Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 295-298).
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LETTRE III.


À W. C. Écuyer.


Coxwould, le 5 Août, 1764.


Vous voilà donc au temple de S…, où le thé, les conversations érudites vous captivent entièrement. Je commence presque à me faire une idée de cette confusion que vous appelez classique ; n’est-ce pas une rage de traiter d’anciens sujets à la moderne, et de modernes sujets à l’antique ? ne déraisonnez-vous pas l’un et l’autre, et votre imagination ne vous fait-elle pas accroire que vous êtes à Sinuesse, à côté de Virgile et d’Horace, ou à Tusculura, entre Cicéron et Atticus ? oh ! quel plaisir pour moi, si à travers une touffe de lauriers, je vous voyois entourés de colonnes, sous un superbe dôme, parler, en vous enivrant de thé, des hommes qui chantoient les douces inspirations du Falerne !

Que vous devez être un couple bien maussade ! en vérité, pour ne pas vous croire un homme perdu, il faut toute la confiance que j’ai dans le pouvoir régénératif de ma société ; mais hâtez-vous, mon bon ami ; recourez-y promptement : si vous vous proposez de revivre, n’attendez pas que vous soyez à l’agonie pour faire appeler le médecin.

Vous ne savez pas tout l’intérêt que je prends à votre santé. N’ai-je pas ordonné qu’on reblanchît tout le linge, même avant qu’il fût sale, afin que vous puissiez tous les jours en avoir de blanc à table, et une serviette par dessus le marché ? n’ai-je pas fait une espèce de moulin à vent qui m’assourdit de son cliquetis, et cela pour le placer sur mon beau cerisier, afin que les oiseaux écornifleurs ne touchent point à votre dessert ? est-il besoin de vous dire qu’à souper, vous aurez de la crème et du caillé ? faites bien vos réflexions, et laissez S..... aller tout seul aux sessions de Lincoln, où il pourra disserter sur ses auteurs avec les juges du pays : pendant ce temps-là nous philosopherons et nous sentimentaliserons. — Ce dernier mot est né sous ma plume ; il est bien à votre service, ou à celui du docteur Johnson. — Vous vous assiérez dans mon cabinet, où, comme dans une boîte d’optique, vous pourrez vous amuser à considérer le spectacle du monde, à mesure que j’en offrirai les différens tableaux à votre imagination. C’est ainsi que je vous apprendrai à rire de ses folies, à plaindre ses erreurs, et à mépriser ses injustices. — Parmi ces différentes scènes, je vous offrirai une jeune et sensible demoiselle : une douleur amère aura fixé une larme sur sa belle joue. — Après avoir entendu le récit de son infortune, vous tirerez un mouchoir blanc de votre poche pour essuyer ses yeux et les vôtres. — Ensuite vous irez vous coucher, non avec la demoiselle, mais avec la conscience d’un cœur susceptible de s’attendrir ; vous en trouverez l’oreiller plus doux, le sommeil plus suave, et le réveil plus gracieux.

Vous rirez de mes vestibules attiques, car j’aime les anciens autant qu’on doit les aimer ; mais parmi leurs beaux écrits et leurs vers sublimes, je défie l’admirateur le plus outré Je me citer une demi-douzaine d’histoires vraiment intéressantes, et c’est encore beaucoup.

Si vous n’arrivez bientôt, j’aurai fait sans vous un autre volume de Tristram. Que Dieu vous bénisse !

Je suis bien véritablement, Votre, etc.