Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 384-387).



LETTRE XXIX.


À......


Rue de Bond.


Je crains bien d’avoir fini, pour le reste de mes jours, de plaisanter, de rire et d’amuser les autres, soit hommes, femmes ou enfans, et de devenir grave et solennel ; dispensant la stupide sagesse comme on a prétendu jusqu’ici que je départois la folie à mes paroissiens et à mes paroissiennes.

À vous dire le vrai, — je commençai cette lettre hier matin, et je fus interrompu par une demi-douzaine d’oisifs qui vinrent me chercher pour m’associer à leur paresse et pour rire avec eux. L’un d’eux me força de dîner chez lui, avec sa sœur qui me parut un être du premier ordre, et qui fait quelque chose d’absolument semblable à la résolution avec laquelle j’ai commencé cette lettre, indigne de la plume qui l’écrit.

En bonne foi, cette femme est charmante au-delà de toute expression ; c’étoit elle qui avoit préparé le thé : elle m’en présenta une tasse plus délicieuse que le nectar.

Pour le dire en passant, elle désire extraordinairement de faire votre connoissance ; — ce n’est pas, vous pouvez m’en croire, d’après le compte que je lui ai rendu de vous, mais d’après les éloges que lui en ont faits des personnes qu’elle dit être de la première classe. Vous pouvez être bien sûr cependant que je ne les ai pas désavoués, et que mon témoignage ne vous a pas été contraire. — Lors donc que vous le désirerez, je vous présenterai pour que vous ayez l’honneur de lui baiser la main, et d’augmenter la liste des fidèles qui vont en adoration dans le temple d’un si rare mérite.

Je pense réellement que s’il y a sur la terre une femme propre à faire votre bonheur et à vous inspirer de l’amour, par-dessus le marché, — ce qui, je crois, seroit l’unique moyen de vous rendre heureux, — je pense, dis-je, que cette tâche est réservée à ce caractère enchanteur. En effet, si vous commandiez à mon foible pinceau de vous décrire la beauté dont la tendresse pourra vous guérir des maux de cœur et des inquiétudes sans nombre qui vous assailliront infailliblement sur le passage de la vie ; je choisirois cette excellente et divine créature. Mon esprit de chevalerie errante lui a déjà dit qu’elle étoit ma Dulcinée ; — mais je déposerai bien volontiers mon armure, et je briserai ma lance pour faire votre ange conservateur de la dame de mes pensées.

Je crois n’avoir pas besoin de vous rappeler mon affection pour vous ; il m’est justement venu quelques idées à votre sujet, qui m’ont tenu éveillé la nuit dernière, lorsque j’aurois dû être enseveli dans un profond sommeil ; — mais je me réserve de vous les communiquer au coin de mon feu, ou du vôtre, et je voudrois bien ce soir vous avoir auprès du mien. Je ne crois pas de ma vie avoir rien désiré aussi ardemment.

Au nom de la fortune, dites-moi donc, je vous prie, ce qui peut vous retenir à cinquante lieues de la capitale, dans un temps où, pour votre propre intérêt, j’aurois un si grand besoin de vous ?

Je vous entends vous écrier, — qu’est-ce que tout cela signifie ? — je vous vois presque déterminé à jeter ma lettre au feu, parce que vous n’aurez pu y trouver le nom de la belle. Mon bon ami, je suis parfaitement en règle sur cet article ; — car vous pouvez être sûr que mon intention n’a jamais été de confier son nom à cette feuille de papier. Je vous ai parlé de la divinité ; le reste, vous le trouverez inscrit sur l’autel.

Je ne fus jamais plus sérieux que je le suis dans ce moment-ci ; prenez donc bien vite la poste pour vous rendre dans cette ville : j’en serai parti si vous n’arrivez bien tôt, et alors je ne sais ce que deviendront toutes les bonnes intentions que j’ai maintenant pour vous ; — à la vérité, je ne crains pas d’en manquer dans le temps futur ; — car dans tous les événemens, dans toutes les circonstances, et partout,

Je suis très-cordialement et très-affectueusement votre, etc.