Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 400-402).



LETTRE XXXIV.


À..... Écuyer.


Dimanche au soir.


Il est une espèce d’offense qu’un homme peut, — qu’il doit même pardonner : — mais tel est l’honneur jaloux du monde, qu’il faut venger ce qu’on appelle communément un affront, lorsqu’il provient de quelqu’un qui marque. — Laissez-moi cependant vous rappeler que la dureté du cœur n’est pas digne de votre colère, et aviliroit votre vengeance. — La porter sur un être semblable, ce ne seroit pas, comme Saint-Paul, regimber contre l’aiguillon, — mais, ce qui est bien pire, contre un caillou. — Vous avez donc eu raison, mon cher ami, — de laisser tomber la chose comme vous l’avez fait.

Aussi loin que mes observations ont pu s’étendre, j’ai toujours remarqué qu’un cœur dur étoit un cœur lâche. — Le courage et la générosité sont des vertus amies ; et lorsqu’on est doué de la dernière, par une suite de l’organisation du cœur ; la première vient naturellement s’y établir.

Si je découvre un homme capable d’une bassesse, — si je le vois impérieux et tyrannique, s’il tire avantage de la foiblesse pour l’opprimer, de la pauvreté pour l’écraser, de l’infortune pour lui faire outrage, — ou s’il court toujours après des excuses sans jamais remplir ses devoirs, — un tel homme se fût-il d’ailleurs tiré de cinquante duels avec honneur, je conclus hardiment que c’est un lâche. — Ne point refuser le combat, n’est nullement une preuve de bravoure ; — car nous connoissons tous des lâches qui se sont battu, — qui même ont triomphé ; — mais un lâche ne fit jamais un action noble ou généreuse : — vous pouvez donc, d’après mon autorité, — qui peut-être n’est pas la plus mauvaise, vous pouvez, dis-je, soutenir qu’un homme dur ne fut jamais brave, c’est-à-dire qu’un tel homme, vous pouvez à bon droit l’appeler un lâche, — et s’il prend mal votre décision, — ne vous en inquiétez pas. — Tristram endossera son armure, dérouillera son épée, et viendra vous servir de second, dans le combat.

Maintenant, mon bon ami, souffrez que je vous demande comment il peut se faire que votre imagination se soit depuis peu mise dans le dortoir. — Je pensois que les noms de Pétrarque et de Laure, et le site enchanteur de la fontaine de Vaucluse, que toutes les âmes tendres regardent comme leur séjour classique ; je pensois, dis-je, que ces différens objets devoient vous inspirer une effusion de sentiment dont chaque page de votre dernière lettre m’auroit offert des ramifications ; — point du tout, vous me saluez d’une enfilade de raisonnemens sur l’honneur ; que vous ne pouvez avoir puisés que dans les conversations de quelques jeunes lords à grandes perruques, — et de quelques vieilles Ladys à vertugadins, — qui depuis si long-temps, si long-temps, habitent la longue galerie de…

Toutefois quand cette belle compagnie vous ennuiera, lorsque vous serez las de vous promener sur un plancher natté, vous pouvez venir ici contempler les feuilles de l’automne ; et vous amuser à me voir faire un ou deux autres volumes, pour tâcher, s’il est possible, d’alléger le spleen du monde mélancolique ; — car, malgré toutes ses erreurs, je veux encore qu’il m’ait cette obligation : — s’il ne le veut pas, — je l’abandonnerai à votre commisération. Ainsi portez vous bien, — et Dieu vous bénisse.

Je suis, votre très-affectionné, etc.