nos provinces méridionales, et même le code d’Alaric, qui explique les variations que la législation romaine a éprouvées chez nous, avant que les codes de Justinien fussent professés dans nos écoles.

Il sera facile de compléter ensuite les monuments législatifs de la première race que l’on confond ordinairement avec les capitulaires de la deuxième race, recueillis et publiés par Baluze, réimprimés par Chiniac.

Ces monuments sont peu nombreux : en y ajoutant les conciles nationaux, les diplômes ou chartes reconnues authentiques, on aurait la série entière des lois qui ont survécu au naufrage des temps.

Pour connaître sous quelles lois nos pères ont vécu depuis l’affranchissement de la domination romaine jusqu’aux jours de Charlemagne, il faudrait encore dépouiller les historiens de la première race et les chroniques nationales, et faire le tableau chronologique des lois perdues.

La chose est faisable, et peut occuper les loisirs de l’homme studieux dont nous annonçons les premières veilles.

Il importe singulièrement, dans l’état de perfection où la critique historique est parvenue, de ne rien négliger pour donner à ces travaux, un ensemble qui permette d’en recueillir le premier fruit : ces lois n’étant plus en vigueur, ne peuvent servir qu’à l’histoire des institutions, à démontrer que la constitution du pays n’était pas aussi barbare qu’on l’a cru ; que l’absolutisme n’était pas le droit commun, et qu’enfin il y avait des libertés, sans quoi la monarchie semi-élective des Mérovingiens n’aurait pas eu une durée de 250 ans.

L’erreur de M. Guizot, dans le tableau qu’il a tracé de ces institutions, a été de confondre, dans un beau travail, du reste, les monuments de cinq siècles (les 2 premières races), et d’avoir transporté au temps de Clovis, ce qui appartient au siècle de Charles-le-Chauve, et réciproquement.

Au reste ce n’est pas la faute de M. Guizot et de ses devanciers ; les monuments ne sont pas recueillis ; on n’en a pas même encore fait la table ; les idées qu’on s’est formées de l’état social au commencement du 6e siècle, étaient fautives ; nous avons essayé de les rectifier, dans les préfaces des 3e et 4e livraisons du Recueil des anciennes lois françaises. Nous avons été arrêté dès la 5e, par le défaut de place, et nous avons été obligé d’ajourner la suite d’un travail que nous espérons pouvoir publier séparément et avec l’étendue désirable.

Il nous reste à appeler l’attention des lecteurs, sur l’importance des deux monuments que notre savant Lyonnais donne au public.

La loi Salique n’est pas une loi purement rurale et de police, comme on l’a souvent dit et répété, et comme on serait tenté de le croire en parcourant ses titres.

Nous avons prouvé ailleurs, que le caractère d’hérédité élective, attaché à la première magistrature chez les Francs, résultait de la disposition de çette loi relative aux partages de famille. La royauté mérovingienne était une propriété, parce qu’elle donnait droit à une part plus forte dans le butin ; mais elle se divisait entre les mâles, au décès de chaque chef. Les Francs alors suivaient la bannière de celui dont la bravoure ou les vertus leur plaisaient davantage ; de là la cérémonie de l’élévation sur le pavois. C’est la seule manière d’expliquer la circonscription des partages, parmi les enfants de Clovis.

De même que nos généraux en chef, quand ils entrent en campagne, sont autorisés à publier les règles de la discipline (art. 12 de la loi du 19 octobre 1791, art. dernier du code du 21 brumaire, an V), les rois de la race mérovingienne publiaient de nouveau les lois nationales, en modifiant quelques dispositions, et la rédaction selon les progrès de la langue, mais sans en altérer les bases essentielles ; autrement il n’aurait plus existé de nation de Francs, et, à la mort de leur chef, ils se seraient trouvés étrangers les uns aux autres. C’est ce qui explique comment la loi Salique a été plusieurs fois modifiée ; il paraît certain que la rédaction la plus ancienne que nous ayons, est celle de Dagobert Ier (vers 630) ; la plupart des éditions donnent même la rédaction de Charlemagne.

