Nelson, Éditeurs (p. 27-42).

CHAPITRE II

PREMIERS ROULEMENTS DU TONNERRE

M. le procureur général Quesnay de Beaurepaire ayant reçu de M. Prinet le dossier complet du Panama, s’en alla l’étudier, durant l’été de 1892, à la campagne. La plume à la main, il dépouilla l’énorme expertise de M. Flory et, comme cet « excellent comptable », il ne s’inspira que « du terre à terre des chiffres, sans faire assez la part de l’erreur des hommes et de la pression des événements ». Aussi conclut-il aux poursuites contre MM. Ferdinand et Charles de Lesseps, Cottu, Marins Fontane, administrateurs du Panama, et contre M. Eiffel.

C’était se mettre dans le courant populaire mais où l’on pourrait trouver des surprises. Déjà la Libre Parole, en septembre, travaillait à transformer le Panama judiciaire en Panama politique : elle accusait ouvertement des sénateurs et des députés d’avoir trafiqué de leurs mandats lors du vote de la loi de 1888 sur les obligations à lots.

Articles de vacances peut-être[1], et que la direction plaçait en deuxième page. Mais voici que les gens compétents chuchotent : « Comme c’est vrai ! Ah ! si Lesseps veut parler ! quel déballage ! » Voici que les éternels boulangistes, sans rien savoir, croient tout. Voici enfin qu’en quelques jours ces révélations, remuant les cendres d’un foyer antiparlementaire mal éteint, causent une chaleur générale de l’opinion et raniment l’énergie nationale.

À son retour des champs, M. Quesnay de Beaurepaire trouva des éléments d’appréciation que ne lui avait pas fournis le rapport Flory. Il fut sensible, nous dit-il, à l’apitoiement que soulevait le vieux M. de Lesseps : « À entendre les gens les mieux renseignés, les fautes de ce coupable relevaient de la morale et non du Code pénal. » Le 12 octobre, il apprit avec contrariété que les conclusions de son rapport convenaient au garde des sceaux et qu’on allait poursuivre correctionnellement pour escroquerie et abus de confiance. Il en parla, le 14, avec M. Loubet, président du conseil, qui lui répondit :

— M. Ricard vous a donné son avis, mais non pas un ordre.

Le 18, jour de la rentrée des Chambres, les députés vinrent en grand nombre au Palais-Bourbon. Dans leurs arrondissements, la plupart avaient été obligés de réclamer la lumière, la lumière complète ; ils s’étaient vantés d’avoir à plusieurs reprises notifié au gouvernement qu’il recherchât toutes les responsabilités ; — c’est que le populaire ne comprend pas les nécessités politiques ; — mais ce 18 octobre, dans les couloirs du Palais-Bourbon, entre gens de bon sens, ils chuchotent que les administrateurs du Panama, tous ces Lesseps, tous ces Cottu, furent toujours des réactionnaires et que la République ne doit pas se prêter à leurs efforts pour la salir. Seuls, quelques députés, élus de cette législature et plus préoccupés de popularité électorale que d’autorité parlementaire, menaient un grand tapage de vertu. Ils parlaient de concussionnaires, d’enquête, d’épuration nécessaire, et prétendaient faire approuver de tous leur dure morale. Peu de personnes savaient exactement la liste des vendus. Aussi chacun se méfiait-il, craignant également de paraître redouter la lumière et de se mettre à dos la bande ténébreuse des criminels. C’était joyeux et d’une âpreté méphistophélique de voir les habiles se défiler, les épaules voûtées, avec un visage inexpressif, et d’entendre des malheureux répéter avec les purs dont ils étaient atterrés : « Il faut aller jusqu’au bout et, s’il y a des vendus, les exécuter. »

Dans ce frémissement hypocrite, on se pressa, vers les cinq heures et quand les lampes étaient déjà allumées, pour entendre Nelles et Bouteiller discourir au milieu du cercle le plus important.

— Il en sera de cette affaire comme de toutes les autres, disait Nelles à un droitier qui réclamait des poursuites ; avec la meilleure volonté du monde, on ne saura rien.

