Lettres parisiennes/Année 1844/01

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1844


ANNÉE 1844.


LETTRE PREMIÈRE.

Le carnaval. — La Madeleine redevenue mondaine. — L’ambassadeur sortant des galères. — Grave erreur, un savant pris pour un ministre. — L’homme le plus spirituel de l’univers déguisé en serin. — L’Amour qui a une rage de dents. — La leçon de polka.
26 février 1844.

Il faut pourtant bien vous raconter un jour le carnaval de l’année 1844.

Il a commencé d’une manière calme et digne, par des concerts. Les concerts sont les préludes naturels des plaisirs. Disons tout de suite que la plus belle de ces fêtes harmonieuses est celle qui a eu lieu chez madame la duchesse de Galliera. Il y avait là tout ce qui compose un concert irréprochable : un auditoire intelligemment et scrupuleusement choisi, d’excellents chanteurs, et d’excellents causeurs pour ceux qui n’aiment pas la musique ; et puis enfin cette particularité importante sans laquelle il n’est point de fête parfaite ; ce prétexte charmant qui sert à faire valoir toute chose, les riches parures, les tournures gracieuses, les démarches impériales, les robes à queue, les doubles tuniques, les triples volants ; ce moyen ingénieux de désencombrement subit, ce thème inépuisable qui sert à commencer toutes les conversations, ce but général où se rejoignent toutes les coquetteries particulières, cet intérêt de la soirée qui donne à la fête l’attrait et le mouvement, cette recherche d’élégance que nous nommerons le pèlerinage. Il n’est point de fête complète sans pèlerinage !

Or nous entendons par ce mot un voyage de curiosité fait à travers les vastes salons et les galeries en fleurs pour aller admirer un objet d’art merveilleux, relégué avec mystère ou plutôt conservé avec respect dans les appartements retirés de l’hôtel splendide ; sanctuaire inconnu où pour la première fois il est permis de pénétrer. Ce jour-là, l’objet merveilleux qu’on allait admirer par caravanes était la Madeleine de Canova. La belle pénitente, éclairée encore avec coquetterie, pleurait en silence dans l’oratoire sombre qui lui était consacré ; et toutes ces femmes parées de velours et de satin, de perles et de diamants, venaient rendre hommage à ce poétique modèle de douleur et d’humilité. Et l’on n’entendait que ces mots : « Avez-vous vu la Madeleine de Canova ? — Je viens de voir la Madeleine de Canova. — Venez donc voir la Madeleine de Canova. — Quoi ! vous n’avez pas vu la Madeleine de Canova ?… » Un de nos amis s’est beaucoup moqué de nous à propos d’elle. « Eh bien, nous disait-il, vous venez de l’admirer, qu’en dites-vous ? — Mais, franchement, je ne l’avais pas vue depuis douze ans, et je l’ai trouvée bien changée. » Cette réponse lui a paru fort ridicule.

N’est-ce pas que c’est une fête bien complète que celle-là où chez une femme séduisante et spirituelle, entourée des illustrations de tous les pays, on écoute la musique de Rossini en regardant le chef-d’œuvre de Canova ?

Après les concerts sont venues les fêtes de charité. Le majestueux hôtel Lambert, nouvellement acheté par la princesse Czartoryska, avait offert ses salons superbes au bal des Polonais ; là les sujets de pèlerinage ne manquent pas, les caravanes étaient nombreuses ; cette fête était admirable, elle a fort bien réussi. Un mot de critique : il n’y avait peut-être pas assez de Français. « Eh ! dira-t-on, le gouvernement fait beaucoup pour les étrangers réfugiés, témoin ce paysan bourguignon qui sollicitait, il y a quelques mois, de son sous-préfet, une place de réfugié espagnol… » Le gouvernement fait beaucoup, sans doute, mais les largesses du gouvernement sont payées par les pauvres gens, tandis que les plaisirs de charité sont des impôts supportés par les riches ; et si les riches donnaient davantage, les pauvres ne seraient peut-être pas obligés de donner du tout. Nous hasardons cette réflexion.