La loi de Clovis, publiée en latin, de puis sa conversion, n’est pas parvenue dans son intégrité primitive jusqu’à nous, non plus que celle antérieure à la conversion de ce prince au catholicisme ; on voit seulement, par les termes barbares que renferment les plus anciens manuscrits, et par les additions de titres, que cette loi a subi des modifications assez notables.

Peut-être que la loi Ripuaire est le type le plus ancien des lois des Francs ; la rédaction de Dagobert et de Charlemagne devant avoir introduit d’assez grands changements.

Toutefois nous pensons que ce code, le plus ancien des lois des Barbares que nous ayons, représente encore très-exactement l’état de la législation au commencement du 6e siècle, c’est-à-dire au moment où Clovis, par son alliance avec le clergé catholique, fonda la monarchie dans les Gaules, et y devint le prince le plus puissant, de chef d’une peuplade peu nombreuse et fort obscure qu’il était auparavant.

Quand on connaît la loi Salique, il ne faut pas s’imaginer que l’on connaît la constitution et les lois sous lesquelles vivaient alors les peuples de la Gaule.

Le plus grand nombre d’habitants était régi par la législation romaine, modifiée par les lois du clergé catholique, décrétées en concile ; celles-ci étaient d’autant plus obligatoires pour eux, que si, au milieu des Barbares qui avaient envahi la France, au midi, à l’est et dans le nord, et qui étaient parvenus jusqu’aux extrémités de l’Armorique, ils avaient refusé de reconnaître l’autorité des lois ecclésiastiques, les évêques et les clercs, les seuls hommes civilisés et inviolables de l’époque, les auraient laissés sans protection ; ils seraient devenus serfs.

On ne peut nier que le clergé catholique n’ait rendu alors à la civilisation un service immense, et qu’il n’ait agi avec plus de politique et de fermeté que les évêques Ariens. Il avait alors une constitution démocratique, les évêques étant élus librement par les citoyens aussi bien que par les clercs ; l’inviolabilité attachée à leur caractère, était un palladium pour ceux qui les avaient élus et dont ils défendaient les intérêts, contre l’oppression des Barbares.

L’unité de l’Église, et l’empire que le clergé exerçait sur toutes les classes et dans toutes les parties de la France, lui donnaient la force de résister à la violence des chefs des Francs, au despotisme un peu plus civilisé des rois des Bourguignons et des Visigoths.

Clovis devina cette influence, et en se faisant l’adepte de ce corps puissant, il devint le premier homme de la nation.

Il n’eut pas le temps d’en profiter ; la mort vint le surprendre peu de temps après sa conversion, et la course rapide qu’il fit dans les provinces méridionales de la France. La monarchie des Visigoths et des Bourguignons continua de subsister : mais l’impulsion était donnée ; les enfants de Clovis, soumis au clergé, qui continua de dicter des lois, beaucoup plus fréquemment qu’eux, dans ses assemblées, finirent par s’établir solidement, et c’est de là qu’est sortie la monarchie française.

Il faut avouer que ce n’est pas à l’influence de la loi Salique et à son système démocratique qu’est dû ce grand résultat. Au contraire, les rois mérovingiens, trouvant dans la législation romaine, et dans le clergé catholique, une suprématie d’autorité, que l’assemblée annuelle du Champ de Mars remettait sans cesse en question, et que la division du trône renouvelait à chaque décès, se désaffectionnèrent peu à peu de la loi personnelle qui les régissait, eux et ceux qui les entouraient. Au lieu de vieux guerriers, faisant des remontrances, ils préféraient les courtisans que la constitution impériale leur donnait, et que le clergé catholique ne leur refusait pas, en échange des donations et des abbayes qui se multiplièrent à l’infini.

Ils firent tomber en désuétude les assemblées du Champ de Mars, et sans une révolution qui eut lieu en Austrasie vers le milieu du VIIe siècle, la constitution serait devenue monarchique pure, très long-temps avant l’accession au trône de la race de Charlemagne.

