Lettres en forme de complainte/Réponse du Duc d’Orléans

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 181-184).

RÉPONSE DU DUC D’ORLÉANS.

     Fredet, j’ay receu vostre lettre,
Dont vous mercie chierement,
Ou dedens avez voulu mettre
Vostre fait bien entièrement ;
Fier vous povez seurement
En moy, tout, non pas à demi,
Au besoing congnoist on l’ami.
     S’amour tient vostre cueur en serre,
Ne vous esbahissez en rien ;
Il n’est nulle si forte guerre
Qu’au derrain ne s’appaise bien ;
Amour le fait, comme je tien.
Pour esprouver mieulx vostre vueil
Grant joye vient après grant dueil.
     Se vous dittes : Las ! je ne puis
Une telle doleur porter ;
Je vous respons : Beau Sire, et puis
Vous en voulez vous depporter
Ou au Dieu d’amours rapporter ?
L’un des deux fault, se m’aist Dieux, voire :
Puisqu’il est trait, il le fault boire.
     Cuidez vous, par dueil et courroux,
Ainsi gangner vostre vouloir ?
Nennyl, ce ne sont que coups roux
Qu’Amours met tout en nonchaloir.

De riens ne vous pevent valoir,
Et se les couchez en despence ;
Trop remaint de ce que fol pense.
     Voulez vous rompre vostre teste
Contre le mur ? ce n’est pas sens.
Il faut dancer, qui est en feste ;
Certes, autre raison n’y sens ;
Et pour ce là, je me consens
Que souffrez qu’Amours vous demaine ;
Grant bien ne vient jamais sans paine.
     Mais de voz doleurs raconter
Faittes bien, ainsi qu’il me semble,
Et les assommer et compter
Devant Amours ; car il ressemble
À l’ostellier qui met ensemble,
Et tout dedens son papier couche ;
Pour parler est faitte la bouche.
     De pieça je fuz en ce point.
Encore pis, loing d’allegence ;
Toutesfoiz ne vouluz je point
De moy mesmes faire vengence ;
Mais chauldement, par diligence,
Pourchassay et playday mon fait ;
Peu gangne celuy qui se tait.
     Et pource que la lettre dit
Qu’Amours veult que vers moy tirez,
De moy ne serez escondit,
S’aucune chose desirez
À vostre bien, quant l’escriprez ;
Paine mettray, d’entente franche,
Que l’ayez de croq ou de hanche.
     Combatez, d’estoc et de taille,
Vostre dure merencolie.
Et reprenez, commant qu’il aille,
Espoir, confort et chiere lie.

De ne vous oublier me lie,
Autant en ce que puis et doy,
Que se me teniez par le doy.
     Or retournons à mon propos
Et ne parlons plus de cecy.
Vray est que je suis en repos
D’Amours, mais non pas de Soussy ;
Et pource, je vous vueil aussy
De me conseillier travaillier.
L’amy doit pour l’autre veillier.
     Soussy maintient que c’est raison
Qu’il ait sur tous vers moy puissance ;
Nonchaloir dit qu’en ma maison
Vault mieulx qu’il ait la gouvernance,
Car il ramenera Plaisance
Que Soussy a bannye à tort,
Sans reveillier le chat qui dort.
     Soussy respond qu’estre ne peut,
Tant qu’on est ou monde vivant,
Car Fortune par tout s’esmeut
Et est à chascun estrivant,
En tous lieux va mal escrivant,
Et toutes choses met en doubte ;
Elle a beaux yeulx et ne voit goute.
     Si ne sçay que je doye faire,
Ne lequel d’eulx me laissera :
Car veu que tousjours j’ay affaire,
Soussy jamais ne cessera.
Mais mon plaisir rabessera
En quelque place que je voyse ;
Bien est aise, qui est sans noyse.
     Quant en Nonchaloir je m’esbas
Et Dcsplaisir vueil debouter.
Jamais ne sçay parler si bas
Que Soussy ne viengne escouter.

Las ! je le doy tant redoubter,
Car à tort souvent me ravalle ;
Mais sans mascher fault que l’avalle.
     Je ne sçay remede quelconques,
Quant ay mis ces choses en poys,
Pour tous deux contenter adoncques,
Fors les faire servir par moys ;
Mandez moy sur ce quelque foys,
Fredet, bon conseil, par vostre ame,
Foy que devez à vostre Dame.