Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie I/Chapitre XIX

Chap. XX.  ►
PARTIE I.

CHAPITRE XIX.

Comment le mareschal Bouciquaut alla avec le roi à Boulongne, au traicté ; et la charge que le roi lui bailla après pour aller en plusieurs voyages, et comment il prit le Roc d’Usac.

Après que le roy eut estably Bouciquaut son mareschal, il s’en retourna à Paris, et le dict mareschal avec luy, si fut tout cest hyver à séjour avec le roy, en jeux et esbatemens avec les dames qui de sa présence estoient joyeuses. Car tout ainsi qu’il estoit propice et vaillant en fait d’armes, semblablement estoit très avenant et gracieux de toutes choses entre dames et damoiselles, et bien y savoit son estre, et pour ce estoit très aimé et bien venu. Si y avoit adoncques trefves entre François et Anglois, et pour ce un peu plus longuement fut à séjour. Quand vint l’esté d’après, durant les dictes trefves, le roy tint un parlement à Amiens, et avecques luy alla son frère le duc d’Orléans, ses oncles le duc de Berry, le duc de Bourgongne et le duc de Bourbon, et autres seigneurs du sang royal, et d’autres grand foison, et tous les capitaines de France, c’est à sçavoir le connestable de Clisson, le mareschal de Sancerre, le mareschal de Bouciquaut, l’admiral de Vienne, et avec ce belle compagnie de seigneurs, et de chevaliers et escuyers. À Amiens devers le roy veindrent à parlement les Anglois, c’est à sçavoir le duc de Lanclastre à belle compaignie de seigneurs et de chevaliers et d’escuyers. Et là fut traicté de paix : mais adonc ne la conclurent mie. Si s’en retourna le roy à Paris, et ne demeura pas moult longuement après, que un maltalent sourdit entre le roy et le duc de Bretaigne : parquoy le roy fit grand mandement et assemblée de gens d’armes, et luy mesme en personne se mut pour aller sur luy. Si ordonna le roy en celuy voyage au mareschal de Bouciquaut grande charge de gens d’armes, c’est à savoir six cents hommes d’armes soubs luy, dont ils furent joyeux d’estre soubs tel capitaine. Et pour le grand amour que les gentils hommes avoient à luy, et la grande opinion que ils avoient de sa bonté, furent plus d’autres quatre cents hommes d’armes, qui oultre la susdicte charge se vindrent mettre soubs luy, et s’en tenoient bien honnorés. Et luy, comme très saige capitaine, bien les sçavoit tenir et gouverner, en telle manière que tous l’aimoient et craignoient. En celuy voyage le roy bailla le gouvernement de la moictié du pays de Guyenne au dict mareschal et ordonna que quand il auroit faict son emprise du voyage où il alloit, et qu’il s’en retourneroit en France, que le mareschal avec une grande compaignie de gens d’armes s’en iroit en Auvergne mettre le siège devant un très bel et fort chastel appelé le Roc d’Usac, que les Anglois avoient pris pendant les trefves. Le roy, à toute ceste belle compaignie de gens d’armes alla jusques au Mans ; ne plus oultre ne passa, pour maladie qui lui prist. Si fut ce voyage rompu ; mais le mareschal au partir de là obtint le commandement du roy, et s’en alla au plus tost qu’il peut en Auvergne mettre le siége devant le dict chastel du Roc d’Usac. Et si mit son siége en si belle ordonnance que tous l’en louèrent, et que il sembla bien que il estoit jà duit de son mestier. Si fist livrer dur assault au chastel par plusieurs jours, car moult estoit forte place, et là fut fait de moult belles armes. Et au dernier ne put plus tenir le chastel. Si se rendirent ceulx de dedans au mareschal. Et fut celle prise moult honnorable : car grande deffence y trouvèrent, parquoy convint de tant plus grand sens et force à en venir à chef.