Ils cessèrent de prononcer sur les accusations capitales dans l’assemblée générale de la nation ; de là ces homicides multipliés que l’on a justement qualifiés meurtres et assassinats, puisque le prince seul n’avait pas le droit de prononcer sur la vie de ses compagnons d’armes.

Les rois n’essayèrent d’abord ce terrible pouvoir que sur les fonctionnaires d’origine gauloise romaine ; peut-être même ne pourrait-on pas citer un seul guerrier franc, qui ait été mis à mort par leur ordre, sans avoir été jugé dans l’assemblée nationale, ou du moins sans qu’à l’instant le prince n’ait éprouvé une défection subite.

C’est ce qui expliquerait ces changements de parti d’un prince à un autre dans la race mérovingienne, qui nous semblent des trahisons.

L’hérédité de la monarchie se trouve définie dans la loi Salique et dans la loi Ripuaire, par le droit commun relatif au partage entre les mâles et les filles.

Le mode de jugement est également indiqué dans plusieurs parties de cette loi, et on y voit clairement la distinction entre les juges du fait et les juges du droit, c’est-à-dire l’institution du jury : nous avons fait voir ailleurs qu’il n’y avait alors qu’un seul degré de juridiction, ce qui n’excluait pas le recours pour violation de la loi. Mais il y avait des causes et des personnes qui n’étaient justiciables que d’une cour supérieure, et dans tous les cas il n’appartenait qu’à l’assemblée nationale, présidée par le roi, de prononcer la peine de mort ; c’est un point de ressemblance qu’a ce code avec la loi des 12 tables, faite par un peuple jeune encore.

Tout le code pénal se trouve renfermé dans la loi Salique ; les peines corporelles y sont remplacées par des amendes et des réparations civiles ; chez un peuple grossier et voyageur, les voies de fait, et même les vols sont réprimés plus efficacement par l’argent que par une prison ; des prisons annoncent un état stable et qui ne craint pas d’être obligé de lever le camp.

Le droit civil ne trouve d’ailleurs que peu de dispositions dans ce code ; en effet : quels intérêts compliqués pouvait avoir un pareil peuple ? Le juge devait prononcer d’après l’équité et le bon sens naturel sur la réparation, après que le fait avait été déclaré constant par les assesseurs jurés.

L’état des citoyens était réglé par la loi ecclésiastique, c’est-à-dire par les conciles.

Point de commerce, partant il n’était pas besoin de lois spéciales.

Les dispositions rurales sont les plus nombreuses ; c’est une preuve que ce peuple, tout guerrier qu’il était, se livrait à l’agriculture. La Gaule a de tout temps été un pays fertile, qui ne demandait pour produire des moissons, qu’à s’ouvrir sous la main des hommes laborieux. Polybe et Strabon la signalent sous ce rapport. C’est une grande erreur de croire que nos pères ne vivaient que dans les bois.

En terminant ce court aperçu, nous dirons qu’il est impossible de se faire une juste idée de l’état du pays que nous habitons, depuis la domination romaine jusqu’au système féodal, de comprendre même notre histoire, sans avoir lu et médité les codes des Francs et des autres peuples, et leurs modifications. Il n’y a eu de noblesse d’aucune espèce dans les commencements de la première race ; il n’y avait que des esclaves et des ingénus, ou des vainqueurs et des vaincus ; ou, comme à Rome, les Romains et les Latins. L’institution des Leudes et fidèles date des derniers temps de la première race, ou au plus tôt de Dagobert, lorsque les rois voulurent s’affranchir de la tutelle des assemblées nationales, et former un conseil privé.

Paris, ce 4 avril 1828.

ISAMBERT
  1. 13 vol. in-8o sont déjà publiés. La collection est parvenue jusqu’à la fin du règne de Henri II. 420-1559.
  2. Note Wikisource : voir Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789.