Lettres de la Vendée/II/47
LETTRE XLVII.
Tous nos amis sont arrivés, ma
Clémence ; rien n’a dérangé nos desseins :
le père de Maurice, avec sa
fille ; ma bonne cousine de Parthenay,
avec les siennes. Si tu étois ici, les
murs qui m’environnent, renfermeroient
tout ce que j’ai de plus cher au
monde ; rien au-delà, n’appelleroit
mon cœur ; leur enceinte seroit l’univers
pour moi : hâtes-toi, ma chère,
de venir réunir toutes les félicités du
ciel, dans un petit coin de la terre :
tu y trouveras d’anciens amis, de nouveaux,
qui s’empresseront tous de te faire aimer leur séjour. Je ne te parle
pas de ta Louise ; point de joie pure,
point de plaisir pour elle, si tu ne le
partages ; aussi, ma chère, la grande
fête ne se fera qu’à ton retour ; elle ne
sera qu’en famille. Tous les cœurs
s’entendront ; l’aimable simplicité,
compagne de l’aisance et de la douce
familiarité, donnera tous les charmes
à notre bonheur : tu sais combien
ces fêtes nous plaisoient ; j’imagine
qu’aujourd’hui elles nous seront encore
plus chères. Jamais, ma Clémence,
nous n’avons été réunies, sans que la
bonté de mes parens n’ait arrangé ces
journées selon les desirs de mon cœur ;
et cette fois, ce sera encore pour toi,
mon ange ; et la modeste cousine sera
forcée de reconnoître combien sa présence
est nécessaire à la joie commune,
et combien elle l’augmente. Avec tous tes retards, méchante, il faut pourtant,
sans toi, faire demain, toutes
les cérémonies ; car c’est demain que
je vais promettre civilement à Maurice,
de le reconnoître pour mon
seigneur et maître. Mon frère, ce matin,
en plaisantant, l’engageoit à
prendre un ton plus grave, et à n’être
plus tant aux petits soins ; tu vois,
ma chère, que si je ne t’ai pas bientôt,
pour me défendre, il faudra tout-à-fait
abandonner mon rôle. C’est
hier que la famille de Maurice est arrivée ;
nous étions encore à déjeûner,
quand nous les apperçûmes qui traversoient
la terrasse : tout le monde
fut aussitôt levé. Maurice étoit sorti
un moment avec mon frère ; ainsi il
ne fut pas présent au tendre accueil
de mes parens ; je vis que les siens
y étoient sensibles : en un instant ils furent de la famille, et le ton de la
bonne confiance existoit déjà entre
nous, quand mon mari et mon frère
revinrent ; après leurs embrassemens,
Maurice me prit la main, et me présenta
à son père, qui lui dit : — mon
fils, vous m’avez bien de l’obligation
de vous avoir mis au monde, et de
vous avoir fait un honnête homme ;
nous en recevons aujourd’hui la récompense,
et je bénis le ciel de m’avoir
donné un fils qui rend mes derniers
jours si beaux. — Madame, en
s’adressant à ma mère, vous permettez
que j’embrasse ma fille, et que je
vous présente celle que j’ai élevé
dans ma chaumière. — Je reçus son
embrassement paternel, dans toute la
sensibilité de mon cœur, et partageai,
avec ma mère, les plus tendres carresses
à la jeune sœur, qui d’abord, embarrassée et timide, n’osoit les recevoir.
Maurice étoit aux cieux ; tous
ces mouvemens, prompts et vifs, montroient
l’émotion de son ame, partagée
entre son père et moi : ses yeux
me disoient : — tu es bonne, et je suis
bien heureux. — Ah ! ma chère, je l’étois
bien aussi, et je jouissois doublement
de son bonheur. La journée se
passa délicieusement ; mes cousines
m’aidèrent à dissiper la timidité de
ma petite belle-sœur, qui, à la fin de la
journée, étoit, parfaitement liée avec
la plus jeune des cousines : il paroît
même s’être établie, entr’elles, une
grande amitié : pour l’aînée, mon frère
se charge de la distraire ; le voyage l’a
mis en connoissance ; et depuis trois
jours qu’elles sont arrivées, il ne
nous a presque pas quitté ; les séances
de famille ne l’ennuient plus : il reste même souvent assis, près d’un quart-d’heure,
quand il est auprès d’elle.
Qu’en dis-tu, cousine, si elle alloit
faire la grande métamorphose, et que
mon frère devienne raisonnable ; j’aurois
bien de la peine à ne pas me venger
un peu de ce qu’il m’a fait souffrir,
et d’être à mon tour, la sœur qui
feroit acheter son appui ; mais je crois
qu’il n’auroit pas besoin de nos leçons ;
et que la chère impérieuse s’en
acquitteroit fort bien sans nous ; il
règne, dans toute sa personne, une
dignité dont je suis bien sûre qu’elle
ne rabattra rien ; et mon pauvre frère
sera tout étonné de craindre sa cousine.
Sur-tout, gardes le secret de
cette découverte. Quand tu seras ici,
tu reprendras ton rôle, et je crois, ma
chère, que tous les plus tendres intérêts
te seront confiés.
À propos, n’oublie rien dans tes emballages ; cette campagne sera plus longue que les autres ; et malgré la noce, je n’ai point perdu le goût de nos ouvrages, ou plutôt de nos plaisirs : rapporte la collection de tes recherches ; nous les classerons avant la fin de l’hiver ; et ce printemps, nous apprendrons à Maurice à nous être utile, à moins que tu ne veuilles l’exclure, comme profane ; mais, cousine, je t’avertis, j’aurai le même droit, et j’en userai peut-être ; je crois cependant que tu seras moins sévère ; car ce n’est pas toi qui peux jamais craindre que l’habitude use le bonheur. Vas, Clémence, fais partager tout à ton époux, tes amis ; plus ils seront près de toi, plus cette douce habitude deviendra un besoin ; et tu sais bien que celui qui seroit assez fou pour t’obéir, te feroit un grand sacrifice ; et tous tes beaux secrets, pour conserver l’amitié conjugale, dont tu débites les maximes avec tant de graces, ne te serviront jamais ; oserai-je dire, à moi aussi. Oui, oui, ma chère, j’ai de l’orgueil ; mais il n’est pas enveloppé si adroitement que le tien, je pense ; tout haut, je te dis que mon mari me verra tous les jours, partagera mes amusemens, et recevra encore comme une grace, d’y être admis ; que je l’aimerai de tout mon cœur, qu’il en sera persuadé ; et que cependant, il me trouvera aimable, et me rendra tout ce que je ferai pour lui. Adieu, cousine ; à toutes les leçons de froideur, je suis ton maître aujourd’hui, et ne fais peut-être que te deviner ; et comme tu fus la plus tendre amie, tu seras la plus tendre épouse ; ton cœur ne fera jamais rien à demi.