Lettres en forme de complainte/La Complainte de France

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 190-192).


LA COMPLAINTE DE FRANCE.

     France, jadis on te souloit nommer.
En tous pays, le trésor de noblesse,
Car un chascun povoit en toy trouver
Bonté, honneur, loyaulté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, proesse.
Tous estrangiers amoient te suir.
Et maintenant voy, d’ont j’ay desplaisance,
Qu’il te convient maint griel mal soustenir,
Trescrestien, franc royaume de France.
     Scez tu dont vient ton mal, à vray parler ?
Congnois tu point pourquoy es en tristesse ?
Conter, le vueil, pour vers toy m’acquiter,
Escoutes moy, et tu feras sagesse.
Ton grant orgueil, gloutonnie, peresse,
Convoitise, sans justice tenir,
Et luxure, dont as eu abondance,
Ont pourchacié vers Dieu de te punir,
Trescrestien, franc royaume de France.
     Ne te vueilles pour tant desesperer.
Car Dieu est plain de merci, à largesse.
Va t’en vers lui sa grace demander,
Car il t’a fait, de jà pieçà, promesse
(Mais que faces ton advocat Humblesse,)
Que tresjoyeux sera de toy guerir ;
Entierement metz en lui ta fiance,
Pour toy et tous, voulu en crois mourir,
Trescrestien, franc royaume de France.
     Souviengne toy comment voult ordonner
Que criasse Montjoye, par liesse,
Et, qu’en escu d’azur, deusses porter

Trois fleurs de Lis d’or, et pour hardiesse
Fermer en toy, t’envoya sa Haultesse,
L’Auriflamme, qui t’a fait seigneurir
Tes ennemis ; ne metz en oubliance
Telz dons haultains, dont lui pleut t’enrichir,
Trescrestien, franc royaume de France
     En oultre plus, te voulu envoyer
Par un coulomb qui est plain de simplesse,
La unction dont dois tes Rois sacrer,
Afin qu’en eulx dignité plus en cresse.
Et, plus qu’à nul, t’a voulu sa richesse
De reliques et corps sains departir ;
Tout le monde en a la congnoissance.
Soyes certain qu’il ne te veult faillir.
Trescrestien, franc royaume de France
     Court de Romme si te fait appeller
Son bras dextre, car souvent de destresse
L’as mise hors, et pour ce approuver,
Les Papes font te seoir, seul, sans presse,
À leur dextre ; se droit jamais ne cesse.
Et pource, dois fort pleurer et gemir.
Quant tu desplais à Dieu qui tant t’avance
En tous estas, lequel deusses cherir,
Trescrestien, franc royaume de France.
     Quelz champions souloit en toy trouver
Crestienté ! Jà ne fault que l’expresse ;
Charlemaine, Rolant et Olivier,
En sont tesmoings ; pource, je m’en delaisse ;
Et saint Loys Roy, qui tist la rudesse
Des Sarrasins souvent anéantir.
En son vivant, par travail et vaillance ;
Les croniques le monstrent, sans mentir,
Trescrestien, franc royaume de France.
     Pource, France, vueilles toy adviser,
Et tost reprens de bien vivre l’adresse ;

Tous tes meffaiz metz paine d’amander,
Faisant chanter et dire mainte messe
Pour les ames de ceulx qui ont l’aspresse
De dure mort souffert, pour te servir ;
Leurs loyautez ayes en souvenance,
Riens espargnié n’ont pour toy garantir,
Trescrestien, franc royaume de France.
     Dieu a les braz ouvers pour t’acoler,
Prest d’oublier ta vie pecheresse ;
Requier pardon, bien te vendra aidier
Nostre Dame, la trespuissant princesse,
Qui est ton cry et que tiens pour maistresse.
Les sains aussi te vendront secourir,
Desquelz les corps font en toy demourance.
Ne vueilles plus en ton pechié dormir,
Trescrestien, franc royaume de France.
     Et je, Charles duc d’Orlians, rimer
Voulu ces vers, ou temps de ma jeunesse,
Devant chacun les vueil bien advouer,
Car prisonnier les fis, je le confesse ;
Priant à Dieu, qu’avant qu’aye vieillesse,
Le temps de paix partout puist avenir,
Comme de cueur j’en ay la desirance,
Et que voye tous tes maulx brief finir,
Trescrestien, franc royaume de France.