Ensuite sont venus les bals mondains périodiques. Celui du prince Tuffiakin est chaque année impatiemment attendu. Cette fête exceptionnelle où s’épanouissent les fleurs de tous les climats, les beautés de toutes les nations, et toujours fort brillante, et de plus fort amusante. Il est une demi-douzaine d’adorables mauvais sujets qu’on ne retrouve que là. Ils vivent depuis plusieurs années loin du monde, dans une retraite sinon modeste, du moins mystérieuse, et il ne faut rien moins que l’admirable collection de jolies femmes réunies chez le prince Tuffiakin pour attirer hors de leur tanière fleurie, de leur antre confortable, ces ex-lions redevenus ours à force de civilisation. Bizarre phénomène, les gens qui détestent le monde sont précisément ceux qui le rendent amusant ; c’est peut-être parce qu’ils sont indépendants de lui, et que les esprits indépendants sont les seuls qui sachent être toujours aimables.

Le bal de madame la comtesse de Lariboissière est encore une solennité périodique pour laquelle on fait faire des robes neuves, on médite des effets de parure. Cette année on n’y voyait que diamants ; les hommes eux-mêmes en portaient, sous prétexte d’ordre quelconque. Il nous souvient d’avoir entendu ce jour-là un dialogue étrange. Nous causions avec le prince de Craon ; vint à passer M. l’ambassadeur d’Espagne. Après quelques mots de politesse :

« Monsieur l’ambassadeur, dit le prince, combien de temps êtes-vous resté aux galères ?

— Six ans, mon prince, » répondit l’ambassadeur.

Alors nous de nous récrier : « Où était-ce donc ?

— Aux presidios de Ceuta ; j’y suis resté depuis l’âge de vingt-cinq ans jusqu’à trente et un ans.

— Les plus belles années de la vie !… Et qui vous y avait fait enfermer ?

— Le roi Ferdinand VII.

— Et qui vous en a fait sortir ?

— Le même roi.

— Et pourquoi vous y avait-il fait enfermer ?

— Je ne l’ai jamais su.

— Et pourquoi vous en a-t-il fait sortir ?

— Je l’ignore encore.

— Mais comment avez-vous pu supporter cette affreuse captivité ?

— J’étais poëte.

— Comme vous parlez de tout cela doucement !

— Je suis philosophe. »

La grande fête donnée aux Tuileries était un superbe combat à l’éventail et à l’épée ; les amazones se sont conduites bravement. La cohue était épouvantable, mais le coup d’œil était magnifique. Ce n’est pas la faute du roi si sa cour est trop nombreuse, c’est la faute de notre temps ; cela tient au progrès de l’égalité. On n’était admis qu’en habit habillé ou en uniforme. Ce jour-là aussi a eu lieu un dialogue bizarre que l’on nous a rapporté. Un étranger de distinction, s’adressant à son voisin, lui dit : « Pardon, monsieur, veuillez me permettre de vous adresser une simple question : Les hommes qui ont été ministres une fois ont-ils le droit de porter toujours leur habit de ministre ?

— Non, monsieur. Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?

— C’est que, depuis une heure que je suis au bal, j’ai vu passer plus de soixante ministres.

— C’est beaucoup ; nous n’en avons pas tant. Nous en avons ordinairement huit, quelquefois seize dans les moments de crise, les sortants et les rentrants ; mais jamais plus. Quels personnages prenez-vous donc ici pour des ministres ?

— Mais, par exemple, le personnage qui vient à vous.

— Ça ! un ministre ? Eh ! c’est Buchon.

— Quoi ! le célèbre Buchon, le savant ?

— Oui, l’historien, le voyageur ; enfin, Buchon.

— Voyez, il a un habit de ministre…

— Dites un habit de fantaisie. Le fait est que ces habits-là, justement parce qu’ils sont de fantaisie, sont beaucoup plus riches et beaucoup plus brodés que ceux de nos ministres et de vos ambassadeurs.

