Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 367-369).



LETTRE XXIV.


À..... Écuyer.


Mercredi matin.


Croyez-moi, mon cher ami, je n’ai que très-peu de foi aux docteurs. Il y a plusieurs années que quelques-uns des plus célèbres de la Faculté m’assurèrent que je ne vivrois pas trois mois, si je continuois mon genre de vie. Le fait est que depuis treize ans je brave leur décision en faisant précisément ce qu’ils m’ont défendu : — oui, j’ai l’effronterie d’exister encore, quoiqu’avec toute ma maigreur ; et ce ne sera pas ma faute, si je ne continue à les faire mentir aussi longtemps que je l’ai déjà fait.

Je crois que c’est le lord Bacon qui observe, — du moins quelque soit l’auteur de cette observation, elle n’est pas indigne du grand homme que je viens de citer ; — il observe, dis-je, que les médecins sont de vieilles femmes qui viennent à côté de notre lit, se mettre aux prises avec la nature, et qui ne nous quittent que lorsqu’ils nous ont tués ou que la nature nous a guéris.

Il y a dans l’art de guérir une incertitude qui se moque de l’expérience, et même du génie. — Ce n’est pas que je prétende proscrire absolument une science qui produit quelquefois de bons effets. Je pense même que cette science, considérée abstractivement, doit l’emporter sur toutes les autres : mais je ne suis pas toujours le maître de me contenir quand je songe au sot orgueil de ceux qui la professent, et qui sortent des gonds lorsque vous ne lisez pas les étiquettes des fioles qui contiennent la matière de leurs ordonnances, avec le même respect que si elles étoient écrites de la propre main de Saint-Luc.

Déesse de la santé, — fais que je boive ton breuvage salutaire à la source pure qui jaillit sous tes lois ! Accorde-moi de respirer un air balsamique, de sentir les douces influences du soleil vivifiant. — Ami, je le ferai, — car si je ne vous vois dans quinze jours, le seizième je prendrai le coche de Douvres et j’irai sans vous, chercher les bords du Rhône, où vous me suivrez ensuite, si cela vous plaît ; si vous ne le faites point, voyez quelle différence : — tandis que le jour de Noël vous vous couvrirez d’habits bien chauds, et ferez préparer un grand feu pour vous prémunir contre les brouillards, je m’assiérai sur le gazon à la douce chaleur du grand foyer de la nature qui éclaire, vivifie et réjouit tous les êtres.

Faites bien vos réflexions, je vous prie, — et que j’en apprenne bientôt le résultat, car je ne veux pas perdre un autre mois à Londres, fût-ce même par complaisance pour vous, — ou dans la vue de vous avoir pour compagnon de voyage, ce qui, — je dois en convenir, me seroit absolument personnel. En attendant, et toujours, Dieu vous bénisse !

Je suis, très-cordialement, votre, etc.