Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 370-373).



LETTRE XXV.


À..... Écuyer.


Mercredi à midi.


Je me trouve toujours quelque fâcheuse affaire sur les bras : ce n’est pas, comme le soupçonnent quelques personnes de bonne humeur, faute de prendre assez de soin de ne pas blesser les gens ; je n’en eus jamais le désir, mais uniquement faute d’être entendu. — Pope a très-bien peint l’embarras d’être réduit,


À s’escrimer
sans second et sans juge.


Je pense que la citation est exacte. — En effet, un homme peut assez bien se tirer d’affaire sans second. Le génie, loin d’en avoir besoin, pourroit quelquefois en être embarrassé ; — mais n’avoir pas de juge, c’est une mortification qui pénètre jusqu’au vif ceux qui sentent ou imaginent, ce qui revient à-peu-près au même, qu’un jugement impartial et équitable seroit leur récompense.

N’être jamais compris, et, ce qui en résulte naturellement, voir tous ses discours défigurés par l’ignorance, est cent fois pire que d’être calomnié malicieusement. — Le plus souvent, et presque toujours, la calomnie est un hommage que le vice paye à la vertu, et la folie à la sagesse. — L’homme sage voit d’un œil de pitié les efforts du calomniateur : ils tournent à son avantage ; — semblable au philosophe qu’on dit avoir élevé un monument à sa propre gloire, avec les pierres que lui lançoit la malignité de ses compétiteurs.

La vertu sans la bonne réputation est une chose trop ordinaire pour qu’on doive en être surpris — quoi qu’on ne puisse s’empêcher d’en déplorer l’injustice : mais comme elle tient en quelque sorte à l’ordre général de la Providence, l’espérance et la résignation peuvent nous la faire supporter. Quant à ce qui n’intéresse que médiocrement la réputation, on peut pardonner à celui qui se moque des tournures qu’on donne le plus souvent aux intentions les plus honnêtes.

Je puis vous assurer bien positivement que je n’eus jamais moins d’amour-propre, ni moins d’envie de déployer mes talens, — quels qu’ils soient — que dans la circonstance qui a produit tant de fâcheries. Loin de montrer de la sévérité — j’étois tout complaisance et bonne humeur — mes esprits étoient à l’unisson de chaque pensée généreuse et riante, — en un mot, j’avois si peu l’idée d’offenser — surtout les Dames — qu’il n’y eut peut-être jamais de moment dans ma vie je fusse plus disposé à m’armer de toutes pièces, et à monter sur mon palefroi pour aller soutenir la cause de la Beauté molestée ou captive. — Cependant me voilà précisément regardé comme le monstre que j’étois prêt à combattre et à détruire.

Veuillez donc bien, de la manière que vous croirez la meilleure, faire part de toutes ces observations à madame H… dites-lui qu’elle a fait seulement ce que bien d’autres ont fait avant elle — c’est-à-dire, qu’elle a mal conçu, ou, comme il pourroit y avoir de l’équivoque dans ce mot, qu’elle m’a mal entendu.

Je suis prêt à faire mon apologie dans toutes les règles ; et si la dame qui en sera l’objet est disposée à m’accorder un sourire, je recevrai le retour de sa faveur avec toute la reconnoissance qu’elle mérite ; mais si elle présume qu’il soit plus à propos de se tenir toujours pour offensée — je ne manquerai pas de la citer au supplément de mon chapitre des droits et des injustices des femmes ; et quoique, d’après une certaine combinaison des circonstances, je ne puisse jamais faire comprendre ce chapitre à mon oncle Tobie, je l’expliquerai si bien à tout le monde, qu’on pourra le lire en courant.

D’ailleurs, je ne suis pas inintelligible pour tous. Il y a quelques esprits qui n’ont nullement besoin d’avoir la clef de mes discours ou de mes ouvrages ; et ceux-là — je parle des esprits — sont du premier ordre. Ceci me donne quelque consolation, et cette consolation augmente de poids et de mesure lorsque je pense que vous êtes de ce nombre.

Mais le papier et la claquette du facteur m’avertissent de faire — ce que j’aurois dû faire à l’autre page : — c’est de prendre congé de vous ; adieu donc, et que Dieu vous bénisse !


Je suis très-cordialement, votre, etc.