Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie I/Chapitre XXXVII

PARTIE I.

CHAPITRE XXXVII.

Cy dit comment le mareschal eut grand pitié de plusieurs dames et damoiselles qui se complaignoient de plusieurs torts que on leur faisoit, et nul n’entreprenoit leurs querelles, et pour ce entreprit l’ordre de la Dame-Blanche à l’escu verd, par lequel, luy treiziesme portant celle devise, s’obligea à la déffence d’elles.

À revenir à nostre premier propos, c’est à sçavoir de parler du bon mareschal, duquel ne pourroient estre suffisamment représentées les grands bontés ; tandis que l’empereur de Constantinoble estoit en France devers le roy, comme est déduict cy devant, et que le dict mareschal estoit à séjour, advint que aulcunes complaintes veindrent devers le roy, comment plusieurs dames et damoiselles, veufves et autres, estoyent oppressées et travaillées d’aucuns puissans hommes, qui par leur force et puissance, les vouloient déshériter de leurs terres, de leurs avoirs et de leurs honneurs, et avoyent les aucunes déshéritées de faict. Ainsi maints grands torts recepvoient, sans ce que il y eust chevalier, ne escuyer, ne gentilhomme aulcun, ne quelconque personne qui comparust pour leur droict défendre, ne qui soustint ne débatist leurs justes causes et querelles. Si venoient au roy comme à fontaine de justice, supplier que sur ce leur fust pourvéu de remède raisonnable et covenable. Ces piteuses clameurs et complaintes ouyt le mareschal faire à maintes gentils femmes par plusieurs fois, si comme il estoit en la présence du roy. Desquelles choses eut moult grand pitié, et de toute sa puissance estoit pour elles, et ramentevoit leurs causes au roy et en son conseil, et les portoit et soustenoit en leur bon droict par moult grande charité, comme celuy qui en toutes choses estoit et est tel que noble homme doibt estre. Si va penser en son couraige que moult grand’honte estoit à si noble royaume comme celuy de France, où est la fleur de la chevalerie et noblesse du monde, de souffrir que dame ne damoiselle, ne femme d’honneur quelconque eust cause de soy plaindre que on luy fist tort ne grief, et que elles n’eussent, entre tant de chevaliers et escuyers, nuls champions ne défendeurs de leurs querelles ; par quoy les mauvais et vilains de courage estoyent plus hardis à leur courir sus par maints oultraiges leur faire, pource que femmes sont foibles, et elles n’avoient qui les deffendist. Et avec ce disoit en soy mesme : que moult estoit grand pitié, péché et déshonneur à ceulx qui mal leur faisoient, que femme d’honneur eust achoison de soy plaindre d’homme, lequel naturellement et de droict les doibt garder et deffendre de tout grief et tort, à son pouvoir, s’il est homme naturel, et tel qu’il doibt estre, c’est à sçavoir raisonnable ; mais pour ce que chascun ne veult pas user aux femmes de tel droict, que, quant estoit de luy, par sa bonne foy il vouloit mettre cœur, vie et chevance de toute sa puissance, à soustenir leurs justes causes et querelles, contre qui que ce fust qui le voulsist débatre, ne qui tort leur fist, au cas que son aide luy fust requis d’aucune. Ainsi devisoit à part soy le bon mareschal. Et quand sur ce eut assez pensé, adonc par sa très grande gentilesse, libéralité et franchise de couraige, va mettre sus un moult notable et bel ordre, et très honnorable à chevalier, que il fonda et assist sur ceste cause. Et de ceste chose va dire sa pensée et sentence à aulcuns ses plus espéciaulx compaignons et amis, lesquels moult l’en prisèrent, et luy requirent que ils fussent compaingons et frères du dict ordre, qui moult leur sembla estre juste, bel, honnorable et chevaleureux, laquelle chose il leur accepta de bonne volonté. Si furent treize chevaliers, lesquels, pour signe et démonstrance de l’emprise que ils avoient faite et jurée, debvoient porter chascun d’eulx, liée autour du bras, une targe d’or esmaillée de verd à tout une dame blanche dedans. Et des convenances que ils firent et jurèrent à l’entrer en l’ordre, voult le mareschal, afin que la chose fust plus authentique, que bonne lettre en fust faict, laquelle fust scellée des sceaulx de tous treize ensemble, et que après fust publié en toutes parts du royaume de France, afin que toutes dames et damoiselles en ouyssent parler, et que elles sceussent où se traire si besoing en avoient. Si me tais de deviser des convenances du dict ordre, pour ce que tout au long on les peult voir par la déclaration des propres lettres par eulx certifiées et escriptes, dont cy après s’ensuit la teneur. Et ne voult le mareschal estre le premier nommé ès dictes lettres, pour ce que monseigneur Charles d’Albret, qui est cousin germain du roy de France, voult estre compaignon du dict ordre. Si n’en vouloit estre nommé chef par devant luy : et pour ce est mention fait d’eulx tous ensemble, comme voir se peult.