Lettres de Marie-Antoinette/Tome II/Lettre CCXLI

Lettres de Marie-Antoinette, Texte établi par Maxime de La Rocheterie [1837-1917], Alphonse Picard et FilsTome II (p. 143-145).

CCXLI.

À la duchesse de Polignac.
1789, 31 août.
Ce 31 août.

Mme de Pienne a été si souvent au moment de partir, que je ne sais pas encore si c’est tout de bon ; mais il m’est impossible, mon cher cœur de manquer une occasion de vous parler de toute mon amitié pour vous. Ma santé est bonne, celle de mes enfants aussi. Je vois toutes vos lettres à Mme de M….[1] cela me fait plaisir ; j’y vois au moins de votre écriture et que vous m’aimez toujours. J’en ai grand besoin, car je suis bien triste et affligée. Depuis quelques jours, les affaires paraissent prendre une meilleure tournure mais on ne peut se flatter de rien les méchants ont un si grand intérêt et tous les moyens de retourner et empêcher les choses les plus justes Mais le nombre des mauvais esprits est diminué, ou au moins tous les bons se réunissent ensemble, de toutes les classes et de tous les ordres. C’est ce qui peut arriver de plus heureux.

J’ai écrit à votre cousine pour lui dire adieu, ainsi qu’à sa mère. J’ai pleuré de sa réponse. Je ne vous dis point d’autre nouvelle, parce qu’en vérité, quand on est au point où nous en sommes, et surtout aussi éloignées l’une de l’autre, le moindre mot peut ou trop inquiéter ou trop rassurer. Mais comptez toujours que les adversités n’ont pas diminué ma force et mon courage. Je n’y perdrai rien ; mais seulement elles me donneront plus de prudence. C’est bien dans des moments comme ceci que l’on apprend à connaître les hommes et à voir ceux qui sont véritablement attachés ou non. Je fais tous les jours des expériences sur cela, quelquefois cruelles, mais d’autres bien douces, car je retrouve tout plein de personnes vraiment et sincèrement attachées, auxquelles je ne pensais seulement pas.

De la main de Madame Royale.

Madame, j’ai été bien fâchée de savoir que vous étiez partie. Mais soyez bien sûre que je ne vous oublierai jamais.
De la Reine.

C’est la simple nature qui lui a dicté ces trois lignes. Cette pauvre petite entrait pendant que j’écrivais. Je lui ai proposé d’écrire et je l’ai laissée toute seule. Aussi, ce n’est pas arrangé, c’est son idée, et j’ai mieux aimé vous l’envoyer ainsi. Adieu, mon cher cœur vous savez combien je vous aime, et que jamais je ne peux changer.

Mille choses pour moi à votre mari, votre fille et Armand. Je les aime de tout mon cœur.

(Autographe, Papiers de la famille de Polignac. Fac-similé et texte dans Gail, Lettres inédites de Henri II, etc., p.81. Éd. Feuillet de Conches, l.c., I, 364, d’après un prétendu autographe de son cabinet. Cf. notre introduction, p. xxxv-xxxvi.)

  1. Mme de Mackau, sous-gouvernante des Enfants de France.