Lettres en forme de complainte/Fredet au Duc d’Orléans (II)

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 184-189).

FREDET AU DUC D’ORLÉANS.

     Monseigneur, j’ay de vous receu
Et aussi de mot à mot leu
Une lettre qu’il vous a pleu
Moy rescripre, touchant mon fait,
Par laquelle j’ay apperceu
Le bon vouloir qu’avez eu
Vers moy tousjours, qui n’est pas peu,
Dont tout mon dueil avez deffait.
Et oultre plus, comme j’ay veu,
Avez voulu que j’aye sceu,
De quoy il ne m’a point despleu,
Ce qui tant vous griefve, ou refait.
Sur quoy, de vous obéir meu,
Non pas ainsi comme il est deu,
Mais du tout au mieulx que j’ay peu,
Mon conseil tel quel vous ait fait :

     Vous plaigniez de la rigueur
          Et aigreur,
Que vous fait, par sa fureur
           Et chaleur,

Celluy que nommez Soussy,
Qui sans cause et sans couleur
           Et langueur,
Par son ennuyeux labeur
           Et maleur,
Vous tourmente sans mercy ;
Dont par force de douleur
           Vostre cueur
Est noyé par grant langueur,
           Tout en pleur,
Et souvent devient transy.
Puis racontez, Monseigneur,
           Quel doulceur,
Nonchaloir, par son bon sur
           Et valeur,
Se offre vous faire aussi.
     De Soussy vous vueil escripre :
C’est ung tresmerveilleux sire,
           Et fault dire
Que cellui n’a pas couraige
           D’omme saige,
Qui veult qu’avec lui demeure,
Car il ne sert que de nuyre,
Et ne pense, ne desire
           Qu’à destruire.
Et fait à chascun dommaige
           Et oultraige.
Ne lui chault qui vive ou meure.
Et fut il seigneur d’empire,
Ou qui que soit, tout fait frire
           Et martire ;
Tant qu’il est en son servaige,
           Avantaige
N’a nul, je le vous asseure.
Mille maulx, tous d’une tire,

Ne lui pevent trop suffire ;
           Il n’est pire,
Tant fait de tourmenter rage,
           Et enrage
Qu’à son gré tout ne demeure.
Soussy tolt d’estre joyeulx,
Et fait merencolieux
           Par tous lieux,
Et bien souvent furieux,
Tous ceulx où il a puissance ;
Par lui les biens gracieux
Deviennent mal gracieux ;
           Jeunes, vieux,
Tout fait trouver ennuyeux
À qui plaist son accointance,
Puis, par sa grande savance,
           Il avance
Autour d’eulx Desesperance
Qui, par ses diz ennuyeux,
Et ses faiz malicieux
           Et crueux,
Les met en ceste créance
Que jamais ilz n’auront mieulx.
Lors sont à tel desplaisance
Que plus seroit leur plaisance,
           Sans doubtance,
Brief mourir qu’estre mais tieulx.
     Se les maulx compter vouloye,
Et la puissance en avoye,
Que Soussy vous feroit bien !
Mais à quoy l’entreprendroye ?
Car certes je ne sauroye
D’un an vous dire combien.
Et pource, à tant ne m’en tien.
Et maintenant je revien,

Pour faire vostre vouloir,
À parler, se j’en sçay rien,
Du grant aise, du hault bien.
Lequel donne Nonchaloir.
     Qui à Nonchaloir s’adresse,
Et tout, pour estre sien, lesse
           Et delesse,
           En léesse,
Sans que jamais mal le blesse,
Pourra sa vie passer.
Dueil, Courroux, Soussy, Aspresse,
Et tous ceulx de leur promesse,
           Soit Tristesse,
           Ou Destresse,
           Ou Rudesse,
Qui de mains grever ne cesse.
Tous les fait avant passer.
     Contre lui n’ont hardiesse ;
Il les vaint, par sa sagesse,
           Et abesse
           Leur duresse,
           Leur haultesse.
Nul ose lui faire presse,
N’encontre lui s’amasser,
Car il maine Joye en lesse,
Qui le deffent d’eulx sans cesse
           Par prouesse.
           Or donc qu’esse ?
Est il au monde richesse
Qui sceust ung tel bien passer ?
     De lui vient Plaisante Vie
           Qui desvie
Dueil, Soussy, de toute place ;
De repos Aise assouvie,
           Sans envie

De bien qu’à autruy se face,
Les autres bonnes efface,
           Et defface.
Tout est en Joye ravye,
Tout fait a joyeuse face,
           Dont la grace
De vous a bien desservye.
     Nonchaloir, de sa nature,
Lui soit fortune ou non, dure ;
L’un et l’autre tout endure,
Et prent en gré l’avanture,
Car il ne tient d’ame conte.
Joye, dueil, paix ou murmure,
Gangner, perdre sans mesure,
Soit à tort, ou par droicture,
Tout lui est ung, je vous jure
Ne lui chault s’il besse ou monte,
Ou se moindre le surmonte ;
D’un chascun à son gré compte ;
De quanque lui vient n’a honte,
Soit bien ou mal, rien n’en compte.
À tout faire s’avanture ;
Autant lui est Roi que Conte,
La cause est, comme il raconte,
Car à nulluy ne rent compte.
Et pource, la fin de conte,
Tousjours sa vie en paix dure.
     Pourquoy, servir je vous conseille
De nostre maistre Nonchaloir ;
Et bannissez, vueille ou non vueille,
Soucy, sans plus vous en chaloir ;
De lui mieulx ne povez valoir,
Mais soit hors de vostre memoire ;
Qui demande conseil doit croire.
     Je vous supply qu’il vous suffise.

Et aussi il ne vous desplaise,
D’une question qu’ay cy mise,
D’un mien amy très en malaise.
Dont, Monseigneur (mais qu’il vous plaise),
Vostre conseil avoir m’en fault ;
L’advis de deux mieulx que d’un vault.
     Cellui que dy est si espris
D’une tant belle, bonne Dame,
Qu’il ne pourrait estre repris
Tellement si tresfort il âme ;
Mais espoir n’a point, sur mon âme,
D’avoir jamais d’elle secours ;
Pas n’est en paix qui sert amours.
     Que autre Dame, se lui semble,
Qui n’a point de meilleur vivant,
Par le bien qu’en elle s’assemble,
Le vouldroit bien pour son servant ;
Non pourtant il mourrait avant
Que son cueur se peust sien clamer ;
Par force l’en ne peut amer.
     Et pource, maintenant demande
Qui lui sera moins chose forte,
Celle amer qu’Amours lui commande,
Où toute s’esperance est morte,
Ou l’autre, combien qu’il rapporte
Qu’amer ne la peut, ne désire ?
De deulx maulx on prent le moins pire.
     Veez là de mon amy le cas,
Auquel fauldroye bien envis ;
Mais conseiller ne le puis pas,
Sans en avoir de vous l’advis.
Fait en soit à votre devis,
Monseigneur, car c’est bien raison,
Et à tant fine ma raison.