I
BARBE-ROUGE
arbe-Rouge s’était marié sept fois, et avait perdu successivement ses femmes au bout de peu de temps de ménage. Il vécut dix ans en bonne intelligence avec la huitième, dont il eut deux filles et un garçon. Mais, à cette époque, Barbe-Rouge prit sa femme en telle haine, qu’il résolut de se débarrasser d’elle.
Un dimanche, au moment où elle revenait de la messe, il lui dit :
— Jeanne-Marie, c’est aujourd’hui que je vais te tuer.
— Permettez-moi, répondit la femme, de prendre mes habits de noces, ceux avec lesquels je fus mariée avec vous.
— Alors, monte dans ta chambre, et dépêche-toi, car je suis pressé.
Elle ouvrit, avant de commencer à s’habiller, la porte de la maison à son petit chien, auquel elle mit dans l’oreille une lettre pour ses frères qui demeuraient à quelques lieues de là.
Barbe-Rouge, pendant ce temps, aiguisait son sabre en répétant :
J’aiguise, j’aiguise mon couteau,
Pour tuer ma femme qu’est en haut.
— Es-tu prête, Jeanne-Marie ? lui cria-t-il.
— Non, je n’ai encore mis que mon cotillon de dessous.
Quelques instants après, son mari, tout en répétant :
J’aiguise, j’aiguise mon couteau,
Pour tuer ma femme qu’est en haut,
lui demanda pour la seconde fois si elle était habillée.
— Non, dit-elle, je suis à chausser mes bas.
— Es-tu prête ? répéta-t-il au bout d’un quart-d’heure.
— Non, je peigne mes cheveux.
Une demi-heure après, Barbe-Rouge s’écria :
— Mon couteau est bien affilé ; descends, ou je vais te chercher.
— Attendez encore un peu ; je vais prendre ma grande coiffe.
Comme elle y attachait des épingles, elle regarda par la fenêtre, et vit sur la route plusieurs hommes à cheval auxquels elle fit des signes.
— Pour cette fois, s’écria Barbe-Rouge, je vais monter et te faire ton affaire là-haut.
— Je n’ai plus qu’une épingle à placer, et je descends.
Une minute après, elle dit :
— Je suis prête.
Et elle se mit lentement à descendre l’escalier. Au moment où elle arrivait au bas, on frappa à la porte, et Barbe-Rouge se cacha dans le corridor ; mais les chefs de la troupe le découvrirent et le tuèrent.
Jeanne-Marie sortit de la maison avec ses enfants, et, au bout de son deuil, elle se maria avec un des militaires qui l’avaient délivrée.
(Conté en 1878 par Jean Bouchery, de Dourdain, garçon de ferme à Ercé.)
Une variante basque de Webster, à la suite du Cordonnier et ses trois filles, p. 176, a beaucoup de ressemblance avec ce conte. Les sept femmes de la Barbe-Bleue, qui se retrouvent ici, ont leur similaire dans le début du Géant aux sept femmes, no IX des Contes populaires de la Haute-Bretagne.
Quelques-uns des épisodes de Peau d’Âne ont leurs similaires dans plusieurs de mes contes : l’amour du roi pour sa fille se retrouve dans la Peau d’Ânette, qu’on trouvera plus loin, et dont le commencement seul ressemble au conte de Perrault.
Dans le Taureau bleu (Contes populaires de la Haute-Bretagne,no III), la jeune fille qui, à la fin du récit, joue un rôle analogue à celui de Peau d’Âne et de Cendrillon s’enfuit de chez ses parents à cause de la méchanceté d’une belle-mère ; Césarine (no XXVII) se loue comme gardeuse de dindons, après avoir quitté la maison paternelle, parce que sa mère la détestait. Dans ces contes, un prince devient amoureux de la gardeuse de dindons et finit par l’épouser.
Voici un conte recueilli dans l’Ille-et-Vilaine, et dont le milieu et la fin présentent des analogies avec Peau d’Âne.