Lettres de la Vendée/II/44
LETTRE XLIV.
C’est une épouse qui t’écrit ; c’est
une heureuse épouse. Je t’ai dit qu’il
étoit là, près de moi, à mon réveil :
avec lui, étoient mon père et ma
mère, la nourrice, les médecins, tous
les domestiques de la maison. J’eus
d’abord peine à me retrouver ; le moindre
bruit m’affectoit : mes yeux étoient
ouverts ; je regardois sans voir, ou
plutôt, je voyois sans reconnoître. Cet
état, je m’en souviens, étoit doux ; il
ne me sembloit pas tenir à la terre ; je sens une de mes mains fortement pressée,
je tourne la tête, et mes yeux
rencontrent ceux de mon ami : je puis
dire maintenant de mon époux, de
mon amant, de mon mari ; un mouvement
prompt me porta vers lui, et
je jettai un cri, auquel répondit tout ce
qui m’environnoit : en même temps
cette voix si connue : Louise, ah !
Louise, retentit à mon cœur, et me
rappelle tout-à-fait à la vie. Je ne
pouvois encore parler ; mes pensées et
mes sentimens se pressoient et ne
pouvoient sortir ; j’étois oppressée ; le
médecin me fit donner des cordiaux,
et je ne trouvois pas des paroles pour
exprimer tout ce que j’éprouvois. Ma
mère étoit assise au chevet de mon
lit : — mon enfant, dit-elle, reviens
à nous ; ta mère a causé tes souffrances ;
elle vient les finir ; pardonne ses torts, elle vient les réparer : voilà
celui à qui nous te devons ; qu’il soit
notre fils, ton époux, et qu’il n’oublie
jamais qu’en te donnant à lui, nous
lui rendons tout ce qu’il a fait pour
toi et pour nous. — Maurice, apparemment,
n’étoit pas préparé à ce moment
de bonheur ; il baisoit les mains
de ma mère, les miennes, et ne pouvoit parler ;
mon père le releva et lui
dit, en l’embrassant : — mon gendre,
je vous ai tenu ma parole ; je ne veux
pas vous faire attendre : un ministre
de nos autels, est prévenu ; laissons
ma fille un moment à elle-même ;
elle ne pourroit soutenir tant d’émotions.
— Maurice revint à moi ; il sortit
les yeux gonflés de larmes, et en
me regardant. Deux heures furent
données aux soins du médecin. Ensuite
il voulut que l’on me leva et qu’on m’habilla : tu le connois, c’est Coste ;
celui qui a toujours été embarqué
avec mon père. Je vis ensuite faire des
préparatifs dans ma chambre ; on apporta
un livre sur la table ; on para
un autel ; et pendant ces préparatifs,
Coste ne me quitta point : il me fit
prendre quelques alimens, et me répéta
plusieurs fois que la cérémonie
de mon union avec Maurice, alloit
se faire. Un moment, je fus si émue,
que je tombai de mon siège, sur mes
genoux, les bras levés vers le ciel ; et
la nourrice me les soutenoit, car j’étois
encore foible ; je dis à haute voix,
cette prière : — Ô mon Dieu ! faites
que je sois toujours digne du bonheur
que vous m’envoyez, en me rendant
à la vie. — Peu de temps après, je
vis entrer l’auguste appareil : le prêtre,
revêtu de ses habits, étoit suivi de ma famille : Maurice étoit au milieu
d’eux, et les paroles sacramentelles
de notre union, ont été prononcées
sur nous. Je suis à lui, j’appartiens à
l’homme que mon cœur a aimé et
choisi ; le ciel même en est garant. Ton
heureuse amie, ne désire plus que toi.
Tout cela s’est passé hier ; cette nuit
Maurice est resté dans ma chambre,
avec ma mère, la nourrice et le médecin :
le calme de l’ame m’a rendu le
repos du corps, et des forces. Ils me
laissent t’écrire, mais je sens combien
de détails te manquent, et que ma
tendre amitié a besoin de te donner.
Ma mère t’écrit les faits ; mais elle me
laisse à te dire les sentimens, les affections,
le charme qui les accompagne
et qui les anime : demain, on
me promet plus de liberté, et de ne
plus me compter mes lignes. Clémence, à demain : ah ! quand ne te dirai-je
plus à demain ! quand te verrai-je ?