— Je vous remercie, monsieur. Dorénavant je tâcherai de ne plus confondre les ministres avec les fantaisies. »

Peu à peu, le carnaval s’est animé, et l’heure des bals costumés est venue. Cette année, on a signalé une innovation : les dîners déguisés, les soupers déguisés, sans calembour ; ce sont les convives qui étaient déguisés, et non les mets. Plusieurs de ces repas ont été fort joyeux.

Dans le monde artiste, le carnaval a été ce qu’il y est toujours, gaiement spirituel. On raconte un bal très-joli donné par Ciceri. Lui était en invalide, coiffé du petit chapeau historique. Il y avait là de charmants costumes portés par de charmantes femmes. Mademoiselle Plessis a eu les honneurs de la soirée : elle était admirablement belle, déguisée en écaillère… oh ! mais une écaillère de Greuse, parlant le doux langage de Marivaux. Les invités venus sans déguisement n’ont pu être admis dans le bal qu’en s’improvisant malades à la porte ; on leur présentait un bonnet de coton et une robe de chambre ; il fallait choisir entre une retraite forcée ou une indisposition subite ; et, comme on voulait s’amuser, tout le monde voulait être malade : c’était une épidémie. Cette grande sévérité dans les admissions nous rappelle une plaisanterie du même genre qui a eu beaucoup de succès il y a quelques années. Un des célèbres peintres de Psyché venu au bal sans costume, avait été mis impitoyablement à la porte. D’abord il se désole ; puis une inspiration soudaine vient à son secours : il se précipite chez un épicier, achète une feuille de papier, se fait un immense bonnet d’âne, sur lequel il écrit ces mots : Puni pour ne pas s’avoir déguisé. Vous pensez bien que cette fois on le laissa entrer dans le bal et qu’il fut reçu à merveille.

Chez madame la comtesse Merlin, cinq personnes seulement avaient obtenu la permission de venir sans être costumées ; c’étaient des ambassadeurs, des hommes politiques. Il y avait donc beaucoup de dominos fort malins qui vous disaient de gracieuses folies : pour les hommes, les dominos bleu de ciel ; pour les femmes, les dominos roses, et quelques dominos noirs mystérieux. Madame Merlin avait un costume grec magnifique, cousu de pierreries ; madame la marquise de la Gr…, un costume persan d’une sévère exactitude, qu’elle portait avec sa grâce tout orientale. Madame la comtesse Somaïloff avait un habit de chasse du temps de Louis XIV ; son large chapeau de feutre, avait bien de la peine à dépasser en ampleur les énormes touffes de ses beaux cheveux. Deux jeunes Anglaises représentaient l’une le Jour, l’autre la Nuit ; l’Aurore brillante se trahissait sous de longs voiles blancs que ses rayons brodaient de paillettes d’or ; la Nuit, silencieuse et triste, cherchait en vain à éteindre sous ses crêpes noirs ses mille étoiles d’argent.

Madame Thiers, qui était souffrante ce jour-là, n’avait mis qu’un domino blanc, mais d’une si merveilleuse élégance, que les plus grandes prétentions s’effaçaient devant cette savante simplicité.

Vers minuit, un bruit de fanfares s’est fait entendre. Le quadrille des chasseurs (siècle de Louis XIII) a fait son entrée dans le bal ; ce quadrille a été fort admiré, c’était justice. On a fort apprécié aussi la parure d’un jeune homme déguisé en Amour. Description de cette parure : pour vêtement, une tunique d’azur ; pour coiffure, une perruque poudrée et une couronne de roses ; pour écharpe, une guirlande de roses ; pour moustaches, deux roses pompon ; pour tourments, une névralgie. — Vous mettez les tourments au nombre des parures ? — J’en ai le droit ; il est dit : L’Amour se pare de ses tourments ; il les fait terriblement valoir, convenez-en ! Donc cet Amour malheureux a passé tout le temps du bal à faire des grimaces pitoyables et à conter son martyre aux échos d’alentour. En voyant ses tortures, nous nous sommes rappelé les vers charmants que nous avions lus la veille dans le nouveau recueil de poésie publié par M. de Latouche, ses Adieux ; nous vous engageons à les lire bien vite. Voici comment le rêveur d’Aulnay définit l’amour :

Ce besoin de souffrir que l’on appelle aimer.

