Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 403-405).



LETTRE XXXV.


À Lady C — H —


Samedi à midi.


Me voilà maintenant devant mon bureau, prêt à écrire : — faudra-t-il qu’entre la quarante et la quarante-cinquième année de ma vie, — je me permette encore une indiscrétion ? — Je m’en, rapporte à vous, madame, et vous laisse, s’il vous plaît, le soin d’imaginer le reste. — Voyez s’il me convient, dans cet âge avancé, de m’adresser aux charmes qui résultent de l’heureuse combinaison de la jeunesse et de la beauté. —

Si vous regardez ceci comme très-présomptueux, je renoncerai à ces beautés du printemps de la vie, pour ne m’attacher qu’aux qualités de tous les temps, dont le charme durable a le pouvoir d’effacer les rides, et de métamorphoser les cheveux blancs en boucles de jais. Vous réunissez ce double mérite, Madame ; et par tout où j’ai entendu prononcer votre nom, j’ai vu qu’on vous l’accordoit généralement : je ne me souviens pas même qu’on ait jamais accompagné votre éloge d’aucune de ces espèces de mais, que l’envie sait placer à propos pour jeter du louche sur ce qu’il y a de plus parfait.

Mais tandis que, par une sorte de miracle, vous subjuguez l’envie, et la forcez à vous respecter, — il est possible que quelquefois vous encouragiez involontairement ses attaques sur d’autres. — Pour ma part, rien n’est plus certain ; on est jaloux de moi jusqu’à la vengeance, quand on sait la manière gracieuse dont vous avez accueilli ma demande : mais, en pareille occasion, l’envie, loin de flétrir mes lauriers, ne fait qu’y ajouter un nouveau lustre : — c’est une cicatrice glorieuse dont je suis aussi fier qu’un héros patriote peut l’être de la sienne.

Mais, pour me renfermer dans mon sujet, — Souffrez, Madame, que je vous remercie le plus cordialement de m’avoir permis de solliciter l’honneur de votre protection, — car je n’entreprendrai point de vous remercier de me l’avoir accordée ; c’est une chose qui n’est pas en mon pouvoir : mes lèvres et ma plume regardent comme impossible de rendre tout ce que mon cœur sent en pareille occasion. — Peut-être un jour quelqu’un de la famille de Shandy sera-t-il assez éloquent pour vous offrir un hommage qui ne peut dans ce moment trouver d’expression équivalente à son énergie : telle est la position,

Du plus fidelle, du plus obéissant et du plus humble de vos serviteurs, etc.