Calmann-Lévy (p. 8-14).

III


Paris, le 11 septembre 1838.


_______Ma chère maman,

Je commence de bonne heure à vous écrire, parce que je trouve une grande douceur à m’entretenir avec vous ; d’ailleurs je ne tarderai pas à expédier ma lettre, car Henriette devant passer par Saint-Malo, s’y arrêtera peut-être, et vous tarderez trop à recevoir celle que je vous ai écrite par elle. Ô ma chère mère, qu’il est pénible d’être séparés, je le sens bien maintenant ! Quand je pense à la vie douce et heureuse que j’ai menée avec vous à Tréguier, mon cœur est pris d’une tristesse qui ne laisse pas d’avoir pour moi quelque charme. Comme j’avais de l’ardeur pour l’étude, comme j’étais heureux, quand j’étais avec vous, comme nous avons passé d’heureuses soirées, d’heureux moments, et nos petites promenades, comme elles étaient douces, encore je me reproche qu’elles aient été si peu fréquentes, et que j’aie toujours montré si peu d’empressement pour aller faire avec vous de petits tours de promenade, quand je me rappelle Liart, Guyomard, Le Gall, et tant d’autres, quand je pense à un collège où j’ai été si heureux, à cette ville où j’ai goûté tant de bonheur, je m’écrie de tout mon cœur : Ah ! j’étais heureux à Tréguier !

Le souvenir de tout cela me fait plaisir, mon excellente mère, quoiqu’il me remplisse de tristesse. Car, ma chère maman, il me vient quelquefois une pensée déchirante, c’est que ce bonheur ne reviendra plus pour nous. Enfin, soumettons-nous à la volonté de Dieu qui a voulu nous séparer et qui nous réunira aussi quand il lui plaira.


Le 13 septembre.

Je ne veux rien cacher, mon excellente mère, de tous mes chagrins, et vous voyez comme je viens de vous ouvrir franchement mon cœur. Oh ! je vous en prie, usez-en de même à mon égard je suis résolu, pendant que nous serons séparés, de vous dire tout franchement et sans vous rien cacher, soyez-en bien assurée, ma chère maman. Je ne sais trop, ma chère maman, où vous adresser ma lettre, peut-être serez-vous à Guingamp, attendant Henriette, peut-être aussi serez-vous à Tréguier. Probablement à présent vous avez embrassé Alain et Henriette. Ô ma bonne mère, quelle joie vous avez dû ressentir à les revoir après avoir été si longtemps séparée d’eux ! Je suis un peu consolé de notre séparation par l’espérance de vous voir sans tarder. Car je pense que vous viendrez bientôt ici. Je tremble quand je pense que vous êtes seule à Tréguier où vous n’avez personne pour vous soigner et vous tenir compagnie ; je sais bien que la bonne Madame Le Dû aura bien soin de vous, mais il n’en est pas moins vrai que vous ne pouvez rester ainsi seule.

D’un autre côté, ma bonne mère, j’aimais à vous songer à Tréguier, au milieu de vos amies. Si vous venez à Paris, je n’ai plus d’espoir de mener jamais cette vie heureuse que nous avons menée ensemble dans notre modeste demeure. Si vous venez à Paris, je n’ai plus l’espérance de passer des vacances si douces dans ma ville natale que j’aime tant. Mais il est vrai, ma bonne mère vous seule, n’importe où vous serez, suffisez pour me rendre heureux. Cependant, ma chère maman, venez, venez, nous passerons des moments bien doux ensemble, j’ai besoin de votre présence et la chère Henriette aussi sera bien contente. Enfin, ma bonne mère, vous savez mieux que moi ce que vous devez faire, faites comme vous jugerez le mieux, tout ce que vous ferez sera bien fait. Nous avons composé avant-hier, demain on donnera les places. J’attendrai le résultat pour expédier ma lettre. Le collège est extrêmement fort, et si quelque chose sur la terre pouvait me consoler d’être séparé de vous, ce serait la manière paternelle dont on est traité ici. La pension est très bonne, les dortoirs d’une propreté admirable. Nous avons des lits de fer qui sont extrêmement commodes. L’établissement a une maison de campagne à Gentilly où nous allons nous promener. Enfin, on prend tous les moyens de rendre heureux les élèves. Mais, hélas ! je ne peux l’être loin de ma chère maman.

Et toi, mon cher Liart, toi avec qui j’ai passé de si doux moments, que j’ai souvent pensé à toi ! Tu ne m’as pas aussi oublié, j’en suis sûr, ton cœur est trop bon pour cela. Je t’ai écrit par ma sœur, je ne sais si tu as déjà reçu ma lettre, mais ne manque pas de m’écrire, je t’en prie. Fais mes compliments à tous nos condisciples, quand tu les verras, n’oublie pas surtout les professeurs du collège. Ah ! quand nous reverrons-nous ? Espérons en Dieu, mon bon ami, il ne nous abandonnera pas. — Je reviens à vous, ma chère maman. Je sors de chez mon confesseur, qui m’avait appelé non pour me confesser, mais pour faire connaissance avec moi. Quelle bonté et quelle douceur j’ai trouvées dans ce monsieur ! Qu’il me rappelle bien le bon Monsieur Le Borgne ! Nous ne voulons pas, dit-il, avoir des écoliers, mais des enfants. Cet esprit d’affection pour les élèves règne chez tous les professeurs comme chez ceux du collège de Tréguier. Adieu pour ce soir, ma chère maman, je vais travailler à mon devoir, je continuerai demain.


15 septembre.

J’ai éprouvé un petit échec, ma bonne mère, j’ai été le cinquième, dans la première composition en version latine sur vingt élèves. J’espère réparer mon honneur la semaine prochaine, dans la composition en vers latins, quoique je sois un triste poète. Hier au soir surtout, j’étais plein d’ardeur, car ici on donne les places devant toutes les classes rassemblées ; ce matin, je vous l’avouerai, j’ai un peu moins d’ardeur, en pensant à vous, à Tréguier, à Liart, à Guyomard et à tant d’autres choses : car tel est mon état il y a des moments où j’ai du courage, d’autres où je suis abattu. Les matinées me sont ordinairement pénibles et les soirées plus calmes. Enfin, ma chère maman, venez vite à Paris ; je crois que quand je vous aurai vue, j’aurai plus de courage. Oh ! qu’il est pénible d’être séparés ! Adieu, adieu, mon excellente mère. Votre fils qui vous porte le plus grand respect et le plus grand attachement.

ERNEST