Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 364-367).



LETTRE XXIII.


À......


Lundi matin.


L’histoire, mon cher ami, qu’on vous a débitée comme très-authentique, est absolument fausse, ainsi que bien d’autres. Je n’ai jamais eu de démêlé avec M. Hume — c’est-à-dire, de dispute sérieuse qui sentît l’emportement ou la colère. — En effet, on m’étonneroit fort, si l’on me disoit que David (Hume) se fût jamais pris de querelle avec quelqu’un ; et si j’étois forcé d’en convenir, rien ne pourroit me déterminer à croire que le tort ne fût pas du côté de son adversaire ; car de ma vie, je n’ai rencontré d’homme plus poli ni plus doux. S’il a fait des prosélytes par son scepticisme, il l’a dû plutôt à l’aimable tournure de son caractère, qu’à la subtilité de sa logique. — Comptez là-dessus : c’est un fait.

Je me souviens bien que nous plaisantâmes un peu à la table de lord Hertford à Paris ; mais de part et d’autre, il n’y eut rien qui ne portât l’empreinte de la bienveillance et de l’urbanité. — J’avois prêché le même jour à la chapelle de l’ambassadeur : David voulut faire un peu la guerre au prédicateur ; le prédicateur, de son côté, n’étoit pas fâché de rire avec l’infidèle ; nous rîmes effectivement un peu l’un et l’autre, toute la société rit avec nous ; — et quoi qu’en dise votre conteur, il n’étoit sûrement pas présent à cette scène.

Il n’y a pas plus de vérité dan le récit qui me fait prêcher un sermon injurieux pour l’ambassadeur dans la chapelle même de son excellence ; car lord Hertford me fit l’honneur de m’en remercier à plusieurs reprises. Il y avoit, je l’avoue, un peu d’inconvenance dans le texte ; et c’est tout ce que votre narrateur peut avoir entendu de propre à justifier son récit. — S’il s’endormit immédiatement après que je l’eus prononcé, — je lui pardonne. Voici le fait :

Lord Hertford venoit de prendre et de meubler un hôtel magnifique ; et comme à Paris la moindre chose produit un engouement passager, il étoit de mode dans ce moment-là de visiter le nouvel hôtel de l’ambassadeur d’Angleterre. — Personne n’y manquoit : — ce fut, pendant quinze jours au moins, l’objet de la curiosité, de l’amusement et de la conversation de tous les cercles polis de la capitale.

Il m’échut en partage, c’est-à-dire, je fus prié de prêcher le jour de l’inauguration de la chapelle de ce nouvel hôtel. — On vint m’en prier au moment où je finissois ma partie d’wisch avec Thornhills ; et soit que la nécessité de me préparer, car je devois prêcher le lendemain, m’enlevât trop brusquement à mon amusement de l’après-dîné ; soit toute autre cause que je ne prétends pas déterminer ; je me trouvai saisi de cette espèce d’humeur à laquelle vous savez que je ne puis jamais résister ; et il ne me vint dans l’esprit que des textes malheureux : — vous en conviendrez vous-même en lisant celui que je pris.

« Et Hezekia dit au prophète : je leur ai montré mes vases d’or et mes vases d’argent, et mes femmes et mes concubines, et mes boîtes de parfums ; en un mot, tout ce qui étoit dans ma maison, je le leur ai montré : et le prophète dit à Hezekia : vous avez agi très-follement. »

Ce texte étant puisé dans la sainte écriture, ne pouvoit nullement offenser, quelque mauvaise interprétation que voulussent y donner les malins esprits. — Le discours en lui-même n’avoit rien que de très-innocent, et il obtint l’approbation de David Hume.

Mais je ne sais comment je remplis des pages entières à ne parler que de moi seul : — la seule chose qui puisse justifier en moi cet égoïsme épistolaire, c’est lorsque j’assure un aimable caractère, ou un fidèle ami, comme je le fais maintenant à votre égard, que je suis d’elle, de lui, ou de vous,

Très-affectueusement, l’humble serviteur.