Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie I/Chapitre XX
CHAPITRE XX.
L’an après que le mareschal eut prins le Roc d’Usac, vindrent nouvelles au roy que les Anglois avoient pris au susdict pays d’Auvergne une ville appellée le Dompme. Parquoy le roy ordonna que le comte d’Eu, qui lors estoit faict nouvel connestable, iroit en Auvergne, et le mareschal avec luy, et mèneroient mille hommes d’armes pour mettre le siége devant la dicte ville. Si se partirent du roy le connestable et le mareschal à tout leur compaignie, en intention d’exécuter et mettre à effect ce qui leur estoit commis de par le roy. Et quand ils feurent arrivés à Limoges, ils sceurent que le mareschal de Sancerre, qui pour lors estoit au pays, avoit délivré par traicté la dicte ville de Dompme, et qu’il en estoit à accord. Et pource le connestable et le mareschal, afin que les Anglois eussent honte de plus rompre les trefves, firent venir devant eulx tous les capitaines Anglois qui au pays tenoient chasteaux et forteresses, et leur firent promettre et jurer de loyaument tenir et garder les trefves : et ces choses faictes s’en revindrent en France. Mais l’an après, les Anglois, qui petit ont accoustumé de tenir ce qu’ils promettent, prindrent derechef sus les dictes trefves deux forteresses ès marches de Xainctonge et d’Angoulesme, l’une appellée Cor, et l’autre la Roche. Si les tenoit et gardoit contre le roy un appellé Parot le Biernois. Si fut ordonné par le roy que le mareschal iroit, à tout cinq cents hommes d’armes pour les assiéger : mais le roy luy commanda que ainçois il allast à Bordeaux requérir au duc de Lanclastre qui là estoit, qu’il luy fist délivrer icelles forteresses qui sus les trefves avoient esté prises. Ce commandement bien retint le mareschal. Si s’en alla à tout sa compaignée droict à Bordeaux, et là trouva le duc de Lanclastre qui le receut à moult grand honneur et bonne chère. Le mareschal lui fit bien et saigement sa requeste, disant comment ce pouvoit tourner à petit honneur aux Anglois d’ainsi rompre les trefves, et d’aller contre ce qui avoit esté promis et juré, et que il lui feist rendre les forteresses qui sus les convenances et en rompant les dictes trefves avoient esté prises. De ceste chose luy fit honnorable responce le duc de Lanclastre, en luy disant que ce n’avoit esté fait mie de son consentement, ne que oncques n’en avoit rien sceu. Si luy en promettoit restitution plainière, et en faire telle amende comme il luy plairoit. Si manda tantost à celuy Parot le Biernois que incontinent rendist les forteresses et amandast les forfaitures, où il mesme l’iroit assiéger. Si furent tantost rendues les dictes forteresses, et restitué le dommaige. Et le mareschal demeura toute celle saison au pays, où il se trouvoit souvent, en celuy temps de trefves, avec les Anglois qui pour sa valeur moult l’honnoroient. Et là estoit parlé entre eulx souventes fois de maintes armes et faicts de chevalerie. Si s’en retourna après devers le roy.