C’est bien mal de se rappeler un vers si poétique à l’aspect d’un si plaisant Amour ! mais le carnaval ne respecte rien. — Autre déguisement d’une invention plus nouvelle, d’un goût plus fin. Habit complet en taffetas serin, souliers de taffetas serin, chapeau de Janot de même en taffetas serin, orné, sur le sommet, de trois jolis petits serins empaillés d’une physionomie maligne et piquante. Ce déguisement avait été imaginé par l’un des hommes les plus spirituels de l’univers. Voilà comme on est en France, on travaille quinze ans à se faire une réputation d’esprit… pour arriver à la fortune, à la gloire, au bonheur ?… Non, pour avoir un jour le droit de se déguiser en serin.

On admirait encore à ce bal deux chefs de tribus indiennes, deux sauvages fort bien vêtus, mais assez mal mis. On vantait de tous côtés leur costume, qui était d’une extrême exactitude, disait-on. Nous voulons le croire ; cependant il y avait là peu de juges ; ce beau costume consistait, pour le fond, en petits chiffons de toile jaune tressés de plumes grises. Avec un vieux plumeau et des rubans de fil, on imiterait facilement le moelleux de ce précieux tissu de l’Inde. Quant aux ornements, les voici : des arêtes de poisson, des os de chien, des cornes de rhinocéros, des ongles de vautour, des becs d’aigle, des crocs de tigre, des mâchoires de requin, des sourires de crocodile, etc., etc. Eh bien, cela n’était pas très-joli ; les moindres diamants font plus d’effet que toutes ces raretés-là. Vous comprenez que, dans un bal où flottent les robes de gaze, les falbalas de dentelles, des sauvages ornés d’arêtes, de griffes et de crocs sont des voisins fort incommodes ? Ceux-là entraînaient violemment tout le monde ; et lorsqu’ils dansaient, ils emmenaient à chaque pas avec eux, et malgré eux, toujours trois ou quatre danseuses à la fois, ce qui ne laissait pas que de compliquer les figures. « Oh ! les ennuyeux sauvages ! s’écriait une jeune femme dont l’écharpe de gaze venait d’être égratignée par un bracelet de becs d’aigle… les ennuyeux sauvages !… » Puis, apercevant l’amiral de la Suze, qui venait d’ôter son masque : « Mon cher amiral, ajouta-t-elle d’un air câlin, vous qui avez tant voyagé, ne pourriez-vous pas leur indiquer une île déserte ? » Ces sauvages étaient tatoués, comme il convient à tout bon et loyal sauvage. La figure de l’un était jaune d’or chiné de rouge ; celle de l’autre affectait une sorte de pékin rayé, vert, jaune et noir. C’était la seule jolie étoffe de leur costume.

À propos de tatouage, on raconte que les médecins du roi de Suède ont été bien étonnés l’autre jour, en saignant Sa Majesté, de trouver très-lisiblement écrits sur son bras auguste ces trois mots : « Liberté, égalité ou la mort ! » Ils ne pouvaient revenir de leur surprise. Il y a si longtemps que Charles-Jean est roi, qu’on a oublié qu’il a commencé par n’être qu’un héros, et c’est un si bon roi qu’on ne peut pas se figurer qu’il ait été aussi jadis un bon républicain. Mais quelle chose étrange ! un roi tatoué de liberté ! Tout notre siècle est raconté, dans ce rapprochement : « Liberté, égalité ou la mort ! » C’est avec ces devises-là que de nos jours on arrive au trône.

Mais terminons notre récit :

À une heure du matin, une vire agitation se manifesta dans la fête… Mademoiselle Carlotta Grisi venait d’y paraître… On se rangea en cercle, on grimpa sur les fauteuils dorés, sans égard pour leur damas respectable, et il se fit un grand silence, comme toutes les fois que quelqu’un s’apprête à danser. Mademoiselle Grisi, semblable en cela à mademoiselle Rachel, est beaucoup plus jolie dans un salon qu’au théâtre. Elle a dansé la tarentelle d’une manière charmante et au bruit d’applaudissements frénétiques.

