Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/XVII. À Cornel. Titianus

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 55-57).
XVII.
Pline à Cornelius Titianus.

Il reste encore de la fidélité et de l’honneur parmi les hommes ; on en voit dont l’amitié survit à leurs amis. Titinius Capiton vient d’obtenir de l’empereur[1] la permission d’élever une statue, sur la place publique, à Lucius Silanus. Qu’il est glorieux d’employer sa faveur à cet usage ; et d’essayer son crédit à illustrer la vertu des autres ! Capiton s’est fait une habitude d’honorer les grands hommes. On admire avec quelle affection, avec quel respect il conserve dans sa maison, ne pouvant pas les voir ailleurs[2], les portraits des Brutus, des Cassius, des Catons. J’ajoute qu’il est peu de personnages illustres qu’il ne célèbre dans ses excellens vers. Croyez-moi, l’on n’aime point tant le mérite d’autrui, sans en avoir beaucoup soi-même. Silanus a reçu les honneurs qu’il méritait, et, en lui assurant l’immortalité, Capiton a consacré la sienne. Il n’est pas, selon moi, plus glorieux de mériter une statue dans Rome, que de la faire dresser à celui qui la mérite. Adieu.


  1. Vient d’obtenir de l’empereur. Caligula avait défendu d’élever des statues à un particulier, sans la permission de l’empereur. Cette loi fut maintenue même sous Trajan.
  2. Ne pouvant les voir ailleurs. C’eût été un crime de lèse-majesté que d’exposer en public les images de Brutus, de Cassius ou de Caton : sous les empereurs, ce n’étaient plus que des meurtriers. On sait que, pour avoir loué Brutus et Cassius, Cremutius Cordus fut accusé et condamné, sous Tibère (Tacit., Ann. iv, 34).