— C’est malheureux à dire, appuya Bouteiller dans un profond silence, mais, de tous les crimes, le crime de concussion est le plus secret, puisqu’il ne peut être révélé que par le corrupteur ou par le corrompu…

Ces deux adversaires, ce rallié et ce radical de gouvernement, venaient de rédiger l’argument dont s’emparèrent les politiques de tous les camps : d’une action judiciaire ou d’une enquête parlementaire, rien ne pourrait sortir qu’un scandale inefficace.

Tout de même, elle demeure difficile, la tâche du gouvernement. L’opinion réclame des poursuites auxquelles la Chambre ne s’opposera pas. On annonce des interpellations, et pour repousser les ordres du jour invitant à mettre la magistrature en branle, il n’y aura même pas ces parlementaires qui, dans le secret de leur cœur, supplient le ministre de les couvrir.

Dès le lendemain de cette rentrée, au 19 octobre, M. Quesnay de Beaurepaire, procureur général, fit connaître à M. Ricard, garde des sceaux, que M. Loubet lui ordonnait d’attendre la décision du gouvernement. Il exposa en outre les scrupules qui maintenant embarrassaient sa conscience de magistrat, et pour les dissiper, il réclama un supplément d’enquête.

M. Ricard hochait la tête. Pour consentir à cette enquête supplémentaire, il exigea une lettre où le procureur général assumait la responsabilité du retard.

Le surlendemain 21 octobre, M. Quesnay de Beaurepaire visitant M. Carnot à l’Elysée lui confessa que, depuis son rapport, il était fort ébranlé, notamment sur l’intention frauduleuse. Là-dessus, M. Carnot, d’ordinaire si froid et si réservé, s’anima :

M. de Lesseps n’est pas un homme de mauvaise foi. Je le croirais plutôt délicat. Seulement sa fougue naturelle l’emporte. Il raisonne mal et ne sait pas compter ; de là bien des actes fâcheux, accomplis sans intention de nuire.

Sur cette préparation, Bouteiller commença de dessiner la résistance. Dans les couloirs de la Chambre il attaqua Ricard :

— Après que nous avons eu tant de peine à étouffer le boulangisme, disait-il, voici que le ministère veut le ressusciter. Jadis, M. Challemel-Lacour, avec une justesse merveilleuse, a analysé les conditions qui rendirent possible cette exécrable fièvre : le boulangisme est né du manque de gouvernement dans un pays qui veut se sentir gouverné. Le parlementarisme, c’est une majorité décidée à suivre le gouvernement, lui laissant l’étude et le choix des résolutions, et combattant derrière lui selon la tactique qu’il a arrêtée. Mais, chez nous, les députés n’arrivent jamais à se libérer des soucis du candidat pour devenir des hommes politiques ; au lieu de servir le pays, ils s’appliquent à satisfaire dans la surenchère électorale leurs comités. Voilà contre quel mal a surgi par réaction le sentiment dictatorial auquel la France faillit se prostituer. Malgré cette dure expérience, M. Ricard nous remet sur la pente du plus misérable boulangisme ! Serait-il si naïf de confondre les principes de la morale avec les lois de la politique ? C’est beau, le culte des principes, mais c’est dangereux d’alarmer en leur nom la masse de la population. Par complaisance pour les exigences confuses d’une poignée de séditieux, par faiblesse devant les démonstrations d’un journal exploiteur de scandales, on se lance dans l’inconnu, et, sans espoir de rendre évident le néant de ces calomnies à des esprits décidés à écouter leur haine, on accorde un premier succès à des agitateurs qui ne s’en contenteront pas.

Tel était le langage élevé de Bouteiller qui concluait par cette insolence :

— S’imagine-t-on par hasard qu’il existe jamais une constitution qui dispense les hommes d’avoir au moins quelque degré de raison ?

Cette philosophie était immédiatement mise ne épigrammes par les farceurs qui se chargent de la vulgarisation politique. Ils traînaient dans le ridicule et dans la boue M. Louis Ricard. Avant tout, ils raillaient ses deux longues pendeloques de favoris blancs ; ils le dépeignaient solennel, majestueux, préoccupé d’allier la gravité de l’homme d’État à l’élégance du gentleman. À les croire, minaudier et boursouflé, il s’avançait d’un pas lent et scandé de charlatan, l’œil éteint, la lèvre morne, le geste à la Vaucanson. C’était un père noble, attaché à son idée comme à une fille unique. Leurs journaux ne l’appelaient plus que la « Belle Fatma ».

