Lettres en forme de complainte/Fredet au Duc d’Orléans (I)

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 177-181).


LETTRES

EN FORME DE COMPLAINTE.

____________

FREDET AU DUC D’ORLÉANS

     Monseigneur, pource que sçay bien
Que vous avez, de vostre bien,
Autreffoiz pris plaisir à lire
De mes fais qui ne valent rien,
Dont trop à vous tenu me lien,
Vouloir m’est pris de vous escripre
Et mon aventure vous dire,
Laquelle conter vous desire.
Car c’est raison que je le face,
Espérant que de mon martire,
Tel conseil qui devra suffire,
Me donnerez de vostre grace.
     Il est vray que de par Amours,
Ung jour saint Valentin, à Tours,
Fut une grant feste ordonnée,
Et fist assavoir par les Cours,
Comme de coustume a tousjours,
Que chascun vint à la journée.
Là eut grant joye demenée
Et mainte haulte loy donnée.
Qui fut sans per, choisit adoncques,

Si euz, comme par destinée,
À mon gré la meilleure née
Qui en France se trouvast oncques.
     Comme ma Dame, ma maistresse
Et ma terrienne Déesse,
Tousjours la sers et l’ay servie ;
Car il m’a, par deffense expresse.
Commandé lui faire promesse
D’estre sien pour toute ma vie.
Car tant ma pensée a ravie
Et à la cherir asservie
Que je ne pourroye, sur m’ame,
D’aultre jamais avoir envie,
Tant feust elle bien assouvie,
Si fort lui a pieu que je l’ame.
     Mais ainsi m’en va que depuis
Qu’à elle donné je me suis,
Je ne peuz avoir bien ne joye,
Fors que tous maulx et tous ennuis
Qui à toute heure, jours et nuis.
Me tourmentent où que je soye,
Tant que ne sçay que faire doye ;
Et semble, se dire l’osoye,
Qu’ilz ayent tous ma mort jurée.
Se vostre bonté n’y pourvoye,
Force sera que par eulx voye
Finer ma vie maleurée.
     Pource que souvent ne la voy,
Le plus que je puis, sur ma foy,
Je ne fais qu’en elle penser,
Savez vous la cause pourquoy ?
En espérant que mon ennoy
Se deust aucunement cesser.
Mais il ne me veult délaisser,
Car plus en elle est mon penser,

Et plus de douleur me court seure,
Qui m’est si tresdure à passer
Que je desire trespasser
Plus de mille foys en une heure.
     Que je sceusse prendre plaisir
En riens qui soit, fors desplaisir,
Las ! je ne pourroye loing d’elle.
Car c’est celle que mon desir
M’a fait pour maistresse choisir,
Comme s’il n’en feust point de telle.
Tout mon bien et mal vient de celle ;
Ainsi, comme il plaist à la belle,
Il n’en est qu’à sa voulenté ;
Et ne cuidez pas que vous celle
Que ce ne soit celle qu’appelle
Devant chascun : ma Léauté.
     Puis que je l’ame si tresfort,
N’a pas doncques Amours grant tort
De moy faire tant endurer ?
Ou dire fault qu’il soit d’accort
Que pour trop amer prengne mort,
Ou moy faire desesperer,
Quant pour plaindre, pour souspirer,
Pour mal qu’il me voye tirer,
Il ne m’en a que pis donné !
En ce point me fault demourer,
Car mieulx vault ainsi qu empirer ;
Veez là comment suis gouverné !
     Helas ! ce qui plus me tourmente,
Et dont fault que plus de dueil sente,
C’est la grant doubte que je fais,
Que je défaille à mon entente,
Et que du tout perde l’attente
De mes tant desirez souhais ;
Car je suis seur, plus qu’oncques mais,

Que si par vous ne sont parfais,
User ma vie me fauldra
En languissant desoresmais,
Comme cil à qui, pour jamais,
Toute plaisance deffauldra.
     Et quant devers Amours je viens
Lui compter les maulx que soustiens,
En lui requérant allegeance,
Il me respond : « je n’y puis riens.
Mais va t’en au duc d’Orliens,
Que fors lui, n’en a la puissance.
Fay donc qu’ayes son accointance
Et te metz en sa bienveillance ;
Car, se tu le puis faire ainsi,
Tu ne dois point faire doubtance
Que de ta dure desplaisance
Il n’en ait voulentiers merci. »
     À vous doncques me fault venir
Et vostre du tout devenir,
Puisque vous avez ce povoir
Que de moy faire parvenir
Au plus haut bien qui avenir
Me peut jamais, à dire veoir.
Pour quoy il vous plaise savoir
Que, se vous y faictes devoir
Et voulez à mon fait entendre
Tellement que je puisse avoir
Celle qui tant me plaist à voir,
Vostre à tousjours je m’iray rendre.
     Or n’oubliez pas. Monseigneur,
Vostre treshumble serviteur ;
Mais escoutez mes dolans plains
Desquieulx je vous fais la clameur
Et vueillez, par vostre doulceur.
Que par vous ilz; soient estains,

Car croiez qu’ilz sont pas fains,
Ains pires avant plus que mains.
Puis me donnez, de vostre grace,
Je vous en pry à jointes mains,
Tel responce que, soirs et mains,
Tout mon vivant joyeulx me face.