Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie I/Chapitre XXXVIII

CHAPITRE XXXVIII.

Le contenu des lettres d’armes par lesquelles se obligeoient les treize chevaliers à défendre le droict de toutes gentils femmes à leur pouvoir, qui les requerroient.

« À toutes haultes et nobles dames et damoiselles, et à tous seigneurs, chevaliers et escuyers, après toutes les recommandations, font a sçavoir les treize chevaliers compaignons, portans en leur devise l’escu verd à la Dame-Blanche.

« Premièrement : pour ce que tout chevalier est tenu de droict de vouloir garder et deffendre l’honneur, l’estat, les biens, la renommée et la louange de toutes dames et damoiselles de noble lignée, et que iceux entre les autres sont très-désirans de le vouloir faire, les prient et requièrent que il leur plaise que, si aulcune ou aulcunes est ou sont par oultraige ou force, contre raison, diminuées ou amoindries des choses dessus dictes, que celle ou celles à qui le tort ou force en sera faicte veuille ou veuillent venir ou envoyer requérir l’un des dicts chevaliers, tous ou partie d’iceux, selon ce que le cas le requerra. Et le requis de par la dicte dame ou damoiselle, soit un, tous ou partie, sont et veulent estre tenus de mettre leurs corps pour leur droict garder et défendre encontre tout autre seigneur, chevalier ou escuyer, en tout ce que chevalier se peut et doibt employer au mestier d’armes, de tout leur pouvoir, de personne à personne, jusques au nombre dessus dict et au dessoubs, tant pour tant. Et en briefs jours après la requeste à l’un, tous ou partie d’iceulx, faicte de par les dictes dames ou damoiselles, ils veulent présentement eulx mettre en tout debvoir d’accomplir les choses dessus dictes, et si brief que faire se pourra. Et s’il advenoit, que Dieu ne veuille ! que celuy ou ceulx qui par les dictes dames ou damoiselles seroient requis, eussent essoine raisonnable ; afin que leur service et besongne ne se puisse en rien retarder qu’il ne prist conclusion, le requis ou les requis seront tenus de bailler prestement de leurs compaignons, par qui le dict faict seroit et pourroit estre mené à chef et accomply.

« Item, si aucuns seigneurs, chevaliers ou escuyers de noble lignée et sans vilain reproche, ont volonté de faire aucune requeste, ou ont faict ou font aulcun vœu de faire ou accomplir aulcunes armes, quelles que elles soient ou fussent, honnorables et dues de faire, pour ce qu’il est à penser certainement que les dicts requeste et vœu ils ont grand volonté de les mettre à chef pour eulx osier de peine, et afin que plus légèrement ils puissent trouver l’accomplissement de leur désir, iceulx chevaliers dessus nommés, tous ou partie d’iceulx, à qui iceulx vouans et requerans vouldra ou vouldront adresser leurs dicts vœu et requeste, à l’aide de Dieu seront ou sera prest celuy ou ceulx qui en sera ou seront requis, tous, un, ou partie d’iceulx, selon ce que le cas le requerra, de faire et accomplir les dictes armes à eux requises. Et pour mettre le faict à exécution due, veulent trouver juge à leur pouvoir dedans quarante jours après la requeste à eulx faicte, et la devise des armes, et plus tost si faire se peut, Et après que le dict juge sera trouvé d’estre prest, au chef de trente jours, quelque jour que le juge vouldra, donner tout accomplissement du dict faict. Et au cas que iceulx ne pourroient trouver juge, si celuy ou ceulx qui aura ou auront faict les dictes requestes et vœu le veulent pourchasser convenable, tel que par raison doibve suffire, le dict chevalier ou chevaliers dessus nommés sera ou seront prests de partir pour y aller, trente jours après que l’on leur aura faict à sçavoir qui sera le juge. Et s’il est besoing d’avoir saufconduit ou aultre seureté, ceulx qui trouveront le juge seront tenus de le faire avoir, tel comme au cas appartiendra.

« Item, pour ce qu’il pourroit advenir que plus d’un pourroit adresser son vœu et requeste à aulcun des chevaliers dessus nommés, iceluy chevalier sera tenu de l’accomplir à celuy qui premier luy aura faict à savoir. Et cela faict et fourny, si Dieu le gardoit d’essoine, après l’accompliroit à l’autre.

« Item, au cas que aucun ou aucuns des dicts chevaliers dessus nommés auroit ou auroient essoine raisonnable et honneste de non pouvoir accomplir les choses à luy requises, il seroit ou seroient tenus de bailler un de leurs compaignons, lequel qu’il luy plairoit, pour donner tout accomplissement au dict faict.

« Item, s’il advenoit que de tel nombre comme les chevaliers dessus nommés sont, ils fussent requis tous ensemble d’accomplir aucunes armes quelles que elles soient ou fussent, et un ou aulcun d’iceulx fussent en voyage, ou eussent aucune essoine raisonnable, parquoy ils ne pussent estre bonnement au jour qui empris seroit, la partie à qui on le feroit à sçavoir, puisqu’il ne pourroit recouvrer à temps leurs compaignons, seroient tenus de leur pouvoir d’en mettre avec eulx pour parfournir le nombre dessus dicts, pour accomplir toutes choses à eulx requises. Et s’ils estoient en lieu que ils ne pussent recouvrer leurs compaignons comme dict est, ne autre compaignie pour fournir le dict nombre, iceulx qui là seroient, ou qui se pourroient bonnement trouver ensemble, seroient tenus, de tel nombre comme ils seroient, de faire et accomplir toutes choses comme dessus est dict.

