Lettres de la Vendée/II/45
LETTRE XLV.
Le bonheur est un baume, ma
douce amie ; les maux de l’ame se
guérissent, dès qu’ils cessent, ils ne
laissent point de convalescence ; et
dès que le cœur ne souffre plus, toutes
ses plaies sont fermées. Je me trouvai
si bien hier, après la sainte cérémonie
du matin, que le médecin voulut que
je restasse habillée, et voulut même
me faire descendre pour le dîner, et
que je me rendisse aux usages habituels
de la vie. Tous les cœurs étoient heureux de mon bonheur. Maurice
étoit le fils de la maison ; mon père
sembloit fier de son ouvrage ; maman
était presque aux excuses avec son
gendre ; mon frère le traitoit en frère ;
tous nos gens comme leur jeune
maître : il étoit à table à côté de moi,
le docteur de l’autre ; et tout le régime
qui m’étoit prescrit, me sembloit
doux à suivre. La joie de Maurice
étoit toute dans ses yeux ; ses manières
n’étoient changées que pour
moi : une aisance aimable avoit remplacé
la contrainte, et sa reconnoissance,
toujours respectueuse et tendre,
remercioit nos parens, dans tous
ses mouvemens et dans toutes ses paroles.
Tu as su, par maman, la cause
de nos peines ; aurois-tu cru qu’elles
pussent me venir de toi ; vois, où la
trahison conduit ? et au lieu de te la par donner, il faut que je te rende grace
de ta bienfaisante perfidie, qui a fait
nos maux, et qui les a finis.
Ton excellent esprit avoit deviné juste ; jamais
je n’eûsse pu prendre sur moi de faire
un aveu, et sur-tout de l’accompagner
des détails et des circonstances qui
l’excusoient ; ta savante amitié a tout
prévu, et le ciel a béni ta pieuse fraude.
La collection de mes lettres a appris à
maman ce que je n’aurais pu jamais lui
dire ; elle a pu juger les circonstances
et nous ; sa tendre prudence se prescrivoit
alors une épreuve, celle d’exiger de Maurice
son éloignement ; s’il m’eut
désobéi ou trompé, m’a-t-elle dit, ce
n’étoit plus qu’un homme ordinaire,
et notre reconnoissance pouvoit s’aquitter
sans toi ; ou du moins, vous
laissant libre de tout engagement, nous
remettions aux loix le droit de vous laisser disposer de vous-même ; mais
si elle eut lieu d’être satisfaite de la
généreuse résignation de Maurice,
elle étoit loin, m’a-t-elle dit, d’en
prévoir l’effet. C’est alors que mon
père n’écoutant que sa bonté et sa
tendresse, partit : en éloignant Maurice,
on avoit pourvu à sa sûreté,
et il avoit dû être reçu dans une ferme à
nous ; mon père ne l’y trouva point ;
il fallut alors des recherches pour découvrir
sa route : il avoit pris le chemin de la mer ;
mon père l’atteignit et le ramena ; ils étoient revenus peu
d’heures avant mon réveil, ou plutôt
ma résurrection ; il fallut l’emporter
de ma chambre, lorsqu’il me vit sans
connoissance et sans mouvement.
Ses premiers élans furent de la frénésie ; son emportement alla jusques à dire à ma mère : — madame, voilà votre ouvrage ; — et ma bonne mère lui a pardonné ; nous avons passé ainsi hier le reste de la journée, dans les doux épanchemens de l’amour et de l’amitié. Le soir, je ne me sentois point foible ; je voulus rester, on me ramena dans ma chambre après souper, et il fut décidé que la nourrice, le médecin et mon mari, y passeroient la nuit, comme hier. Je fus un peu surprise d’un mouvement de Maurice ; au moment où ma mère se retiroit, il mit un genou en terre, devant elle, et lui demanda, sa bénédiction ; vers le milieu de la nuit, je me suis réveillée ; Maurice étoit resté seul. Mon amie, ce matin, il étoit déjà assez tard lorsque mon père est entré dans notre chambre, et il a béni ses enfans…… Mais toute cette félicité t’appelle, te demande, te réclame : tu y ajoutes encore, en pensant que je te le dois, ma Clémence ; viens le partager, l’embellir ; la santé de ta mère est meilleure, et mon bonheur ne peut plus se passer de toi.