Cependant le président du conseil, Loubet, convoquait fréquemment à la place Beauvau M. Quesnay de Beaurepaire. Assisté, dans ses conciliabules, du ministre de la marine, Burdeau, il disait :

— Le Parlement est emballé, la presse déchaînée, mon cher procureur général. Qu’allons-nous devenir ? Que le procès découvre des députés ayant trafiqué de leurs votes (et MM. de Lesseps ne ménageront personne à l’audience), la République sera déconsidérée.

Le procureur général recommandait un moyen transactionnel :

— Le soulèvement de l’opinion ne permet pas l’inaction du magistrat ? Eh bien ! évitez la poursuite correctionnelle et tenez-vous-en à une action en responsabilité intentée par le liquidateur dans l’intérêt des actionnaires et obligataires. Les administrateurs n’étant plus passibles que de dommages et intérêts ne tiendront pas à compliquer leur cas en parlant de corruption, et, d’ailleurs, n’avez-vous pas un gage : Lesseps père, à qui vous mettriez les menottes ?

M. Christophle, gouverneur du Crédit Foncier, consulté par le gouvernement, indiqua le même expédient.

M. Loubet voulait que l’affaire fût purement et simplement classée. Mais cette solution qu’il n’osait pas imposer à M. Ricard, il prétendait que le procureur général prît sur soi de la réaliser. Et, merveilleux avilissement du pouvoir ! M. Ricard de son côté, bien résolu à ne point résister au cri public de « justice ! lumière ! » cherchait, pour se couvrir contre la rancune des concussionnaires, à laisser au procureur général l’initiative des poursuites.

Cependant ce magistrat, répugnant à servir de boucher, répétait à l’un et l’autre ministres :

— Je ne suis qu’un agent d’exécution, c’est à vous qu’appartient la décision. Je demande des ordres formels.

Dans cette plaie panamiste, si mal soignée par des médecins en querelle, les sanies accumulées mettaient de l’inflammation. Ducret, directeur de la Cocarde, racontait vingt fois, en secret, une histoire d’immense conséquence.

« Le 5 janvier 1892, vers dix heures du soir, je suis monté chez M. Cottu qui ne se doutait de rien, pour lui annoncer que la Chambre à l’unanimité venait d’exprimer le désir qu’une répression énergique et rapide eût lieu contre tous ceux qui ont encouru des responsabilités dans l’affaire de Panama. M. Cottu s’écria : — Les gredins ! il y en a cent cinquante qui ont volé notre argent ! — Il m’a raconté tout au long, jusqu’à trois heures du matin, les tripotages parlementaires. Et ne croyez pas qu’il cédât à un mouvement irréfléchi d’indignation, car le lendemain il allait trouver M. Constans au ministère de l’intérieur et lui refaisait son récit, en vue de lui démontrer les inconvénients du procès. »

Là-dessus, les couloirs en rumeur disaient : « Constans sait tout ! Constans est dans l’affaire ! »

Les amis du marquis de Morès colportaient qu’un M. de Véragaude lui avait offert contre argent des papiers qui mêlaient Floquet, président de la Chambre, aux marchandages du projet autorisant la Compagnie à émettre des valeurs à lots.

On dénombrait maintenant les suspects de concussion, les Hébrard, les Rouvier, les Roche, les Baïhaut, les Maret, les Proust. Tous ces noms se succédant comme une suite de petites explosions donnaient de l’avance à l’allumage, et, puisqu’il n’y avait personne du gouvernement pour débrayer et faire jouer les volants dans le vide, la terrible machine antiparlementaire menait chaque jour d’un train plus infernal sa besogne de destruction.

À la fin d’octobre, le conseiller instructeur Prinet n’osa plus ne pas voir dans son dossier des faits de corruption que les journaux mettaient sous les yeux du public. Il convoqua dans son cabinet, pour le 4 novembre, M. le baron Jacques de Reinach.