« Item, s’il advenoit que aucune ou aucunes dames ou damoiselles eussent requis le secours et aide de l’un, de tous ou de partie des dicts chevaliers, et après la requeste faicte de par les dictes dames ou damoiselles aucun ou aucuns seigneurs, chevaliers ou escuyers, pour leur requeste et vœu accomplir, s’adressassent à eulx d’aucunes armes quelles que elles soient ou fussent, comme dessus est dict, les dicts chevaliers ou aulcuns d’iceulx seroient tenus, comme raison est, de faire et accomplir premièrement le secours de la dicte dame ou damoiselle, et cela faict, donner tout accomplissement aux dictes armes de quoi on se seroit à eulx adressé. Et si ainsi estoit que aucun ou aucuns seigneurs, chevaliers ou escuyers, pour leurs vœux et requestes accomplir, se fussent adressés d’aucunes armes à aucun des chevaliers dessus nommés, et depuis aucune dame ou damoiselle requist pour son aide celuy mesme chevalier, en ce cas il pourroit eslire lequel qu’il luy plairoit, et après si Dieu le gardoit d’essoine, donner tout accomplissement au surplus.

« Item, si aucun ou aucuns des dicts chevaliers dessus nommés, un, tous ou partie d’iceulx, estoient ou fussent requis pour aucuns vœu ou requeste accomplir, de faire aucunes armes, depuis la requeste à eulx faite, aucun ou aucuns autres seigneurs, chevaliers ou escuyers s’adressassent à iceluy ou à ceulx mesmes chevaliers de combatre à oultrance, les requis, un, tous ou plusieurs, s’il leur plaist, peuvent délaisser leurs armes pour prendre la bataille.

« Item, si aucun ou aucuns des dicts chevaliers ou escuyers s’adressoient pour leur vœu accomplir, de leur volonté ou autrement, à iceulx treize chevaliers ou à l’un d’eux, pour combattre à oultrance, comme dict est, et requissent que les vaincu ou vaincus fust ou fussent prisonniers des vainqueur ou vainqueurs, en celuy cas, et tout avant œuvre, seroit advisée une somme d’argent du consentement des parties, et par l’ordonnance du juge devant qui ils combatroient ; et celuy ou ceulx qui seroit ou seroient oultrés et desconfits, demeureront ou demeureroient prisonnier ou prisonniers en la main du juge dessus dict, jusques à ce que il auroit payé et contenté, payés et contentés celuy ou ceulx qui les auroit ou auroient oultrés, d’icelle somme tant seulement qui paravant auroit esté ordonnée : et icelle payée, s’en pourroit ou pourroient aller tous quittes.

« Item, si aucun ou aucuns mouroit en bataille, ou tost après, pour achoison d’icelle, il seroit en ce cas quitte de payer aulcune finance.

« Item, si aucun ou aucuns des treize chevaliers dessus dicts, le temps durant leur méprise, alloit ou alloient de vie à trespassement, ou eust ou eussent essoine raisonnable de non pouvoir plus bonnement porter armes, les autres compaignons en ce cas seroient tenus de mettre d’autres avec eulx pour remplir et fournir tousjours le dict nombre.

« Item, les chevaliers dessus nommés ont emply et veulent donner tout accomplissement à toutes les choses dessus dictes et escriptes, de tout leur loyal pouvoir, à l’ayde de Dieu, et de Nostre-Dame, par l’espace de cinq ans, à commencer à compter du jour de la datte de ces présentes, et porter leur devise le dict temps durant. Et afin que toutes celles et ceulx qui de ces choses oiront parler, sçaichent et tiennent fermement que les volontés des dicts chevaliers sont fermes de toutes ces choses accomplir, et aussi que l’on y adjouste plus grand foy, ils ont faict sceller ces présentes chascun du scel de ses armes, et chascun y a mis son nom par escript, qui furent faictes le jour de Pasques fleuries l’onziesme jour d’avril, l’an de grâce mille trois cent quatre vingt dix neuf. »

Messire Charles d’Albret, messire Bouciquaut mareschal de France, Bouciquaut son frère, François d’Aubrecicourt, Jean de Lignères, Chambrillac, Castelbayac, Gaucourt, Chasteaumorant, Betas, Bonnebaut, Colleville, Torsay.

Et à tant feray fin de la première partie de ce livre, et en poursuivant ma matière par ordre, comme les choses advindrent de rang, au contenu des faicts du mareschal de France Bouciquaut, commenceray la seconde partie, en délaissant toutes les choses dessus dictes, et entrant en autre propos, lequel à l’aide de Dieu bien et bel me ramènera à ma matière. Or me doint Dieu grâce de la commencer, moyenner et finir, que ce soit au plaisir de Dieu, qui point ne défend que on loue les bons, et que aussi ce soit à l’honneur et los de celuy qui bien en est digne, et de qui je parle.