Pour finir agréablement la soirée, on a dansé la polka ; il faut vous dire que la danse à la mode, cet hiver, est la polka : c’est une sorte de danse nationale originaire de Bohême, où là même elle est prohibée ; c’est la danse des paysans. Ici tout le monde veut l’apprendre, et Cellarius ne peut suffire au nombre toujours croissant de ses élèves. On raconte au sujet de la polka une histoire assez plaisante. La duchesse de B… a un fils de dix-neuf ans. Ce jeune homme, parfaitement bien élevé, a désiré savoir danser la polka pour compléter son éducation ; on lui a conseillé de prendre pour maître le fameux Cellarius. Mais, dans la classe de ce professeur en l’art de Terpsichore, les prêtresses de cette Muse vont aussi former des pas gracieux ; c’est pourquoi ce digne professeur ne possède pas, comme ceux de l’Université, toute la confiance des familles. Madame de B… entrevit avec effroi les dangers que pouvait courir son jeune fils ; elle ne voulut point qu’il allât prendre des leçons de danse chez Cellarius, mais elle écrivit à Cellarius de venir chez elle avec tout ce qui était nécessaire pour la leçon. Le maître de danse arriva le lendemain, à l’heure indiquée. Il était suivi de deux fiacres contenant huit danseuses de l’Opéra. L’apparition fut terrible. Cependant madame de B… fit bonne contenance ; voyant que le danger était inévitable, elle se résigna aie surveiller. Elle s’établit, comme à l’ordinaire, au coin de son feu, et se mit à tricoter paisiblement. La leçon de polka fut donnée dans son salon, devant elle ; son fils valsait tantôt avec une grande blonde, tantôt avec une petite brune ; il passait et repassait sous les yeux de madame de B…, qui l’observait en silence ; et tout se termina d’une façon très-convenable : il n’est point de situation que ne sanctifient la présence et le tricot d’une mère !

Sur le boulevard, le carnaval a été triste et laid. De pauvres enfants s’entassaient dans des calèches, ou s’en allaient barbotant dans une affreuse neige fondue, une espèce de sorbet noir qui glaçait leurs petits pieds, tout cela pour voir des masques qui ne passaient pas, et ils en demandaient en pleurant ; pour les consoler, on leur désignait, dans les voitures et dans la foule, les premières figures grotesques que l’on remarquait, en leur disant : « Voilà un masque ! » On montrait aux uns les parents des autres, et vice versa. Il n’y avait de superbe que le bœuf gras : il était fleur de pêcher, c’est une belle couleur de victime.

Dans les salons sérieux et d’un aspect habituellement solennel, pour se dérider un peu et se prouver à soi-même que l’on était en carnaval, on faisait venir Levassor. Ses chansons drolatiques sont singulièrement goûtées dans le monde élégant. Plus les lambris du salon sont dorés, plus les tentures sont riches, plus les diamants sont beaux, plus les douairières sont collet monté, plus les jeunes femmes sont prudes, plus les jeunes hommes sont pédants, et plus Bibi à la grand’messe et Titi à l’Ambigu sont écoutés avec transport. Il est à remarquer que les personnes très-dédaigneuses ne daignent jamais s’amuser que de choses indignes d’elles.

Chez les bas bleus, le carnaval a emprunté un caractère misanthropique et farouche qui n’était pas le moins plaisant. Dans une chambre meublée d’une façon bizarre, à la clarté intermittente d’une lampe exténuée, des femmes parées de coiffures indescriptibles se confiaient d’une voix lamentable leurs alexandrins mutuels. Ô carnaval, rusé carnaval, comme tu sais bien rattraper ceux qui te fuient !

Nous ne voulons pas dire ce que le carnaval a été à la Chambre ni à l’Opéra. On appréciera les sentiments de convenance qui nous font garder le silence à ce sujet.

Nous vous raconterons samedi prochain le commencement du carême.