Quand le bruit d’un tel événement commença de bourdonner, ce furent dans le public un surcroît d’insolence et dans le Parlement les débuts de la consternation.

Quelques députés crurent à une traîtrise de cette magistrature qui, malgré les épurations, ne saura jamais respecter qui la paie. Ils se trompaient. M. Prinet est irréprochable. On connaît aujourd’hui la crise qu’a traversée ce loyal serviteur. Il en a donné les détails. « L’opinion publique, a-t-il dit, soupçonnait des membres du Parlement d’avoir vendu leurs votes. C’est une grosse affaire ! On ne peut pas procéder immédiatement et légèrement en pareille matière ! » Disons-le au passage : en toute matière judiciaire, il est désirable qu’un magistrat n’agisse pas légèrement. Mais à qui s’en référera-t-il ? À sa conscience ? Le sentiment du devoir, alors ! Plus que ta conscience, magistrat, crains le garde des sceaux ! M. Prinet l’a bien compris : « En pareille matière, on ne peut pas agir légèrement. De sorte que j’ai dû me mettre en rapport sur ce point avec M. le Garde des Sceaux. »

L’honnête magistrat admettait-il que son chef pourrait lui répondre : « Fermez les yeux, ignorez ces crimes-là ! » Il avertit le garde des sceaux que « la loi d’autorisation votée le 28 avril 1888 par la Chambre, et dans le mois suivant par le Sénat, aurait été accompagnée de certaines circonstances peu honorables pour les administrateurs du Panama ». Le garde des sceaux, « franchement, simplement, loyalement », donna « carte blanche » à son subordonné. Il l’autorisa à poursuivre cette face de l’affaire complètement et activement, sans se laisser arrêter par aucune considération ». Aucune considération ! Voilà les termes textuels qui étonneront les parlementaires tant qu’il y en aura dans le monde et qui, à la fin d’octobre 1892, les convulsèrent.

Ainsi, disaient-ils, ce pauvre M. Ricard ne juge pas les diffamations de la Libre Parole assez explicites et retentissantes ? Il veut que M. Prinet interroge leur triste auteur. M. Prinet a entendu le Ferdinand Martin ; il prétend questionner les Lesseps, les Cottu, les Fontane, le baron de Reinach… Le baron de Reinach ! Ah ! qu’on extrade tout de suite Arton ! »

Traîné dans la boue par les uns, promis à l’Elysée par les autres, M. Ricard jouissait de cette dictature que donne la vertu quand les circonstances permettent d’en tenir le rôle. Obscur la veille, dans une gloire aujourd’hui, il balançait ses collègues du ministère, Ribot, Rouvier, Freycinet, Burdeau, Viette, Loubet, et le président Carnot lui-même, tous opposés aux poursuites. En vérité qu’était-il ? Un imbécile, peu capable de comprendre ses actes, un vaniteux gonflé des louanges de l’opposition ? un ambitieux qui, non content d’assurer sa réélection à Rouen, se préparait à la présidence de la République ? un Machiavel joyeux de décimer ses camarades parlementaires ? C’était plutôt un homme qu’écrasait cette affaire et qui n’eût pas été fâché de succomber immédiatement en martyr de la morale publique. Mais Rouvier, Freycinet, Burdeau, compromis et surveillés, n’osaient pas se découvrir en l’attaquant, et, chaque semaine, le conseil des ministres examinait l’état des choses, sans que Ricard osât s’y prononcer pour les poursuites, ni les autres pour l’étouffement.

Dans un article retentissant, Sturel peignit ces dessous. D’abord, comme il l’avait annoncé à Suret-Lefort, il publia la note sur Arton et le baron de Reinach qu’il avait portée au général Boulanger à Bruxelles, peu de mois avant le suicide d’Ixelles.

« Ah ! s’écriait-il, si le Général avait voulu user « de mon renseignement ! » Et d’un geste joyeux, le jeune partisan comparait les heureuses conjonctures du jour au temps où les parlementaires noyaient son chef sous les outrages, où lui-même, Sturel, quittait la Chambre en vaincu. Il se vantait de voir croître la peur au Palais-Bourbon. « C’est, disait-il, la panique des animaux quand, à des signes multiples, ils pressentent un tremblement de terre et quand le sol commence à manquer sous leurs pas… » Il décrivait les couloirs où les députés se jetaient, à trois heures, sur la Cocarde, comme au réveil ils s’étaient jetés sur la Libre Parole et sur l’Intransigeant, pour savoir si on les dénonçait. « Leurs figures, qu’ils veulent faire sereines, trahissent leurs battements de cœur ; les plis de leur front, leur hébétude, car ils s’épuisent à supputer les raisons du ministre pour les couvrir. Et la courageuse petite troupe des boulangistes, quel plaisir de la considérer surprise tout d’abord de ce renfort que lui apportent les circonstances, puis plus pâle de volupté à chaque fois qu’un ennemi reçoit en pleine poitrine son nom, lancé comme un boulet, d’un terrain invisible ! D’où viennent ces révélations mortelles ? Qui commande la bataille ? N’importe, on marche au canon. Ceux qui, dans un mouvement d’amour, autour de Boulanger sentirent leur cœur battre à la française, se disciplineront par une haine commune dans l’obscure bagarre imminente. Comme des esclaves pensent à s’enfuir au plus fort des querelles de leurs maîtres, l’instant favorise la délivrance nationale. La France se soulève pour voir. En vain les parlementaires s’interposent, lui masquent leurs combinaisons hâtives et scandaleuses, la supplient de ne pas bouger, de ne point substituer aux lois son instinct, lui promettent, selon l’expédient habituel, que la justice régulière va fonctionner : c’est trop de mystère à la fin !… »

Sturel, pour conclure, prophétisait une avalanche qui transformerait jusqu’au sol de la politique. Il triomphait, il se vengeait, il se baignait dans la félicité.

Cet article épouvanta la Chambre ; il conquit au jeune partisan une place plus importante que le siège qu’il avait abandonné. Suret-Lefort lui-même en grandit ; il se targuait de leur intimité, se faisait fort d’adoucir son ami, en un mot, le négociait.

Ces furieux verbiages et les divers mouvements paniquards laissaient Bouteiller impassible. Sa confiance demeurait absolue dans sa sécurité propre et dans la sécurité du régime, l’une et l’autre confondues à ses yeux. Il méprisait les agitations populaires comme il avait fait dans les pires journées boulangistes.

Il connaissait l’audience de l’Elysée où M. Charles de Lesseps, au nom de la République et de l’intérêt national, vint exposer au Président le système qu’il avait bâti pour se présenter en victime des parlementaires. M. Carnot écouta deux heures durant, sans qu’ils mêlassent un instant leurs regards, sans l’interrompre, sans lui répondre, et le laissa partir sans lui serrer la main. — Magnifique entrevue d’où la solidarité parlementaire sortit intacte !

Ce Lesseps est aussi allé chez M. de Freycinet ; il lui a confié le cas d’un ministre qui se serait vendu à la Compagnie de Panama. « S’il y a un procès, concluait-il, toutes ces choses se sauront. » — « C’est donc qu’on en trouvera la trace dans les papiers saisis ou à saisir ? » répondit le ministre. — « Non, il n’y en a pas d’écriture. » — « Alors, cela n’a pas d’importance. » Et ce mot de l’homme d’État paraît la sagesse même à Bouteiller qui s’assure qu’avec toute leur impudence les amateurs de scandale finiront bel et bien, comme Numa Gilly, en posture de calomniateurs.

Enfin Bouteiller sait que M. Cottu, ayant transporté ces monotones cancans chez Constans, alors ministre de l’intérieur, s’entendit répondre : « Oui, monsieur, il faut éviter ce procès scandaleux. »

Sa raison justifie Bouteiller dans sa conscience, et la raison d’État exige aussi qu’il soit pur. Assuré, mais contracté, blême, dur et sans repos, il surveille l’orage qui se forme ; il n’y veut voir que de vaines vapeurs démagogiques et le risible tonnerre d’un Ricard,

  1. Signés « Micros » et rédigés par M. Ferdinand Martin, ancien banquier à Nyons, ancien agent financier de la Compagnie de Panama.